Livre d'Isaïe
Le Livre d'Isaïe, ou Livre d'Ésaïe, est un livre du Tanakh (l'Ancien Testament pour le christianisme). Il traite de la déportation du peuple juif à Babylone puis de son retour et de la reconstruction du Temple de Jérusalem sur les ordres du Grand Roi achéménide Cyrus II. Il est le premier des grands prophètes inclus dans les Nevi'im.
Isaïe | ||||||||
Le Livre d'Isaïe dans une Bible anglaise. | ||||||||
Titre dans le Tanakh | Sefer Yeshayahu | |||||||
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Auteur traditionnel | Isaïe | |||||||
Auteur(s) selon l'exégèse | Isaïe pour une partie, puis auteurs anonymes | |||||||
Datation traditionnelle | vers 732 av. J.-C.[réf. nécessaire] | |||||||
Datation historique | entre le VIIIe siècle av. J.-C. et le Ve siècle av. J.-C. | |||||||
Nombre de chapitres | 66 | |||||||
Classification | ||||||||
Tanakh | Nevi'im | |||||||
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Canon chrétien | Livres prophétiques | |||||||
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Contexte historique
Le livre se présente sous le nom d'Isaïe, un personnage ayant vécu aux alentours du VIIIe siècle av. J.-C. sous les règnes d'Ozias, de Jotham, d'Achaz et d'Ézéchias[1].
La vaste majorité des études bibliques considèrent le Livre d'Isaïe comme étant l'ouvrage de plusieurs auteurs d'après de nombreuses preuves évidentes. La preuve la plus manifeste de la pluralité d'auteurs apparait au début du chapitre 40, où commence l'œuvre dite du « Deutéro-Isaie » : sans aucune transition apparente, nous nous trouvons transportés du VIIIe siècle av. J.-C. en pleine période de l'Exil (VIe siècle av. J.-C.). Il n'est plus question une seule fois d'Isaïe et l'Assyrie est remplacée par Babylone, dont le nom est fréquemment mentionné, ainsi que celui du roi des Mèdes et des Perses, Cyrus II, conquérant de Babylone et artisan du retour des Juifs dans leur pays (41,2; 44,28; 45,1). Depuis les travaux de Claus Winstermann confirmant la thèse de Bernhard Duhm (1892)[2],[3], les exégètes parlent désormais du « Trito-Isaïe » pour la section comprenant les chapitres 56 à 66[4].
Si important qu'ils soient, les chapitres 40 à 66 ne sont pas la seule partie du livre sûrement postérieure à l'époque d'Isaïe. En y regardant de près, on constate que les chapitres 36-39 sont la reprise, avec il est vrai d'importantes variations, d'un texte historique qui se trouve aussi dans le livre des Rois (2 Rois 18,13 - 20,19). Les chapitres 34-35 portent un cachet exilique et s'apparentent à l'œuvre du Deutéro-Isaïe. Enfin, l'ensemble constitué par les chapitres 24-27, couramment appelé « l'Apocalypse d'Isaïe », est fort loin de la mentalité et des représentations des hommes du VIIIe siècle av. J.-C. À l'intérieur des ensembles habituellement rattachés au prophète lui-même (1-12 ; 13-23 ; 28-33), il y a un certain nombre de fragments que les commentateurs datent d'une époque postérieure[5].
Plan et contenu
Depuis le commentaire que Johann Christoph Döderlein publia en 1775, il est généralement admis que ce volume comprend deux œuvres distinctes, celle de Isaïe (Iesha‘yahou) lui-même (chapitres 1 à 39), et celle du « Second Isaïe » (ou Deutéro-Isaïe), œuvre anonyme écrite vers 550-540 (chapitres 40 à 66). La présentation de ces deux auteurs en un seul volume existait déjà au IIe siècle av. J.-C.. La tradition juive concorde avec la chrétienne sur un point : toutes deux ont enseigné que le Livre d'Isaïe est l’œuvre d’un seul homme. Cependant l’hypothèse de Doederlein, reprise en 1780 par Johann Benjamin Koppe et avancée dès le XIIe siècle en Espagne par Abraham ibn Ezra, a été confirmée par une analyse sur ordinateur de Yehuda T. Radday, en 1969 à Jérusalem, qui entra tous les éléments connus du problème. La conclusion fut claire : il n’existe aucune possibilité raisonnable de penser que les deux parties du Livre d'Isaïe sont l’œuvre d’un seul auteur[6].
Dans sa totalité, le Livre d'Isaïe est considéré comme l'un des livres prophétiques, sinon le livre prophétique, qui aborde le plus de thématiques différentes, avec un long développement pour chacune d'entre elles, parmi lesquelles le monothéisme, la fin de l'exil babylonienne, la chute de Babylone et de Tyr, le messianisme royal et la fin des temps.
Isaïe 1-39 ou le « Proto-Isaïe »
La première partie de l'ouvrage (ch. 1-39) contient les oracles habituellement attribués au prophète du VIIIe siècle av. J.-C.. Cette longue section peut être divisée en quatre développements, qui s'enchaînent dans une dynamique qui va progressivement du péché et du malheur à un avenir radieux
- Le péché et le malheur de Juda et de Jérusalem (ch. 1-12) : Les sacrifices idolâtres du peuple provoquent Dieu; ils se rendent coupables d’oppressions, d’injustices et de meurtres. Ce peuple sera puni par des gens sans foi; les choses indispensables à la vie (le pain et l’eau) ainsi que la stabilité sociale seront retirées. Damas et Samarie seront dévastées par l’Assyrie qui, à son tour, sera punie pour son insolence. L'Égypte et l'Éthiopie seront humiliées par les Assyriens et emmenées en exil. Les Mèdes participeront à la chute de Babylone. La ville Tyr sera abaissée et oubliée pendant 70 ans. Une jeune pousse de la souche de Jessé deviendra un chef qui aura l’esprit de Dieu; il s'agit du Messie (Isaïe 11:10).
- Le malheur du monde païen (ch. 13-27)
- Deuil, puis triomphe d'Israël, de Juda et de Jérusalem (ch. 28-35). Cette section est caractérisée par une série d'oracles de deuil commençant par le cri hôy, « hélas », prononcé dans le cadre des funérailles. Les discours semblent se rapporter à l'époque des années 705-701, quand Juda avait pris la tête d'une coalition anti-assyrienne soutenue par l'Égypte.
- Les chapitres 36-39 forment un récit identique - pour l'essentiel -à celui de 2 Rois chapitres 18-20
Le Livre d'Isaïe est le seul livre de la Bible où Lilith soit expressément désignée au chapitre 34 verset 14.
Isaïe 40-55 ou le « Deutéro-Isaïe »
Cette œuvre qui s'ouvre par l'invitation « Consolez, consolez mon peuple » (40,1) a reçu le nom de « Livre de la consolation d’Israël »[7]. Le ton des chapitres est très différent de la première partie car il se consacre davantage à l’attachement indéfectible de YHWH pour les siens ; l’ensemble placé sous le signe de promesses de bonheur. Quatre pièces appelées traditionnellement « Cantiques du Serviteur » (42,1-9 ; 49, 1-7 ; 50,4-11 ; 52,13-53,12) brossent le portrait d’un homme admirable, qui en vient à accepter la souffrance et même la mort pour en sauver d’autres. L’architecture de cette section reste assez anarchique[8].
Le philosophe Jean Soler voit dans cette œuvre les plus anciennes formulations du monothéisme stricto sensu[9].
Isaïe 56-66 ou le « Trito-Isaïe »
La dernière partie du livre a pour élément focal l'évocation de Sion comme centre de pèlerinage des nations (ch.60-62), la même perspective universaliste se faisant jour dans le cadre formé par les sections 56,1-8 et 66,18-24. Bon nombre de thèmes déjà proposés dans les sections antérieures, en particulier 1,1-2,5 et 40-55 sont repris et développés avec des accents nouveaux, dans la perspective du triomphe final de Jérusalem.
Les évolutions du plan au cours des siècles
L'architecture fondamentale du livre a été établie au Ve siècle av. J.-C.. Différents compléments y sont encore apportés, d'abord dans l'esprit de la réforme religieuse d'Esdras (par exemple 44,9-20), puis, à l'époque hellénistique, en lien avec la polémique antisamaritaine et avec l'espérance du grand rassemblement des Juifs de la Diaspora, et enfin dans une perspective proche de l'apocalyptique[10].
Interprétation chrétienne du messianisme
Le Livre d'Isaïe contient plusieurs textes interprétés dans le Nouveau Testament et par la tradition chrétienne comme autant d'annonces du Messie. Isaïe est donc réputé avoir prononcé des « oracles messianiques ». Il faut pourtant remarquer que le mot masiah « oint, Messie », n'est utilisé qu'une seule fois dans l'ouvrage, et c'est à propos de Cyrus (45,1). Trois principaux oracles sont mis en avant :
- L'oracle d'Emmanuel (7,10-17) est discuté. Le texte annonce la naissance d'un nouveau roi, dont le nom Emmanuel (Dieu est avec nous) est tout un programme. Toutefois, les exégèses trouvent difficile d'attribuer ces paroles à l'Isaïe du VIIIe siècle av. J.-C..
- Le poème du chapitre 9 qui célèbre la fin de l'oppression étrangère et la naissance d'un prince (en fait son sacre) semble être un chant de couronnement royal, dans la ligne du psaume 2.
- Le poème du chapitre 11 pourrait être une pièce rédactionnelle célébrant Josias[11].
Les chrétiens attribuent ces trois oracles comme étant des prophéties concernant Jésus-Christ. Ils considèrent également que le Serviteur souffrant des « Chants du Serviteur » (42,1-9 ; 49, 1-7 ; 50,4-11 ; 52,13-53,12) annonce Jésus-Christ et sa Passion.
Archéologie
La plus ancienne version connue du Livre d'Isaïe fait partie des Manuscrits de la mer Morte. Composée de dix-sept feuillets de cuir cousus ensemble, elle mesure 7,34 mètres de long. Y est retranscrite en hébreu, sur cinquante-quatre colonnes, l'intégralité des soixante-six chapitres du Livre d'Isaïe. Copiée vers le IIe siècle av. J.-C., elle est un des plus anciens textes du Tanakh (Bible hébraïque) connus à ce jour. Cela a permis de comparer les versions actuelles et la version la plus ancienne connue.
Bibliographie
- Janthial, Dominique, L'oracle de Nathan et l'unité du livre d'Isaïe, Berlin, New-York, éd. Walter de Gruyter, 2004 (lire en ligne sur Google Books)
- Janthial, Dominique, « Livre et révélation : le cas d’Isaïe », Nouvelle revue théologique, 1/2004 (Tome 126), p. 16-32, (lire en ligne sur cairn.info).
- Le Boulluec, Alain, et Le Moigne, Philippe, Vision que vit Isaïe, Paris, éd. Cerf, 2014, (traduction française du livre d'Isaïe de la Bible d'Alexandrie).
- Jacques Vermeylen (éd.), The Book of Isaiah. Le Livre d'Isaïe. Les oracles et leurs relectures. Utilité et complexité de l'ouvrage (coll. Bibliotheca Ephemeridum Theologicarum Lovaniensium, 81). 1989, 476 pages, (ISBN 90-6186-304-X)
- Jacques Vermeylen, Le Livre d'Isaïe, une cathédrale littéraire, coll. "Lectio Divina", No. 264, Paris, Cerf, 2014
- (eng) Marvin Alan Sweeney, The Book of Isaiah in Recent Research, CR:BS 1 (1993) 141-162.
- (de) Bereitete Heimkehr. Jesaja 35 als redaktionelle Brücke zwischen dem Ersten und dem Zweiten Jesaja, Steck, O. H., (SBS 121; Stuttgart: Katholisches Bibelwerk, 1985)
Versions en ligne
- Isaïe en hébreu, français, anglais, sur Sefarim, avec moteur de recherche en chaque langue
- Iesha'yahou dans la traduction d'André Chouraqui
- Nombreuses versions d'Esaïe sur Lexilogos
Voir aussi
- De l'épée à la charrue (Chapitre 2.4)
- Rorate (Chapitre 45.8)
- Tyr
- Le Vignoble gaspillé
- Petit Rouleau d'Isaïe
Références
- Ésaïe 1,1
- Das Buch Jesaia übersetzt und erklärt (The Book of Isaiah Translated and Explained), Bernhard Duhm, 1892
- Isaiah 40-66 par Claus Winstermann(1969), 448 pages, (ISBN 0-664-22645-0)
- Rhetoric and Redaction in Trito-Isaiah attempts to integrate the insights of rhetorical criticism into a diachronic study of Isaiah 56-66, Paul Alan Smith, 228 pages, 1995. Extraits sur Google Books.
- Introduction au livre d'Ésaïe, Traduction Œcuménique de la Bible, Éditions du Cerf, p.769-770
- Liminaire pour Iesha‘yahou, Bible de Chouraqui. (ISBN 2-220-05277-X)
- Jacques Vermeylen, « Ésaïe », in Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi et Christophe Nihan (dir.), Introduction à l'Ancien Testament, Labor et Fides, 2009 (ISBN 978-2-8309-1368-2), p. 413.
- Introduction à l'Ancien Testament, Jean-Daniel Macchi, Thomas Römer, Christophe Nihan, éd. Labor et Fides, 2005, (ISBN 2-8309-1112-1), p. 410-423
- L'Invention du monothéisme, Jean Soler, éd. de Fallois, 2002, (ISBN 978-2-87706-437-8), p. 87-91
- Introduction à l'Ancien Testament, Jean-Daniel Macchi, Thomas Römer, Christophe Nihan, ed.Labor et Fides, 2005, (ISBN 2-8309-1112-1), p. 419-420.
- M.A.Sweeney, FOTL, 1996
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