Mission Voulet-Chanoine

La Mission Afrique Centrale-Tchad, dite mission Voulet-Chanoine, est une expédition française de conquête coloniale du Tchad, menée à partir de , par les capitaines Paul Voulet et Julien Chanoine. Marquée par de nombreux massacres et par la perte totale de contrôle des autorités françaises sur les deux officiers, cette sanglante expédition constitue un exemple paroxysmique des violences liées aux conquêtes coloniales.

L'histoire

La conquête du Tchad

Le capitaine Paul Voulet (gravure parue en une du journal L'Illustration no 2948, samedi 26 août 1899).
Julien Chanoine (gravure parue en une du journal L'Illustration no 2948, samedi 26 août 1899).

Cette affaire se déroula dans le contexte de concurrence entre puissances européennes dans la colonisation de l'Afrique (conférence de Berlin et course au clocher). Conçue en par le secrétaire d'État aux Colonies, André Lebon, sous la dénomination « Mission Afrique Centrale-Tchad », la colonne Voulet-Chanoine devait atteindre, depuis le Sénégal, le Tchad par l’ouest et le fleuve Niger[1] et opérer la jonction de leur colonne sur le lac Tchad avec deux autres missions, l’une partie d’Algérie, la mission Foureau-Lamy, l’autre du Moyen-Congo, dirigée par Émile Gentil. Ces trois missions devaient parachever la conquête de l'empire français d'Afrique. La progression de la mission, loin d'être conçue comme une entreprise de conquête militaire nécessairement violente, devait s'accompagner de la signature de traités d'alliance avec les chefs indigènes locaux[2].

Voulet et Chanoine

Les capitaines Paul Voulet et Julien Chanoine s'étaient déjà illustrés lors de la conquête du royaume mossi, occupant l'actuel Burkina Faso et une partie du Niger, à partir du Sénégal en 1896. À cette occasion, de très nombreux relevés topographiques furent effectués (cette région était alors inexplorée), pour lesquels les capitaines reçurent les éloges de leurs supérieurs et des sociétés de géographie. Voulet avait par ailleurs pris Ouagadougou.

Les massacres

D'un intérêt stratégique capital, la mission vers le Tchad fut marquée par une grande violence. L'expédition militaire se transforma tout au long de son parcours en véritable colonne infernale, massacrant les populations qui refusaient de leur fournir vivres ou porteurs[2]. De fait, les différentes missions coloniales étaient dans la nécessité de « vivre sur le pays », la capacité d'emport et portage des vivres par des porteurs limitant l'autonomie d'une mission terrestre à 30 jours au maximum[réf. souhaitée]. C'était le cas de la mission Voulet-Chanoine, composée des deux capitaines Voulet et Chanoine, du docteur Henri, des lieutenants Joalland, Pallier et Péteau, des sous-officiers Laury, Bouthel et Tourot, de 600 soldats, tirailleurs soudanais et auxiliaires vétérans des guerres entre Toucouleurs et Bambaras, de 100 spahis et d'un canon de 80, suivis par 2 000 non combattants, porteurs et femmes[3].

Début avril, les troupes françaises rencontrèrent une forte résistance (en) dans les villages de Lougou et Tongana où les guerriers étaient commandés par la Sarraounia (reine et sorcière) locale ; les combats coûtèrent aux Français quatre morts, six blessés et 7 000 cartouches. Début , en pays haoussa, la ville de Birni N'Konni fut prise et un grand nombre d'habitants tués, soldats, hommes, femmes et enfants, alors qu'ils fuyaient. Ce grand village de plus de 10 000 âmes fut entièrement détruit[4].

L'assassinat du colonel Klobb

Klobb tué par les troupes de Voulet.
Couverture illustrée du journal Corriere Illustrato della Domenica, Milan, .
Le lieutenant-colonel Klobb.
Les tombes de Voulet et Chanoine à Maijirgui au Niger.

Les conquêtes africaines précédentes avaient été brutales, mais rien en comparaison de ces massacres. La rumeur de ces derniers arrive à Paris en avril. Le Ministre des Colonies, Antoine Guillain décida alors d'envoyer le colonel Klobb, chargé de la garnison de Tombouctou et le lieutenant Octave Meynier pour les arrêter. Klobb partit à leur poursuite sur plus de 2 000 km, découvrant au fur et à mesure de sa progression l'ampleur des massacres perpétrés par Voulet et Chanoine (fillettes pendues aux arbres, etc.)[2].

Alors qu'ils les rejoignaient à Dankori le , Voulet fit ouvrir le feu et Klobb fut tué, à l'instar d'autres hommes de Voulet et Chanoine, que ces derniers n'hésitaient pas à supprimer s'ils refusaient d'exécuter leurs ordres[2]. Meynier, blessé, passera pour mort dans sa famille.

Chanoine et Voulet, qui proclamaient désormais leur volonté de se tailler un empire africain personnel[2], furent tués à leur tour, le 16 et le , par leurs propres tirailleurs mutinés.

Les troupes furent alors dirigées par les lieutenants Pallier, Joalland et Meynier, second de Klobb. Plus tard, le lieutenant Pallier rejoignit le Soudan avec une partie des troupes et la campagne continua sous le nom de mission Joalland-Meynier.

Débats à Paris

À Paris, la presse s'empara un temps de l'affaire. Le gouvernement fut interpellé à ce propos à plusieurs reprises par des députés à la Chambre dont Paul Vigné d'Octon, député de l'Hérault[5] ; une commission d'enquête fut mise en place dès l'arrivée de la nouvelle de la mort de Klobb le .

Mais l'annonce de la conquête du Tchad et de la mort des deux officiers fit passer au second plan un scandale qui fut mis sur le compte de la folie (« soudanite aiguë ») des deux capitaines : « la "maladie coloniale" fut à l'époque l'ultime recours de ceux qui cherchèrent à comprendre la dérive meurtrière de la mission sous l'emprise de la chaleur, de la soif et de la faim »[2]. L'armée française et le gouvernement Waldeck-Rousseau, qui sortaient de l'affaire Dreyfus (Chanoine était le fils du général Jules Chanoine, ancien ministre de la Guerre anti-dreyfusard) qui avait déchiré le pays, voulaient éviter une nouvelle controverse.

On en reparla en 1923 quand Robert Delavignette, administrateur colonial au Niger, fit ouvrir les tombes des deux officiers qui se révélèrent vides[6].

La "maladie coloniale"

L’aspect psychologique de l’affaire apparaît peu dans les écrits des chercheurs et encore moins dans la filmographie ; cependant les deux capitaines semblent avoir été atteints au dernier stade de la syphilis (vérole) et victimes de méningo-encéphalite aboutissant à la démence[réf. nécessaire]. Le Dr Henric fait cas, dans ses courriers à Joalland et dans le procès qui s’ensuivit, comme le confirme également le lieutenant Joalland[7], du fait qu’ils refusaient de se soigner et subissaient des périodes d'exaltation et de dépression de plus en plus fréquentes et violentes.

Notes et références

  1. Isabelle Surun (dir), Les sociétés coloniales à l'âge des Empires (1850-1960), Atlande, 2012, p. 196-197.
  2. Isabelle Surun (dir), Les sociétés coloniales à l'âge des Empires (1850-1960), Atlande, 2012, p. 197.
  3. Historique du 2e régiment de tirailleurs sénégalais : 1892-1933, Paris, Imprimerie-librairie militaire universelle L. Fournier, , 208 p. (lire en ligne), « Mission Voulet-Chanoine puis Joualland-Meynier 1899-1900 », p. 126-128
  4. Meyer, Jean, Histoire de la France coloniale, Des origines à 1914, Paris, Armand Colin, , 848 p. (ISBN 2-200-37218-3), p.663
  5. Blog du Rassemblement Démocratique pour la Paix et les Libertés au Tchad
  6. Christian Roche, « L'Afrique noire et la France au XIXe siècle.: Conquêtes et résistances »
  7. Le Drame de Dankori

Voir aussi

Sources manuscrites

Les Archives nationales d'outre-mer (Aix-en-Provence) conservent une grande part des dossiers produits par le ministère des Colonies sur la mission Voulet-Chanoine : organisation et procès.

Témoignages

  • Jules Chanoine (éd.) et Ernest Judet (éd.), Documents pour servir à l'histoire de l'Afrique occidentale française de 1895 à 1899 : correspondance du capitaine Chanoine pendant l'expédition du Mossi et du Gourounsi ; correspondance de la mission « Afrique centrale » ; annexe : extraits des rapports officiels du lieutenant-gouverneur du Soudan, pièces justificatives, Imprimerie de Puffet-Morelle, , 302-LXXIV p., in-16
  • Paul Joalland (général), Le Drame de Dankori : mission Voulet-Chanoine - mission Joalland-Meynier, Paris, Nouvelles Éditions Argo (NEA), , 256 p.
  • Octave Meynier (général), La Mission Joalland-Meynier, Paris, Les Éditions de l'Empire français, coll. « Les grandes missions coloniales », , 191 p., in-16
  • Arsène Klobb et Marie Klobb (éd.), Un drame colonial : à la recherche de Voulet : mission Klobb-Meynier, Paris, Nouvelles éditions Argo, , 239 p., in-16
    Réédition : Arsène Klobb et Octave Meynier (préf. Albert Maitrot de La Motte-Capron, présentation de Chantal Ahounou), À la recherche de Voulet : sur les traces sanglantes de la Mission Afrique centrale, 1898-1899, Paris, Cosmopole, coll. « Afrique (collection dirigée par Valérie Dumeige) », (1re éd. 2001), 191 p. (ISBN 978-2-84630-051-3).
  • Arsène Klobb (préf. Jules Lemaître), Dernier carnet de route : au Soudan français ; rapport officiel de M. le gouverneur Bergès sur la fin de la mission Klobb, Paris, E. Flammarion, , 292 p. (notice BnF no FRBNF34138397, lire sur Wikisource, lire en ligne).
  • Capitaine Chanoine, Itinéraire de la mission du Tchad, Société de géographie, 184 boulevard Saint Germain, Paris, 1899, 21 p., in-8. Tiré à part de l'article du capitaine Chanoine, « Mission Voulet-Chanoine. Itinéraire du capitaine Chanoine de Dienné à Sansonné-Haoussa », Bulletin de la Société de géographie, 7e série, tome XX, Paris, Société de géographie, 1er trimestre 1899, p. 220-236, lire en ligne.
  • Annie Merlet (éd.), Textes anciens sur le Burkina (1853-1897) : textes de Barth, Monteil, Voulet et Chanoine, Sépia, Association découvertes du Burkina (ADDB), coll. « Découvertes du Burkina. Série verte », no 1, 1995, 294 p., (ISBN 2-907888-73-0), présentation en ligne.

Études et essais

Romans et récits romancés

Bandes dessinées

Filmographie

Articles connexes

Lien externe

  • Fabrice Métayer, Des Français à la conquête de l’Afrique occidentale, le regard d’Henri Gaden à travers sa correspondance, 1894-1899, mémoire de maîtrise d’histoire, soutenu en , à l’Université de Provence, sous la direction de M. Jean-Louis Triaud, lire en ligne.
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