Traité de Lausanne (1923)

Le traité de Lausanne de 1923 est un traité de paix signé le au Palais de Rumine à Lausanne (Suisse). C'est le dernier traité résultant de la Première Guerre mondiale. Il précise les frontières de la Turquie issue de l'Empire ottoman et organise des déplacements de populations pour assurer l'homogénéité religieuse à l'intérieur de ses nouvelles frontières.

Pour les articles homonymes, voir Traité de Lausanne.

Traité de Lausanne
La Turquie selon le traité de Lausanne.
Accord relatif à la restitution réciproque des internés civils et à l'échange des prisonniers de guerre, signé à Lausanne
Signature
Lieu de signature Palais de Rumine, Lausanne, canton de Vaud, Suisse
Entrée en vigueur
Signataires Turquie
Empire britannique
 France
Royaume d'Italie
Empire du Japon
 Royaume de Grèce
 Royaume de Roumanie
Parties Turquie
Empire britannique
République française
Royaume d'Italie
Empire du Japon
 Royaume de Grèce
 Royaume de Roumanie
Royaume des Serbes, Croates et Slovènes
Dépositaire République française
Langue Français

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Contexte : le traité de Sèvres et sa contestation

Ce traité remplace le traité de Sèvres, traité de paix signé le à Sèvres et mettant fin à la Grande Guerre en ce qui concerne l'Empire ottoman.

Le traité de Sèvres instituait une Arménie indépendante dans le Nord-Est de la Turquie actuelle, un Kurdistan autonome dans le Sud-Est, et laissait au royaume de Grèce la Thrace orientale et la région de Smyrne, toutes deux peuplées de populations mélangées (turques et grecques). Le traité de Sèvres portait également dissolution de l'armée ottomane et répartissait ce qui restait de l'Empire ottoman en zones d'influence contrôlées par les Britanniques, Français et Italiens.

Le traité de Sèvres fut accepté par le Sultan, mais refusé par le mouvement de réaction nationale dirigé par Mustafa Kemal Atatürk ; il ne fut ratifié par aucun parlement national, hormis celui de la Grèce. Dès l’automne 1920, Georges Leygues, alors président du Conseil en France, déclarait à la conférence de Londres que la France ne ratifierait pas ce traité et qu’il fallait le réviser. Mustafa Kemal, qui avait commencé à organiser un pouvoir nationaliste parallèle en 1919, menait alors une guerre contre le pouvoir du Sultan ainsi que contre les troupes grecques et arméniennes, contre les autonomistes kurdes et contre les troupes d'occupation italiennes et britanniques. En revanche, il bénéficiait de l'appui de la France (qui, en mars 1921, signait un accord avec le gouvernement kémaliste, puis un traité de paix en octobre de la même année, et lui vendit des armes[1]) et de la Russie bolchévique (qui lui fournit également des armes[2] et lui céda, au traité de Kars d', le territoire arménien occupé un an plus tôt par les troupes kémalistes[3]).

Le traité de Kars avalisa, côté russe, celui d'Alexandrople, que la République arménienne avait dû signer, le , à l'issue de la guerre arméno-turque, rétrocédant à la Turquie le territoire de Kars (attribué à l'Empire russe par le traité de San Stefano en 1878)[4]. Ce territoire était peuplé de Lazes, de Meskhètes, de Géorgiens, et d'Arméniens survivants du génocide[5] : ils furent expulsés et remplacés par des Turcs et des Kurdes.

En février-, se tint à Londres une conférence sur la révision du traité de Sèvres[6]. Aucun règlement général ne conclut la conférence, mais l’Italie accepta de retirer ses troupes d’Anatolie. En mars 1922, l’Entente fit de nouvelles propositions à la Turquie kémaliste, en renonçant à prendre le traité de Sèvres pour base ; mais Kemal jugea que ces propositions étaient « loin, toutefois, dans leur fond, de contenter nos aspirations nationales[7]. »

Après la large victoire des troupes kémalistes contre les troupes grecques en , le traité de Sèvres devint définitivement caduc. Une conférence internationale se réunit alors, afin de le remplacer par un nouveau traité, reflétant le nouveau rapport de forces sur le terrain. Le chef de la délégation turque est İsmet İnönü. Après des mois de tractation, le traité est signé le à Lausanne entre la Turquie d'une part et la France, le royaume d'Italie, le Royaume-Uni, l'empire du Japon, le royaume de Grèce, le royaume de Roumanie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes d'autre part.

Contenu du traité de Lausanne

Le traité reconnaît en premier lieu la légitimité du régime d'Atatürk installé à Ankara. Les Alliés obtiennent la reconnaissance par la république turque des pertes territoriales de l'Empire ottoman à Chypre, dans le Dodécanèse, en Syrie, Palestine, Jordanie, Irak et Arabie, mais en échange renoncent à demander l'indépendance, voire simplement l'autonomie, du Kurdistan et de l'Arménie, auparavant prévues dans le traité de Sèvres. Au sandjak d'Alexandrette près, les frontières de la Turquie actuelle sont reconnues : la république turque moderne est donc limitée à l'Anatolie (occidentale et orientale) et la Thrace orientale.

Le traité institue aussi des échanges de populations obligatoires entre la Grèce et la Turquie (1,6 million de Grecs ottomans contre 385 000 musulmans de Grèce : ces échanges forcés ont débuté, « baïonnette dans le dos », avant même la signature du traité en ). Dans une moindre mesure, les autres signataires sont également concernés, le régime kémaliste souhaitant « rapatrier » des Turcs de Bulgarie, de Roumanie ou du Dodécanèse italien en échange de populations chrétiennes de Turquie (Bulgares de la Thrace turque, Pontiques envoyés en Roumanie, Grecs de Cilicie envoyés à Rhodes). Près d'un demi-million de Grecs de Turquie sont morts (pour la plupart dans les camps ou en route) et 400 000 musulmans, en majorité Turcs, ont quitté, eux, la Grèce pour la Turquie. L'échange de population était strictement basé sur l'appartenance religieuse. Le traité prévoyait quelques exceptions : Istanbul et les îles de Gökçeada (Imbros) et de Bozcaada (Tenedos), où les minorités grecques (300 000 personnes) étaient autorisées à rester, et la Thrace occidentale, où la minorité musulmane (230 000 personnes) était aussi autorisée à rester. Mais, dans les décennies suivantes, les discriminations et persécutions déterminèrent aussi ces populations à quitter leurs territoires de sorte qu'au XXIe siècle il reste 140 000 musulmans en Grèce[8] et seulement quelques milliers de Grecs en Turquie[réf. souhaitée].

À Lausanne, le contrôle des Alliés sur les finances et les forces armées turques est supprimé, et une zone démilitarisée est mise en place autour des détroits des Dardanelles et du Bosphore, qui restent ouverts, sans restriction ni contrôle turc, au passage aérien et à la navigation maritime internationale[9]. Le traité de Lausanne met également fin au régime des Capitulations qui accordait des conditions favorables aux institutions étrangères en Turquie, surtout dans le domaine économique et scolaire.

Voir aussi

Bibliographie

  • Mustafa Kemal Atatürk, Discours du Gazi Mustafa Kemal, président de la République de Turquie, Leipzig, K. F. Koehler Verlag,
    traduction révisée par Azmi Süslü, Centre de recherches Atatürk, Ankara, 2003
  • Jacques Benoist-Méchin, Mustapha Kémal ou La mort d'un empire, Paris, A. Michel, coll. « Le Loup et le Léopard », (1re éd. 1954), 459 p. (ISBN 978-2-226-02195-3, OCLC 814318634).
  • (en) Houri Berberian, « The Delegation of Integral Armenia: From Greater Armenia to Lesser Armenia », Armenian Review, vol. 44-3, , p. 39-64.
  • Paul Dumont (Titre de l'édition 1983: 1919-1924, Mustafa Kemal invente la Turquie moderne.), Mustafa Kemal invente la Turquie moderne, Bruxelles, Éditions Complexe, coll. « Historiques » (no 109), (1re éd. 1983), 221 p. (ISBN 978-2-8048-0095-6, OCLC 77535111, lire en ligne).
  • Claude Farrère, Turquie ressuscitée, Paris, Cahiers libres, , 154 p. (OCLC 250572378).
  • Berthe Georges-Gaulis, La Question turque : une page d’histoire turque et d’erreurs européennes. 1919-1931, Paris, Berger-Levrault, , 374 p. (OCLC 906437028).
  • Roger de Gontaut-Biron et L. Le Révérend (préf. Hratch Bedrossian), D’Angora à Lausanne, les étapes d’une déchéance, Paris, Plon, coll. « Histoire », (1re éd. 1924), 346 p. (ISBN 978-2-917650-02-8, OCLC 866818198).
  • (tr) Kazım Karabekir, İstiklâl harbimiz, Istanbul, Emre Yayınlar, coll. « Emre Yayınları » (no 46 .. 50), (1re éd. 1938), 5 volumes (ISBN 978-975-7369-41-7, 978-9-757-36942-4 et 978-9-757-36947-9, OCLC 58792273).
  • (en) Justin McCarthy, The Ottoman peoples and the end of empire, London New York, Arnold Oxford Distributed by St. Martin's Press, coll. « Historical endings. », , 234 p. (ISBN 978-0-340-70657-2 et 978-0-340-70656-5, OCLC 1015483367).
  • (en) Justin McCarthy, Population history of the Middle East and the Balkans, Piscataway, NJ Istanbul, Gorgias Press Isis Press, coll. « Analecta Isisiana » (no 62), (1re éd. 2002), 321 p. (ISBN 978-1-61719-105-3, OCLC 659990814).
  • (en) Kapriel Serope Papazian, Patriotism Perverted, Boston, Baikar Press, .
  • Jean Pichon, Le Partage du Proche-Orient, Paris, Jean Peyronnet, .
  • (en) Haluk Selvi, Armenian Question, From the First World War to the Treaty of Lausanne, Sakarya University Press, .
  • (en) Stanford J. Shaw (sept volumes), From Empire to Republic : The Turkish War of National Liberation, Ankara, TTK, .
  • (tr) Bilâl N. Şimşir (dir.) (deux volumes), Lozan Telgrafları, Ankara, TTK, 1990-1994.
  • (en) Salâhi R. Sonyel, Turkish Diplomacy, 1918-1923, Londres, Sage Publications, .
  • (tr) Salâhi R. Sonyel (trois volumes), Mustafa Kemal Atatürk ve Kurtuluş Savaşı. Yeni Belgelerle, Ankara, TTK, .
  • Yves Ternon, L'Empire ottoman : le déclin, la chute, l'effacement, Paris, édition du Félin, , 575 p. (ISBN 2-86645-425-1).
  • Jacques Thobie, « De Constantinople à Ankara : d’un empire piétiné à une république respectée », Relations internationales, no XXXI, , p. 263-282.

Notes et références

  1. Anne Hogenhuis, Corine Defrance, Geneviève Bibes et Jérôme de Lespinois, « Le retour de Briand aux affaires en 1921 », dans Jacques Bariéty, Aristide Briand, la Société des Nations et l’Europe, Presses universitaires de Strasbourg, , 49-51 p. ; Atatürk 1929, p. 540.
  2. Il s'agit de 60 de canons Krupp, 30 000 obus, 700 000 grenades, 10 000 mines, 60 000 fusils confiés par la Roumanie aux Russes, 1,5 million de fusils ottomans prise de guerre, 1 million de fusils russes, 1 million de fusils austro-hongrois Männlicher prise de guerre et 25 000 fusils Martini-Henry à baïonnette selon H. Kapur, Soviet Russia and Asia, 1917–1927.
  3. Claude Mutafian et Éric Van Lauwe, Atlas historique de l'Arménie, Autrement, coll. « Atlas / Mémoires », , 143 p. (ISBN 978-2-7467-0100-7), p. 72.
  4. Atatürk 1929, p. 431 ; Papazian 1934, p. 48-51.
  5. Yves Ternon, Les Arméniens. Histoire d'un génocide, Paris, Seuil, [détail des éditions] (ISBN 978-2-02-025685-8), paragraphe 2 page 302.
  6. Atatürk 1929, p. 485 sqq.
  7. Atatürk 1929, p. 626.
  8. « Autorité statistique hellénique (Elstat) ».
  9. « Journal officiel de la République française. Lois et décrets », sur Gallica, (consulté le )

Articles connexes

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