Bataille de Bruyères

La bataille de Bruyères (opération Dogface) eut lieu du 14 octobre au aux environs de Saint-Dié-des-Vosges pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle inclut la libération de Bruyères et le sauvetage du Bataillon perdu (en)[1].

Bataille de Bruyères
Monument américain de Bruyères en souvenir de cette bataille meurtrière.
Informations générales
Date
Lieu Bruyères Biffontaine, Canton de Bruyères Vosges, France
Issue Victoire des Alliés
Belligérants
États-Unis Reich allemand
Commandants
6th US AG: Jacob Devers
7th A: Alexander M. Patch
36th ID: John E Dahlquist
442nd: Charles Pence
HGr. G Hermann Balck
19. A Friedrich Wiese
LXIV AK Otto Lasch
LXXXIX AK Werner Freiherr von und zu Gilsa
716. ID Wilhem Richter
16. VGD Ernst Häckel
198. ID Otto Schiel
Forces en présence
6th US Army Group
  • 7th Army
    • VI Army Corps
      • 36th Infantry Division
      • 442nd Infantry Regiment
Heeresgruppe G
  • 19. Armee
    • LXIV Armee-Korps
    • LXXXIX Armee-Korps
      • 716. Infanterie-Division
      • 16. Volks-Grenadier-Division
      • 198. Infanterie-Division

Seconde Guerre mondiale

Batailles

Front d'Europe de l'Ouest


Front d’Europe de l’Est


Campagnes d'Afrique, du Moyen-Orient et de Méditerranée


Bataille de l’Atlantique


Guerre du Pacifique


Guerre sino-japonaise


Théâtre américain

Coordonnées 48° 12′ 30″ nord, 6° 43′ 16″ est
Géolocalisation sur la carte : Vosges
Géolocalisation sur la carte : France

Situation des Américains en septembre 1944

Formation et parcours du 100e / 442e RCT

Le , la décision fut prise par le département de la guerre de former le 442e RCT[2] composé du 442e régiment d'infanterie, du 522e bataillon d'artillerie de campagne, de la 232e compagnie du génie, d'une compagnie antichar et diverses unités de soutien. Sa caractéristique est d'être principalement formé d'AJA (Americans of Japanese Ancestry), donc des Nippo-Américains pour la plupart Nisei[3],[4] issus principalement de Californie et de Hawaï[5].

De septembre 1943 à janvier 1944, le régiment participa avec le 100e bataillon à la campagne de Naples-Foggia. Ce groupe de combat fut décimé lors de la bataille du Monte Cassino en Italie l'hiver précédent. En juin 1944, une fois parvenu à Civitavecchia, le régiment est rattaché à la 34e division, à l'exception du 1er bataillon, et le 100e bataillon est rattaché au 442e RCT. Le 100e bataillon n'a été réellement affecté au 442e RCT qu'à partir d'août 1944 et, eu égard au nombre impressionnant de ses distinctions, il obtint l'autorisation de conserver son appellation numérique distinctive. Le 1er bataillon est resté au Camp Shelby pour encadrer la formation des nouvelles recrues nippo-américaines.

Les premiers faits d'armes de la fusion du 100e bataillon et du 442e RCT furent à la bataille du Belvédère pour laquelle il recevra sa première "Presidential Unit Citation". En septembre 1944, on les retrouve à Rome et sur les rives de l'Arno. De septembre 1944 à mars 1945, le régiment est affecté à la Campagne du Rhin (Rhineland Campaign).

En septembre 1944, après la jonction entre les troupes venues de Normandie et les troupes venues de Provence, la 7e armée US de Patch et la 1re armée française de De Lattre, font leur jonction sur les rives de la Moselle le et atteignent Bruyères dans les Vosges le , sous la pluie.

Troupes engagées dans les combats de Bruyères - Biffontaine

Les troupes américaines sont composées d'éléments issus :

  • du 100e / 442e régiment (quasiment la totalité)
  • de la 36e division d'infanterie dite Texas Division
  • de la 45e division d'infanterie

Le 110e/ 442e RCT (442e Regimental Combat Team était composé des :

  • 100e bataillon 100th Infantry Battalion (United States)#Anzio.2C Rome.2C and the 442 (en)
    • Compagnies A, B, C
    • Compagnie D : compagnie d'armes lourdes (Weapons company)
  • 442e régiment d'infanterie
    • 2e bataillon
      • Compagnies E, F, G
      • Compagnie H : compagnie d'armes lourdes(Weapons company)
    • 3e bataillon
      • Compagnies I, K, L

La 36e Division d'infanterie ("Texas Division") 36e division d'infanterie (États-Unis) fut représentée par :

  • le 141e régiment d'infanterie 141st Infantry Regiment (United States) (en)
    • 2e bataillon
    • 3e bataillon
  • le 143e régiment d'infanterie Texas Army National Guard (en)
    • 1er bataillon

La 45e Division 45th Infantry Brigade Combat Team (en) fut représentée par :

  • le 179e Régiment d'infanterie 179th Infantry Regiment (United States) (en)

Situation des Allemands en octobre 1944

Structure de commandement pour le secteur Bruyères

La ville de Bruyères se trouvait au début d'octobre 1944 juste à la limite entre les zones d'opération de la 5e Panzer-Armee au nord et de la 19e Armée au sud. Les 198e et 716e Division d’Infanterie du LXIVe Corps d’armée dépendaient de la 19e Armée du général Wiese, tandis que la 16e Volksgrenadier-Division et la 21e Division blindée (Panzer-Division) du XXXXVIIe Corps de blindés étaient sous le commandement de la 5e Panzer-Armee du général von Manteuffel [6]. Du 14 au 15 octobre 1944, l'état-major de la 5e Panzerarmee fut retiré du front avec le XXXXVIIe Corps de blindés (Panzerkorps) pour se reformer en vue de l’offensive des Ardennes plus au nord. Le commandement allemand en profita pour confier la 16e VGD et la 21e PzD au LXXXIXe Armee-Korps précédemment déployé aux Pays-Bas. Quant au LXXXIXe CA, il fut attaché à la 19e Armée. Les combats autour de Bruyères eurent donc lieu sous le commandement unifié de la 19e Armée, mais avec deux corps d'armée, le LXIV et le LXXXIX, responsables des unités respectivement au sud et au nord de Bruyères[7]. C'est seulement au passage du 30 octobre au 1er novembre que toute la section du front allant de Blâmont à Saint-Dié fut confiée au LXIVe Corps d’armée. L'ancien flanc sud de ce dernier (198. ID) passa sous contrôle du IV. Luftwaffen-Feldkorps [8].

Unités de l’Armée allemande engagées à Bruyères (octobre 1944)

Troupes allemandes engagées dans le Nord-Est.

La composition des unités allemandes qui combattirent autour et dans la ville de Bruyères est encore plus compliquée que la structure de commandement. À la suite de l'effondrement des armées allemandes en Normandie et la retraite à travers toute la France, la majorité des unités allemandes en septembre-octobre 1944 sur le front Ouest était dans un terrible état. Pour pallier le manque d'hommes, l'armée allemande envoya des unités d’entraînement, de police, de personnels non essentiels, de troupes de forteresse etc. afin de remplir aussi bien que possible les unités allemandes qui se repliaient vers la frontière allemande. De nombreuses unités, décimées au cours de la retraite fusionnèrent également, parfois spontanément, avec d'autres unités pour garder une capacité de combat. Le résultat est que de nombreuses unités devinrent des assemblages de diverses unités et formations, disposant de matériel et d'un entraînement disparates. La 716e Infanterie-Division, par exemple, qui fut au centre des combats autour de Bruyères, fut virtuellement anéantie dès les premiers jours du Débarquement de Normandie. La division fut partiellement reconstituée près de Perpignan, mais elle fut à nouveau grandement décimée lors de la retraite des armées allemandes du Sud de la France en direction de la frontière allemande[9]. Trois divisions combattirent autour de Bruyères. Du nord au sud : la 19e Volksgrenadier-Division, la 716e Infanterie-Division, et la 198e Infanterie-Division[10]. La 198e ID avait subi le même sort que la 716e ID dans le Sud de la France : elle était un assemblage d'unités de sécurité, de troupes d'alarme etc.[11]. La 19e VGD, formée début octobre à partir de restes de régiments d'infanteries décimés et de troupes d’entraînements et de sécurité, n'avait pas eu beaucoup de temps pour la formation et pour créer une cohésion au sein de l'unité lorsqu'elle fut envoyée dans les Vosges[12]. Aucune des trois divisions ci-dessus n'étaient à plein effectif. Les grandes formations en place autour de Bruyères ne disposaient ainsi que d'une capacité de combat limitée. À côté de ces trois unités principales, on retrouve toute une série de troupes dépendant des corps d'armées. Parmi celles qui se retrouvèrent dans les combats autour de Bruyères, on peut citer le Panzergrenadier-Regiment 192, la Schnelle Abteilung 602, le Grenadier-Regiment 737 (qui était ce qui restait de la 338e ID), le 360e Kossaken-Grenadier-Regiment, et diverses unités de police et de forteresse[13]. Le SS-Polizei-Regiment 19, par exemple, à moitié composé de policiers SS et à moitié de soldats dont les unités avaient été anéanties, avait été attaché à la 16e VGD[14]. La 106e Panzer Brigade était rattachée à la 198e ID et combattit autour de Cornimont jusqu'au 25 octobre[15]. Elle fut ensuite envoyée entre la 16e VGD et la 21e PzD pour combler le trou qui s'était formé entre ces deux unités à la suite des poussées offensives de la 3e division d'infanterie américaine en direction de Baccarat[16]. Finalement, les Heeresgebirgsjäger-Bataillon 201 et 202 furent également attachés à partir du 20-25 octobre à la 16e VGD[17]. Ces deux bataillons de 1000 hommes chacun avaient été formés début octobre à partir de vétérans et de remplacements des troupes de montagne autrichiennes et bavaroises pour être envoyés dans les Vosges[18]. Malgré la qualité du personnel, l'absence de temps pour s’entraîner et solidifier l'unité diminua sévèrement leur efficacité au combat. Toutes les unités décrites ci-dessus opérèrent tout autour de Bruyères. Les unités qui combattirent en revanche dans Bruyères même et dans les forêts et monts autour de la ville furent principalement[13] :

  • le Grenadier-Regiment 736 de la 716e ID;
  • le Grenadier-Regiment 221 de la 16. VGD ;
  • le SS-Polizei-Regiment 19 attaché à la 16. VGD[19] ;
  • le Panzergrenadier-Regiment 192 ;
  • le Grenadier-Regiment 757 ;
  • le Füsilier-Bataillon 198 de la 198e ;
  • le Heeresgebirgsjäger-Bataillon 201 ;
  • le Heeresgebirgsjäger-Bataillon 202 ;

Le tout était appuyé par l'artillerie et les unités de soutien en position dans la région.

Contexte général

Perspective allemande

Quand l’armée américaine interroge le général Wiese[20] en mars 1948 pour reconstituer les opérations de la 19e Armée de septembre à décembre 1944 pour l’ensemble du secteur vosgien-alsacien qui lui incombe, celui-ci explique que le commandement allemand s’attendait à une autre tactique de la part des Alliés : il pensait que les Américains attaqueraient de manière générale et continue sur un large front. S’ils l’avaient fait, les unités allemandes auraient été très vite battues. Néanmoins, la première stratégie offensive choisie par les Américains fut de progresser le long des routes montagnardes avec un fort soutien des blindés et de l’artillerie. Du coup, le général explique que « tant que ses ennemis ont suivi cette tactique, il a été possible de créer des main points de défense et il a été comparativement facile de repousser les percées de l’ennemi » malgré les pertes de terrain sévères[21]. Dès que les Américains ont remarqué que cette tactique n’était pas efficace et qu’ils ont adopté une attaque diagonale à travers le massif vosgien, « le manque de forces armées des Allemands se fit ressentir immédiatement et de manière alarmante ». L’armée allemande perdait de plus en plus de terrain.

Rochers de Pointhaie.

Dans l’Histoire du Groupe d‘armée G, on note pour le 18 octobre 1944[22] que dans le secteur d’opération du 89e corps d’armée à l’est de Frémifontaine, les Allemands ont stoppé la percée américaine de la veille et ont verrouillé l’endroit par où les Alliés voulaient faire leur percée, à savoir la route Grandvillers-Bruyères.

Route de Grandvillers.

On en déduit que les Allemands se sont solidement postés sur les deux montagnes enserrant cette route, Buémont et Pointhaie. En conséquence, les Américains contournèrent cette voie et arrivèrent du nord-ouest (Forêt de Faîte-Haut de l’Helledraye) avec plusieurs bataillons soutenus par les blindés d’où ils atteignirent la partie septentrionale de l’agglomération de Bruyères. D’autres unités alliées sont arrivées de Champ-le-Duc et ont repoussé la défense allemande vers l’est. Une autre compagnie a parallèlement voulu progresser dans le massif au nord de Jussarupt, mais elle a été reboutée par les troupes allemandes. Dans un premier temps, les Allemands croient pouvoir reprendre Bruyères en demandant du renfort au 64e corps d’armée qui fait intervenir le régiment de Cosaques, 2e bataillon, d’environ 1 350 hommes, dans le secteur de la 198e division d’infanterie autour de Champdray-Réhaupal. Mais le haut commandement de l’armée allemand décide le 18 octobre 1944 qu’eu égard aux faibles forces qu’il peut engager il est impensable de reconquérir Bruyères. Le projet est abandonné.

Stratégie initiale

Progression plein Est des troupes américaines - B = Bruyères.

Le sauvetage d'un bataillon perdu n'est pas par nature une opération planifiée, mais un événement imprévu survenu dans le cadre d'une opération plus vaste. Dans le cas présent, il s'agit globalement et initialement d'une offensive américaine sur une ligne de front orientée plein Est de la frontière mosellane à la frontière franco-suisse. La 7e armée US de Patch devait traverser la France pour rejoindre d'autres unités en Lorraine et le 6e Corps devait opérer une poussée sur Saint-Dié.

Une fois que la 7e armée US a débarqué sur les côtes méditerranéennes le 15 août 1944, l'Opération Dragoon fut lancée. Le lieutenant général Lucian Truscott dut faire progresser son 6e CA à travers toute la France en direction du nord-est afin de s'emparer de la Trouée de Belfort proche de la frontière franco-germano-suisse. Pendant ce temps, la 7e Armée atteignit la rivière de la Moselle le 19 septembre 1944 mais comme pour d'autres armées et divisions américaines, elle fut ralentie dans sa progression par de sérieuses pénuries dans le ravitaillement d'une part, par une résistance acharnée des Allemands qui voyaient les Américains se rapprocher de plus en plus de la frontière allemande, d'autre part. La frontière du IIIe Reich était effectivement sur les crêtes vosgiennes et sur les rives de la moyenne Moselle en Lorraine.

À partir du 29 septembre 1944

Progression nord-est vers Strasbourg.

Toutefois, le commandement américain changea sa stratégie initiale et transmit de nouveaux ordres à la 7e armée US le 29 septembre 1944 : l'attaque orientée vers l'est sur l'ensemble du front fut abandonnée au profit d'une offensive orientée Nord-Est, axée sur la ville de Strasbourg[23]. Cette nouvelle stratégie répondait à de nouvelles donnes, mais aussi à un déplacement des lignes ou limites attribuées à chaque unité pour ses opérations. En effet, ce fut à la 1re Armée française que l'on confia la tâche de prendre la Trouée de Belfort. Du coup, les Américains s'étant fixé l'objectif principal de Strasbourg comprirent qu'ils n'avaient pas d'autre choix que d'opérer quelques brèches dans le Massif vosgien, non seulement dans sa partie méridionale avec les vallées de la Vologne, de la Meurthe ou de la haute Moselle, mais aussi dans sa partie septentrionale et centrale avec les pays de Badonviller et Sarrebourg par exemple.

Les sources américaines insistent fréquemment sur le fait que la topographie accidentée et défavorable du terrain et les conditions climatiques précocement hivernales ont nettement favorisé la défense et la résistance allemande bien que les commandants américains ne sussent pas vraiment à l'époque que les troupes allemandes n'étaient pas en position de force. L'origine géographique des combattants et les premiers théâtres d'opération en terres méditerranéennes ont renforcé l'impression de terres inconnues et inhospitalières chez les soldats. En conséquence, alors que la 7e armée US a parcouru la distance de la Provence à la Moselle en moins de quatre semaines, c'est seulement en quelques centaines de mètres qu'elle progressait parfois à certains endroits du massif vosgien. Ce fut le cas à Bruyères et tout son secteur. Les journaux de bord allemands et américains relatent des combats où chacun des deux camps avance et recule quelque temps, même si, finalement, les troupes américaines finiront par l'emporter.

Le 6e CA devait quant à lui s'emparer de Saint-Dié. L'objectif des Américains tombe sous le sens : la Haute Meurthe et la ville de Saint-Dié contrôlent l'accès aux cols vosgiens vers l'Alsace. De même, la défense allemande s'arc-boutait à ce moment-là sur la rivière de la Meurthe. Il fallait ouvrir une brèche.

La 36e division américaine se vit confier la tâche de prendre et libérer Bruyères qui contrôlait l'un des accès à Saint-Dié. Le 100e/ 442e régiment RCT arriva en France le 30 septembre 1944, et se trouva déjà sur le front le 13 octobre 1944. Le lendemain, les combats commencèrent dans les massifs entourant Bruyères.

Déroulement des combats

Localisation des combats

L'armée américaine s'est fixé quatre objectifs qui correspondent à quatre monts enserrant Bruyères dans sa partie nord. Elle leur donnera le nom "hill" (colline) et leur attribuera une lettre[24], sur la photo de gauche à droite dans l'ordre ACBD :

Les quatre "Hills" de la bataille de Bruyères octobre 1944[25].

Le , le 100e et 442e sont dans la forêt de Faîte, toutes les compagnies du 100e se trouvent sur les hauteurs de la Basse de l'Ane et le 442e se trouve sur le Haut de l'Helledraye (lieu où se situe aujourd'hui le Monument américain de Bruyères, cf. photographies). Ils mettront en moyenne 2,5 jours pour atteindre leur cible.

Théâtre des opérations

Objectifs des troupes américaines à Bruyères[26]

Hill A Hill B Hill C Hill D

Montagne de Buémont 575 m

Colline du Château 538 m

Mont de Pointhaie 552 m

Mont de l'Avison 595 m

Objectif du 100e bn

Objectif du 442e reg 2e bn

Objectif du 100e bn

Objectif du 442e 2e bn

Atteint le 18 oct. 1944

Atteint le 18 oct. 1944

Atteint le 19-20 oct. 1944

Atteint le 19 oct. 1944

Événements

Vue à partir de l'Avison sur Pointhaie, château et Buémont.

C'est la 36e Division d'Infanterie américaine qui reçut l'ordre de prendre Bruyères. Les collines enserrant la ville de Bruyères de l'ouest au nord-est passaient pour être faiblement protégées, il fallait donc tirer profit de la situation. En réalité, les défenses allemandes étaient si bien camouflées que la libération de la ville nécessita 3-4 jours de combat. La résistance allemande dans le vallon menant de Grandvillers à Bruyères avait, en effet, contraint les troupes américaines à contourner dans un premier temps les poches de résistance ennemies. Les Américains investirent le massif de Faîte à l'ouest et entrèrent à Bruyères à différents endroits du nord-ouest au sud-ouest le 18 octobre 1944. Les Américains font 143 prisonniers[27] parmi les troupes allemandes, donc essentiellement celles qui devaient occuper Bruyères. En dehors de soldats allemands, on y recensa également des Polonais, des ex-Yougoslaves, des Somaliens et des Indiens orientaux du Régiment "légion SS de l’Inde libre". Néanmoins, aucune source officielle allemande n'évoque la présence de ces troupes de nationalité étrangère dans les rangs de la Wehrmacht à Bruyères[28].

La ville de Bruyères n'était toujours pas sécurisée car les Allemands se replièrent sur les sommets de Buémont (Hill A) et Pointhaie (Hill C)[29]. Un jour après avoir libéré la ville, les troupes américaines nettoyèrent les dernières poches de résistance les 19 et 20 octobre. Le 442e avait, en effet, pris les collines C et D, mais ne les avaient pas sécurisées. Les Allemands purent réinvestir les lieux et riposter à nouveau. La colline D fut prise dans la nuit du 19 octobre par les bataillons 2 et 3 auxquels on donna ensuite l’ordre de prendre un quai de chemin de fer sans penser à sécuriser la colline D. Lorsque le 100e commença à se déplacer vers la colline C le 20 octobre, les forces allemandes avaient repris la colline D durant la nuit[30]. Le 100e bataillon fut rappelé en réserve à Bruyères. Les Allemands en profitèrent pour réinvestir la colline C. Reprendre cette colline C causa une centaine de blessés supplémentaires[31]. Peu après, la colline D était définitivement sécurisée, ainsi que la ville de Bruyères.

On demanda au Génie de démanteler les barrages routiers, de dégager les arbres et gravas des routes et voies de circulation et de déminer le champ de bataille[32]. Après une courte pause de récupération, on ordonna au 100e de rejoindre la bataille de Biffontaine.

Phase 2 : la progression vers Biffontaine

Malgré les sérieuses réserves émises par les officiers, le 141e régiment d'infanterie de la 36e division, dite du Texas, reçoit l'ordre d'avancer le 21 octobre plus à l'est au-delà des lignes et de prendre la colline de Biffontaine pour ouvrir l'accès à Saint-Dié. Dotées de cartes d'état-major insuffisamment précises, quatre compagnies s'égarèrent en secteur ennemi et se retrouvèrent rapidement encerclées par 700 hommes de la Wehrmacht : la moitié des soldats américains furent ainsi coupés de leur base sous le feu des canons allemands pendant deux jours.

Le 100e bataillon reçut l’ordre de prendre d’abord les secteurs en altitude, donc au-dessus de Biffontaine. Ce sont des massifs gréseux infertiles à fort couvert forestier qui appartiennent à la forêt de Champ et à la forêt de Belmont-Les Poulières. L’altitude maximale est en dessous de 650 m avec la Vieille Corre, la Het, la Tête de Chétimont, la Tête de Louvière situées sur une ligne de crête entre le col de l’Arnelle (48° 12′ 23,537″ N, 6° 46′ 17,886″ E ) et le Col de la Croisette (48° 13′ 22,019″ N, 6° 50′ 13,344″ E ). Mais il devait se tenir prêt à tout moment pour investir le village en contrebas. Les combats furent rudes pendant deux jours (23-24 octobre 1944), progressant de maison en maison, défendant et contrattaquant. Le 100e fut, en effet, encerclé par les forces allemandes, coupé du 442e et sans support aérien. Grâce au 3e bataillon du 442e qui réussit à rejoindre le 100e, les troupes allemandes restantes furent délogées du village qui fut remis à la 36e division[33]. De fait, le 24 octobre, le 143e régiment d’infanterie de la 36e division relaya les troupes d’assaut qui devaient se rendre à Belmont/Buttant pour récupérer après 9 jours de combat sans interruption. Mais le repos fut de courte durée puisque le 100e et le 442e reçurent l’ordre de sauver un bataillon dangereusement encerclé par les Allemands à quelques kilomètres à l’est de Biffontaine.

Phase 3: le sauvetage du bataillon perdu

Aux États-Unis, l'encerclement du 141e fait la une des journaux et évoque le "lost battalion" (le bataillon perdu). Au Sénat, un groupe de sénateurs adresse au gouvernement un message lourd de menace : « Tirez-les de là, sinon gare ! ». Pour les hommes de ce bataillon, un message est envoyé : « Tenez bon… D'importants renforts viennent vous relever ». Deux premières tentatives de sauvetage se soldent par un échec[2]. C'est pourquoi, le général Dahlquist décide le 26 octobre d'envoyer le 442e régiment bien que ce dernier soit fatigué par dix jours de combats interrompus. Après une première tentative infructueuse et meurtrière, le commandant du bataillon propose un repli au général qui refuse. Le combat se déroule dans le brouillard et dans le froid. Le 29 octobre, trois avions parachutent des vivres aux assiégés. Après cinq jours de combats, le 442e n'est plus qu'à 900 mètres du bataillon texan. Cette unité se retrouve bloquée sur un flanc escarpé sous le feu des mitrailleuses allemandes, dont les positions sont prises d'assaut. Après 6 jours de combats, le 442e parvient à faire la jonction et à secourir les 230 hommes restants du « bataillon perdu ». Mais pour cela, 800 hommes du 442e auront été mis hors de combat[2].

Malgré les pertes importantes, le général Dahlquist leur ordonne de sécuriser la forêt pendant encore neuf jours. Le 442e est finalement relevé après avoir perdu plus de la moitié de son effectif. De nombreux soldats du 442e garderont longtemps après la guerre, une rancune contre le général Dahlquist et lui reprocheront son style de commandement[2], en particulier pour ce qui touche le 442e dont les pertes importantes posent objectivement la question de savoir si le sauvetage d'un bataillon perdu est pertinent si, pour ce faire, on décime un régiment.

Les États-Unis qualifieront cette bataille de « second Cassino » et la classeront parmi l'une des dix plus importantes batailles de l'histoire des États-Unis.

Bilan et conséquences

117 tués, 40 GI portés disparus et 657 blessés. Un monument représentant l'île d'Hawaii est érigé en souvenir. Bruyères est jumelé avec Honolulu. La mention des Hawaïens est souvent préférée à celle des Nisei, moins porteuse.

Pour la libération de la ville, le régiment perdit 1 200 hommes sur les 2 500 engagés. Deux jours plus tard, ils repartent sauver le bataillon encerclé. Pour sauver les 270 Texans du bataillon perdu, 800 Nisei furent sacrifiés. Lors de l’assaut final vers la colline du Trappin des saules, seuls 23 hommes sur 290 en redescendirent[34].

Une partie du volume énorme de munitions tirées sur l'ensemble des Vosges s'est fiché dans les arbres, rendant nombre de parcelles impropres à l'exploitation. Ceci décida l'ONF à construire un centre destiné au sciage des bois mitraillés. La situation centrale de Bruyères et l'importance des combats ci-dessus en firent le lieu obligé. Il était érigé à l'est de Bruyères et permettait la détection et la purge du moindre éclat avant passage de la lame. Il a cessé son activité au début des années 2000, la ressource étant épuisée.

L'importance de cette bataille aux États-Unis est telle que la une d'un journal apparaît dans un film pour illustrer la rédemption d'un vétéran et le retour de son honneur.

Galerie

Notes et références

  1. Ne pas confondre avec le Bataillon perdu de Bastogne dans les Ardennes qui a été adapté pour le cinéma de grande production
  2. Tout le sous-chapitre se fonde sur le mémoire de master du Major Nathan K. Watanabe, The 100/442d Regimental Combat Team's Rescue of the Lost Battalion: A Study in the Employment of Battle Command, MASTER OF MILITARY ART AND SCIENCE, 2002
  3. Documentaire The War de Ken Burns, épisode 10 Les hasards de la guerre, diffusé sur Arte le 2 avril 2008.
  4. (en) asian-nation.org, « 442nd: Rescue of the Lost Battalion »
  5. « Un lien d'une demi-circonférence de globe... », sur bruyereshonolulu.blogspot.fr (consulté le )
  6. Lagekarten du OKH- Generalstab des Heeres Operations Abtleilung III du 13 octobre 1944, à trouver sur
  7. Lagekarten du OKH- Generalstab des Heeres/ Operations Abtleilung III du 14 et 15 octobre 1944, à trouver sur
  8. Lagekarten du OKH- Generalstab des Heeres/ Operations Abtleilung III du 31 octobre 1944 et du 1. novembre 1944, à trouver sur
  9. Lagekarten du OKH- Generalstab des Heeres/ Operations Abtleilung III du 15 au 30 octobre 1944, à trouver sur
  10. http://www.lexikon-der-wehrmacht.de/Gliederungen/Infanteriedivisionen/198ID-R.htm; GRASER, Gerhard, Zwischen Kattegat und Kaukasus : Weg und Kämpfe der 198. Infanterie-Division, 1939-1945, Tübingen, Kameradenhilfswerk und Traditionsverband der ehemaligen 198. Infanterie-Division, 1961, 390 p.
  11. WANATABE, Nathan, The 100/442D Regimental Combat Teams rescue of the Lost Battailon: A study in the employment of battle command, Faculty of the U.S. Army Command and General Staff College, 1988, p. 51 sq, consultable sur:
  12. WANATABE, Nathan, The 100/442D Regimental Combat Teams rescue of the Lost Battailon : A study in the employment of battle command, Faculty of the U.S. Army Command and General Staff College, 1988, p. 52, consultable sur: ;
  13. Ibidem.
  14. A propos du Heeres Gebirgsjäger Bataillon 201: http://www.axishistory.com/other-aspects/museums-a-memorials?id=4519 ;  ; à propos du Heeres Gebirgsjäger Bataillon 202 :  ;
  15. WANATABE, Nathan, The 100/442D Regimental Combat Teams rescue of the Lost Battailon: A study in the employment of battle command, Faculty of the U.S. Army Command and General Staff College, 1988, voir note de bas de page 9 à la page 81, p. 52, 81, consultable sur:
  16. Le régiment qui est souvent cité en relation avec la bataille de Bruyère est le Grenadier-Regiment 933. Celle-ci fut cependant anéantie durant la retraite en France. Il est fort possible qu'il s'agissait en fait du Grenadier-Regiment 221 de la 16. VGD qui fut constitué en partie à partir de cadres et survivants du Grenadier-Regiment 933. Dans la confusion des réorganisations d'unités les soldats sur le terrain s'identifièrent potentiellement d'abord par rapport à leur ancienne unité.
  17. The National Archives of the United States, The 19th Army in the Belfort Gap, in the Vosges and in Alsace from the middle of September until 18 December 1944, General der Infanterie, Friedrich Wiese, cote MS# B-781, 8 mars 1948
  18. Ibid. p. 9
  19. Geschichte der Heeresgruppe G" v. D.R.Bettinger, pour le 18. octobre 1944, AOK 19, p. 211
  20. Seventh Army History, Phase Three, The Drive Through the Vosges to the Rhine, p. 444-446, 472-476
  21. Pierre Moulin, US SAMOURAÏS en Lorraine, G. Louis éditeurs, Vagney, 1988, page 103
  22. Photo panoramique Ph. Poix éditée
  23. Pierre Moulin, US SAMOURAÏS en Lorraine, G. Louis éditeurs, Vagney, 1988, page 86
  24. Steidl, Franz (2000). Lost Battalion. Novato: Presidio Press. p. 43
  25. Le régiment Freies Indien fait effectivement sa retraite vers l'Allemagne en passant par Remiremont, puis Colmar, mais il n'est pas fait mention qu'une partie serait restée à Bruyères en soutien
  26. Sterner, C. Douglas (2008). Go For Broke. Clearfield: American Legacy Historical Press, p. 60
  27. Shirey, Orville C. (1990). Americans: The Story of the 442d Combat Team (3 ed.). Washington: Infantry Journal Press.p. 57
  28. Sterner, C. Douglas (2008). Go For Broke. Clearfield: American Legacy Historical Press, p. 62
  29. Shirey, Orville C. (1990). Americans: The Story of the 442d Combat Team (3 ed.). Washington: Infantry Journal Press. p. 51-54
  30. Crost, Lyn (1994). Honor by Fire: Japanese Americans at War in Europe and the Pacific. Novato, CA: Presidio Press. (ISBN 0-89141-521-1), page 182-183
  31. « Go for broke », Ville de Bruyères,

Bibliographie

Ouvrages en français

  • Pierre Moulin, « U.S. samouraïs en Lorraine : chronique de Bruyères en Vosges », Éditeur Vagney - 1988 (ISBN 2-907016-03-2)

Ouvrages en anglais

  • Asahina, Robert. Just Americans: How Japanese Americans Won a War at Home and Abroad. New York: Gotham, 2006.
  • Duus, Masayo. Unlikely Liberators: The Men of the 100th and the 442nd. Honolulu: University of Hawaii Press, 1987.
  • Steidl, Franz. Lost Battalions: Going for Broke in the Vosges, Autumn 1944. Novato, CA: Presidio Press, 1997.
  • Tanaka, Chester. Go for Broke: A Pictorial History of the Japanese American 100th Infantry Battalion and the 442nd Regimental Combat Team. Richmond, CA: Go for Broke, Inc., 1981. Novato, CA : Presidio Press, 1997.
  • Yenne, Bill. Rising Sons: The Japanese American GIs Who Fought for the United States in World War II. New York: Thomas Dunne Books, 2007.

Sitographie

    1. Sites utiles pour l’organisation de la Wehrmacht (en anglais-allemand)
    2. Arborescence
    3. Pour les cartes OKH
  1. Sites sur la bataille de Bruyères et les unités engagées (en anglais)
    1. http://standwheretheyfought.jimdo.com/the-vosges-2009-battle-of-bruyères-and-the-relief-of-the-lost-battalion-by-the-442nd-rct/
    2. http://www.asian-nation.org/442.shtml
    3. http://goforbroke.org/ Go For Broke National Education Center
    4. http://www.goforbroke.org/history/history_historical_campaigns_rescue.asp
    5. http://library.thinkquest.org/CR0210341/lostbattalion/lostbattalion.htm
    6. http://www.homeofheroes.com/moh/nisei/index7_lost_bn.html
    7. http://nisei.hawaii.edu/object/io_1149148836656.html
    8. Virgil R. Miller
  • Portail des Vosges
  • Portail de la Seconde Guerre mondiale
  • Portail des forces armées des États-Unis
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.