Succession apostolique
La succession apostolique est un concept chrétien selon lequel la mission des apôtres de Jésus s'est transmise au fil des siècles de successeur en successeur. Cette filiation spirituelle, intacte et ininterrompue jusqu'à nos jours, est censée garantir à l'Église qui la détient la fidélité au christianisme primitif et à ses croyances. Cette légitimité est revendiquée par chacune des Églises chrétiennes.
Les Églises catholique et orthodoxe affirment que la succession apostolique est assurée par la consécration épiscopale. Dans la plupart des Églises protestantes, la succession dans la foi revêt plus d'importance que la notion d'autorité inhérente à la succession par consécration.
Origines
Autant l'Église primitive a été historiquement fondée par des disciples de Jésus, autant il est difficile de cerner l'organisation interne de ces premières communautés. Toujours est-il qu'une structure hiérarchique est attestée à la fin du Ier siècle dans la Première épître de Clément[1]. Pour Clément, les premiers apôtres ont consacré leurs propres disciples afin qu'ils continuent la mission dont Jésus les a chargés[1]. Cette doctrine soutient également que les preuves indiquent que cette pratique a existé dès les deuxième ou troisième générations[1], déjà constituée d'épiscopes, de presbytres et de diacres.
Ce système se fonde sur l'obligation de préserver la continuité dans la transmission du dépôt de la foi confié par le Christ aux apôtres[2]. Aux presbytres est due la soumission car ils sont les détenteurs légitimes de l'investiture apostolique[2]. Clément illustre ce principe avec un verset du Livre d'Isaïe qu'il adapte pour les besoins de sa démonstration : « Depuis de longs siècles déjà l'Écriture parlait des évêques et des diacres ; elle dit en effet : "J'établirai leurs évêques dans la justice, et les diacres dans la foi" (Is 60:17)[2]. » À cette justification, il ajoute un parallèle avec la discipline des armées romaines, mais aussi avec le statut des officiants du Temple de Jérusalem[2].
L'analyse historique, depuis Alfred Loisy jusqu'à François Laplanche, considère que cette organisation est une particularité de l'Égypte et ne prend corps dans les autres pays qu'au IIIe siècle. Il n'y aurait jamais eu une telle « Église » institutionnelle avant la toute fin du IIIe siècle et le début du IVe, c'est-à-dire au moment de la persécution des chrétiens par Dioclétien (306) dans les régions où ils étaient nombreux. La structure institutionnelle se met alors en place comme fait de résistance, particulièrement en Égypte, où le métropolite Pierre d'Alexandrie se réfugie au désert pour organiser la résistance de l'extérieur tandis que l'évêque Melitios de Lycopolis organise la résistance de l'intérieur. Les chrétiens d'Alexandrie décernent le titre de « pape » (« père ») à Pierre d'Alexandrie : c'est la première fois que cette appellation est attestée[3].
Le mot grec ἐκκλησία (ekklêsia, du verbe ἐκκαλέω ekkaleô, convoquer, rassembler) ne prend le sens de « bâtiment » ou métaphoriquement d'« institution » qu'à partir du IIIe siècle[4]. Auparavant, il s'agit d'une assemblée réunie pour prendre des décisions, par exemple l'Ecclésia, l'assemblée « nationale » de l'Athènes classique.
Les Églises chrétiennes
Tradition catholique
L'Église catholique affirme que, par la consécration épiscopale, ses évêques assurent la continuité vitale et institutionnelle de la « grande mission » confiée aux apôtres par Jésus-Christ[5].
Elle reconnaît aux Églises orthodoxes la succession apostolique. Pour autant, elle ne reconnaît pas les ministères des Églises orthodoxes parce qu'ils ne reconnaissent pas l'autorité du pape (cf. la déclaration Dominus Iesus du cardinal Ratzinger, ).
En revanche, elle ne reconnaît pas les évêques anglicans ; cette question longtemps en suspens a été tranchée par Léon XIII dans la bulle Apostolicae Curae du ).
Tradition orthodoxe
Pour l'Église orthodoxe, la succession apostolique présuppose non seulement une chaîne d'ordinations continues remontant aux Douze Apôtres, mais aussi la transmission de dons du Saint-Esprit, dont celui de la grâce du sacerdoce.
À la question de l'existence d'une succession apostolique en dehors de l'Église orthodoxe, la Communion orthodoxe donne des réponses variables : son absence totale en dehors de l'orthodoxie, le principe d'« incertitude » et la doctrine de sa réalité en dehors de l'orthodoxie.
Tradition protestante
Les Églises issues de la Réforme se limitent au fait que chaque baptisé est « prophète, prêtre et roi », et accordent beaucoup moins d'importance à la succession apostolique qu'à celle de la foi [6] : la successio fidei, ou encore successio fidelium (« succession des fidèles »). Cette succession se conçoit avant tout comme un « retour constant au témoignage apostolique »[7]. Luther, dans ses 95 Thèses, insiste sur la nécessité de retrouver la pureté de l'Église primitive et son organisation naturelle selon les préceptes de l'apôtre Paul. Cette approche « oblige l'Église à témoigner de l'Évangile de Jésus-Christ de manière authentique et missionnaire dans la fidélité au message apostolique (1 Cor 15:1-3) auquel elle doit son existence. Là où l'Esprit de Dieu fait de ce message apostolique une vérité pour les hommes (Jn 16:13), l'apostolicité de l'Église se réalise comme successio fidelium au fil des générations »[7].
Églises épiscopales
Sont dites « épiscopales » les Églises qui adoptent une structure où l'autorité la plus haute est détenue par les évêques, considérés comme dépositaires de la succession apostolique : l'Église catholique, les Églises orthodoxes, l'Église luthérienne de Suède, la Communion anglicane, l'Église vieille-catholique de l'Union d'Utrecht et les Églises des deux conciles et des trois conciles.
Notes et références
- « Apostolic Succession », Encyclopædia Britannica.
- Michel-Yves Perrin, « Aux origines du "Siège apostolique" (jusqu'en 311) », in Yves-Marie Hilaire (dir.), Histoire de la papauté : 2000 ans de mission et de tribulations, Points/Histoire, 2003, p. 23-32.
- Richard E. RUBENSTEIN, Le Jour où Jésus devint Dieu, La Découverte
- Dictionnaire grec-français d'Anatole Bailly.
- Définition de la succession apostolique sur le site de l'Eglise catholique en France
- Peter Kistner, Das göttliche Recht und die Kirchenverfassung I, LIT Verlag, Münster, 2009 (ISBN 978-3-8258-1746-6), p. 179.
- Michael Bünker, Martin Friedrich (ed.), Die Kirche Jesu Christi/The Church of Jesus Christ, Evangelische Verlagsanstalt, Leipzig , 2012, p. 38.
Bibliographie
- Jean Chélini, Histoire religieuse de l'Occident médiéval, 1968, Nouvelle bibliographie, 1991, rééd. coll. « Pluriel », 1997
- Michel-Yves Perrin, « Aux origines du "Siège apostolique" (jusqu'en 311) », in Yves-Marie Hilaire (dir.), Histoire de la papauté : 2000 ans de mission et de tribulations, Points/Histoire, 2003, p. 23-32
- André Vauchez éd., Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. V, Apogée de la papauté et extension de la chrétienté (1054-1274), Desclée, Paris, 1993
- Axel Freiherr von Campenhausen, Evangelisches Bischofsamt und apostolische Sukzession, in Zeitschrift für evangelisches Kirchenrecht 45, 2000, p. 37–52