Claude Groulart

Claude Groulart (ou Groulard), seigneur de La Court, né à Dieppe vers 1551, mort à Rouen le , est un magistrat et érudit français, premier président du Parlement de Normandie du (installation dans ses fonctions) à sa mort.

Biographie

Il appartenait à une riche famille de Dieppe (son père étant son homonyme, et sa mère s'appelant Hélène Bouchard). Vers 1570, il partit faire des études de droit à Valence, où enseignaient alors Jacques Cujas, François Roaldès, Ennemond Bonnefoy, et où il rencontra également Joseph Juste Scaliger et Jacques-Auguste de Thou. Au moment de la Saint-Barthélemy (fin ), il partit avec Scaliger et Bonnefoy pour Genève, ce qui peut laisser penser qu'il était alors protestant comme eux, sans qu'on ait aucune information là-dessus (ni sur une conversion postérieure). À Genève, il étudia pendant quinze mois les langues grecque et latine sous la direction de Scaliger. Dans l'anthologie de huit orateurs grecs qu'Henri Estienne publia à Genève en 1575, les traductions latines des discours de Lysias sont de Claude Groulart[1].

De retour en France, il obtint une charge de conseiller au grand conseil le . Protégé du duc de Joyeuse, il fut nommé premier président du Parlement de Normandie au début de 1585 et prit ses fonctions le .

Animé d'un zèle sévère pour l'administration de la justice, il annonça dans son discours de réception le rétablissement de l'usage des mercuriales, « ja si longuement délaissées »[2]. Une tâche importante à laquelle il dut s'atteler dès sa prise de fonctions fut la rédaction officielle de la coutume de Normandie : celle-ci, décidée par des lettres patentes du roi Henri III du , avait en fait été achevée par la commission nommée le  ; mais l'enregistrement au Parlement eut lieu le , et une commission présidée par le premier président procéda entre 1585 et 1587 à la rédaction des usages locaux[3].

Mais sa présidence fut surtout marquée par les troubles civils : après l'assassinat du duc de Guise (), la ville de Rouen, favorable à la Ligue, se souleva (journée des barricades, ) ; Henri III, depuis Blois, ordonna au Parlement de Normandie de se retirer à Caen, ce que le premier président Groulart fit exécuter, suivi des membres de la compagnie fidèles au gouvernement. Le Parlement tint sa première séance à Caen le lundi [4].

Ce fut Groulart qui, en 1591, conseilla à Henri IV d'assiéger Rouen, et lui et ses amis avancèrent au roi cinquante mille écus ; mais le souverain, influencé dit-on par Gabrielle d'Estrées, qui défendait les intérêts de sa famille, s'attarda aux sièges de Chartres et de Noyon, et ce n'est qu'en qu'il consentit à s'occuper de Rouen, dont les ligueurs avaient minutieusement préparé la défense ; l'entreprise fut manquée. Groulart était auprès du roi dans son camp de Darnétal ; quand le souverain fut légèrement blessé au combat d'Aumale le , il alla se reposer quelques jours chez le premier président, au château de Saint-Aubin-le-Cauf.

Groulart fut mandé à Saint-Denis, le , avec les principaux dignitaires des cours souveraines, pour assister à la conversion solennelle d'Henri IV au catholicisme. La ville de Rouen se soumit au roi le , et aussitôt des lettres patentes ordonnèrent au Parlement de s'y retransporter, ce qui fut fait le suivant. En cette séance, il fut décidé que les conseillers restés à Rouen pendant la Ligue ne seraient réintégrés qu'après enquête et après avoir prêté un nouveau serment de fidélité.

Groulart se trouvait à l'« assemblée des notables » qui se tint à Rouen, dans l'abbaye Saint-Ouen, à partir du et pendant plus de deux mois (le roi et la cour furent à Rouen du au ) : il a laissé un journal de cet événement. En 1597, le Parlement de Normandie s'opposa aux menées des « partisans » (fermiers de l'impôt) dans la province, et fit défense d'exécuter les arrêts du conseil qui paraissaient sollicités par la Cour des aides. Groulart fut convoqué par le chancelier Hurault de Cheverny et dut se présenter devant le roi « séant en son conseil d'État » ; il parvint alors, par son éloquence, à justifier la conduite de sa compagnie.

Claude Groulart est resté célèbre dans l'histoire de la ville de Rouen pour deux de ses initiatives. D'une part, le lettré qu'il était restaura en 1595 la fameuse académie des Palinods, dont la tradition s'était perdue pendant les guerres de religion ; il fut élu « prince » l'année suivante, et il fonda le premier prix des stances, qui consistait en une tour d'argent, empruntée à ses armoiries ; son fils aîné fut ensuite élu prince en 1611 et fonda le deuxième prix des stances (prix du soleil d'argent). D'autre part, il fonda en 1602 le Bureau des pauvres valides, ou Hospice général, dont quelques maisons bâties cette année-là par son ordre furent le berceau[5].

Il fut marié en premières noces à Élisabeth Bouchard († à Dieppe le ) ; en secondes noces (le suivant) à Barbe Guiffard († ), veuve de Robert Le Roux, seigneur de Tilly. Du premier lit, il eut un fils Claude († ), qui fut conseiller au Parlement de Normandie ; du second, il eut un fils (Henri, qui fut ministre plénipotentiaire aux traités de Westphalie en 1648, † ) et quatre filles (dont Barbe, mère de l'érudit et bibliophile Émery Bigot).

À sa mort, il fut inhumé avec sa seconde épouse dans le chœur de l'église du couvent des Célestins de Rouen, dans un mausolée de marbre blanc sur lequel Barbe Guiffard était représentée couchée, les mains jointes, la tête sur un coussin, et lui à genoux et priant. L'ordre des Célestins fut dissous en France en 1778, et le couvent de Rouen liquidé en 1783 par le cardinal-archevêque de La Rochefoucauld ; par une ordonnance du , celui-ci autorisa la translation des restes de Claude Groulart et des siens à Saint-Aubin-le-Cauf, près de Dieppe, où le premier président avait eu sa maison de campagne. Il avait acheté ce château le (et y avait reçu Henri IV en ) ; il y passait ses vacances, y annotant les auteurs grecs, qui étaient restés sa passion ; le , cette propriété fut érigée pour lui en châtellenie. C'est là, dans les anciennes écuries du château, que l'historien Amable Floquet a redécouvert les deux statues en 1841. Elles se trouvent dans la chapelle Saint-Étienne de la cathédrale de Rouen depuis 1865.

Claude Goulart a laissé de précieux Mémoires, des discours qui ont été conservés dans les registres du Parlement de Normandie, et des lettres (entre autres à Joseph Juste Scaliger, à qui il resta lié). Le manuscrit autographe des Mémoires, qui contient 147 feuillets écrits, se trouve à la bibliothèque municipale de Rouen ; ce sont les récits de dix-neuf missions qu'il a effectuées dans ses fonctions entre 1588 et 1604 (à quoi on ajoute un autre récit d'un voyage à la cour en 1606 trouvé dans les archives du Palais de justice de Rouen) ; le texte a été édité en 1826 et 1838.

Éditions

  • Claude-Bernard Petitot et Louis Jean Nicolas Monmerqué (éds.), « Mémoires de messire Claude Groulard, premier président du Parlement de Normandie, ou Voyages par lui faits en cour », Collection complète des mémoires relatifs à l'histoire de France, vol. 49, Paris, 1826, p. 277-440.
  • Joseph-François Michaud et Jean Joseph François Poujoulat (éds.), « Mémoires de Claude Groulart », Nouvelle collection de mémoires pour servir à l'histoire de France depuis le XIIIe siècle jusqu'à nos jours, 1re série, vol. 11, Paris, 1838, p. 551-98.

Notes et références

  1. Τῶν παλαιῶν ῥητόρων λόγοι... Oratorum veterum orationes... In harum editione quid ab Henr. Stephano præstitum sit, ex ejus præfatione lector intelliget. Cum interpretatione Lat. quarumdam, [Genève], Henri II Estienne, 1575. Les orateurs attiques moins Isocrate et Démosthène. En dehors de Groulart, les traductions latines sont de Jérôme Wolf, Denis Lambin et Henri Estienne lui-même.
  2. Instituées dans tous les parlements par une ordonnance de Charles VIII de , puis par un édit de Louis XII de , les mercuriales (ainsi nommées parce qu'elles avaient lieu le mercredi) étaient des séances internes à ces cours où la conduite des magistrats était examinée : les présidents assemblés appelaient un certain nombre de conseillers, et tous ensemble examinaient ce qui avait pu, de la part de quelques membres, porter atteinte à la dignité de la compagnie ou contrarier l'exécution des règlements. D'après une ordonnance de François Ier de , il devait s'en tenir une au moins une fois par mois, pour rappeler les magistrats à leurs devoirs (entre autres, le secret des procédures). En fait, Claude Groulart lui-même, qui voulait les rétablir après une longue désuétude, ne put en tenir que quelques-unes (en , puis en , où on décida de reprendre là où on en était resté en , et ensuite en 1606). Voir Édouard Hippolyte Gosselin, Des usages et mœurs de MM. du Parlement de Normandie au Palais de Justice de Rouen, Rouen, 1868.
  3. Voir Jean Yver, « La rédaction officielle de la coutume de Normandie (Rouen, 1583) : Son esprit », Annales de Normandie, vol. 36, no 1, , p. 3-36 (lire en ligne, consulté le ).
  4. Un parlement ligueur s'était constitué à Rouen, mais aucun président ne s'y associa : le simple conseiller Le Chandelier fit office de président de la compagnie.
  5. Voir François Hüe, Histoire de l'Hospice général de Rouen (1602-1840), Rouen, A. Lestringant, 1903.

Bibliographie

  • Amable Floquet, « Notice sur les tombeaux de Claude Groulart, premier président du Parlement de Normandie de 1585 à 1607, de Barbe Guiffard, sa seconde femme, et autres personnes de la famille Groulart, découverts à Saint-Aubin-le-Cauf » (communication à l'Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen, ), Revue de Rouen et de Normandie, vol. 9, 1841, p. 292-302.
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