Crise de mai 1958

La crise de mai 1958 marque le retour au pouvoir en France du général de Gaulle, dans un contexte insurrectionnel lié à l'instabilité gouvernementale pendant la guerre d'Algérie. Elle commence par le Coup d'État du 13 mai 1958 (dit « putsch d'Alger ») et se termine le 3 juin 1958 par le vote d'investiture du général de Gaulle, nommé le 1er juin Président du Conseil par le président de la République René Coty, avec mission de rédiger dans les 6 mois une nouvelle constitution. La crise de mai 1958 prépare la naissance de la Cinquième République française.

Contexte : l'instabilité de la IVe République

Le 1er novembre 1954, l'insurrection algérienne de la Toussaint rouge marque le début de la guerre d'Algérie. Ce conflit, l'impuissance de la IVe République à y faire face et l'instabilité ministérielle conduisent le régime à une crise grave.

Charles de Gaulle, qui dès 1946 avait mis en garde contre l'instabilité gouvernementale que générerait la Quatrième République, est alors à l'écart de la vie politique. Depuis sa démission de la présidence du gouvernement le 20 janvier 1946 et l'échec du Rassemblement du peuple français (définitivement mis en sommeil en septembre 1955), son refus de tout compromis avec le « régime des partis » l'isole dans une « traversée du désert » à l'écart de toute responsabilité.

À Paris, le pouvoir est vacant depuis la chute du gouvernement Félix Gaillard le 15 avril 1958, et le reste pendant vingt-huit jours. À Alger un Comité de salut public insurrectionnel se constitue le 13 mai, à la suite de la nomination comme Président du Conseil de Pierre Pflimlin, un partisan de la négociation avec le FLN[1].

Le gouvernement Pierre Pflimlin est investi par l'Assemblée nationale le 13 mai 1958, le jour même où à Alger se met en place le Comité de salut public insurrectionnel. Celui-ci réunit plusieurs forces : le groupe des sept de l'avocat et président de l'Association générale des étudiants d'Alger Pierre Lagaillarde, alors âgé de 26 ans[2] ; les gaullistes de Léon Delbecque, chargé de mission à Alger pour le ministre de la Défense nationale, Jacques Chaban-Delmas, et chef du Comité de vigilance ; enfin des hauts fonctionnaires et Jacques Soustelle.

De Gaulle lui-même se tient à l'écart de ces troubles[3],[4], quoique dès le 10 mai un éditorial d'Alain de Sérigny, directeur de L'Écho d'Alger, l'eût appelé à sortir de sa retraite pour, pensait-il, sauver l'Algérie française que les partis traditionnels et le prochain gouvernement s'apprêtaient à lâcher : « Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général... »

Déroulement de la crise

Le 13 mai 1958, un comité de vigilance appelle à manifester contre le FLN à Alger. Un comité de salut public est créé, à la tête duquel se trouve le général Jacques Massu. Il lance un appel au général de Gaulle le 14 mai. L'insurrection prend de l'ampleur et risque de dégénérer en guerre civile. Le 15, le général se dit « prêt à assumer les pouvoirs de la République ». Certains voient dans cette déclaration un soutien à l'armée et s'inquiètent. Le 19 mai, lors d'une conférence de presse à l'hôtel de la gare d'Orsay, il répond aux inquiétudes des Français en objectant : « Croit-on, qu'à 67 ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? ». Durant cette conférence, il explique sa déclaration du 15 mai, rassure et insiste sur la nécessité de l'union nationale et s'il se présente encore comme le recours, il ne donne aucune caution ni à l'armée ni à quiconque. Cependant, le général refuse la première exigence des opposants à son retour, notamment François Mitterrand, qui est de désavouer officiellement les comités qui se créent un peu partout en France, composés de civils et de militaires et constitués pour favoriser sa prise de pouvoir.

Le 24 mai, les putschistes, membres de régiments parachutistes basés dans le secteur d'Alger, lancent une opération aéroportée en Corse, pour accélérer le calendrier législatif et la nomination d'un gouvernement ayant leur faveur. Sans effusion de sang, l'opération Résurrection , dont les avions sont fournis par le commandement de l'armée de l'air en Algérie, débouche sur la création le 26 mai d'un second comité de salut public à Ajaccio par le colonel Jean-Robert Thomazo. Un ultimatum expirant le 29 mai est adressé au gouvernement présidé par Pierre Pflimlin à Paris. En effet, une partie de l’armée en Algérie prépare secrètement — en liaison avec les gaullistes — un débarquement sur Paris.

Pierre Pflimlin en mai 1958.

Le 26 mai, de Gaulle, qui ne détient alors aucun poste gouvernemental, rencontre secrètement le président du Conseil Pierre Pflimlin, mais ils ne parviennent à aucun accord, de Gaulle refusant de désavouer les initiatives prises par ses partisans à son retour présents à Alger et refusant également de condamner la prise d’Ajaccio, lors de opération du 24 mai des parachutistes venant d'Alger. Mais le lendemain, le 27 mai, de Gaulle affirme qu’il a « entamé le processus régulier nécessaire à l’établissement d’un gouvernement républicain capable d’assurer l’unité et l’indépendance du pays » et se déclare « prêt à assumer les pouvoirs de la République ».

Le 28 mai, quelques heures avant l'expiration de l'ultimatum déclaré des putschistes le 24 mai à Alger, le gouvernement Pierre Pflimlin démissionne.Le 29 mai, le président de la République René Coty fait appel « au plus illustre des Français... Celui qui, aux heures les plus sombres de notre histoire, fut notre chef pour la reconquête de la liberté et qui, ayant réalisé autour de lui l'unanimité nationale, refusa la dictature pour établir la République»[5] ». L'Assemblée nationale, en majorité de gauche, vote alors la confiance à Pierre Pflimlin, leader de la droite modérée et Président du Conseil démissionnaire, qui ne contrôle plus l'appareil d'État. Le Président de la République, dans un message au Parlement, menace à ce moment de démissionner sur le champ, ce qui aurait certainement provoqué un coup d'État militaire. Charles de Gaulle accepte de former un gouvernement, et est investi par l'Assemblée nationale le 1er juin, par 329 voix sur 553 votants : il est ainsi le dernier président du Conseil de la IV ème République, qu'il avait tant honni. Il a été élu alors avec une majorité hétéroclite, formée de députés de droite, du centre et de socialistes de la S.F.I.O., Guy Mollet, alors secrétaire général de ce parti s'étant rallié au général de Gaulle, même si des membres de la S.F.I.O., notamment réunis autour de Michel Depreux, ancien ministre de l'Intérieur en 1946 et en 1947, luttent contre ce ralliement et fondent alors le Parti Socialiste Autonome, à la suite des événements d'Alger, et qui sera deux ans plus tard l'une des organisations formant le Parti Socialiste Unifié en avril-mai 1960.

Pierre Mendès-France, parmi les plus virulents opposants au retour au pouvoir, dans de telles conditions, du général de Gaulle, déclara au sujet du vote d'investiture du 1er juin : « C'est parce que le Parlement s'est couché qu'il n'y a pas eu de coup d'État ! » Les députés lui accordent, par la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, la possibilité de gouverner par ordonnances pour une durée de six mois, et l'autorisent à mener à bien la réforme constitutionnelle du pays.

Le gouvernement de Gaulle

De Gaulle, apparu comme l'« homme providentiel » ayant pu résoudre la crise, forme alors un nouveau gouvernement. Dès le 4 juin, il se rend à Alger, où il prononce devant la foule de la place du Forum un discours marqué par une formule ambiguë mais restée célèbre : « Je vous ai compris ».

En octobre, il propose la « paix des braves », cessez-le-feu unilatéral que les indépendantistes du FLN refusent, et commence à amorcer le processus vers l'auto-détermination de l'Algérie, qui sera officiellement affirmée par le général de Gaulle, plus tard, lors de sa conférence de presse de septembre 1959.

La nouvelle constitution est élaborée au cours de l'été 1958. Sous l'autorité de juristes et de professeurs de droit, Michel Debré, ancien major au concours d'auditeur au Conseil d'Etat avant guerre, ancien Commissaire de la République à Angers en 1944/1945, un des pères de l'E.N.A. et du futur statut de la fonction publique, reprend les propositions avancées dans le discours de Bayeux du 16 juin 1946, avec un exécutif fort établissant un régime semi-présidentiel. Le général de Gaulle accepte cependant que le Parlement ait plus de poids qu'il ne le souhaitait. Les corrections de syntaxe et grammaticales de la future Constitution sont confiées au futur président du Sénégal, Léopold Sedhar Senghor, agrégé de grammaire, ancien condisciple de Georges Pompidou à l'Ecole Normale Supérieure.

La nouvelle constitution est adoptée par le référendum du 28 septembre 1958, avec 79,25 % de « oui ». Elle est officiellement proclamée le 4 octobre 1958. L'Union française l'approuve également, sauf la Guinée qui devient ainsi le premier État d'Afrique (française) à obtenir son indépendance. Le 21 décembre, Charles de Gaulle est élu par un large collège électoral, composé d'environ 80 000 personnes (députés, sénateurs, conseillers généraux, maires et représentants de communes) président de la République française et de la Communauté française. Il prend ses fonctions le 8 janvier 1959.

Entre le moment de son entrée en fonction comme président du Conseil et son élection à la présidence de la République, Charles de Gaulle a largement amorcé la politique qui marquera son passage au pouvoir : outre la volonté de doter la France d'une nouvelle Constitution, le général se soucie de la politique européenne de la France (rencontre avec le chancelier allemand Konrad Adenauer le 14 septembre), de l'indépendance du pays face aux États-Unis (mémorandum du 17 septembre adressé au président Eisenhower sur l'autonomie des forces militaires françaises), de l'assainissement des finances publiques (mesures du 27 décembre) et du sort de l'Algérie (il refuse les choix des deux comités de salut public du 13 et du 26 mai et appelle à la « Paix des Braves » en octobre).

Notes et références

  1. B. Droz et E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie, Seuil, 1982.
  2. « Pierre Lagaillarde », sur Sycomore, base de données des députés de l'Assemblée nationale
  3. Voir notamment, Alain Peyrefitte, C'était de Gaulle, tome 1, ch. 3, 13 mai 1958 « Georges Pompidou met fin sèchement aux spéculations […] Le Général a renoncé une fois pour toutes au pouvoir. »
  4. De Gaulle, Mémoires d'espoir : « ...une grave crise nationale. Celle qui éclata, le 13 mai, à Alger ne me surprit donc nullement. Cependant, je ne m’étais mêlé d’aucune façon, ni à l’agitation locale, ni au mouvement militaire, ni aux projets politiques qui la provoquaient, et je n’avais aucune liaison avec aucun élément sur place ni aucun ministre à Paris. »
  5. « Alger se révolte », herodote.net (consulté le )

Bibliographie

Articles connexes

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