Salò ou les 120 Journées de Sodome
Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le centoventi giornate di Sodoma) est un film italien réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1975. Il s'agit du dernier film du cinéaste, assassiné moins de deux mois avant sa sortie en salle à Rome. Il n'a d'ailleurs pas eu le temps d'en finir le montage, d'où une dernière partie écourtée[1] (à la suite d'une disparition ou d'un vol de bobines).
Pour les articles homonymes, voir Sodome (homonymie).
Titre original | Salò o le 120 giornate di Sodoma |
---|---|
Réalisation | Pier Paolo Pasolini |
Scénario |
Pier Paolo Pasolini, sur une idée de Sergio Citti |
Musique | Ennio Morricone |
Acteurs principaux |
Paolo Bonacelli |
Pays d’origine | Italie |
Genre | Film dramatique |
Durée | 117 minutes |
Sortie | 1975 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
C'est une libre adaptation, transposée au XXe siècle, de la grande œuvre du marquis de Sade (1740-1814), Les Cent Vingt Journées de Sodome, dont l’action se passait, elle, à la fin du règne de Louis XIV (mort en 1715).
Synopsis
L'action commence à Salò, ville près du lac de Garde où, en , les nazis installèrent Benito Mussolini, qu'ils venaient de libérer. Quatre notables riches et d'âge mûr y rédigent leur projet macabre. Elle se poursuit par la capture de 9 jeunes garçons et 9 jeunes filles dans la campagne et quelques villages alentour.
Les quatre notables, le Duc, l’Évêque, le Juge et le Président, entourés de divers servants armés et de quatre prostituées, ainsi que de leurs femmes respectives (chacun ayant épousé la fille d'un autre au début du film), s'isolent dans un palais des environs de Marzabotto, dans la république de Salò.
Le film se divise en quatre tableaux, comme dans l'œuvre du marquis de Sade, qui prennent le nom de cercles infernaux, comme dans l'œuvre de Dante Alighieri :
- le premier tableau est intitulé Antinferno (le « Vestibule de l'enfer »), dans lequel le réalisateur plante le décor ;
- le deuxième se nomme Girone delle manie (le « Cercle des passions »). Il est l'occasion de diverses scènes de viol sur les adolescents ;
- le troisième est celui du Girone della merda (le « Cercle de la merde »), où les victimes doivent notamment se baigner dans des excréments, manger ceux du Duc ou encore des plats fécaux au cours d'un grand banquet aménagé pour l'occasion ;
- le dernier tableau, celui du Girone del sangue (le « Cercle du sang »), est l'occasion de diverses tortures et mutilations (langue coupée, yeux énucléés, scalpations, marquages au fer de tétons et de sexes…), et finalement meurtre des adolescents.
Le tout est crûment montré dans un scénario proche de la réalité. Toujours interdit de diffusion à la télévision publique, Salò fait l'objet d'un véritable culte et a longtemps[Quand ?] été projeté dans une salle « Art et Essai » du Quartier latin de Paris. Réservé à un public très averti, il a toutefois été diffusé en France sur CinéCinéma Classic à l'occasion d’une intégrale Pasolini[Quand ?] et sur Paris Première.
Le film fut diffusé sur FR3 à la fin des années 1970 au « Cinéma de minuit » dans le cadre d’un cycle Pasolini.
Commentaire
Le film est inspiré de l'œuvre du marquis de Sade (1740-1814) Les Cent Vingt Journées de Sodome et des événements qui se sont déroulés dans la ville de Salò, au nord de l'Italie, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque Mussolini y est installé par les nazis et y fonde une république fasciste fantoche, la République sociale italienne.
C'est le film le plus sombre et le plus désespéré de Pasolini. Il est minutieusement construit comme une descente progressive à travers différents cercles de la perversité, à l'image de l'œuvre de Sade. Après avoir réalisé une série de films exaltant la sexualité dans l’allégresse (Trilogie de la vie), Pasolini considère la libération sexuelle comme une tromperie. Il s’élève contre la société de consommation et le capitalisme, qui asservissent la sexualité, qui devrait être libératrice, et expose les vies privées[2]. Il dénonce dans son film, une nouvelle fois, les horreurs de la société bourgeoise : la sexualité, auparavant vue comme une grâce pour l’humanité, devient une simple marchandise à consommer, sans égard pour la dignité humaine[2]. Les dernières scènes, particulièrement difficiles à soutenir, sont vues à travers des jumelles, afin d’installer une distance[2].
Réception
Le film fait scandale lors de sa sortie. Il est interdit ou censuré dans de nombreux pays pendant plusieurs années, y compris en Italie. En , sa projection est interdite à Zurich, en Suisse, à la suite de plaintes (la polémique éclate après que le journal gratuit 20 Minuten a stigmatisé la programmation de Salò dans une église de Zurich dans le cadre d'une rétrospective consacrée au cinéaste italien ; le film devait être projeté dans le temple protestant en raison des travaux de rénovation du cinéma Xenix). Finalement, quelques jours plus tard, la censure est levée sous la pression des défenseurs de la liberté d'expression[3]. Encore aujourd’hui, des réalisateurs comme Gaspar Noé et Claire Denis avouent leur malaise au visionnage du film[2].
Il est resté un sommet pour de nombreux cinéastes, dont R.W. Fassbinder, qui, pourtant, avait vu la projection en France[4] de son film Maman Küsters s'en va au ciel perturbée le lors du festival de Paris, la foule envahissant la salle de cinéma avant l'heure pour être sûre d'avoir une place pour Salò, le film suivant.
Le cinéaste Michael Haneke le considère comme l'un de ses films préférés même si, selon ses dires, il n'a jamais pu le revisionner[5].
Récompenses
Le film ne fut primé à aucun festival. Mais les réhabilitations postérieures font que le long métrage est récompensé du prix Venezia Classici du meilleur film restauré à la Mostra de Venise 2015.
Fiche technique
- Titre français : Salò ou les 120 journées de Sodome
- Titre original : Salò o le 120 giornate di Sodoma
- Réalisation et Scénario : Pier Paolo Pasolini, sur une idée de Sergio Citti
- Inspiré par Les Cent Vingt Journées de Sodome du Marquis de Sade (1740-1814) ainsi que par la Divine Comédie de Dante
- Producteurs : Alberto De Stefanis, Antonio Girasante, Alberto Grimaldi
- Photographie : Tonino Delli Colli
- Musique originale : Ennio Morricone
- Musique additionnelle : Frédéric Chopin (Prélude en do mineur et Prélude en mi mineur), Carl Orff (Carmina Burana), chant militaire Sul ponte di Perati, bandiera nera
- Pays : Italie
- Genre : Film dramatique
- Durée : 117 minutes
- Date de sortie :
- France :
- Classification :
Distribution
- Paolo Bonacelli (VF : René Arrieu) : le Duc (Duca) (le « duc de Blangis » du roman)
- Giorgio Cataldi (doublé par Giorgio Caproni ; VF : Michel Delahaye) : Monseigneur (Monsignore) l’évêque, frère du duc
- Umberto Paolo Quintavalle (VF : Michel Piccoli) : Son Excellence (Eccellenza) le juge (le « président de Curval » du roman)
- Aldo Valletti (doublé par Marco Bellocchio ; VF : Alain Mottet) : le Président (Presidente) (le financier « Durcet » du roman)
- Caterina Boratto (VF : Anouck Ferjac) : Madame Castelli
- Hélène Surgère (doublée par Laura Betti ; VF : Hélène Surgère) : Madame Vaccari
- Sonia Saviange : la pianiste
- Elsa De Giorgi (VF : Micheline Boudet) : Madame Maggi
- Ines Pellegrini : la jeune servante
- Les gardiens :
- Rinaldo Missaglia : Rinaldo
- Guido Galletti : Guido
- Giuseppe Patruno : Giuseppe
- Efisio Etzi : Efisio
- Les collaborateurs :
- Claudio Troccoli : Claudio
- Ezio Manni : Ezio
- Fabrizio Menichini : Bruno
- Maurizio Valaguzza : Maurizio
- Les victimes garçons :
- Sergio Fascetti : Sergio
- Gaspare Di Jenno : Rino
- Bruno Musso : Carlo Porro
- Antonio Orlando : Tonino Orlando
- Claudio Cicchetti : Claudio Cicchetti
- Umberto Chessari : Umberto Chessari
- Franco Merli : Franco
- Lamberto Book : Lamberto Gobbi
- Marco Lucantoni : Tonna Peruggio (non crédité)
- Les victimes filles :
- Dorit Henke : Doris
- Faridah Malik : Fatma
- Giuliana Melis : Giulana
- Graziella Aniceto : Graziella
- Renata Moar : Renata
- Benedetta Gaetani : Benedetta
- Olga Andreis : Eva
- Antiniska Nemour : Antiniska/Albertina
- Les filles des notables :
- Tatiana Mogilansky : Tatiana, la fille de son Excellence
- Liana Acquaviva : Liana, la fille cadette du Duc
- Susanna Radaelli : Suzy, la fille du Président
- Giuliana Orlandi : Giuliana, la fille aînée du Duc
- Les mères maquerelles :
- Paola Pieracci, Anna Maria Dossena, Carla Terlizzi et Anna Recchimuzzi
L'actrice incarnant la neuvième victime fille (qui implore madame Castelli de l'aider à s'échapper au début du film, qui tente de se défenestrer durant le premier récit de madame Vaccari et qui finit égorgée dans l'autel religieux) n'a pas été créditée dans le générique ; par ailleurs son prénom n'est même pas mentionné au cours du film.
Doublage et langues du film
Les actrices françaises Hélène Surgère et Sonia Saviange ont été choisies par Pier Paolo Pasolini parce qu'il les avait remarquées dans le film Femmes femmes (1974) de Paul Vecchiali : ces deux actrices reprennent (toujours en français) le sketch « Femmes femmes » dans Salò ou les 120 journées de Sodome, sketch qu’elles interprétaient déjà dans le film homonyme. Hormis ce sketch, le rôle de Sonia Saviange est muet.
La version originale parlant italien et sous-titrée en français (VOSTF) est la seule qui soit sortie sur grand écran en France. Conformément aux habitudes de production italiennes[8], certains rôles sont doublés dans cette version originale parlant italien. Une version « officielle » parlant français et due à Jean-Claude Biette a été éditée par la suite en DVD. Biette a précisé dans le générique de cette version « officielle » :
« Je me souviens du moment où j’ai terminé le sous-titrage de Salò, Pasolini est passé au studio d’enregistrement dans le 13e, on lui avait préparé des essais de voix pour tous les rôles. […] C’était pour lui un film français, à cause de Sade, mais aussi des citations de Proust, Klossowski, Sollers, Blanchot. […] Il tenait à ce que la version originale soit la version française. »
Dans la quatrième partie, on entend à la radio une œuvre d’Ezra Pound (1885-1972), poète américain qui trahit son pays au profit de Mussolini.
Incohérences
- Au cours de la sélection finale des jeunes ayant enfreint le règlement, plusieurs d'entre eux ne l'ayant pas enfreint se retrouvent malgré tout « punis » en raison de leurs fautes. Cela peut très facilement s'expliquer par la réduction de la version officielle du film à 111 minutes, contre une version originale de 145 minutes. Parmi les seuls jeunes punis pour avoir enfreint le règlement on relèvera seulement :
- Claudio pour avoir refusé de faire une fellation à Monseigneur.
- Lamberto pour avoir refusé de manger dans une gamelle remplie de charcuterie à quatre pattes comme un chien.
- Renata pour avoir imploré Dieu, lorsqu'Efisio et les collaborateurs la déshabillent à la demande du Duc.
- Doris durant le Cercle de la merde pour avoir déféqué dans un pot de chambre et non dans le baquet préparé à l'occasion.
- Carlo pour la même raison que Doris.
- Antiniska et Eva pour s'être enlacées de manière suggestive durant le dernier mariage au début du Cercle de sang (il s’avérera qu'elles sont lesbiennes par la suite).
- Graziella pour avoir conservé et caché une photo de son petit ami sous son oreiller (néanmoins elle se verra par la suite épargnée, visiblement pour avoir dénoncé la relation entre Eva et Antiniska).
- Il n'est ainsi jamais révélé au cours du film, les fautes commises par les filles des dignitaires (Tatiana, Suzy, Giulana et Liana) et par les autres jeunes (Fatma, Giulana, Benedetta, Sergio, Tonino et Franco) pour avoir été punis. Cependant, l'acteur Franco Merli avait révélé dans une interview[9], avoir été puni pour avoir probablement tenu des propos blasphématoires à l'encontre du règlement rédigé par les seigneurs dans une scène coupée lors du montage qui se serait déroulée dans le dortoir des garçons. Par ailleurs le personnage de Benedetta (dont la mort n'est même pas montrée) disparaît dans de nombreuses scènes du film à savoir le mariage de Sergio et Renata, la scène des chiens, le dernier mariage ainsi qu'au cours de la scène des sélections, mais réapparaît pourtant ligoté avec les autres condamnés dans les toilettes pendant le récit de Mme Castelli.
- Autre mystère, le personnage d'Eva disparaît définitivement du film après que les dignitaires ont exécuté Ezio et la servante noire dont l'amour interdit a été dénoncé par Eva. Présente dans l'appartement de la domestique quand ils sont tués, elle ne réapparaît alors plus jamais dans aucune scène y compris lors de la sélection, laissant planer le doute sur son sort. Des photos de tournage réalisées par Deborah Imogen Beer et Gideon Bachmann révèlent qu'en fait Eva est abattue par les quatre dignitaires en tentant de s'enfuir, juste après l'exécution d'Ezio et de la servante noire, mais que la scène ne sera pas retenue au montage final par décision des producteurs de l'époque. Depuis peu, le vidéaste Tristan Bayou-Carjuzaa a opéré un travail de reconstitution du montage intégral du film à partir de ces photos et des images d'archives encore disponibles.
- À l'occasion du tournage du film biographique sur le cinéaste (Pasolini, sorti en 2014), le réalisateur américain Abel Ferrara annonçait qu'il avait l'intention d'ajouter des séquences inédites du film Salò issues des bandes volées durant le tournage et retrouvées dernièrement[10].
Notes et références
- Source : SensCritique. Voir, plus particulièrement, les commentaires qui font suite à la critique.
- Jean-Luc Douin, « L’Enfer selon Pasolini », Le Monde-Télévisions, 10-11 mai 2009, p. 9.
- Voir sur tsr.ch.
- Le site IMDb (consulté le 20 mars 2009) indique que la première eût lieu le en Allemagne de l'Ouest.
- Michel Cieutat et Philippe Rouyer, Haneke par Haneke, Stock, , chap. 1, p. 30-32
- (it) « sal-o-le-120-giornate-di-sodoma », sur cinematografo.it (consulté le )
- « Salò ou les 120 journées de Sodome », sur Régie du cinéma.
- Par exemple, dans le film La Nuit américaine (film français réalisé par François Truffaut, sorti en 1973), un réalisateur français est aux prises avec une actrice italienne incapable ou peu s’en faut de dire le moindre texte.
- (ne) Sur le site nardloonen.nl.
- Voir sur bordeaux7.com.
Voir aussi
Bibliographie
- Frank Vande Veire, Prenez et mangez, ceci est votre corps : « Salò ou les 120 jours de Sodome » de Pier Paolo Pasolini ; Éditeur : Bruxelles : la Lettre volée, imprimé en 2007, 160 p. (ISBN 978-2-87317-321-0) ; traduit du néerlandais par Daniel Cunin La traduction de ces textes initialement parus dans la revue De Witte Raaf se base sur le livre Neem en eet, dit is je lichaan. Fascinatie en intimidatie in de hedendaagse cultuur (Amsterdam, 2005).
- Benjamin Berget, Mort pour Salo, imprimé en 2020, 426 pages, édition indépendante.
- Hervé Jouvert-Laurencin, Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, Éditions de la Transparence, coll. « Cinéphile », , 1re éd., 123 p.
Articles connexes
Liens externes
- Ressources relatives à l'audiovisuel :
- Site Encyclociné : générique du film incluant les voix françaises Les rôles ne sont pas indiqués ni les acteurs doublés pour les voix.
- Portail du cinéma italien
- Portail des années 1970
- Portail de la littérature italienne