Mur de la peste

Le mur de la Peste est un rempart édifié dans les monts de Vaucluse afin de protéger le Comtat Venaissin de la peste qui frappa Marseille et une partie de la Provence en 1720-1722.

Mur de la peste entre Lagnes et Fontaine-de-Vaucluse.

S'étirant sur 27 kilomètres, il est bâti en pierre sèche. Le long de ce mur, des guérites en pierre sèche accueillaient des gardes.

C'est l’architecte, ingénieur et cartographe carpentrassien Antoine d'Allemand qui en définit le tracé, comme il l'indique lui-même dans son Mémoire des ouvrages que j'ai faits et ordonnés depuis 1700 conservé à la bibliothèque Inguimbertine :

« En 1720 je traçois depuis Saint-Hubert jusques à Saint-Ferreol les limites entre le Comtat Venaissin et la Provence, une ligne de 18 000 toises dont 6 000 toises faites avec un parapet de terre et un fossé au devant, et 2 000 toises avec des murs faits en pierre sèche.

En 1720 (j'ai fait) le plan de cette ligne depuis Saint-Hubert jusques à Saint-Ferréol et de là en suivant la Durance jusques à son embouchure dans le Rhône et en remontant le Rhône jusques à Avignon dont la longueur est de 14 lieues. »

Historique des pestes en Provence

Au Moyen Âge les foyers de peste endémique se situaient aux « échelles » du Levant. Du XIVe siècle, avec la peste noire, au XVIIIe siècle, avec la Grande Peste, cette pandémie tua entre 60 et 90 % des malades. Il y eut environ une grande épidémie de peste par siècle.

Nombre d’années pestiférées en Provence du XIVe au XVIIe siècle
Années Nombre d'épidémies Rythme
1348-1450301 année sur 3
1451-1550431 trimestre sur 9
1551-1650291 année sur 3
1651-17204

Par un arrêté du , le Parlement de Provence décida de limiter aux seuls ports de Marseille et de Toulon l’accès des navires venus en « droiture » des pays levantins. Cet exemple fut suivi par la république de Gênes, en 1661. Cette décision avait pour corollaire la mise en quarantaine dans une annexe du port des bâtiments suspects, d’où la création de lazarets :

« La Cour ordonne que tous patrons et mariniers conduizants vaisseaux et barques venant des parties du Levant ou Barbarie et Midy prendront port et feront des contes ès villes et ports de Marseille ou Thollon respectivement où ils feront voir leurs patentes de santé ou faict inhibition et deffences aux dits patrons et mariniers de descendre ny prendre port en autre port ny décharger aucuns mariniers ny marchandises en autres ports de la dite province à peine de la vie et dix mil livres d’amende. »

Billet de santé rédigé en 1637 par les consuls et conservateurs de santé affirmant qu'il n'y a pas de peste à Avignon.

Les premières mesures prophylactiques, avaient été prises, à Marseille lors de la peste de 1476, sous le règne du roi René. Le premier lazaret marseillais fut créé en 1557. Il fut construit, au sud de la ville, au port Saint-Lambert. Mais ce fut le lazaret de Livourne, en 1590, qui fut le premier à être placé sous le patronage de saint Roch.

Les « Vieilles infirmeries » de Marseille, édifiées en 1631 et sises aux Catalans, laissèrent la place aux « Nouvelles infirmeries », construites entre 1663 et 1668 à Saint-Marcel d’Arenc. Un an plus tard, en , Jean-Baptiste Colbert accordait à Marseille le monopole du commerce avec le Levant.

Le Bureau de santé de Marseille, créé en 1640, devint très rapidement supérieur en technique à tous les autres, grâce à la politique menée par les intendants de santé locaux. Ce Bureau de santé fut supprimé le .

La Grande Peste

Avis au public de 1720 concernant l'enlèvement des cadavres morts de la peste.
Gravure de 1656 représentant un médecin de peste affublé de son masque au long bec caractéristique renfermant des épices pour éloigner l'odeur des cadavres supposée être la cause principale de l'épidémie, selon la théorie des miasmes.

En , la « Grande Peste » fut apportée, à Marseille, par le Grand Saint Antoine, dont l’affréteur, l’échevin Jean-Baptiste Estelle, malgré un décès suspect signalé par le capitaine Jean-Baptiste Chataud, voulut absolument débloquer sa cargaison pour commercialiser ses soieries à la foire de Beaucaire qui débutait le . La peste ne fut officiellement déclarée que 67 jours après l’arrivée du navire.

En , pour limiter la propagation de la maladie que les restrictions de circulation ne parviennent pas à contenir, le royaume de France, les territoires pontificaux d'Avignon et du Comtat Venaissin décident de se protéger par une ligne sanitaire matérialisée par un mur de pierres sèches entre la Durance et le mont Ventoux, et gardé jour et nuit par les troupes françaises et papales empêchant tout passage. Les habitants furent ainsi réquisitionnés pour son édification, le mur devait empêcher toute relation entre le Comtat Venaissin et le Dauphiné encore épargné.

Malgré les barrières naturelles que représentaient la Durance, le Rhône, le Verdon, le Var, l’Eygues et l'Orb, auxquelles s’ajouta le « mur de la Peste », on a pu calculer que l’épidémie se déplaçait de 45 kilomètres par mois, en zone peuplée, avec des différences allant de 35 à 50 km/mois[réf. nécessaire]. Mais si le fléau atteignit les Préalpes et le Gévaudan, il ne dépassa pas Orange dans la vallée du Rhône et il s’arrêta aux portes de Saint-Genest-de-Beauzon, près de Largentière.

La peste atteignit Apt, le [1], et Carpentras le , où l’on exposa les reliques de saint Siffren et le Saint-Clou pour éloigner le fléau. Un an plus tard, à Méthamis, le , le bureau de santé ordonnait :

« Que ceux des habitants qui voudraient aller travailler à la vendange hors du terroir ne pouvaient aller qu'à Carpentras ou autres lieux plus proches ; qu’à leur retour ils apporteraient une attestation des personnes chez qui ils auraient travaillé et le nombre de jours qu’ils auraient travaillé chez chacun, au défaut de laquelle attestation ils ne seraient plus reçus dans le lieu[2]. »

D’une façon générale, en ce temps de vendanges, les raisins ne pouvaient attendre et de nombreux consuls ou bureaux de santé remirent aux vendangeurs de leur commune une « carte marquée aux armes de la ville » leur servant de laissez-passer.

Le vin trouva une place prépondérante parmi les désinfectants ou les médications. Durant toute la période 1720-1721, on conseilla des vins légers bus avec de l’eau pour ne pas enflammer le sang. Les vins blancs étaient recommandés. Pour désinfecter les lieux touchés par la peste on se servit du vinaigre des quatre voleurs.

Comme curatif, l’apothicaire de Ménerbes se chargea de fournir en thériaque une partie des communes de la vallée du Calavon. Le , la peste finie, les consuls de Goult qui en avait acheté pour 340 livres lui renvoyèrent leur stock avec une indemnisation de 40 livres, mais par précaution, en gardèrent pour 20 livres.

Il y eut 126 000 morts en Provence, Comtat et Languedoc. En Provence, 81 communautés furent atteintes et sur une population de 293 113 habitants, il y eut 105 417 morts (36 %) ; dans le Comtat, 6 communautés, soit 36 641 habitants et 8 062 morts (22 %) ; en Languedoc, 84 communautés, soit 12 597 morts pour 75 377 habitants (16,7 %). Marseille, la première touchée, perdit la moitié de sa population, soit 50 000 morts[réf. nécessaire].

Après la Grande Peste

Borne de signalisation touristique du mur de la Peste à Cabrières-d'Avignon.

Les « Infirmeries » de Marseille restèrent en service jusqu’en 1850. C’était là que les capitaines apportaient leur patente. De 1650 à 1720, ces mesures et leur respect furent efficaces puisqu’il n’y eut pas d'épidémie atteignant les habitants du port. Le eut lieu la pose de la première pierre du nouveau bâtiment de la consigne sanitaire, à Marseille. Puis un nouveau lazaret fut installé, en 1777, au château Saint-Roch, entre la mer et la route d’Aix. Ces lieux de quarantaine, inclus dans la ville, furent déplacés, en 1775, dans l’ile Pomègue, qui pouvait faire accoster quarante navires de 300 à 400 tonneaux sur deux rangs, puis en 1828, dans l’ile Rateneau, à l'hôpital Caroline.

Le , un incident notable émut tous les Marseillais. La corvette américaine Le Cyand renversa sur les quais du Vieux-Port la statue de saint Roch qui ornait la façade du « pavillon sanitaire ». Le saint en perdit la tête et le navire son beaupré.

Après la « grande peste » de 1720, pour parfaire l’isolement du lazaret marseillais, il fut entouré d’une seconde muraille (1724), située à douze mètres de la première. Une troisième enceinte fut construite en 1825. Résultat, plus de peste en ville, mais une vingtaine de cas qui purent être circonscrits dans l’enceinte du lazaret. Les marchandises suspectes étaient placées en quarantaine dans les « Entrepôts de l’Enclos neuf » (1757). Chacun, d’une dimension de 65 m × 35 m, pouvait abriter environ 6 000 balles ou colis.

À partir de 1723, le mur n'a plus d'utilité sanitaire et on réutilise les pierres pour d'autres constructions. Depuis 1986, une campagne de restauration et de valorisation est en place par l'intermédiaire de l'association « Pierre sèche en Vaucluse ». On peut voir le mur entre Cabrières-d'Avignon et Lagnes, ainsi qu'à Murs. Aujourd'hui, près de 6 kilomètres en ont été restaurés[réf. nécessaire].

Notes et références

  1. Abbé Boze, Histoire d'Apt, 1813.
  2. Yvonne Burgues, Les Badaïres de Méthamis, Éd. Rullière, Avignon, 1959.

Bibliographie

  • Jean Noël Biraben, Les Hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, t. I et II, 1975-1976.
  • Marion Carnévalé-Mauzan, Les Purifications des lettres en France et à Malte, Gap, 1960, 75 p.
  • Daniel Panzac, Quarantaines et lazarets : l’Europe et la peste d'Orient, XVIIe – XXe siècle, Aix-en-Provence, Édisud, 1986.
  • Collectif, La Muraille de la Peste, Éd. Pierre sèche en Vaucluse / Alpes de Lumière, Saumane / Mane, 1993 (ISBN 2906162256).

Voir aussi

Articles connexes

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