Djihadisme

Le djihadisme[1] ou jihadisme[2] /d͡ʒiadism/[3] est une idéologie politique et religieuse islamiste qui prône l'utilisation de la violence afin d'instaurer un État islamique ou de rétablir un califat. Le mot est un néologisme dérivé du terme « djihad » (arabe : سلفية جهادية, salafisme jihadiste), ce qui ne signifie pas pour autant que le djihad, élément important, renvoie nécessairement à la violence ou à la guerre. En revanche, le djihadisme, lui, est clairement lié à l'action violente, d'où l'utilisation fréquente de l'expression « terrorisme djihadiste »[4]. Le mot lui-même apparaît dans les années 1980 et prend son essor au tournant du XXIe siècle, après les attentats du 11 Septembre[5], pour désigner certaines formes de terrorisme islamiste.

Cet article traite du « djihadisme », une doctrine contemporaine prônant l'usage de la violence à des fins politico-religieuses ; ne doit pas être confondu avec le « djihad » (notion dont il dérive et qu'il recoupe partiellement), concept historique et religieux qui ne prône pas nécessairement la violence.

Membres du groupe djihadiste Ansar Dine au Mali en 2012.

Le djihadisme moderne naît dans les années 1980, au cours de la guerre d'Afghanistan. Dans le contexte de ce conflit, se détache notamment la figure d'Abdallah Azzam, considéré comme le père fondateur du djihadisme. À partir des années 1980 et 1990 apparaît le salafisme djihadiste, qui a ses racines chez des penseurs islamistes radicaux comme Abou Qatada, Abou Moussab al-Souri ou Abou Mohammed al-Maqdisi, et qui s'étend à l'ensemble du monde musulman pour devenir le principal courant du djihadisme. Au début du XXIe siècle, des organisations terroristes islamistes comme Al-Qaïda, l'État islamique ou Boko Haram, se réclament du salafisme djihadiste[6]. Le djihadisme est ainsi devenu l'un des facteurs les plus structurants de la géopolitique du Moyen-Orient au XXIe siècle.

La définition du djihadisme varie cependant selon les spécialistes, ce terme renvoyant pour certains uniquement au salafisme djihadiste, tandis que d'autres l'appliquent à des mouvements non salafistes, notamment chiites[6],[7].

Définition

Pour Jarret Brachman (en), « jihadisme » renvoie au courant de la pensée extrémiste islamiste qui demande l'utilisation de la violence de façon à chasser toute influence non-islamique des territoires traditionnellement musulmans, ceci pour établir une gouvernance véritablement islamiste fondée sur la charia[8]. Selon Brachman toujours, ce terme est « maladroit et controversé » parce qu'il vient du mot « jihad » qui, pour la plupart des musulmans, renvoie à un travail spirituel sur soi-même et se trouve ainsi être un des fondements d'une vie pieuse. Toutefois (et c'est là que « jihadisme » trouve son origine), il peut aussi se réfèrer à la nécessité de faire la guerre pour défendre l'islam.

Le premier principe du djihadisme est qu'il existe un complot pour détruire l'Islam et que les pays conspirateurs sont les pays chrétiens « croisés » et leurs alliés juifs et sionistes d'Israël[9]. Pour le théoricien koweïtien du djihadisme Hamid al-Ali (en), il faut ajouter à ces ennemis de l'islam, les chiites[10].

Le mot « jihadisme » a été adopté dans le monde islamique comme la moins mauvaise option pour désigner les groupes comme Al-Qaïda qui ont un intérêt exclusif pour le côté violent du jihad. Le terme est utilisé par les médias arabes et aussi par les milieux du contre-terrorisme où il désigne, même si le terme est problématique, ceux des musulmans sunnites qui utilisent la violence pour poursuivre leurs buts politiques universalistes. Pour autant, le djihadisme est loin d'être un mouvement uni. Il est même parcouru de multiples fractures. Des questions telles le renversement de régimes islamiques, le droit de tuer d'autres musulmans et l'attitude vis-à-vis du chiisme sont sujettes à des considérations de partage du pouvoir[8]. On trouve différentes thèses sur l'origine de l'idéologie jihadiste.

Pour le juge antiterroriste David Benichou, le djihadisme a ses racines dans le Coran et les Hadîths[11]. À l'inverse, les historiennes Ladan Boroumand et Roya Boroumand estiment que la source de l'idéologie des jihadistes n'est pas le Coran mais le léninisme, le fascisme et les courants totalitaires du XXe siècle[12].

De son côté, le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d'études à l'EHESS, voit dans le djihadisme « l'idéologie totalitaire la plus élaborée depuis le communisme et le nazisme » et relève que certains jihadistes peuvent même être chiites. Selon lui, « les idéologues [jihadistes] intègrent les idées extrémistes occidentales, notamment de l’extrême gauche et de l’extrême droite et présentent une version de l’islam qui tente de briser le tabou de la « sécularisation irréversible » »[13].


Enfin, aux yeux d'Olivier Roy, les djihadistes sont avant tout fascinés par la radicalité et la violence, et non pas par l'Islam en tant que tel: car l'attentat-suicide est la finalité par excellence de leur action alors que le salafisme condamne le suicide. Une telle dimension nihiliste, que l'on trouve au cœur de ce projet, est le signe pour Olivier Roy que l'on a affaire à ce qu'il appelle une "islamisation de la radicalité", à savoir une révolte, une radicalité extrême qui épouse des discours apocalyptiques, comme celui de Daech, et qui emprunte les formes de ces discours, tout en n'ayant à voir avec une "radicalisation de l'Islam", conception défendue, elle, par Gilles Kepel, autre spécialiste de l"Islam[14].


Idéologie et histoire du mouvement

Fondements idéologiques

Si les analyses des bases idéologiques du djihadisme varient, on retrouve régulièrement la pensée de l'Égyptien Sayyid Qutb comme un des piliers du djihadisme.

Pour Antoine Sfeir[15], le djihadisme est né au cours de la guerre menée par les Soviétiques en Afghanistan durant les années 1980. Il est le fruit de la synthèse entre le courant traditionaliste wahhabite et la stratégie des Frères musulmans. Il suit une « ligne révolutionnaire, base intellectuelle du terrorisme et des opérations suicide, encourageant des actions violentes contre les Occidentaux »[15], fondée sur la pensée du Frère musulman égyptien Sayyid Qutb et celle de l'écrivain jordano-palestinien Abu Muhammad al-Maqdisi, et obligeant d'affronter ceux « qui oppriment les musulmans pieux », qu'ils soient musulmans ou non[15]. Saïd Qotb exalte tout particulièrement la lutte contre les Juifs : « Les juifs devinrent les ennemis de l'islam dès qu'un État musulman fut établi à Médine. Ils complotèrent contre la communauté musulmane dès que celle-ci fut créée (...) Cette âpre guerre que les juifs nous ont déclarée (...) dure sans interruption depuis quatorze siècles et enflamme, encore maintenant, la terre jusqu'en ses confins. »[16].

Pour Anne-Clémentine Larroque, maître de conférences à Sciences Po en Questions internationales, le djihadisme n'est pas « consubstantiel à la religion ». Bien que le Coran mentionne textuellement le jihad, « le djihadisme est un mouvement contemporain qui puise ses racines dans les thèses de deux grands idéologues » : « la pensée de Sayyid Qutb (1906-1966), militant des Frères musulmans qui lutta activement contre l'État de Nasser jugé « mécréant » car ne respectant pas la loi coranique et théorisa dans les années 1960 le retour à un islam politique où le jihad prend une place centrale » et « la pensée de Abul Ala Maududi (1903-1979) théologien fondamentaliste pakistanais qui à la même époque pense et encourage la lutte pour la création d'un État islamique pakistanais. Ses thèses seront suivies par les Talibans: il prône un retour au jihad global »[17].

Pour l'universitaire Stéphane Lacroix, « le djihadisme a une généalogie distincte du salafisme et du wahhabisme. Il s'inscrit plutôt à l'origine dans l'héritage intellectuel des mouvements islamistes modernes, qui naissent en Égypte en 1928 avec la création des Frères musulmans ». Selon lui, le djihadisme naît en particulier sous la plume de Sayyid Qutb dans les années 1950-1960 comme « une variante révolutionnaire de l'islamisme », et « ce n'est donc que dans les années 1990, sous la plume d'idéologues religieux comme Abou Qatada ou Abou Muhammad al-Maqdisi, d'origine palestinienne, que le discours djihadiste se salafise », cette dynamique voyant son « aboutissement » avec l'avènement de l'État islamique. Il souligne que « ceux qui fixaient la doctrine djihadiste » étaient en majorité égyptiens, syriens et palestiniens[18].

Les jihadistes prônent la lutte armée non seulement pour libérer les pays musulmans de l'occupation étrangère mais aussi pour chasser les régimes jugés impies[15]. Aujourd'hui, Al-Qaïda[15], les Talibans et l'organisation État islamique (souvent nommée aussi « Daech ») en sont des représentants.

Jalons historiques

Certaines actions jihadistes ont été menées à l'échelle nationale, en Afghanistan, au Liban, en Tchétchénie, en Irak, en Palestine et en Algérie ; d'autres à l'échelle mondiale, avec les attentats du 11 septembre et ceux de Bali en 2002, de Madrid en 2004, de Londres en 2005[15], de France en 2015 et de Belgique en 2016. D'autres encore ont visé l'Afghanistan, l'Arabie saoudite, l'Inde, l'Indonésie, l'Irak, Israël, la Jordanie, le Kénya, le Koweït, le Liban, le Maroc, l'Ouzbékistan, le Pakistan, la Russie, la Somalie, la Turquie et le Yémen[9]. Boko Haram commet ses actes de terreur au Nigéria.

Pour Gilles Kepel, Al-Qaïda a été vaincue et maintenant, « c'est l'État islamique et sa culture qui mène le jeu ». L'islamologue estime que « Daech [...] s'est infiltrée par les réseaux sociaux au cœur de l'Europe pour la détruire en déclenchant la guerre civile entre ses citoyens et résidents musulmans et non musulmans », et cela dans une optique takfiriste qui appelle à éliminer les « impies »; autrement dit, au yeux des djihadistes de Daech, « soit on est musulman à leur manière, soit on mérite la mort »[19]. Au-delà de ce passage d'Al-Qaïda à Daech, Gilles Kepel, s'appuyant notamment sur l'analyse de l'Appel à la résistance islamique mondiale d'Abou Moussab al-Souri, identifie trois « générations » dans le jihadisme contemporain, qui s'articulent selon une « dialectique du mouvement aux accents quasiment hégéliens ». Le premier moment — « l'affirmation » — correspond à la guerre victorieuse en Afghanistan, dont les tentatives d'extensions algérienne, égyptienne et bosniaque dans les années 1990 s'avèrent par contre être des échecs. Le second moment — la « négation » — correspond à Al-Qaïda, qui substitue « au djihad armé contre l'ennemi proche […] les actions spectaculaires contre l'ennemi lointain », avec notamment les attentats du 11 septembre 2001. Puis, face à ce modèle qui s'épuise assez vite, faute de pouvoir reproduire facilement des attentats d'une telle ampleur et mobiliser réellement les masses populaires, al-Souri appelle à passer au troisième moment — la « négation de la négation » ou son « dépassement » —, qui consiste cette fois à substituer à « l'organisation pyramidale d'Al-Qaida, dénuée d'implantation sociale, un djihadisme de proximité, selon un système réticulaire pénétrant par la base, et non plus le sommet, les sociétés ennemies à abattre. » Selon Gilles Kepel, cet Appel à la résistance de al-Souri, publié en janvier 2005, est mis en œuvre au cours de la décennie suivante en Europe, notamment en France. Kepel estime ainsi que les attentats islamistes perpétrés depuis l'affaire Merah en 2012, jusqu'à la Promenade des Anglais en 2016, en passant par le Bataclan et Charlie Hebdo en 2015 pour ne citer que les plus meurtriers, bien que distincts les uns des autres sous certains rapports, entrent néanmoins tous dans le cadre de ce « djihadisme de proximité »[20].

L'attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 à Paris est revendiqué par un groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda[21]. Quant à celui contre un magasin Hyper Cacher de la porte de Vincennes, son auteur se présente comme lié à l'État islamique[22]. Les attentats du 13 novembre 2015 à Saint-Denis et Paris et celui du 14 juillet 2016 à Nice sont aussi revendiqués par l'État islamique[23].

En France, campagne de communication contre le djihadisme

Peu de temps après les attentats de janvier 2015, le gouvernement français met en ligne un site internet ayant pour but de lutter contre la propagande djihadiste[24]. Cette campagne s'appuie sur le site stop-djihadisme gouv fr. et fait suite à une campagne menée par les États-Unis[25]. Elle s'appuie notamment sur une vidéo, à la manière de la communication menée par les djihadistes[26]. Le site internet informe les jeunes, parfois asociaux, du fait que sous couvert de gloire, en réalité les djihadistes cherchent à les conduire à la désolation, notamment au travers de la phrase : «Ils te disent: sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une juste cause. En réalité tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul loin de chez toi». Le site web vise également à soutenir les familles dont les enfants sont incités à la radicalisation par les djihadistes, à l'insu des parents[26].

Le djihadisme chiite

Le « djihadisme chiite » est une expression qui a surtout été employée depuis la guerre d'Irak pour désigner les groupes armés chiites opérant contre les forces de la coalition militaire en Irak, comme l'armée du Mahdi, Asaïb Ahl al-Haq, le Kataeb Hezbollah, l'Organisation Badr ou bien la Brigade du jour promis.

Romain Caillet, islamologue et spécialiste de la mouvance djihadiste mondiale, décrit le « djihadisme chiite » comme étant toujours d'actualité et comme étant une forme de terrorisme islamique mais d'inspiration chiite[27]. Ainsi, lorsque l'on pense à un « djihadisme chiite », on se rappellera toujours de l'attentat de la rue de Rennes en 1986 commis par le Hezbollah, l'attentat de Buenos Aires en 1994 ou même l’attentat à Beyrouth du Drakkar, en octobre 1983, qui se soldera par la mort de 58 soldats français. Cependant, beaucoup ont tendance à se rappeler ces événements du passé, alors que cette forme de terrorisme est toujours d'actualité. En 2012 par exemple, un attentat eut lieu à Bourgas en Bulgarie, qui visait des touristes israéliens et qui a fait en tout 7 morts et 32 blessés. Le Hezbollah et l'Iran furent désignés comme coupables, après l'arrestation de plusieurs suspects, et il s'est avéré que deux des terroristes étaient des membres du Hezbollah[28]. À la suite de cet événement, plusieurs pays décidèrent de classer le Hezbollah comme un groupuscule terroriste[29].

Le « djihadisme chiite » prit un nouvel essor lors de la guerre civile syrienne en 2014, plusieurs milices chiites prenant part au combat aux côtés des forces de Bashar el-Assad, avec comme objectif principal la défense des lieux saints de l'islam chiite, comme le mausolée de Sayyida Zeinab, dans la banlieue sud de Damas[30]. La montée de l'État islamique fut également un argument pour ces milices de se poser en protecteur de leurs lieux saints et de justifier une lutte anti-terroriste.

"Pourquoi la Vierge Marie (la paix soit sur elle) était voilée" / Exemple de placard affiché sur les maisons chrétiennes à Bagdad, appelant les femmes à porter le voile.

Ainsi, ce « djihadisme chiite » s'affirme de plus en plus au point de créer encore plus de sectarisme, particulièrement envers les sunnites qui subissent de plus en plus d'exactions de la part de ces milices qui réclament vengeance pour les chiites[31]. Au sein des milices chiites, on retrouve une minorité de chrétiens, les miliciens prétendant en être les défenseurs de cette minorité également persécutée par les groupes dit « takfiristes » comme l'État Islamique ou Al-Qaïda. Pourtant en 2015, à Bagdad, des miliciens chiites avaient placardé des affiches sur les murs des églises et des maisons, sommant les chrétiennes de se couvrir la tête « comme le faisait la Vierge Marie », faute de quoi ils imposeraient cette mesure[32]. Cette méthode rappelle presque celle de l'état islamique qui consistait à marquer de la lettre arabe « nūn » (pour « naṣârī », « nazaréens » c'est-à-dire « chrétiens ») les maisons des chrétiens à Mossoul. Une proposition des milices interdisant la vente d'alcool fut même proposée pour tout le territoire, limitant encore plus les libertés des minorités[33].

Selon Sabrina Mervin, chercheuse au CNRS et spécialiste du chiisme, le mot « djihadiste » peut être utilisé pour désigner des mouvements armés chiites  comme le Hezbollah  mais c'est un terme que ces mouvement emploient rarement pour se désigner eux-mêmes. Conscients de leur caractère minoritaire, les chiites considèrent toujours le djihad comme défensif[34].

Daniel Gerlach, orientaliste et journaliste allemand et spécialiste de l'Irak et de la Syrie, propose le terme « muqawamiste » (néologisme dérivé de l'arabe « muqawama » ar مقاومة pour « résistance ») pour qualifier certains des groupes armés chiites car, selon lui, le discours de la résistance détermine leurs idéologie et propagande davantage et plus que le djihad.[35],[36]

Le foisonnement de textes et vidéos djihadistes peut conduire certains jeunes gens manquant d'esprit critique à se radicaliser en quelques rencontres ou à travers quelques lectures sur internet [37],[38]. Et si cet endoctrinement s'inscrit dans l'empirisme et l'amateurisme, il est toujours violent[39].

Diffusion via internet

Si à l'origine le djihadisme s'adressait à un public essentiellement arabophone, avec la montée en puissance d'Internet, la propagande djihadiste se retrouve à présent également dans des langues comme le français, l'anglais, l'allemand ou l'espagnol[40]. La puissance argumentative du djihadisme, et sa simplicité redoutable, se développe ainsi à travers une propagande multimédias. Cette démarche s'inscrit dans une volonté de mondialiser le djihadisme[41].

Fin 2011, le gouvernement américain note un début d’utilisation de Twitter par les mouvements djihadistes pour diffuser leurs actualités[42]. Pour le spécialiste du djihadisme Romain Caillet, l'impunité est restée presque totale de début 2013, période à laquelle débute l'utilisation massive du réseau, à septembre 2014.

Pour lutter contre cette propagande, les premiers comptes parodiques francophones sont apparus sur Twitter à l’été 2014[43],[44],[45] au moment de la diffusion par le nouveau califat autoproclamé des images de l’exécution du journaliste américain James Foley. Le but était de détourner la propagande terroriste en utilisant l'humour et la dérision comme moyens de résilience[46],[47], ce qui contribuait à déconstruire l'image mensongère d'un djihadiste invincible dans un califat idéal[48] et à s'opposer à la violence des images.

En 2015, le collectif Anonymous lança l'opération #OpCharlieHebdo[49],[50], appelée #OpIceISIS côté anglophone[51], venue renforcer leur opération #OpISIS déjà existante[52], dans le but de geler la communication de l'organisation terroriste. Ces opérations ont été menées alors que peu d'actions publiques étaient mises en place contre la propagande djihadiste sur les réseaux sociaux[53],[54]. À la suite de ces opérations, un collectif de citoyens français appelé Katiba des Narvalos s'est créé pour lutter contre ces activités en ligne, mais aussi infiltrer les réseaux cyber-djihadistes dans le but d'empêcher des attentats[55],[56].

Par la suite, Twitter annonce avoir supprimé 235 000 comptes au premier semestre 2016 puis 377 000 au second. Cette répression rend le réseau moins utilisé au profit notamment de Telegram[57].

En 2020, la propagande djihadiste sera retrouve aussi disséminée sur des messageries cryptées moins connues, comme Rocket.chat ou TamTam[58].

Diffusion en Occident : quelques raisons

Les djihadistes européens ont souvent une très faible connaissance de la langue arabe. Leur endoctrinement se fait alors au travers de traductions approximatives de la propagande disponible sur internet [59].

Les motivations de cette radicalisation sont variées, elles peuvent notamment se développer pour des raisons sociales, culturelles, individuelles, familiales ou psychologiques. Entrent notamment en jeu, d'après des études internationales, une surestimation ou une sous-estimation de soi, la double aliénation des jeunes ne se sentant ni appartenir à leur pays de résidence, ni à celui de leurs origines familiales, l'âge, ou encore la victimisation. Interviennent aussi, d'après ces mêmes études, la recherche d'appartenance à une communauté, à une famille, une mauvaise gestion de la colère, ainsi que la dimension psychiatrique[60].

Les enfants d’immigrés sont intégrés culturellement à la société d’accueil mais ne le sont pas structurellement, car souvent discriminés aux plans de l’emploi et de l’habitat. Cette antinomie entre intégration culturelle et intégration structurelle peut inciter les plus frustrés à la violence[61].

Le djihadisme bénéficie parfois d'un effet de mode, il peut apparaître romantique à une personne trop candide. La réalité est souvent moins glorieuse et plus sordide, et certains sont employés à des taches logistiques (par exemple enterrer les cadavres), d'autres peuvent être tués[62].

Pour Loïc Le Pape, anthropologue et chercheur associé à l'Institut d’ethnologie méditerranéenne, européenne et comparative :

Cette forme d’engagement radical ne s’apparente ni à une conversion religieuse classique ni à un militantisme sectaire : elle allie la force du sentiment religieux à l’engagement politique et militaire. La soudaineté des trajectoires de radicalisation s’explique par la cohérence apparente d’un système de pensée composé de bric et de broc. Si l’État islamique tente de mettre en place une lecture théologique de la violence politique, ceux qui s’en revendiquent ne vont pas aussi loin. Les jeunes convertis à l’EI se basent sur une lecture réductrice et violente des préceptes de l’islam et allient des croyances millénaristes et apocalyptiques à une vision conspirationniste (les juifs, l’Occident, les Illuminati) qu’ils combinent à une histoire géopolitique grossière. Ramener le radicalisme à une simple histoire de religion est donc aussi hasardeux que de considérer que celle-ci n’en constitue pas l’un des déterminismes.[63]

Sources et références

Références

  1. « *djihadisme », sur larousse.fr (consulté le )
  2. La lettre arabe « ج » est une spirante cacuminale sonore /ʒ/ (j) dans jardin) / V. Régis Blachère, Grammaire de l'arabe classique, Paris, Maisonneuve et Larose, 1975, p. 25. La réalisation « dj », se rencontre cependant dans plusieurs dialectes (Blachère, ibid.) et elle tend à l'emporter dans l'arabe standard moderne, si bien que la prononciation /d͡ʒ/ est devenue courante (mais on trouve aussi /g/ en Égypte). C'est pourquoi la transcription oscille entre « j » et « dj ».
  3. Prononciation en français de France standardisé retranscrite selon la norme API.
  4. Bénichou, Khosrokhavar et Migaux 2015, p. 25.
  5. (en) « Coming to Terms: Fundamentalists or Islamists? », sur meforum.org, (consulté le )
  6. iReMMO, « Dominique Thomas, Abdelasiem El Difraoui, Marjane Kamal - Origines et manifestations du Djihadisme », sur youtube.
  7. (en) Clément Therme, « Jihadist Ideology : The Anthropological Perspective »,
  8. Brachman 2008, p. 4 et 5
  9. Brachman 2008, p. 11
  10. Brachman 2008, p. 12
  11. Bénichou, Khosrokhavar et Migaux 2015, p. 329.
  12. Ladan Boroumand, Roya Boroumand, « Terror, Islam, and Democracy », Journal of Democracy, Volume 13, Number 2,
  13. « L'idéologie du jihadisme », EHESS
  14. Olivier Roy, « Pour Olivier Roy, l’islam n’explique pas le terrorisme », Le Monde,
  15. « ISLAM – Salafisme, jihadisme », sur Le blog d'Antoine Sfeir, journaliste, politologue, directeur des Cahiers de l'Orient, source : Sfeir 2011
  16. Cité par Pierre-André Taguieff dans « Ces islamistes malades de la haine des juifs, entretien entre Pierre-André Taguieff et Violaine de Montclos », sur Le Point,
  17. Eugénie Bastié et Anne-Clémentine Larroque, « Hamas, Frères musulmans, djihadistes : les différents visages de l'islamisme », FigaroVox,
  18. Stéphane Lacroix, « Le problème saoudien. Le wahhabisme, rempart ou inspirateur de l'État islamique ? », Revue du crieur, no 3, , p. 41-42
  19. Gaïdz Minassian et Nicolas Weill, « Gilles Kepel : « C'est un 11-Septembre culturel » », Le Monde, no 21769, , p. 20 (lire en ligne).
  20. Gilles Kepel, Terreur dans l'Hexagone : Genèse du djihad français, Gallimard, (présentation en ligne), part. I : « L'incubation : de Clichy à Sarkozy (2005-2012) », chap. 1 : « 2005, l'année charnière », sect. 4 : « La dialectique du djihadisme ».
  21. « Al-Qaida dans la péninsule Arabique revendique l'attaque contre « Charlie Hebdo » », sur Le Monde,
  22. « Dans une vidéo posthume, Amedy Coulibaly revendique l'attentat de Montrouge », sur Le Monde,
  23. « Attentats à Paris : l'État islamique revendique les attaques », sur Le point,
  24. « Le gouvernement met en ligne le site stop-djihadisme.gouv.fr », sur La Dépêche,
  25. Blandine Le Cain, La presse anglo-saxonne se gausse de la campagne «Stop Djihadisme» sur le Figaro
  26. Fabien Jannic-Cherbonnel, Djihadisme : le clip choc du gouvernement sera sans doute inefficace sur Slate.fr
  27. Romain Caillet, « Jihadologie - Le « Jihad chiite » en Syrie et en Irak - Libération.fr », sur jihadologie.blogs.liberation.fr (consulté le )
  28. « La Bulgarie impute au Hezbollah l'attentat de Bourgas »
  29. « Le Hezbollah classé organisation terroriste par l’UE »
  30. « sayeda-zeinab-haut-lieu-de-pelerinage-chiite-pres-de-damas »
  31. « D’une vengeance à l’autre : les représailles des milices chiites en Irak »
  32. « À Bagdad, les chrétiennes sommées de porter le voile « comme la Vierge » », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  33. « Des affiches sur les maisons chrétiennes à Bagdad appellent les femmes à porter le voile », FIGARO, (lire en ligne, consulté le )
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  38. Anna Erelle, Dans la peau d'une djihadiste: Enquête au coeur des filières de recrutement de l'État islamique, Groupe Robert Laffont, (ISBN 978-2-221-15718-3, lire en ligne)
  39. Michel Guérin et Jean-Luc Marret 2014, lire en ligne
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  41. Philippe-Joseph Salazar, Paroles armées : Comprendre et combattre la propagande terroriste, Lemieux Editeur, , 261 p.
  42. Xavier Vespa, Le gouvernement américain veut museler Twitter, Twitteradar, 2 janvier 2012
  43. Sophie Janinet, « Les trolls, nouvel ennemi de l'État islamique : Leur pseudos : Abou Jean-René, Abufrancis alisreali ou Abou Dinblanc. Sur Twitter, des utilisateurs ont créé des faux comptes de combattants de l’État Islamique pour les tourner en dérision. », Les Inrockuptibles, (lire en ligne)
  44. « La parodie, nouvelle arme contre l'État islamique ? », Arrêt sur images, (lire en ligne)
  45. « Ils parodient la propagande de l'État islamique sur les réseaux sociaux : Sous des noms ridicules (Abou Dinblanc, Abou Ricot, Abou Jean-René), ils utilisent Twitter pour publier des messages tournant en dérision la communication du groupe islamiste radical. », France Info, (lire en ligne)
  46. Matthieu Suc, « Ces simples citoyens qui traquent les terroristes : Ils sont informaticiens, ingénieurs ou professeurs. Sur leur temps libre et sous pseudo, de simples citoyens traquent les djihadistes à travers les réseaux sociaux, auscultent la propagande du groupe État islamique, décryptent les failles de nos services de renseignement. En participant, dans l’ombre, à la lutte antiterroriste, ils s’attirent aussi des difficultés. », Mediapart, (lire en ligne)
  47. Yann Barthès, « A la rencontre des chasseurs de djihadistes », Quotidien, (lire en ligne)
  48. Valerie Dekimpe, « Des déserteurs de l’État islamique témoignent: «N'y allez pas, vous allez le regretter» », Slate, (lire en ligne)
  49. Jérôme Colombain, « Cyberdjihadisme et cyberrésistance : La guerre contre le terrorisme est aussi une cyberguerre, du moins une cyberguerilla. Et elle a déjà commencé… », Radio France, (lire en ligne)
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  56. Alice Maruani, « Parodies de Daech : de la déconne et des infiltrés sous VPN : Un réseau de comptes Twitter parodie et chasse les djihadistes sur leur terrain. Efficace ? Pas sûr, mais ça fait du bien », Rue89, (lire en ligne)
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Bibliographie

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  • Olivier Roy, Le djihad et la mort, Paris, Seuil, coll. « Débats », , 166 p. (ISBN 978-2-021-32704-5)
  • (en) Jarret Brachman, Global Jihadism, Routledge, (lire en ligne)
  • Gilles Kepel, Terreur dans l'Hexagone : Genèse du djihad français, Gallimard, (présentation en ligne)
  • David Thomson, Les Revenants, Seuil, (présentation en ligne)
  • Sophie Jacquin, « Les voies de la radicalisation des jeunes jihadistes français : entretien avec Farhad Khosrokhavar », Défense, no 176, , p. 34-37 (ISSN 0337-9434)
  • Luisa Pace, « Stratégies terroristes : le changement », Défense, no 172, , p. 12-15 (ISSN 0337-9434)
  • Jacob Rogozinski, Djihadisme : le retour du sacrifice, Paris, Desclée de Brouwer, coll. « Cahiers libres », , 210 p. (ISBN 978-2-220-08814-3)
  • Hugo Micheron, Le Jihadisme français. : Quartiers, Syrie, prisons, Gallimard, coll. « Esprits du monde », , 416 p. (ISBN 978-2-07-287599-1)
  • sous la direction de Bernard Rougier, Les territoires conquis de l'islamisme, PUF,

Articles en ligne


Reportages

  • Sofia Amara, Passe ton Djihad d’abord, Canal + (Mag, L’Effet papillon, 10 min), 2009

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