Pietro Bembo

Pietro Bembo, né le à Venise, mort le à Rome, est un écrivain, poète, bibliothécaire, historien, traducteur, théoricien de la littérature et essayiste vénitien, cardinal de l'Église catholique.

Pietro Bembo
Portrait d’un cardinal, probablement Pietro Bembo, par Jacopo Bassano (v. 1545).
Naissance
Venise,  République de Venise
Décès
Rome,  États pontificaux
Nationalité vénitienne
Activité principale
Formation
Distinctions
Famille
Auteur
Langue d’écriture Toscan
Mouvement pétrarquisme (it)

Œuvres principales

Figure influente du développement de la langue italienne, et plus spécifiquement du toscan, comme langue littéraire, il a codifié l’italien pour l’usage moderne standard. Les écrits de ce restaurateur de la poésie lyrique italienne ont contribué à la renaissance de l’intérêt pour les œuvres de Pétrarque au XVIe siècle[1]. Ses idées ont également joué un rôle décisif dans la formation du madrigal, la forme musicale laïque la plus importante du XVIe siècle[2]. La police de caractère Bembo a été dénommée en son honneur.

Biographie

Portrait miniature de Bembo portant la robe de chevalier de Malte, peint au milieu des années 1530 par Lucas Cranach le Jeune.

Pietro Bembo

Le cardinal Bembo peint par Le Titien.
Biographie
Naissance
Venise
Décès
Rome
Cardinal de l’Église catholique
Créé
cardinal
par le
pape Paul III
Titre cardinalice Cardinal-diacre de S. Ciriaco alla Terme
Cardinal-prêtre de S. Crisogono
Cardinal-prêtre de S. Clemente
Évêque de l’Église catholique
Fonctions épiscopales Administrateur de Gubbio
Administrateur de Bergame

(en) Notice sur www.catholic-hierarchy.org

Issu d’une ancienne famille patricienne vénitienne originaire de Bologne, Bernardo Bembo (marié à Elena Morosini en 1462), son père, sénateur et ambassadeur de la Sérénissime République, a marqué son intérêt pour la littérature italienne, en restaurant le tombeau de Dante à Ravenne[3]. Encore enfant, Pietro a suivi son père dans beaucoup de ses ambassades, dont Florence, où il a appris à apprécier et aimer le toscan, de préférence à la langue de sa ville natale, élément déterminant pour l’histoire littéraire et musicale italienne[4].

Arrivé le à Messine avec son ami et condisciple Angelo Gabriel il y étudie, de 1492 à 1494, le grec avec l’érudit byzantin néoplatonicien Constantin Lascaris, acteur du renouveau des lettres grecques en Occident. Sa correspondance avec des écrivains messins, dont le Maurolico, et la présence de son fidèle ami et secrétaire Cola Bruno, qui le suivit à Venise et resta près de lui toute la vie, reflètera à jamais son séjour sicilien[4]:13.

De retour en Italie, il étudie la philosophie à l’université de Padoue, puis collabore, à Venise, activement avec Alde Manuce, entrant dans son programme éditorial avec la publication en 1495 de la grammaire grecque de Constantin Lascaris (appelée Erotemata) que lui et son compagnon Angelo Gabriel avaient apportée de Messine[4]:13. Il entre en littérature, en , avec la publication par Alde Manuce, à Venise, du dialogue latin De Aetna a Angelum Gabrielem liber (it), où il relate son séjour en Sicile et son ascension de l’Etna[4]:13. Dans ses écrits latins, il s’est surtout attaché à reproduire le style de Cicéron.

Il suit son père à Ferrare, alors important centre littéraire et musical, et passe les années 1497 à 1499 à la cour d’Hercule Ier d'Este, où il a rencontré L'Arioste et commencé à élaborer sa première œuvre, Gli Asolani, dialogue sur le thème de l’amour courtois. Rappelant Boccace et Pétrarque, les poèmes de cet ouvrage, ont été largement mis en musique au XVIe siècle. Bembo lui-même préférait être interprété par une chanteuse accompagnée d’un luth, ce qui lui fut accordé lorsqu’il rencontra Isabelle d’Este en 1505, et il lui envoya un exemplaire de son ouvrage.

Revenu à Ferrare, en 1502, il y rencontre Lucrèce Borgia, alors épouse d’Alphonse d’Este, avec qui il entretient une liaison. Ferrare étant alors en guerre avec Venise pour le contrôle de la Polésine, de Rovigo et du marché du sel (« guerre du sel »), il quitte la ville, en 1505, pour échapper à la peste qui décime la population.

Séjournant à Urbino de 1506 à 1512, il commença à y rédiger une de ses œuvres majeures, Prose nelle quali si ragiona della volgar lingua (it), traité en prose sur l’écriture poétique en italien, qui ne paraîtra qu’en 1525. En 1513, il suivit Jules de Médicis, futur pape Clément VII, à Rome, où son cousin le pape Léon X, protecteur de nombreux savants et érudits présents dans la Ville Éternelle, le voulait, à ce titre, pour secrétaire aux brefs latins, et lui accorda de riches bénéfices[4]:17. De ces années date une discussion avec Pic de la Mirandole sur la question de l’imitation des classiques[4]:18. Il était l’ami de Latino Giovenale Manetti (it), et de Bernardo Cappello (it) qui le reconnaissait explicitement comme son maître et que l’on considère comme son disciple le plus important[5].

Dessin d’une médaille de 1539 représentant Pietro Bembo.

En 1514, il devint membre de l'ordre des Hospitaliers [6]. Après la mort du souverain pontife, en 1521, il se retira, la santé diminuée, à Padoue, où vivait sa maîtresse Faustina Morosina della Torre, qu’il a célébrée dans ses vers et dont il eut trois enfants en 20 ans[4]:18. C’est au cours de ce séjour à Padoue qu’il publie, à Venise, Prose della volgar lingua, en 1525. En 1529, il accepte le poste d’historiographe de la République de Venise et, peu de temps après, se vit octroyer le poste de conservateur de la bibliothèque Marciana[4]:19.

Le , le pape Paul III le nomma cardinal diacre in pectore (révélé le ), avec le titre de Saint-Cyriaque-des-Thermes, ce qui le ramène à Rome, où, en 1539, il fut ordonné prêtre. Il a alors abandonné ses études en littérature classique, pour se consacrer à la théologie et à l’histoire classique[7].

En 1541, il fut nommé administrateur apostolique de Gubbio où il resta jusqu’en 1544, date à laquelle il devint l’administrateur apostolique de Bergame. Le diocèse de Bergame, plus riche que celui d’Eugubina (Gubbio), lui permit d’apurer les dettes diverses contractées en 1543 pour richement doter à sa fille, mais son âge avancé et la goutte ne lui permirent pas de se rendre à Bergame, où il nomma son pupille, Vittore Soranzo, évêque coadjuteur avec droit de succession[4]:19.

Alors qu’il atteignait sa soixante dix-septième année, chacun étant persuadé qu’en cas de vacance du Saint-Siège, il serait élu pape, un jour qu’il allait à cheval, à la campagne, il se heurta le côté en passant par une porte trop étroite. L’âge aggrava les suites de cet accident, et, après une fièvre lente, il mourut avec résignation et piété[1]. À sa mort, il fut enterré à Rome dans l’église de Santa Maria sopra Minerva ; sa pierre tombale est située à gauche du maître-autel. La basilique Saint-Antoine de Padoue comporte également un monument, œuvre de l’architecte Andrea Palladio, qui lui est dédié[8].

Œuvre

Comme écrivain, Bembo est l’un des plus éminents représentants des cicéroniens, un groupe qui visait à restaurer un style inspiré par le classicisme romain, marqué par l’imitation de deux principaux modèles de langue latine (également transposés dans la langue vernaculaire) : Cicéron pour la prose et Virgile pour la poésie[9].

Il fut également l’initiateur du pétrarquisme (it), dont il a prôné le style comme exemple de pureté lyrique et comme modèle absolu. Ses recommandations amèneront les poètes de son époque à prendre en exemple et à imiter la rime pétrarquienne[2]. Bembo a non seulement contribué à remettre à la mode l’œuvre de Pétrarque, mais également celle de Boccace, toutes deux considérées comme modèle et comme le plus haut exemple d’expression poétique jamais réalisé en italien. Bembo a proposé d’utiliser le langage utilisé par Pétrarque pour les œuvres en vers et celui de Giovanni Boccaccio pour les textes en prose[10].

La Prose della volgar lingua, qui traite de la composition des vers en détail, y compris la rime, le tempo, le son des mots, l’équilibre et la variété, a eu une influence décisive sur le développement de la langue italienne. Dans la théorie de Bembo, le placement spécifique des mots dans un poème, avec une attention particulière donnée à leurs consonnes et voyelles, leur musique, leur rythme, leur position dans les lignes longues et courtes, peut produire des émotions allant de la douceur et la grâce à la gravité. Cette œuvre a été d’une importance décisive dans le développement du madrigal italien, la forme musicale laïque la plus célèbre du XVIe siècle, poèmes soigneusement construits qui ont constitué les principaux textes de la musique[2]. D’autres œuvres de Bembo comprennent une Histoire de Venise de 1487 à 1513 (parue en 1551), ainsi que des dialogues, des poèmes et des essais. Sa première œuvre Gli Asolani explique et recommande l’amour platonique, ce qui ne manque pas d’ironie lorsqu’on le replace dans le contexte de sa liaison avec Lucrèce Borgia, qui était, à l’époque, la bru de son employeur. Il y réaffirme et met en avant la perfection chrétienne de l’humanisme classique et réfute la tendance puritaine profane au gnosticisme dualiste, fort répandue à son époque, pour réconcilier la nature humaine déchue dans une transcendance cosmique platonicienne, où l’amour trinitaire réconciliateur jouerait un rôle d’intermédiaire[8]:99. Ceux-ci ont été traduits en français par Jean Martin, sous le titre les Asolains, de la Nature d’amour, Paris, M. de Vascosan et G. Corrozet, 1547, in-8°[11].

En 1501, il a édité la Canzoniere di Petrarca et, en 1502, celle de la Divine Comédie de Dante, en étroite collaboration avec l’éditeur Alde Manuce. C'est la première fois que deux auteurs en langue vernaculaire faisaient l’objet d’études philologiques, jusque-là réservées exclusivement aux classiques anciens. Ces deux éditions forment la base de toutes les éditions ultérieures pendant au moins trois siècles. L’imprimeur et compositeur Andrea Antico, actif à Rome, a également été influencé par Bembo ; les premiers compositeurs de l’école vénitienne, comme Adrian Willaert, ont contribué à répandre ses théories parmi les compositeurs pendant cette période de changement rapide.

Postérité

Le graveur Francesco Griffo a conçu, vers 1495, un caractère typographique pour l’imprimeur de Bologne Alde Manuce destiné à l’édition de De Aetna (it), Stanley Morison a dessiné, en 1929, la police d’écriture avec empattement Bembo, très populaire chez les imprimeurs de langue anglaise comme Penguin Books, Oxford University Press, Cambridge University Press, the National Gallery, Yale University Press ou Edward Tufte.

En littérature, Bembo figure comme personnage dans les Nuits facétieuses (1550-1553) de Straparole, puis négativement dans les romans d'aventures anticléricaux Le Pont des Soupirs, Les Amants de Venise de Michel Zévaco, inspirés par le Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas[12]. Mais il le fait périr de la vengeance du héros Roland Candiano vers 1518. De ce fait sans doute pour éviter les accusations éventuelles de diffamation il le prive de son prénom "Pietro".

Au cinéma, Pietro Bembo est interprété par Guido Lazzarini (it) dans Lucrezia Borgia, film en noir et blanc italien réalisé par Hans Hinrich, sorti en .

Œuvres

Sogno, Giovanni e Gregorio de' Gregori, Venise, v. 1492-1494
  • (it) Sogno, Venise, Giovanni e Gregorio de' Gregori, circa 1492-1494 (lire en ligne).
  • (it) Prose della volgar lingua, Vinegia, Giouan Tacuino, (lire en ligne).
  • (it) Rerum venetarum libri 12, vol. 2, Venise, Domenico Lovisa, (lire en ligne).
  • (it) Historia veneta, Venise, Francesco Hertzhauser, Libraio all'insegna della Roma Antica, (lire en ligne).
  • (it) [Opere]. 1, Paris, Francesco Hertzhauser, Libraio all'insegna della Roma Antica, (lire en ligne).
  • (it) [Opere. Lettere e carteggi], Venise, Francesco Hertzhauser, Libraio all'insegna della Roma Antica, (lire en ligne).
  • (it) Rime, Bergame, Pietro Lancellotti, (lire en ligne).

Notes et références

  1. Revue de Paris, t. 10, Paris, Demengeot et Goodman, , 336 p. (lire en ligne), p. 8.
  2. Jocelyne Kiss, Madrigal italien à la fin du seizième siècle, Paris, Publibook, , 123 p. (ISBN 978-2-7483-2845-5, lire en ligne), p. 15.
  3. Ernest Breton, Découverte des restes du Dante à Ravenne, Paris, L. Toinon, , 15 p., in-8° (OCLC 457139388, lire en ligne), p. 8.
  4. Pietro Bembo (trad. Marie Viallon, préf. Marie Viallon), De l’Etna, Paris, Presses Univ Blaise Pascal, coll. « Volcaniques », , 169 p. (ISBN 978-2-84516-184-9, ISSN 1633-8820, lire en ligne), p. 9.
  5. Union intellectuelle franco-italienne, Revue des études italiennes, t. 25-26, Paris, Librairie M Didier, (lire en ligne), p. 344.
  6. (it) Giusto Fontanini, Bibliotheca dell’eloquenza italiana con le annotazioni del signor Apostolo Zeno, Venise, Giambatista Pasquali, , 515 p. (lire en ligne), p. 417.
  7. Marc A. Cirigliano, Melancolia Poetica : a dual language anthology of Italian poetry, 1160-1560, Leicester, Troubador Publishing Ltd, coll. « Troubador Italian studies », , 387 p. (ISBN 978-1-905886-82-1, lire en ligne), p. 323.
  8. (en) Carol Kidwell, Pietro Bembo : lover, linguist, cardinal, Montréal, McGill-Queen’s Press - MQUP, , 656 p. (ISBN 978-0-7735-7192-1, lire en ligne), p. 380.
  9. Nadja Maillard, John-Théodore, Jack Cornaz : un architecte à contre-jour, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. « les archives de la construction moderne », , 269 pages p., 30 cm (ISBN 978-2-88074-693-3, lire en ligne), « Le travail de la citation », p. 60.
  10. Laura Paolino, « Dans le laboratoire de Pétrarque : les variantes d’auteur du Chansonnier et des Triomphes », Le texte : genèse, variantes, édition, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, vol. 5 de Arzanà : cahiers de littérature médiévale italienne, , p. 57 (ISBN 978-2-87854-189-2, lire en ligne, consulté le ).
  11. Claude de Taillemont et Jean-Claude Arnould, Discours des champs faëz à l’honneur et exaltation de l’amour et des dames, vol. 401 de Textes littéraires français, Genève, Droz, , 296 p. (ISBN 978-2-600-02667-3, ISSN 0257-4063, lire en ligne), p. 50.
  12. (it) Silvio D’Amico, Enciclopedia dello spettacolo, vol. 9, Unedi-Unione editoriale, (lire en ligne), p. 342.

Bibliographie

Pietro Bembo, Historia Veneta, 1729.
  • (it) Pasquale Sabbatino, Il modello bembiano a Napoli nel Cinquecento, Naples, Ferraro, .
  • (it) Giorgio Santangelo, « Bembo, Pietro », Dizionario critico della letteratura italiana, Turin, Unione Tipografica, vol. I, , p. 255-69.
  • (it) Pasquale Sabbatino, La « scienza » della scrittura : Dal progetto del Bembo al manuale, Florence, Olschki, .
  • (it) Gianfranco Crupi, « Bembo, Pietro », Letteratura italiana. Gli autori (I), Turin, Giulio Einaudi, vol. I, , p. 226-7.
  • (it) Carlo Dionisotti, Scritti sul Bembo, A cura di Claudio Vela, Turin, Einaudi, .
  • (it) Mario Bianco Marchiò, Come discutevano gli umanisti : Una disputa quattrocentesca sulla lingua parlata dai romani antichi, Florence, Atheneum, .
  • (it) Mario Bianco Marchiò, Le ragioni della grammatica : Pietro Bembo e Giovanni Francesco Fortunio, Milan, Lampi di Stampa, .
  • (it) Marco Faini, L’alloro e la porpora : vita di Pietro Bembo, Geneva, Fondation Barbier-Mueller pour l’étude de la Renaissance, .
  • Marco Faini, Les lauriers et le pourpre. La vie de Pietro Bembo, Genève, Fondation Barbier-Mueller pour l’étude de la Renaissance, .

Liens externes

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