Affiche rouge

L’Affiche rouge est une affiche de propagande allemande placardée massivement en France sous l'Occupation, dans le contexte de la condamnation à mort de 23 membres des Francs-Tireurs et Partisans – Main-d'Œuvre Immigrée (FTP-MOI), résistants de la région parisienne, suivie de leur exécution, le .

Pour les articles homonymes, voir Affiche rouge (homonymie).
L’Affiche rouge

Description

L'affiche comprend :

  • une phrase d'accroche : « Des libérateurs ? La Libération par l'armée du crime ! » ;
  • les photos, les noms et les actions menées par dix résistants du groupe Manouchian :
    • « Grzywacz – Juif polonais, 2 attentats » ;
    • « Elek – Juif hongrois, 8 déraillements » ;
    • « Wasjbrot (Wajsbrot) – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements » ;
    • « Witchitz – Juif hongrois, 15 attentats » ;
    • « Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements » ;
    • « Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats » ;
    • « Fontanot (Fontano) – Communiste italien, 12 attentats » ;
    • « Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats » ;
    • « Rajman – Juif polonais, 13 attentats » ;
    • « Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés » ;
  • six photos d'attentats ou de destructions, représentant des actions qui leur sont reprochées.

Les deux premières photos, à gauche, en dessous du V de l'affiche représentent deux corps, un torse nu criblé de balles, et un homme abattu, en gabardine, gisant près de son chapeau. Les deux corps ont été identifiés comme étant respectivement ceux du commissaire Franck Martineau, abattu le , et du commissaire Georges Gautier, abattu le [1].

Cette affiche a été créée par le service de propagande allemande en France. La mise en page marque une volonté d'assimiler ces dix résistants à des terroristes : la couleur rouge et le triangle formé par les portraits apportent de l'agressivité ; les six photos en bas, pointées par le triangle, soulignent leurs aspects criminels.

Tract reprenant au recto LʼAffiche rouge et dénonçant au verso « Le complot de lʼAnti-France », février 1944. coll. Musée de la Résistance nationale, Champigny.

La Bibliothèque nationale de France conserve trois exemplaires de cette affiche dans deux formats : 152 × 130 cm, et 118 × 75 cm[2].

L'affichage partout dans Paris fut accompagné par la diffusion large d'un tract reproduisant :

  • au recto, une réduction de l'affiche rouge ;
  • au verso, un paragraphe de commentaire fustigeant « l’Armée du crime contre la France »[3].

Les dimensions de ce tract sont de 22 × 26 cm[4].

Histoire

Montée en puissance et démantèlement des FTP-MOI de la région parisienne

Les 10 résistants étrangers figurant sur l'affiche font partie des 23 FTP-MOI jugés et condamnés à mort par un tribunal militaire allemand dans la semaine du 18 au . Ce procès était consécutif à l'arrestation massive que les policiers de Vichy de la BS2 (Brigade Spéciale, anticommuniste) avait opéré au sein des résistants communistes étrangers des FTP-MOI.

Les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans de la main d’œuvre étrangère) sont issus de la Main-d'œuvre immigrée (MOI), une structure mise en place par le Parti communiste français dans les années 1920 pour encadrer les très nombreux étrangers travaillant en France. Dès que le Parti communiste français s'engage dans la lutte armée, en , les étrangers de la MOI ont constitué une part importante des forces mobilisées dans la région parisienne. Dès la constitution des Francs-tireurs et partisans (FTP) en , il est demandé à la MOI de mettre sur pied des groupes de FTP-MOI. Au cours des six premiers mois de l'année 1943, ces groupes FTP-MOI parviennent à exécuter 92 attentats, même si le nombre des combattants ne dépassera jamais 65, chiffre atteint en , quand l'Arménien Missak Manouchian devient commissaire militaire de l'ensemble des FTP-MOI de la région parisienne. Il est alors demandé aux FTP-MOI d'intensifier leurs actions. Le fait d'armes le plus spectaculaire sera l'attentat qui coûte la vie au général SS Julius Ritter le . Au cours de la même période, l'étau se resserrait sur ces résistants, car les policiers des Brigades spéciales les repéraient pratiquement tous au cours d'opération de filature de grande envergure[5],[6].

Production et diffusion de l'affiche

L'affiche sert à la propagande nazie qui vise à déstabiliser la Résistance française en jouant les cartes traditionnelles de l'anti-bolchevisme et de la xénophobie pour influencer l'opinion publique[7],[8].

Elle aurait été placardée au moment du procès des 23 membres du groupe Manouchian, affilié à la Main-d'œuvre immigrée[9],[10].

Pour Adam Rayski, l'existence d'un procès public, et l'allégation selon laquelle les accusés auraient comparu dans une salle d'audience dans un grand hôtel parisien, est un « énorme mensonge de la propagande allemande et vichyssoise »[11].

L'éditeur de l'affiche, non mentionné explicitement sur celle-ci, serait, d'après Michel Wlassikoff, le Centre d'études antibolcheviques (CEA), affilié au Comité d’action antibolchévique (CAA) organisme français créé dans le sillage de la LVF en juin-[12] « épaulé par les publicistes des mouvements ultra et ceux du ministère de l'Information de Vichy »[13]. Cependant, le film Les Faits d'armes de la semaine, réalisé par la société Busdac en 1944, qui contient sous forme cinématographique les mêmes images des hommes de l'affiche rouge dans la cour de la prison de Fresnes, appartient, pour Jean-Pierre Bertin-Maghit, à la catégorie des « films documentaires allemands », et non à celle des « films commandités par le gouvernement de Vichy »[14].

L'affiche a été vue à Paris[15], à Nantes[16], à Chalon-sur-Saône[17] et à Lyon[18]. Certains auteurs parlent d'une diffusion dans toute la France, par exemple Philippe Ganier-Raymond écrit en 1975 que « les murs de France se couvraient de quinze mille affiches »[19], Claude Lévy, en 1979, que l'affiche « apparaissait sur les murs des plus petits villages de France »[20] et la plaquette de l'exposition Manouchian tenue à Ivry en 2004, affirme que celle-ci fut « largement placardée sur les murs des villes et des villages français »[21], ce qui n'est guère différent du tract de de l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide qui parle d'un affichage « sur les murs de toutes les villes et villages de France »[22], mais qui, pris à la lettre, constituerait un tirage supérieur à 15 000 exemplaires.

Réception et influence

Si l'on en croit les rapports des Renseignements généraux, l'affiche eut sur la population un effet contraire à celui cherché par les Allemands : les passants manifestèrent souvent des réactions de sympathie vis-à-vis des résistants dont la photo avait été reproduite sur l'affiche, et par ailleurs, les articles de soutien furent nombreux dans la presse clandestine[8]. De nombreux anonymes déposèrent des fleurs au pied des affiches et collèrent des bandeaux sur lesquels on pouvait lire : « Oui, l’armée de la résistance », « Morts pour la France », ou « Des martyrs ».[réf. nécessaire]

Les parutions clandestines mentionnent explicitement l'Affiche rouge relativement tôt : le no 14 de des Lettres françaises[23] et le tract publié par l'Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE) en [22].

Témoignage de Simone de Beauvoir : « À Paris, les occupants ne collaient plus d'« Avis » aux murs; cependant ils affichèrent les photographies des « terroristes étrangers » qu'ils condamnèrent à mort le 18 février et dont vingt-deux furent exécutés le 4 mars : malgré la grossièreté des clichés, tous ces visages qu'on proposait à notre haine étaient émouvants et même beaux ; je les regardai longtemps, sous les voûtes du métro, pensant avec tristesse que je les oublierai. » (La Force de l'âge, p. 649).

Jean Anouilh a affirmé pour sa part s'être inspiré de l'événement pour écrire son Antigone, créée au théâtre de l'Atelier le , mais il semble — s'il fait bien référence à l'Affiche rouge — qu'il commette a posteriori une erreur de chronologie, certaines sources indiquant que l'essentiel de la pièce avait été écrit dès 1942, à la suite de l'« affaire Paul Collette »[24].

Liste des membres du « groupe Manouchian » exécutés

Mémorial de l'Affiche rouge à Valence.

La liste suivante des 23 membres du groupe Manouchian exécutés par les Allemands signale par la mention (AR) les dix membres que les Allemands ont fait figurer sur l'affiche rouge. Les 22 hommes ont été fusillés le au Mont-Valérien. Olga Bancic, seule femme du groupe, fut décapitée le à Stuttgart :

Les inconnus de l'Affiche rouge

En 2014, Michel Martineau, fils du commissaire Franck Martineau (torse nu criblé de balles), publiait le résultat de son enquête concernant son père ainsi que le commissaire Georges Gautier, figurant également sur l'affiche[1]. Les deux hommes ont été victimes de groupes FTP distincts des groupes FTP-MOI concernés par l'affiche.

Franck Martineau était commissaire de police à Gonesse. Il a été abattu le , alors qu'il circulait à vélo entre le commissariat et son domicile au moment de la pause repas[25]. Les auteurs de l'attentat était les membres du détachement FTP Victor Hugo, eux-mêmes à vélo. Il y eut trois tireurs ; le commissaire Martineau reçut la plupart des balles dans le dos et quelques-unes de face. Il eut le temps de tirer une balle de son arme de service, avant de tomber sur le dos. On retrouvera son paquet de Gauloises avec trois balles dedans. On ne sait pas à quel niveau cet attentat avait été décidé. À l'origine, il y aurait eu la dénonciation du commissaire par un membre du groupe, âgé de 18 ans, qui avait été admonesté par le commissaire à la demande de sa mère[26].

Le commissaire Gautier, en poste à Juvisy, a été abattu le alors qu'il effectuait en moto le trajet entre son domicile et Juvisy. Les auteurs de l'attentat était un groupe spécial de FTP qui avaient reçu des directives de la part du responsable FTP de la région parisienne Joseph Epstein, qui avait cru une dénonciation imputant au commissaire l'exécution de 40 patriotes. En réalité, le commissaire Gautier appartenait à un réseau du BCRA depuis 1941 et rendait des services sous forme d'établissement de faux papiers, planques et recherches de renseignements[27].

Postérité

Le Journal officiel du rend public un décret signé le attribuant la Médaille de la résistance à titre posthume à Olga Bancic, Joseph Boczov, Georges Gloarek (sic), Thomas Elex (sic), Roger Rouxel, Antoine Salvadori, Salomon-Wolf Schapira (sic), Wolf Wajsbrot, Robert Witschitz, Amédéo Usseglio et Rino Della Negra[28], mais bien vite, dans les années qui ont suivi la Libération, l'Affiche rouge sera passée sous silence. On peut l'expliquer par la volonté de mettre l'accent sur l'identité française de la Résistance plutôt que sur l'apport des étrangers, mais aussi par l'irruption de la Guerre froide qui conduit à une répression anticommuniste qui vise au premier chef les organisations et les militants étrangers[8].

Plaque en mémoire de Marcel Rajman au no 1 de la rue des Immeubles-Industriels, Paris 11e.

Néanmoins, en 1955, on inaugure dans le 20e arrondissement de Paris la rue du Groupe-Manouchian. À l'occasion de cette inauguration Louis Aragon écrit le poème Strophes pour se souvenir qui est mis en musique et chanté par Léo Ferré en 1959[29]. Depuis il a très souvent été repris par d'autres chanteurs, dont Jacques Bertin, Catherine Sauvage, Marc Ogeret, Leni Escudero, Mama Béa, Monique Morelli, Didier Barbelivien, Bernard Lavilliers et Francis Lalanne (pour plus de précisions, voir Liste des interprètes de Léo Ferré).

À partir de 1985, l'Affiche rouge s'impose peu à peu, jusque dans les manuels scolaires comme le symbole de la part prise par les étrangers dans la Résistance[8].

À l'initiative de Robert Badinter, une proposition de loi, votée le , décide de l’édification d’un monument à la mémoire de tous les résistants et otages fusillés au fort du Mont-Valérien entre 1941 et 1944. Un monument, réalisé par le sculpteur et plasticien Pascal Convert, à la mémoire de ces 1 008 fusillés est inauguré le .

Bibliographie

Sources, témoignages et ouvrages universitaires

Roman

Filmographie

Documentaires

  • Pascal Convert, Mont-Valérien, au nom des fusillés, One Line Productions, 52 minutes, 2002
Point de vue de l’auteur lors du soixantième anniversaire de l’exécution du groupe Manouchian dans le quotidien L'Humanité : « Les Nouvelles Censures », édition du
  • Stéphane Courtois, Mosco Boucault, Des terroristes à la retraite, 84 minutes, 1985[30]
  • Denis Peschanski, Jorge Amat, La Traque de l’Affiche rouge, 72 minutes, compagnie des Phares et Balises en collaboration avec la fondation Gabriel-Péri et L’Humanité, 2006
  • Mosco Boucault, Ni travail, ni famille, ni patrie - Journal d’une brigade FTP-MOÏ, 92 minutes, 1993

Fiction

Notes et références

  1. Michel Martineau, Les inconnus de l'Affiche rouge, préface de Jean-Marc Berlière, Libre label, (ISBN 9782361281847), 2014
  2. L'Affiche rouge, dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France.
  3. Le site de l’Académie de Versailles propose l’étude de cette image de propagande.
  4. Archives Nationales, Affiches et cartes du Comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale, 1re édition électronique, 2006, cote 72AJ/1008, consulté le 16 décembre 2008.
  5. Denis Peschanski, article Francs-tireurs et partisans de la Main-d’œuvre immigrée dans Dictionnaire historique de la Résistance, dir.François Marcot, p. 188-189
  6. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski, Le sang de l'étranger, Fayard, 1989
  7. Stéphane Courtois, Denis Peschanski et Adam Rayski, Le sang de l'étranger, Fayard, 1989, p. 362
  8. Denis Peschanski, article Affiche rouge dans Dictionnaire historique de la Résistance, dir.François Marcot, p. 996-997
  9. D'après Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le Sang de l'étranger, Fayard, 1989, p. 362, l'affiche a été placardée avant l'ouverture du procès, entre le 10 et le 15 février 1944, mais d'après Michel Wlassikoff, Signes de la collaboration et de la rés002, p. 112, dans Adam Rayski, L'Affiche Rouge, mairie de Paris, Direction générale de l'information et de la communication, 2003, p. 7, elle n'aurait été placardée que le lendemain de l'exécution, le 22 février [PDF] [lire en ligne sur le site paris.fr (page consultée le 16 décembre 2008)]
  10. En 1975, le journaliste Philippe Ganier-Raymond écrivait que la séance de photographies et de tournage cinématographique à partir de laquelle a été constituée l'affiche avait eu lieu le matin du 21 février et que l'affiche était parue « un mois plus tard » (L'Affiche rouge, Fayard, 1975 p. 236-237)
  11. Adam Rayski, L'Affiche Rouge, op. cit., p. 60-62.
  12. Pascal Ory, Les collaborateurs 1940-1945, Points Seuil, 1976, p. 152 et 153
  13. Michel Whassikof et Philippe Delangle, Signes de la Collaboration et de la Résistance, Editions Autrement, 2002, p. 112-113
  14. Jean-Pierre Bertin-Maghit, L'Esthétique de la propagande – Le Cas de l'affiche et du documentaire sous l'occupation (1940-1944), dans Pierre Taminiaux, Claude Murcia, (dir.) Cinéma, Art(s) plastique(s), actes de la conférence tenue à Cerisy-la-Salle en 2001, Harmattan, 2004, p. 102-103.
  15. Voir par exemple la photographie d'André Zucca intitulée « Affiches dans Paris occupé » (no 37042-6) sur le site des archives Roger-Viollet.
  16. Paul Virilio, « J'ai vu L'Affiche rouge, placardée sur les murs de Nantes », Elle (magazine), juillet 2000.
  17. Séraphin Effernelli, « en mars 1944, alors que j'étais allé en mission à Chalon, je tombais sur cette affiche placardée sur le bâtiment de la rue Saint-Côme », Maquis à Brancion, troisième livre, 2004, p. 132
  18. Charles Tillon, Les FTP, Julliard, 1962, p. 259, dans Claude Lévy, « L'Affiche rouge », L'Histoire no 18, septembre 1979.
  19. Philippe Ganier-Raymond, L'Affiche rouge, Fayard, 1975, avant-propos
  20. « L'Affiche rouge », dans L'Histoire no 18, septembre 1979.
  21. [PDF] Brochure de l'exposition Manouchian sur le site de la mairie d'Ivry-sur-Seine.
  22. Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le Sang de l'étranger, Fayard, 1989, p. 364.
  23. Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, Le Sang de l'étranger, Fayard, 1989, p. 362
  24. « L'Antigone de Sophocle, lue et relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l'ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions alors en train de vivre. » 4e de couverture de la première édition, La Table Ronde, 1946.
  25. Martineau, p. 85
  26. Martineau, p. 73-74 et p. 107-134
  27. Martineau, p. 135-139
  28. Journal officiel du 13 juillet 1947, p. 6675, art. 34.
  29. L'album Les Chansons d'Aragon est officialisé en 1961.
  30. « Des terroristes à la retraite - Tënk », sur www.tenk.fr (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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