Jacques Boucher de Perthes

Jacques Boucher de Perthes, de son vrai nom Jacques Boucher de Crèvecœur, naît à Perthes, près de Rethel (Ardennes), le 10 septembre 1788, et meurt à Abbeville (Somme), le 5 août 1868. Il exerce la profession de directeur des Douanes mais est surtout connu en tant que préhistorien français : il réussit à faire admettre l'existence de ce qu'il dénomme « l'Homme antédiluvien » et jette les bases de la science préhistorique dont il est considéré comme l'un des fondateurs[1].

Pour les articles homonymes, voir Jacques Boucher, Boucher et Perthes.

Jacques Boucher de Perthes
Archéologue
Présentation
Naissance
Perthes (Ardennes)
Décès
Abbeville (France)
Nationalité française
Activité de recherche
Découvertes principales silex taillés du Paléolithique inférieur
Autres activités directeur des douanes
Hommage Chevalier de la Légion d'honneur le 29 avril 1831, promu officier le 14 août 1863

Biographie

Origine familiale et jeunesse

Il est né le 10 septembre 1788[2]. Aîné d'une famille de sept enfants de Jules Armand Guillaume Boucher de Crèvecœur (1757-1844) et de Marie de Perthes (1767-1827)[3], il peut mener durant son adolescence une vie de dilettante et de touche-à-tout, préférant les exercices physiques et les sorties en mer aux études[4].

Son père, Jules Armand Guillaume, est issu d'une famille de l'aristocratie rethéloise. En 1791, il est poursuivi comme noble par quelques sans-culottes, et perd sa place de contrôleur général surnuméraire et une partie de sa fortune. Il se retire dans le domaine familial, à Crèvecœur, entre Amagne et Sausseuil, dans la partie méridionale des Ardennes près de Rethel. Puis il est rappelé à Paris par le gouvernement pour travailler avec Jean-Baptiste Collin de Sussy à l'organisation des douanes. Il accepte ensuite le poste de directeur des douanes d'Abbeville, après avoir refusé celui de Paris. Il refuse dès lors toutes les promotions pour se consacrer à sa passion, la botanique. Il donne plusieurs publications à ce sujet, écrivant notamment en 1803 une Flore d'Abbeville recensant 25 000 plantes, ce qui lui vaut d'être membre correspondant à l'Académie des sciences dès 1800 et membre de la plupart des sociétés savantes d'Europe. Il est l'un des fondateurs de la Société d'émulation d'Abbeville, qu'il préside en 1799[5].

Carrière dans l'administration des douanes

En 1802, son père insatisfait de ses études médiocres, le retire du pensionnat et le fait entrer aux douanes où il devient surnuméraire puis en 1804 est nommé officiellement commis dans les bureaux de son père, à Abbeville[5]. Napoléon le nomme lieutenant en avril 1805. Il devient attaché à la Direction des Douanes de Marseille puis à Gênes jusqu'en 1808, vérificateur à Livourne puis sous-inspecteur à Foligno. Ce séjour en Italie lui permet de parfaire son éducation intellectuelle. Il devient un virtuose du violon, et souhaitant devenir un homme de lettres, se met à écrire des poèmes, nouvelles, romans, chansonnettes, pièces de théâtre[6]. Il est nommé inspecteur des Douanes à Boulogne en 1811, sous-chef à la direction générale des douanes à Paris en 1812.

À la chute de Napoléon, qui est pour beaucoup dans le succès de sa carrière, il est envoyé comme inspecteur six mois à La Ciotat et à Morlaix du à août 1824[5]. Jacques Boucher de Crèvecœur obtient en 1818 par ordonnance royale l’autorisation de reprendre le nom de sa mère « de Perthes », une descendante d’un oncle de Jeanne d’Arc[2]. Enfin, après de multiples démarches, il obtient en 1825 de reprendre la place de son père à la Direction des Douanes d'Abbeville. Après vingt ans d'absence, il revient dans ce chef-lieu d'arrondissement de la Somme, ancienne capitale du Ponthieu.

Carrière littéraire

Il publie divers ouvrages : Romances, ballades et légendes en 1829, Opinion de M. Christophe sur les prohibitions et la liberté du commerce en 1830, Nouvelles en 1832, Discours aux ouvriers en 1833, Satires, contes et chansonnettes en 1833, De la probité en 1835, Du courage, de la bravoure, du courage civil en 1836. Il écrit également un petit chef-d'œuvre d'ironie, Petit glossaire de quelques mots financiers, esquisses de mœurs administratives, en 1835[7].

Parmi ses nombreuses aventures sentimentales, il fut notamment l'amant de Pauline Borghèse[7].

Il affiche également son intérêt pour le spiritisme[8].

À la recherche des premières traces des hommes

Il devient président de la Société d'émulation d'Abbeville. Il se lie avec le préhistorien Casimir Picard et entreprend l'installation d'un musée local. De 1838 à 1841, il publie les cinq volumes de La Création, exposé philosophique, rencontrant les idées de Georges Cuvier, où l'ancienneté de l'Homme n'est pas en discussion[4].

À cette époque les découvertes d'ossements fossiles se multiplient dans les tourbières et sablières. Boucher de Perthes décèle dès 1828 des anomalies, en particulier des silex avec deux éclats façonnés par la main de l'homme, dans un banc tertiaire (il considère que ce banc est antédiluvien) d'alluvions des bords de la Somme à Abbeville[4]. En 1844, il découvre dans les couches les plus anciennes de la terrasse de Menchecourt-lès-Abbeville (alluvions de la Somme) des outils en silex à côté d'ossements de grands mammifères disparus qu'il date du Pléistocène (période comprise entre 2,58 millions et 10 000 années). Il rédige plusieurs ouvrages entre 1846 et 1864, notamment Antiquités celtiques et antédiluviennes, dans lequel il raconte ses découvertes et démontre que deux industries se sont succédé dans le temps comme se superposent les deux strates des terrains qu'il a fouillés. La strate la plus récente se caractérise par des pierres polies et la précédente par des silex taillés contemporains d'ossements de mammouths et de rhinocéros nain. Ainsi l'étude chronologique des couches permet de dater les vestiges retrouvés. Boucher de Perthes démontre qu'à une période très ancienne existe déjà un homme « préhistorique ». Il est jusque-là généralement admis que la création de la Terre et de l'homme remonte à 4 004 ans av. J.-C., et ce, sur la base d'estimations extrapolées du récit biblique par l'archevêque anglican James Ussher (chronologie d'Ussher).

En janvier 1853, il est mis à la retraite des Douanes. Libre, il peut se consacrer désormais entièrement à ses études et aux voyages, parcourant l'Europe à la recherche des traces des hommes. Alors que l'Académie des Sciences considère que les haches qu'il a découvertes ne sont que des cailloux roulés, Boucher de Perthes obtient en 1859 la reconnaissance de son travail[9] grâce aux visites successives à Abbeville et à Amiens des géologues et paléontologues anglais Hugh Falconer, Joseph Prestwich, John Evans, Robert Godwin-Austen, John Wickham Flower, Charles Lyell qui font une communication à la Société Royale de Londres, mais également de scientifiques français comme Albert Gaudry, Armand de Quatrefages et Édouard Lartet. Tous peuvent constater l'association, à des niveaux stratigraphiques profonds et sans remaniement, de restes fossiles de faunes disparues et de vestiges lithiques taillés.

Le théoricien de l'homme antédiluvien

Illustrations dues à Boucher de Perthes.

En 1860, Boucher de Perthes prononce et publie un discours demeuré célèbre : De l'Homme antédiluvien et de ses œuvres, qui conclut que :

  • l'Homme a bien été le contemporain de certains animaux disparus, à une époque antérieure au Déluge ;
  • les climats ont changé puisqu'il y avait des éléphants et des hippopotames dans la vallée de la Somme ;
  • on peut distinguer une période tropicale, une période glaciaire et une période tempérée.

Avec sa théorie de l'existence d'un homme antédiluvien, Boucher de Perthes s'attire les foudres de la communauté scientifique, notamment du géologue Léonce Élie de Beaumont, qui en 1863 affirme encore ne pas croire que mammouths et humains aient été contemporains. Dès 1851, Jean-Baptiste Noulet arrive au même résultat de façon indépendante. En 1863, il obtient une preuve flagrante de sa théorie : lors de fouilles archéologiques, il découvre une mâchoire humaine sur le site du Moulin Quignon dans une couche géologique contenant des silex taillés et des ossements d'espèces éteintes[10]. Cette trouvaille suscitant la polémique, il s'ensuit le « procès de la mâchoire », notamment entre savants français et britanniques. Il s'avère que la mâchoire est un faux mais cette fraude, réalisée par des carriers à qui Boucher de Perthes offre 200 francs pour la découverte de vestiges humains, permet la réunion d'une commission franco-britannique de savants déterminante pour la préhistoire en tant que science : cette commission détermine des critères d'authenticité, de méthodes de fouilles et son retentissement médiatique diffuse les idées de la science préhistorique dans le public[11].

En 1864, Édouard Lartet trouve dans l'Abri de la Madeleine, en Dordogne, un mammouth gravé sur une défense en ivoire par les hommes préhistoriques. En 1866, Henry Testot-Ferry, avec lequel il entretient une longue relation épistolaire, découvre à son tour des ossements d'éléphants dans les gisements de la Roche de Solutré. Les scientifiques commencent alors à se rendre compte de l'importance de l'œuvre de Boucher de Perthes, malheureusement très peu de temps avant son décès.

En 1867 lors de l'Exposition universelle, un biface est exposé dans la « galerie de l'histoire du travail ». Ce spécimen a été, par la suite, offert par Boucher de Perthes à Édouard Lartet.

Un généreux donateur

En 1862, Il participe à la fondation du Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye par donation d'objets récupérés lors de ses recherches. Dans son hôtel particulier d'Abbeville, il amasse une grande quantité d'objets récoltés dans des carrières de la vallée de la Somme. En 1872, l'hôtel de Chepy devient le musée Boucher de Perthes[12].

Il fit également don d'une partie de ses trouvailles au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Le musée Boucher de Perthes ayant été totalement détruit lors du bombardement d'Abbeville du , au début le la Seconde Guerre mondiale, les objets archéologiques donnés par Boucher de Perthes au musée de Saint-Germain-en-Laye et au Muséum d'histoire naturelle sont les seuls vestiges de son travail d'archéologue.

Hommages

  • Abbeville :
  • Amiens :
    • une rue porte le nom de Boucher de Perthes ;
    • le Musée de Picardie conserve une statue en plâtre de Boucher de Perthes ;
  • Lille :
    • une rue porte le nom de Boucher de Perthes ;
    • une école primaire porte son nom ;
  • Marseille : un boulevard porte le nom de Boucher de Perthes

Œuvres

  • Romances, légendes et ballades
  • Chants armoricains ou Souvenirs de Basse-Bretagne
  • Opinions de M Christophe, I. Sur la Liberté du Commerce.
  • Opinions de M Christophe, II. Voyage Commercial et Philosophique.
  • Opinions de M Christophe, III. M. Christophe à la Préfecture.
  • Opinions de M Christophe, IV. Le Dernier Jour d'un Homme.
  • Satires, contes et chansonnettes
  • Petit glossaire, esquisses de mœurs administratives.
  • De La Création, Essai sur L'Origine et la Progression des Êtres
  • Petites Solutions des Grands Mots
  • Antiquités celtiques et antédiluviennes
  • Hommes et choses
  • Sujets dramatiques
  • Emma ou Quelques lettres de femme
  • Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse, en 1859, Paris, Éditions Jung-Treuttel, Derache, Dumoulin et Didron, , 282 p.  (Wikisource)
  • Voyage à Constantinople.
  • Voyage au Danemark, en Suède, etc.
  • Voyage en Espagne et en Algérie.
  • Voyage en Russie, en Lituanie, en Pologne.
  • Sous dix rois. Souvenirs de 1791 à 1867 (Mémoires)

Voir aussi

Bibliographie

  • Adrien Joron, « Boucher de Perthes est-il le fondateur de la préhistoire ? », Bulletin de la Société d'émulation d'Abbeville, année 1946.
  • Léon Aufrère, Le cercle d’Abbeville, Paléontologie et préhistoire dans la France romantique, Brepols, 2007 (ISBN 2-503-52576-8).
  • Marie-Françoise Aufrère, «L’Homme antédiluvien selon Boucher de Perthes (1788-1868) : divagations théoriques et vraies découvertes scientifiques», travaux du Comité Français d’Histoire de la Géologie, Troisième série, T. XXI, 2007.
  • Claudine Cohen et Jean-Jacques Hublin, Boucher de Perthes, les origines romantiques de la préhistoire, Paris, Belin, 1989- réactualisé et réédité collection « Le Livre de Poche », 2018.
  • Claudine Cohen, Boucher de Perthes, écrivain raté, scientifique réussi ? (2000).
  • Christine Montalbetti, L'Origine de l'homme (roman), Paris, P.O.L., 2002, 288 pages (ISBN 2-86744-900-6)
    Jacques Boucher de Perthes est le personnage principal de ce roman.
    .
  • Pierre Aubé (éd.) : « Un dialogue de précurseurs. L’abbé Jean-Benoit Cochet et Jacques Boucher de Perthes à travers leur correspondance », Bulletin de la Société d’émulation d’Abbeville, tome XXIV, 5, 1979.

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

Notes

  1. . Un premier musée, dit d'Abbeville et de Ponthieu, réunit en 1830 des collections d'histoire naturelle, puis celles de Boucher de Perthes en 1868. Le nouveau musée occupe à partir de 1954 le beffroi et l'ancienne trésorerie du XVe siècle d'Abbeville. Il abrite une collection de plus de 78 000 œuvres, outils préhistoriques et spécimens de sciences naturelles, mais aussi 5 200 dessins et gravures des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, du mobilier, des sculptures, des peintures et objets d’art de l’époque mérovingienne au XIXe siècle

Références

  1. Claudine Cohen et Jean-Jacques Hublin, Boucher de Perthes. Les Origines romantiques de la Préhistoire, Paris, éd. Belin, 1989, p. 23.
  2. Charles Schleicher C, « Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes 1788-1868 », Bulletin de la Société préhistorique de France, t. 29, no 5, , p. 230-233 (DOI 10.3406/bspf.1932.6001, lire en ligne)
  3. Alain Bugnicourt, Généalogie de Jacques Boucher de Perthes, juin 2011.
  4. Franck Ferrand, « Préhistoire, une notion récente », émission Au cœur de l'histoire sur Europe 1, 22 novembre 2012.
  5. Marc Groenen, Pour une histoire de la préhistoire : le Paléolithique, Éditions Jérôme Millon, (lire en ligne), p. 52
  6. Jules Carlez, Boucher de Perthes : musicien et auteur dramatique, Caen, H. Delesques, 1906, 31 p.
  7. Guy Thuillier, Témoins de l'administration. De Saint-Just à Marx, Éditions Berger-Levrault,
  8. « Parmi les adeptes, Boucher de Perthes, le père de la préhistoire, dont la Revue Spirite de 1904 publie quelques lignes forts éloquentes. », Yvonne Castellan, Le spiritisme, coll. Que sais-je ? no 641, Presses universitaires de France, 1995, page 9.
  9. Dans l’épaisseur du temps, Archéologues et géologues inventent la préhistoire, Arnaud Hurel & Noël Coye (dir.), Publications scientifiques du Muséum, collection Archives, 442 p.
  10. L'ancien moulin Quignon, détruit au XXe siècle, se situait aux environs des coordonnées 50° 06′ 10″ N, 1° 50′ 51″ E . Cf. Géoportail.
  11. Nathalie Richard, Inventer la préhistoire. Les Débuts de l'archéologie en France, Vuibert, 2008
  12. https://www.musenor.com/musees/musee-boucher-de-perthes
  13. Musée Boucher-de-Perthes
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