Ubérisation

L'ubérisation[1] (du nom de l'entreprise Uber), ou la plateformisation[2], est un phénomène récent dans le domaine de l'économie consistant en l'utilisation de services permettant aux professionnels et aux clients de se mettre en contact direct, de manière quasi instantanée, grâce à l'utilisation des nouvelles technologies.

Ne doit pas être confondu avec Upérisation.

La mutualisation de la gestion administrative et des infrastructures lourdes permet notamment de réduire le coût de revient de ce type de service ainsi que les poids des formalités pour les usagers. Les moyens technologiques permettant l'ubérisation sont la généralisation du haut débit, de l'internet mobile, des smartphones et de la géolocalisation.

Ce modèle d'organisation du travail repose sur le travail à la tâche et s'oppose de fait à celui reconnu depuis des générations, et particulièrement depuis les Trente Glorieuses, c'est-à-dire le monde fixe et réglementé du salariat.

L'ubérisation s'inscrit de manière plus large dans le cadre d'une branche intégrée au marché de l'économie à la tâche.

Description

Le terme « ubérisation » est un néologisme, popularisé en francophonie par Maurice Lévy[3] après un entretien accordé au Financial Times en [4]. Le terme provient de l'entreprise Uber qui a généralisé à l'échelle planétaire un service de voiture de tourisme avec chauffeur entrant directement en concurrence avec les taxis. Les caractéristiques de ce service sont en premier lieu les gains financiers importants liés à l'évitement des contraintes réglementaires et législatives de la concurrence classique (l'acquisition d'une licence de taxi dans le cadre d'Uber), mais aussi la quasi-instantanéité, la mutualisation de ressources et la faible part d'infrastructure lourde (bureaux, services supports, etc.) dans le coût du service, ainsi que la maîtrise des outils numériques.

Au sujet de l'ubérisation, Guillaume Sarlat explique dans Le Figaro : « L'ubérisation, tout le monde en parle aujourd'hui : tous les business models des grands groupes seraient sur le point d'être disruptés, ubérisés, désintermédiés, commoditisés, en un mot pulvérisés par une multitude de startups beaucoup plus agiles et innovantes. »

Parmi les services cités comme initiant l'ubérisation de l'économie, on cite Airbnb, Booking.com ou Amazon.

Le fonctionnement d'un service ubérisé comprend généralement des éléments communs caractéristiques :

  • plateforme numérique de mise en relation entre client et prestataire ;
  • réactivité maximisée par la mise en relation immédiate du client et du prestataire, par proximité géographique ;
  • paiement du client à la plateforme qui prélève une commission ;
  • paiement du prestataire par la plateforme ;
  • évaluation croisée du service : le client évalue le service reçu et le prestataire évalue le client.

Domaines économiques ubérisés

Il est question d'ubérisation dans de nombreux domaines de l'économie. Après les domaines pionniers de l'hôtellerie (Airbnb, Booking.com) et des transports de personnes (Uber, Blablacar, Drivy), c'est par exemple le cas des petits travaux de rénovation et du dépannage ou du « service à la personne » comme l'entreprise Lulu dans ma rue ; en France, ce sont en 2016 des plateformes spécifiques  Hellocasa, MesDépanneurs, Archionline, AlloMarcel, VraimentPro, Expert-remuneration  mais l'on pressent l'arrivée proche de grands groupes, par exemple une version française d'Amazon Home Services ; ces deux phénomènes au grand dam des artisans[5]. On cite même la lutte antiterroriste pour des actions de type hackathon ou « incubateur à but non lucratif »[6]. Dans le domaine de la photographie, Meero a aussi adopté ce modèle. L'ubérisation est un phénomène prenant tellement d'importance qu'il commence même à toucher les secteurs économiques les plus traditionnels, et réputés intouchables, comme le secteur du droit, où certaines plateformes comme Cma-Justice proposent la mise en relation entre avocats et justiciables[7] ; dans le secteur des médias, les initiatives de Facebook ou d'abonnement multi-canal sont également perçues comme des évolutions vers une "ubérisation" du secteur [8].

L'ubérisation est réputée pour toucher de plus en plus de domaines de l'économie, par exemple la rénovation énergétique des bâtiments. À titre d'exemple, un rapport établi par l'association La Fabrique écologique cite le cas de Google qui, ayant racheté le fabricant d'outils domotiques intelligents Nest Labs, est en mesure dans un premier temps d'établir un diagnostic de performance énergétique fonction de l'usage, et grâce aux mégadonnées croisant ces informations avec les conditions climatiques ou le potentiel photovoltaïque du site, d'évaluer les besoins de travaux nécessaires à une amélioration de la performance énergétique du bâtiment ; il cite également les initiatives d'Elon Musk, proposant des solutions de stockage d'énergie domestique en crédit-bail. Il considère l'ubérisation comme une « menace », et propose des solutions alternatives, inspirées du programme néerlandais EnergieSprong[9].

Conséquences

L’ubérisation de l'économie est sujette à controverses. En effet, beaucoup de compagnies sont montées en flèche grâce à cette nouvelle forme d’économie et ont presque entièrement remplacé les entreprises traditionnellement présentes sur le marché. Par exemple, Uber a rencontré beaucoup de problèmes après que les compagnies traditionnelles de taxi ont perdu une grande partie de leur clientèle. Notamment, le service d'Uber n'est plus disponible dans plusieurs pays dont l'Australie (Territoire du Nord), la Bulgarie, l'Italie. Ceci est dû en général au fait que ces pays considèrent que la compagnie réalise une compétition déloyale avec les services de taxis. Certaines lois ont par ailleurs été créées pour interdire son implantation[10]. Le New York Magazine a écrit que le succès de l'économie collaborative repose surtout sur le fait que l'économie réelle était en grande difficulté. Selon le magazine, l'état actuel du marché du travail a permis le succès de l'ubérisation de l'économie : beaucoup tentent d'arrondir leurs fins de mois de façon créative. Ces personnes rejoignent l'économie collaborative après avoir perdu leur emploi à plein temps ou parce que la rémunération y est plus profitable (par exemple : des chauffeurs de taxis travaillent maintenant pour Lyft ou Uber)[11].

Les principales conséquences sont de deux ordres[12] :

  • pour le client : un service à faible coût, ou de coût identique à meilleure qualité, simplicité d'accès au service et instantanéité, environnement de confiance (paiement, avis des utilisateurs, etc.)
  • pour le professionnel : statut de travailleur indépendant et notamment avec le régime simplifié du micro-entrepreneur (anciennement auto-entrepreneur). Le droit du travail ne s'applique donc pas avec tout ce qu'il entraîne au niveau de la protection sociale ou des congés payés. Le service est effectué par des travailleurs indépendants par l'intermédiaire d'une Plateforme numérique (place de marché). Il ne s'agit donc pas d'une relation employeur / employé mais d'une relation client / fournisseur. Le professionnel doit donc gérer lui-même ses affiliations aux régimes de protection sociale et de prévoyance ainsi que les questions fiscales (TVA, impôts...) et de réglementation.

L'ubérisation de l'économie entraîne d'une part une individualisation de l'activité, d'autre part la pluriactivité (fait d'avoir plusieurs activités, ou un emploi salarié et un autre indépendant). Ce phénomène recèle plusieurs avantages et limites[13] :

  • Avantages : meilleur accès au travail, revenus supplémentaires (pouvant être significatifs), diminution du risque en multipliant les donneurs d’ordre, souplesse dans l’organisation du temps de travail, travail autonome et varié, acquisition de nouvelles compétences, possibilités accrues de reconversion, diversification de l’activité habituelle, contribution à une réflexion accrue sur la pertinence éventuelle d'instaurer un revenu minimal universel.
  • Limites : Stress, violences familiales, effacement de la limite entre vie professionnelle et vie personnelle, revenus plus précaires que pour les salariés, notamment en cas de maladie ou de changement de politique tarifaire de la plateforme, difficulté d’accès aux prêts et au logement en l'absence de revenus stables, risque économique, moindre opportunité d’accès à la formation, précarisation de l'activité et suppression de la protection historique du code du travail. La non application de la législation du travail nécessite de réinventer d’autres formes de protection sociale.

D'après l'Observatoire de l'ubérisation créé en 2015 par Grégoire Leclercq et Denis Jacquet pour analyser ce phénomène, il faut aussi prendre en compte les enjeux sociaux (financement du modèle social), juridiques (requalification en contrat de travail), fiscaux (les plateformes sont nombreuses à ne pas se soumettre à l'impôt sur le territoire national) et économiques (les acteurs traditionnels sont bousculés par ces modèles et les appréhendent)[14]. En effet, les flux financiers induits par les services ubérisés transitent fréquemment à l'étranger, donc à l'abri des prélèvements sociaux du pays où se font effectivement les prestations[5]. Ces limites et bien d'autres justifient que l'entrepreneur et penseur Bruno Teboul, par ailleurs cofondateur et membre de l'Observatoire de l'ubérisation, décrive l'ubérisation comme un processus de « disruption destructrice », en particulier dans son ouvrage Uberisation = Économie déchirée ?[15].

Rapporteur en 2021 d'une mission d'information sénatoriale sur le sujet, le sénateur PCF Pascal Savoldelli pointe du doigt un système de « retour au travail à la tache » qui ne laisse qu'une autonomie illusoire à des travailleurs par ailleurs peu protégés et sans visibilité sur leur situation et leurs revenus. Il souligne également un système qui isole les travailleurs et « change les relations au travail » avec le rôle prépondérant pris par des algorithmes opaques et dépersonnalisants. Est enfin relevé que les plateformes échappent à la fiscalité, au détriment du financement du modèle social français.[16]

Santé et sécurité au travail

Si le phénomène des plateformes numériques reste encore marginal en nombre de travailleurs concernés en France, environ 200 000[17], il interpelle car le modèle économique et l'organisation de ces entreprises échappent largement au cadre réglementaire et assurantiel incitant à la prévention des risques professionnels. Les règles de tarification des accidents du travail/maladies professionnelles (AT/MP) ou le régime de la responsabilité du chef d'entreprise n'ont plus de portée lorsque le travail est effectué par des indépendants prestataires et non plus par des salariés.

Ces nouvelles formes d’emploi et d’organisation du travail posent donc la question de l'impact sur la santé et la sécurité de ces travailleurs. Lors d’un exercice de prospective conduit en 2017, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et ses  partenaires ont mis en évidence un certain nombre de points de vigilance[18],[19]. L’organisation des plateformes et leurs modes de fonctionnement rendent complexe la mise en œuvre des principes de prévention et notamment l’évaluation et la suppression des risques. Par ailleurs, les indépendants qui travaillent pour ces nouveaux acteurs sont soumis à de forts risques psychosociaux liés à l'intensification du travail, à la faible autonomie, à l’insécurité des situations de travail ou encore de la désocialisation. A terme, le besoin de fidéliser les indépendants les plus compétents pourrait amener les plateformes à proposer des mesures de prévention, par le biais de la formation, en déployant des standard de sécurité, ou en prônant l’usage d’équipement plus sûr[20].

Un rapport de l'IGAS souligne pour les VTC une exposition potentiellement importante aux risques professionnels, des conditions de travail dégradées, un état de santé insatisfaisant et une sur-sinistralité probable[21].

Dans le rapport final de la Commission mondiale sur l’avenir du travail "Travailler pour bâtir un avenir meilleur", l'Organisation internationale du travail appelle pour son centenaire à réguler l'ubérisation du travail : "l'élaboration d'un système de gouvernance internationale pour les plateformes de travail numériques qui établisse un socle de droits et protections et impose aux plateformes (et à leurs clients) de les respecter". La Commission souhaite également réguler "l'utilisation des données et la responsabilité dans l'emploi des algorithmes dans le monde du travail. Les entreprises doivent s'assurer qu'elles ont des politiques en matière de transparence et de protection des données afin que les travailleurs sachent ce qui est tracé. Ils devraient être informés de tout contrôle réalisé sur le lieu de travail, et des limites devraient être imposées à la collecte des données susceptibles d'entraîner une discrimination, comme l'affiliation syndicale"[22].

Notes et références

  1. « ubérisation », dictionnaire Larousse.
  2. « plateformisation », Le Grand Dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (consulté le ).
  3. Cuny 2014.
  4. Thomson 2014.
  5. Pichère 2016, p. 12.
  6. Pillou 2015.
  7. JDE Édition 2016.
  8. Stratéges : quand les gafa et télécoms préparent l'ubérisation des médias
  9. Vergne 2015
  10. « Uber : which countries have banned the controversial taxi app » sur independent.co.uk, mai 2017
  11. Kevin Roose, The Sharing Economy Isn't About Trust, It's About Desperation (2014-04-24), New York Magazine
  12. Prisma Media 2015.
  13. Carrère-Gée 2015.
  14. de Matharel 2015.
  15. Éditions Kawa, 2015.
  16. « Précarité. « Des choix politiques ont mené à l’ubérisation des travailleurs » », sur L'Humanité, (consulté le )
  17. « "Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale" - Rapport IGAS - Mai 2016 », sur igas.gouv.fr,
  18. « "Plateformisation 2027 Conséquences de l'ubérsiation en santé et sécurité au travail": », sur inrs.fr,
  19. Organismes ayant participé à cette étude : la CNAMTS, l'Observatoire de l'ubérisation, le CREDOC, le CJD, l'ANACT, la CRAMIF, l'OPPBTP et 4 services de santé au travail (ACMS, AMETIF, CIAMT, SESTDIF)
  20. « "Plateformisation: quelles conséquences en santé sécurité au travail en 2027?" », sur hst.fr, HST,
  21. « Régulation du secteur des voitures de transport avec chauffeurs et des taxis », sur igas.gouv.fr,
  22. « Travailler pour bâtir un avenir meilleur », sur ilo.org,

Voir aussi

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • Marie-Claire Carrère-Gée, « L’« Ubérisation » de l’emploi est déjà partout ! », Le Monde (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • Delphine Cuny, « « Tout le monde a peur de se faire Uberiser » : Maurice Lévy », La Tribune (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • JDE Édition, « Les avocats organisent l’ubérisation de leurs conseils », Le Journal des entreprises - en ligne, (lire en ligne, consulté le )
  • François Miguet et Raphaël Goument, « Jusqu'où l'uberisation de la société va-t-elle aller ? », Capital (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • Pierre Pichère, « Les artisans face au choc de l'ubérisation », Le Moniteur, , p. 12-15
  • Guillaume Sarlat, « L'enjeu des années à venir, c'est la Freesation, pas l'Uberisation ! », Le Figaro (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • (en) Adam Thomson, « Maurice Lévy tries to pick up Publicis after failed deal with Omnicom », Financial Times (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • Frédérique Vergne, « La vague d’ « uberisation » aux portes de la rénovation énergétique », Le Moniteur (en ligne), (lire en ligne, consulté le )
  • Laura Gombert, « Les taxis Uber sont une révolution dans le marché économique », Le Monde (en ligne),
  • Gurvan Kristanadjaja, Ubérisation piège à cons, Robert Laffont, 2021.

Articles connexes

Arts

Le film Sorry We Missed You de Ken Loach aborde l'ubérisation.

Liens externes

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