Juliette Récamier

Jeanne Françoise Julie Adélaïde Bernard, à la ville Madame Jacques Récamier dite Juliette[1] ou Julie Récamier, née le à Lyon et morte le à Paris, est une femme de lettres française dont le salon parisien réunit, à partir du Directoire et jusqu'à la monarchie de Juillet, les plus grandes célébrités du monde politique, littéraire et artistique.

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Biographie

Enfance et mariage

Julie Bernard est née le à Lyon[2], précisément rue de la Cage[Note 1] où elle grandit, dans une famille de la bourgeoisie. Le père, Jean Bernard, est notaire royal. Nommé receveur des Finances par Calonne, il s'installe à Paris en 1786 puis devient administrateur des Postes. Il est arrêté et emprisonné sous le Consulat comme suspect de connivence avec les royalistes. Sur l'intervention de Julie, le général Bernadotte obtient sa libération mais Jean Bernard est destitué de son emploi. Sa mère, Marie-Julie Matton, issue d'un milieu aisé, également originaire de Lyon, est une femme coquette et intelligente.

Julie, mise en pension à Lyon au Couvent de la Déserte, ne rejoint ses parents à Paris qu'en 1787. Le 5 floréal an I ()[3], à 15 ans et en pleine Terreur, elle est mariée dans la capitale à un ami de ses parents, Jacques-Rose Récamier[4], riche banquier d'origine lyonnaise et venu lui aussi à Paris peu avant la Révolution. Le contrat de mariage est signé chez Me Jean-François Cabal-Castel, notaire à Paris, le précédent[5]. Elle noue avec Jacques Récamier une relation affectueuse et platonique : elle en est vraisemblablement la fille naturelle[6].

Vie mondaine et célébrité européenne

Portrait de Juliette Récamier en 1807 par Firmin Massot, musée des beaux-arts de Lyon.
Le château de Coppet au clair de lune. En 1807, Juliette Récamier rencontre au château de Coppet, le prince de Prusse (voir : La rencontre et l’idylle du château de Coppet). Papiers et correspondance de Madame Récamier, Bibliothèque nationale de France[7]

À partir de , Juliette Récamier, 19 ans, commence sa vie mondaine, tenant un salon qui devient bientôt le rendez-vous d'une société choisie. La beauté et le charme de l'hôtesse, l'une des « Trois Grâces » du Directoire, avec Joséphine de Beauharnais et Madame Tallien, lui suscitent une foule d'admirateurs. Le cadre de l'hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc (hôtel de Jacques Necker ancienne rue de la Chaussée-d'Antin), acquis en et richement décoré par l'architecte Louis-Martin Berthault, ajoute à la réputation de ses réceptions. Elle est l'une des premières à se meubler en style « étrusque » et à s'habiller « à la grecque ». L'influence de Madame Récamier est notable dans la diffusion du goût pour l'Antique qui allait prévaloir sous l'Empire. L'hôtel Récamier acquiert une renommée telle qu'il devient rapidement une curiosité parisienne que tous les provinciaux et étrangers de marque se doivent de visiter. L'année marque l'apogée de la puissance financière de Jacques Récamier : il devient alors régent de la Banque de France.

Mais le pouvoir ne tarde pas à prendre ombrage de la position mondaine et sociale de Mme Récamier. Amie de Madame de Staël, Mme Récamier devient une figure clé de l'opposition au régime de Napoléon. Les réceptions de son salon, qui joue un rôle non négligeable dans la vie politique et intellectuelle de l'époque, sont interdites par un ordre officieux de Bonaparte. Madame de Staël, les deux cousins Adrien de Montmorency et Mathieu de Montmorency, tous trois proches de Juliette et assidus de son salon, sont exilés de Paris ; quand Napoléon devient empereur, Juliette refuse à quatre reprises une place de dame d'honneur à la cour. Les difficultés de la Banque Récamier, à partir de , obligent le couple d'abord à réduire son train de vie puis à vendre l'hôtel particulier de la rue du Mont-Blanc. À ces revers de fortune s'ajoutent pour Juliette des chagrins personnels : le décès de sa mère en , une histoire d'amour puis une rupture avec le prince Auguste de Prusse rencontré lors d'un séjour au château de Coppet près de Genève chez Madame de Staël. Défavorable à Napoléon, Madame Récamier ne tarde pas à subir le même sort que Germaine de Staël, et elle a l'obligation de s'éloigner de Paris par ordre de la police impériale.

Le temps de l'exil et le retour à Paris

Après avoir séjourné quelque temps de à à Châlons-sur-Marne avec Marie Joséphine Cyvoct, petite-nièce de son mari récemment orpheline et devenue sa fille adoptive, Juliette séjourne à Lyon[8], où elle retrouve Camille Jordan, son vieil ami qu'elle connaît depuis 1797 et qui lui fait alors connaître Ballanche. Elle part en pour l'Italie. À Rome, elle reconstitue peu à peu sa « vie de société » ; c'est à ce moment-là que le sculpteur Canova fait deux bustes d'elle. Invitée à Naples en par le roi Murat et la reine Caroline, elle apprend en , l'abdication de Napoléon.

De retour à Paris le après un exil de près de trois années, elle retrouve tous ses anciens amis, bannis comme elle, ainsi que Benjamin Constant, ex-amant de Madame de Staël. Juliette reprend ses réunions mondaines, reçoit des personnalités françaises ou étrangères de toutes opinions mais exige que ses invités observent chez elle, une stricte neutralité politique. Son salon prend de plus en plus une orientation littéraire. Sa rencontre avec Chateaubriand se fait en 1817. L'écrivain est l'un des hôtes les plus assidus de son domicile situé au no 31 rue d'Anjou-Saint-Honoré, revendu dès 1819 à la suite de nouveaux revers de fortune de son mari.

Le refuge de l'Abbaye-aux-Bois

Juliette s'installe alors à l'Abbaye-aux-Bois[9] à Paris, couvent dont les religieuses louent des appartements à des dames de la haute société. Elle occupe d'abord un petit appartement au troisième étage, composé de deux pièces séparées par un couloir, avant d'en louer vers 1825, un plus vaste au premier étage.

Pendant plus de vingt années, ses réceptions rassemblent autour d'elle, accompagnée de Chateaubriand qui les préside souvent, les esprits les plus brillants de l'époque : Victor Cousin, Saint-Marc Girardin, Edgar Quinet, Tocqueville, de jeunes écrivains comme Lamartine, Sainte-Beuve, Balzac, des artistes comme François Gérard, Joseph Chinard, Antonio Canova, des acteurs, Talma et Rachel, etc.

De 1823 à 1824, un séjour en Italie, en compagnie de sa nièce Amélie Cyvoct, de Ballanche et de Jean-Jacques Ampère, lui permet de recréer à Rome un cercle regroupant artistes et hommes de lettres. Des évènements dans son entourage familial marquent cette période : l'éloignement de sa fille adoptive Amélie Cyvoct, devenue madame Charles Lenormant en 1826, la disparition de son père en 1829 puis celle de son mari Jacques Récamier en 1830.

Dernières années

Juliette Récamier en 1805 par François Gérard, dessin.
Tombeau de Madame Récamier et sa famille, Paris, cimetière de Montmartre.

À partir de 1840, la santé de Juliette Récamier décline et sa vue baisse notablement. Elle mène alors une vie de plus en plus retirée mais reçoit cependant, les fréquentes visites de Chateaubriand. Une des dernières grandes soirées qu'elle organise à l'Abbaye-aux-Bois avec l'aide de l'actrice Rachel est guidée par sa charité. Il s'agit de collecter des fonds pour aider les victimes des graves inondations de Lyon. Atteinte de cataracte, elle subit sans succès deux opérations et devient quasiment aveugle. Juliette a le chagrin d'apprendre les décès de ses plus chers amis : le prince Auguste de Prusse en 1843, Pierre-Simon Ballanche en 1847 et elle assiste le à la mort de Chateaubriand.

Quand l'épidémie de choléra sévit en 1849, le quartier de la rue de Sèvres est particulièrement touché. Madame Récamier quitte l'Abbaye-aux-Bois pour aller chez sa petite-nièce, Amélie Lenormant, qui habite avec son mari Charles Lenormant, à la Bibliothèque nationale, rue des Petits-Champs près du Palais-Royal. Frappée par la maladie, c'est en ce lieu qu'elle rend son dernier soupir le , à l'âge de 71 ans. Elle est inhumée au cimetière Montmartre à Paris dans la sépulture où sont ensevelis ses parents, son mari et son vieil ami, Pierre-Simon Ballanche[10].

Sa nièce et fille adoptive, Amélie Lenormant, est l'auteur d'une biographie parue en 1859 qui publie une partie des nombreuses lettres reçues de ses illustres correspondants. Celles-ci sont aujourd'hui conservées en partie au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France.

Madame Récamier et les arts

Peintures

Un tableau représente Mme Récamier, nue, allongée sur une méridienne et actuellement exposé au château-musée de Boulogne-sur-Mer. Don de Charles Lebeau, un mécène boulonnais, en 1916[11], cette œuvre est attribuée à Jacques-Louis David ou à l'atelier du peintre. Toutefois, cette huile sur toile n'est pas vraiment fidèle au portrait de Madame Récamier avec un visage si peu ressemblant il est vrai, et « une dame de ce rang n’aurait jamais posé nue et surtout les pieds sales. Ce serait une vengeance du peintre pour un tableau que la caricaturée aurait refusé auparavant ! »[12]. D'autre part, Jacques-Louis David n'était pas en très bons termes avec Juliette Récamier à la suite d'une commande restée inachevée pour de multiples raisons, notamment que la belle trouvait l'artiste trop lent et demanda en conséquence, son portrait à l'un des élèves du maître. Vexé, le peintre dit à son modèle : « Madame, les dames ont leurs caprices ; les artistes en ont aussi. Permettez que je satisfasse le mien ; je garderai votre portrait dans l'état où il se trouve »[13].

Portrait présumé de Juliette Récamier, attribué à Jacques-Louis David ou l'un de ses élèves, collection du château-musée de Boulogne-sur-Mer.

Dessins

François Gérard réalise en 1829, près de vingt-cinq ans après son célèbre portrait de Madame Récamier assise (tableau actuellement exposé à Paris au musée Carnavalet), un dessin au crayon noir, lavis gris et rehauts d'aquarelle représentant sa muse vue de dos et de profil. Cette œuvre fait partie de la collection d'Alexandre Gérard, frère de l'artiste, puis transmise à sa descendance. Au mois de , les propriétaires actuels mettent en vente aux enchères à Paris cette représentation.

Une seconde étude dessinée de ce portrait avec un usage du lavis plus important, est conservée par le modèle, puis léguée à sa nièce Amélie Lenormant[14].

À gauche, Portrait de Madame Récamier assise, vue de dos et détail du visage par François Gérard. Dessin au crayon noir, lavis gris et rehauts d'aquarelle. À droite, une autre version de cette œuvre a appartenu successivement au modèle, puis à sa nièce Amélie et son époux, le professeur Charles Lenormant.

Gravures

Juliette Récamier inspire les artistes et devient leur muse à travers les peintures et les dessins ou de reproductions, peintes, dessinées ou gravées.

Sculptures

Madame Récamier par un artiste inconnu, d'après Joseph Chinard, XIXe siècle, Museum of Fine Arts, Springfield, Massachusetts.

Madame Récamier sert de modèle au cours de la période 1805-1806, à Joseph Chinard et son élève en 1805 à Clémence Sophie de Sermézy (musée des beaux-arts de Lyon et Paris, musée Cognacq-Jay).

Antonio Canova sculpta son portrait en 1813 (relation par Chateaubriand dans Mémoires d'outre-tombe).


Mobilier

Une banquette sans dossier avec, sur les côtés, deux extrémités de même hauteur, est appelé récamier ou récamière, du nom de Juliette Récamier, qui a été peinte allongée dans une pose élégante sur un de ces meubles[15].

La chambre de Madame Récamier est un ensemble de meubles réalisés en 1799 par les frères Jacob, à destination de son hôtel particulier rue du Mont-Blanc à Paris. Cette chambre est reconstituée au musée du Louvre.

Chambre de Madame Récamier

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Hommages

Plusieurs villes en France ont une rue en sa mémoire, dont :

Un cratère vénusien, Recamier, est également nommé en son honneur[18].

Sources

Base de données

Ouvrages

Archives

Voir aussi

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Liens externes

Notes et références

Notes

  1. À l'emplacement de l'actuelle rue de Constantine.

Références

  1. Choix de ce second prénom lors de son mariage.
  2. « Julie Bernard, Mme Récamier », sur larousse.fr (consulté le ).
  3. L'acte de mariage original disparaît dans l'incendie de l'Hôtel de ville de Paris au moment de la Commune en 1871, mais l'historien Auguste Jal avait fort heureusement, transcrit et publié une copie : Auguste Jal, Dictionnaire critique de biographie et d'histoire : Errata et supplément pour tous les dictionnaires historiques, Paris, Éditions Henri Plon, (1re éd. 1867), 1382 p. (lire en ligne), « Récamier Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, madame », p. 1044.
  4. Jacques-Rose Récamier (10 mars 1751 - 29 mars 1830), fils de François Récamier, fabricant industriel de chapeaux et banquier, et d’Emerande Delaroche, fille d’un imprimeur-libraire, il dirige la maison Jacques Récamier et Cie et devient Régent de la Banque de France dont il démissionne à la suite de sa faillite. Source : Romuald Szramkiewicz, Les Régents et censeurs de la Banque de France : nommés sous le Consulat et l'Empire, Librairie Droz, 1974, p. 325.
  5. Archives nationales : contrat de mariage entre Jacques-Rose Récamier, négociant banquier, et Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Bernard, le 11 avril 1793 à Paris. Étude LXII de Me Jean-François Cabal-Castel. Cote du document : MC-MI-RS-1279. Document Archives nationales : « Contrat de mariage Récamier-Bernard ».
  6. Édouard Herriot et Catherine Decours, les biographes de Juliette Récamier, font cette supposition. Jacques Récamier, père biologique de Juliette, aurait-il provoqué ce mariage précipité pour assurer à sa fille une fortune en cas de malheur ? Certains biographes disent qu'elle le sut au moment de sa nuit de noces, d'autres pensent que c'est bien plus tard. Toujours est-il qu'il s'agit d'un mariage blanc non consommé, Jacques Récamier s'effaçant et proposant le divorce lorsqu'un soupirant de Juliette s'avançait.
  7. « Le château de Coppet au clair de lune », sur Bibliothèque nationale de France.
  8. À Lyon, Juliette Récamier choisit pour ce séjour le célèbre Hôtel de l'Europe, situé place Antonin-Gourju.
  9. L'Abbaye-aux-Bois, ancienne abbaye cistercienne, se trouvait au no 16 rue de Sèvres, en face de l'actuel hôtel Lutetia avec également une entrée au no 11 rue de la Chaise. Elle est détruite lors de l'agrandissement d'une partie du boulevard Raspail, et sur son emplacement est percée l'actuelle rue Récamier.
  10. Tombe no 3 de la 30e division, surmontée d'une croix et de l'inscription « crux, ave, spes unica », elle porte sur l'une de ses faces l'inscription « Dans ce tombeau sont réunis les restes mortels de Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Récamier, née Bernard, de Jacques-Rose Récamier, son mari ; de Jean Bernard, son père ; de Marie-Julie Matton, sa mère, et de Pierre-Simon Ballanche, son ami. Priez pour eux. » et sur l'autre face « Marie-Julie Bernard, née Matton, 21 janvier 1807. Jean Bernard, 19 mars 1828. Jacques-Rose Récamier, 19 avril 1830. Pierre-Simon Ballanche, 12 juin 1847. Jeanne-Françoise-Julie-Adélaïde Récamier, née Bernard, 11 mai 1819 ». Source : Édouard Herriot, op. cité, p. 401.
  11. « Charles Lebeau, un mécène boulonnais », sur La semaine dans le boulonnais.
  12. « Succès pour le 14e « Permis de Musée/er » », sur Actualités du Pas-de-Calais.
  13. « Portrait de Juliette Récamier », sur Napoleon.org.
  14. Se reporter au catalogue de l'exposition : Juliette Récamier, muse et mécène, Lyon, 2009.
  15. « Œuvre : Salon de Madame Récamier », sur le Musée du Louvre.
  16. « Rue Juliette Récamier », sur Les rues de Lyon (consulté le ).
  17. « Place René Deroudille », sur Les rues de Lyon.
  18. « Planetary Names: Crater, craters: Recamier on Venus », sur planetarynames.wr.usgs.gov (consulté le ).
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