Célestin V

Saint Célestin V (Pietro Angeleri, également connu sous le nom de Pietro de Morrone), né en 1209 ou au début de 1210 dans le Molise en Italie et mort le à Fumone, était un moine-ermite italien appartenant à l'ordre des bénédictins. Il en fonda une nouvelle branche, qui prit par la suite le nom de célestins. Élu pape le à l'âge de 85 ans, il devient le 192e pape de l'Église catholique sous le nom de Célestin V, avant de renoncer à sa charge le de la même année. Il fut canonisé le .

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Célestin V
Saint catholique

Détail du panneau central d'un triptyque représentant saint Pierre Célestin (pape Célestin V) et des moines. Niccolo di Tommaso. Vers 1371. Castel Nuovo. Naples.
Biographie
Nom de naissance Pietro Angeleri
Naissance v.1209
Environs de Sant'Angelo Limosano (Royaume de Sicile)
Ordre religieux Célestin
Décès
Fumone (États pontificaux)
Saint de l’Église catholique
Canonisation par Clément V
Pape de l’Église catholique
Élection au pontificat
Intronisation
Fin du pontificat
par renonciation
(5 mois et 8 jours)

.html (en) Notice sur www.catholic-hierarchy.org

Biographie

Moine bénédictin

Né d'Angelerius et Maria, paysans, Pietro est l'avant-dernier d'une famille de douze enfants[1]. Il est sans doute élevé à Sant'Angelo Limosano dans l'actuel Molise, dans le sud de l'Italie[1] — la région appartient alors au royaume de Sicile. À l'âge de vingt ans, Pietro prend l'habit bénédictin au couvent voisin de Santa Maria in Fayfolis[2]. Il se fait ermite vers 1231, pour suivre la règle primitive de saint Benoît, et vit dans une grotte du massif de la Majella[2]. Il est ordonné prêtre à Rome quelques années plus tard, puis s'installe dans les années 1235-1240 sur le mont Morrone, dans les Apennins. Il y fonde une congrégation d'ermites et une église consacrée d'abord à la Vierge Marie, puis au Saint Esprit[2].

Bien que la congrégation se rattache à la règle bénédictine, elle est profondément influencée par les franciscains[2], et en particulier le mouvement des Spirituels, disciples de Joachim de Flore, comme le montrent les nombreuses dédicaces de monastères au Saint-Esprit[3]. La réputation de sainteté de Pietro attire de nombreux pèlerins qui le contraignent à fuir l'endroit pour gagner un lieu plus isolé dans la Majella[2]. En 1264, l'évêque de Chieti incorpore la congrégation de Pietro dans l'ordre des bénédictins. En 1273, il se rend à pied à Lyon pour la faire confirmer par le pape Grégoire X, alors occupé aux travaux préparatoires du second concile de Lyon[4].

Pietro devient abbé de Santa Maria in Fayfolis et, à plusieurs reprises, de Santo Spirito di Maiella : l'abbé général est élu pour trois ans et non à vie, comme c'est le cas chez les cisterciens[2]. Il sera également abbé de San Giovanni in Plano[2]. Il noue des relations avec Charles Ier de Sicile et voyage en Toscane et à Rome[2]. En 1293, il revient dans la région de sa naissance et se retire dans la grotte à Sant'Onofrio, qui surplombe l'abbaye de Santo Spirito[2].

Élection au trône pontifical

À cette époque, le trône pontifical est vacant depuis le , date de la mort de Nicolas IV : divisé entre factions, le Sacré Collège ne parvient pas à s'entendre sur le choix d'un successeur. Sur le chemin entre la Sicile et la Provence, Charles II d'Anjou fait halte à Rome et pousse les cardinaux à se déterminer, en vain[3]. Il s'arrête de nouveau à Sant'Onofrio pour saluer l'ermite qu'avait déjà connu son père et lui demande de rédiger une lettre pour admonester les cardinaux[3].

Le cardinal Latino Malabranca Orsini connaît déjà le nom de Pietro, mais le courrier lui donne l'idée de le proposer comme nouveau pape[3]. Le , Pietro de Morrone est élu pape à l'unanimité[3]. L'octogénaire apprend la nouvelle par une délégation venue le rencontrer à Sant'Onofrio et accepte la charge[3]. Il est couronné le à Santa Maria di Collemaggio à L'Aquila, qui appartient au royaume de Charles II.

S'il a une expérience d'administrateur à la tête de plusieurs abbayes, le nouveau pape n'a reçu qu'une formation théologique sommaire et ne connaît ni le droit canonique, ni le fonctionnement de la Curie romaine[3]. Son latin est très médiocre, ce qui explique qu'il n'ait laissé aucun document écrit[5]. Il est rapidement dépassé par sa charge[6]. Dès son élection, il tombe sous la coupe de Charles II, qui l'empêche de gagner Rome et le contraint à s'installer au Castel Nuovo de Naples, c'est-à-dire dans la capitale de son royaume[3].

En ce qui concerne l'administration de l'Église, il rétablit la constitution Ubi periculum de Grégoire X qui prescrit l'enfermement du conclave[3]. Il accorde de nombreux privilèges à sa congrégation et attire à lui les chefs spirituels franciscains Ange Clareno et Pietro Liberato, qui sont appelés « pauvres ermites et frères du pape Célestin »[3]. Il installe un membre de sa congrégation à l'abbaye Saint-Vincent du Volturne puis à l'abbaye du Mont-Cassin, malgré l'opposition des moines[7].

Le , il crée treize nouveaux cardinaux, soit plus que les trois précédents papes réunis[6]. Six de ces nouveaux cardinaux sont moines, mais aucun n'est franciscain ni dominicain, ce qui remet en cause la représentation traditionnelle. Au niveau international, il confirme le traité de La Junquera qui met fin à la guerre sicilienne et envoie des ambassadeurs à Philippe IV de France et Édouard Ier d'Angleterre qui se livrent bataille[7].

Renonciation

Devant la montée des critiques sur son administration, Célestin V consulte des canonistes qui lui montrent qu'une démission pontificale est tout à fait licite[7]. Le 9 ou le , le pape octogénaire annonce à son entourage sa décision ; il invoque l'humilité, son insuffisance physique et intellectuelle face aux exigences de sa charge, et son souhait de se retirer dans son ermitage[7]. Il promulgue une constitution apostolique sur la renonciation pontificale dont le texte a disparu, mais qui est connu par un acte dans le même sens pris par son successeur[7].

Le , Célestin V renonce au trône de Pierre devant le collège des cardinaux à Castel Nuovo. Le texte de son discours semble avoir été rédigé par le cardinal Benedetto Caetani, l'un des canonistes qu'il avait consultés[6]. Le , le cardinal Caetani est élu pape sous le nom de Boniface VIII et fait placer l'ancien pontife sous surveillance au motif qu'il pourrait être enlevé par ceux qui contestent la licéité de la renonciation[6]. Célestin V s'enfuit à Sant'Onofrio, puis à San Giovanni in Piano, avant de tenter de partir pour la Grèce. Il est arrêté en chemin et transféré à Anagni, puis au château de Fumone dans le sud du Latium sur l'ordre de Boniface VIII. L'ancien pape y meurt de mort naturelle le , à l'âge de 86 ans[7].

Postérité

Conséquences de la renonciation

Dès la renonciation de Célestin V, des rumeurs circulent, non dans l'Église mais surtout dans le milieu politique sur la licéité de cet acte et donc sur la légitimité du pape Boniface VIII. Elles sont essentiellement le fait de quelques Spirituels, du parti de la puissante famille des Colonna, à Rome, et des partisans du roi de France, Philippe le Bel. Dès 1295-1296, le dominicain Robert d'Uzès identifie Célestin V au « pape angélique » ou « pasteur angélique » que prévoient certaines visions eschatologiques. Célestin figure également dans les Vaticinia de Summis Pontificibus, un recueil de prophéties, puis dans la prophétie du pseudo-Malachie[8].

Parallèlement, une controverse académique oppose plusieurs universitaires français sur la question juridique de la démission pontificale. Le premier écrit attesté sur le sujet est une lettre du franciscain Pierre de Jean Olivi écrite le en réponse au Spirituel Conrad d'Offida, et défendant la possibilité de la renonciation[9]. L'année suivante, Pierre d'Auvergne et Godefroid de Fontaines parviennent à la même conclusion. Dans la consultation qu'ils lancent à l'Université de Paris, seuls quelques bacheliers concluent le contraire[10]. En mai et , les Colonna publient trois manifestes en douze points destinés à prouver que l'élection de Boniface VIII est illégitime[10]. Le cardinal Nicolas de Nonancour, chancelier de l'Université de Paris, répond en citant la constitution promulguée par Célestin V lui-même[10]. Gilles de Rome écrit également un De renonciatione papae contre les arguments des Colonna[10]. Les adversaires de Boniface VIII changent alors leur fusil d'épaule.

Canonisation

Statue de l'ermitage de Sant'Onofrio.

En 1305-1306, Philippe le Bel demande au pape Clément V l'ouverture d'une enquête sur la vie et les miracles de Célestin. Clément V, qui a refusé au roi l'ouverture d'un procès contre Boniface VIII, finit par accepter. L'enquête débute en 1306, mais n'aboutit qu'en 1313. Le , Célestin V est déclaré saint, mais non reconnu comme martyr, comme le demandait Philippe le Bel. En 1517, la dépouille mortelle de Célestin V est transférée dans l'église abbatiale du monastère qu'il avait fait construire à L'Aquila et où il avait été intronisé pape en .

Dévotion et reliques

Tous les ans le « Grand pardon » (la Perdonanza celestiana) y est célébré à la fin du mois d'août en souvenir du premier jubilé et pardon accordé à l'occasion de son intronisation. La fête est encore très populaire et la dévotion à Célestin V très vivace. Son culte ne s'est toutefois pas imposé partout : fixée au dans le calendrier de l'Église universelle en 1669, elle en est retirée lors de la réforme de 1969[8].

Les papes récents, aussi bien Paul VI que Jean-Paul II et Benoît XVI ont visité la basilique du Collemaggio, se recueillant au pied du mausolée de saint Célestin V. Le , lors de sa visite à la basilique fortement endommagée par le récent tremblement de terre, le pape Benoît XVI dépose sur le mausolée le pallium qu'il portait le jour de son intronisation[11]. Quatre ans plus tard, le , Benoît XVI annonce, à la stupéfaction mondiale, qu'il renoncera au trône pontifical, le suivant, à 20 heures, devenant ainsi, après Célestin V et Grégoire XII (ce dernier l'ayant uniquement fait par abnégation afin de mettre un terme au Grand Schisme), le troisième pape à abandonner volontairement le ministère papal.

Postérité dans la littérature

Opuscula omnia, 1640

Au 60e vers du troisième chant de l'Enfer de sa Comédie, Dante place parmi les âmes damnées « l'ombre de celui qui, par lâcheté, a fait le grand refus (che fece per viltade il gran rifiuto) » : c'est le pape dont le peuple chrétien attendait beaucoup, et qui, par son « grand refus » du pouvoir, a compromis l'urgente réforme de l'Église que l'on attendait de lui et surtout a permis l'élection de Boniface VIII que hait le poète[6]. Bien que son nom ne soit pas mentionné, beaucoup de commentateurs estiment que Dante vise Célestin V — peut-être même a-t-il lui-même enlevé le nom du pape après sa béatification[12]. Dante est à son tour critiqué pour ce choix par Pétrarque, dont le De vita solitaria fait de Célestin V un modèle et de sa renonciation un acte courageux[12].

En 1957, Reinhold Schneider reprit le thème dans une pièce de théâtre, Der große Verzicht (Le grand refus). A travers la renonciation de Célestin V, saint homme incapable de réformer une institution corrompue, s'exprime aussi le pessimisme de l'auteur quant au possible salut de l'Europe après le drame de la guerre : même le témoignage des saints ne suffira peut-être pas.

En 1968, Ignazio Silone reprit à son tour le thème dans sa pièce de théâtre, l'Aventure d'un pauvre chrétien, mettant en scène l'opposition et la confrontation entre Célestin V qui, après son abdication, désire reprendre sa vie de « pauvre moine chrétien », et Boniface VIII, son successeur, qui craint son influence et le parti de ceux qui estiment illégale l'abdication du vieux pape.

Saint Patron

Sous le nom de saint Pierre Célestin, Célestin V est patron des relieurs.

Notes et références

  1. Eastman 1990, p. 195.
  2. Herde 1994, p. 319.
  3. Herde 1994, p. 320.
  4. Eastman 1990, p. 197.
  5. Eastman 1990, p. 200.
  6. Favier 2006.
  7. Herde 1994, p. 321.
  8. Herde 1994, p. 322.
  9. Leclercq 1939, p. 185.
  10. Leclercq 1939, p. 189.
  11. « Père Stéphane Lemessin: «Celestin V, le pape qui a inspiré Benoît XVI  », La Croix, (ISSN 0242-6056, lire en ligne, consulté le )
  12. A. Mandelbaum, A. Oldcorn, C. Ross (éd.), Lectura Dantis: Inferno: A Canto-by-Canto Commentary, University of California Press, 1999, p. . 44.

Annexes

Bibliographie

  • (en) John R. Eastman, « Giles of Rome and Celestine V: The Franciscan Revolution and the Theology of Abdication », The Catholic Historical Review, vol. 76, no 2, , p. 195-211 (ISSN 0008-8080).
  • (it) Arsenio Frugoni, Celestiniana, Rome, Istituto storico Italiano per il Medio Evo, 1954.
  • Giovanni Papini, Lettres aux hommes du pape Célestin VI. Traduit de l'italien par Juliette Bertrand. Préface de Marcel Brion. Paris, Éditions du Pavois (Bibliothèque Internationale), 1948.
  • Peter Herde, « Célestin V », dans Philippe Levillain (éd.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, Fayard, (1re éd. 1994), p. 319-322
  • Jean Leclercq, « La renonciation de Célestin V et l'opinion théologique en France du vivant de Boniface VIII », Revue d'histoire de l'Église de France, vol. 25, no 107, , p. 183-192 (ISSN 0048-7988, DOI 10.3406/rhef.1939.2884, lire en ligne).
  • Peter Herde, Cölestin V (1294) (Peter von Morrone), der Angel papst, Päpste und Papsttum, vol. 16, Stuttgart, Anton Hiersemann Verlag, 1981.

Articles connexes

Liens externes

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