Luigi Cadorna

Luigi Cadorna, né le à Pallanza (Verbania) dans le Piémont et mort le à Bordighera, est un militaire italien qui réorganisa l'armée italienne à la veille de la Première Guerre mondiale, et en fut le chef d'état major durant les trente premiers mois du conflit.

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Biographie

Il est le fils du général Raffaele Cadorna.

Commandant en chef des troupes italiennes

Militaire italien de l'état-major général, il est cependant conscient des implications de la politique louvoyante de l'Italie entre les deux blocs d'alliance, insistant, en 1902, sur la modification des obligations du Royaume d'Italie envers ses alliés de la Triplice induite par le traité de 1902 avec la France[1].

À la suite du décès subit de son prédécesseur, il devient chef de l'état-major général italien en [2]. À ce poste, conscient du caractère provisoire de la neutralité italienne et partisan de l'entrée de l'Italie dans le conflit contre la double monarchie[3], il met en place les conditions d'une mobilisation accrue, faisant passer les effectifs de 250 000 soldats sous les drapeaux à 550 000 hommes en quelques mois, même s'il ne peut suppléer au manque d'équipements des unités[4], puis, en 1916, crée, grâce aux productions de l'industrie de guerre, treize nouvelles divisions parfaitement équipées[5]

Une fois la guerre déclarée, il installe son quartier général à Udine, où le roi vient rapidement le rejoindre[6]. Mais sa conduite de la guerre génère dans le royaume un certain nombre de critiques, aussi bien de la part des hommes politiques que de ses subordonnés[7]. En effet, il concentre dans ses mains un pouvoir immense, est flanqué d'un ministre sans portefeuille[5].

À ce poste, il participe à la mise en place de la stratégie alliée, décidée conjointement à partir de l'été 1917 et défend le point de vue de son gouvernement dans la conduite de la guerre, parfois contre l'avis des commandants en chefs des autres armées de l'Entente[8]. Cependant, dès le printemps 1916, pour faire face à une offensive autrichienne, il demande à ses alliés de lancer des offensives, en Russie et en France[9].

Cependant, au printemps 1917, il tente une négociation avec la double monarchie, proposant la sortie de l'Italie du conflit moyennant la cession par l'Autriche-Hongrie du Trentin et de la côte dalmate jusqu'à Aquilée[10].

Opérations menées sous sa direction

Alors qu'il a une attitude défensive dans le Trentin, il lance des offensives le long de la rivière Isonzo, entraînant peu de succès et beaucoup de pertes humaines. En effet, il est partisan d'attaques frontales et privilégie le choc plutôt que la manœuvre[11]. Ses principaux succès furent l'arrêt de l'offensive autrichienne au Trentin, la prise de Gorizia et la victoire de Bainsizza. Cependant, ces succès sont amoindris par le manque de réaction des Serbes, informés des conditions, défavorables pour eux, du Traité de Londres[11], par la combativité des soldats de la double monarchie et l'efficacité de ses services de renseignements[12].

En 1916, en lien avec les offensives menées sur les autres fronts, il coordonne les attaques italiennes sur le front de Isonzo, dans un premier temps avec succès, notamment en raison de la nécessité du redéploiement d'unités austro-hongroises face aux Russes[13]. Il lance ainsi les sixième, septième et huitième batailles de l'Isonzo[14]. Au cours de l'année suivante, il lance d'autres offensives sur l'Isonzo selon le modèle mis en place en 1915, avec guère plus de succès[15].

La participation de troupes allemandes aux côtés de celles de l'Autriche-Hongrie en 1917 change le rapport de forces et conduit à la défaite de Caporetto. Ses choix d'une défense statique, avec l'artillerie, aboutissent à la débâcle, notamment en raison du manque de coordination entre les différentes unités placées sous ses ordres, ainsi que l'absence de liaison entre l'infanterie et l'artillerie[16]. De plus, sa mauvaise appréciation de la situation contribue à transformer en déroute la défaite qui se profilait[17].

Il songe alors à se suicider mais y renonce. Contraint à la démission, il est remplacé par le général Armando Diaz. En 1919, il fit partie de la délégation italienne à Versailles, mais une enquête officielle sur la défaite de Caporetto, qui le mettait en cause, l'obligea à retourner en Italie. Il fut néanmoins nommé maréchal en 1924, quand Mussolini prit le pouvoir.

Style de commandement

Sous sa direction, l'armée italienne avait recours massivement aux pelotons d’exécution et aux décimations des soldats qui souhaitaient la fin de la guerre. Il serait à l'origine de 750 condamnations et 270 exécutions sommaires[18].

Divers

Anecdotes

  • Après le désastre de Caporetto, le général Cadorna s'est retiré au palais de Zara, à Trévise.[réf. nécessaire]
  • Une chanson rappelle la haine des soldats pour Luigi Cadorna. Le refrain, simplissime, (Bim Bam Bom , al rombo del cannon ! - Bim Bam Bom, au fracas du canon !) provient d'une vieille chanson de soldats datant de la guerre de Libye intitulé Bombacé [19] et la musique des couplets est reprise d'une chanson satirique intitulée La moglie di Cecco Beppe (littéralement "La femme à Fanfan-Jojo") interprétation par nanni Svampa violente satire contre l'impératrice Elisabeth (Sissi) d'Autriche et son époux François Joseph de Habsbourg (le "Fanfan-Jojo" du titre) vus comme les ennemis héréditaires du peuple italien, chanson due au chansonnier romain Pietro -dit Sor- Capanna [20] Il en existe plusieurs versions avec des couplets dus à la créativité des soldats qui , au cours de la guerre étaient de plus en plus désillusionés vis à vis de leur Commandant en chef[21] :

« Il general’ Cadorna mangia le buon’ bistecche
Ma il povero soldato mangia castagne secche.
 »

« Le général Cadorna mange de bons biftecks
Mais le pauvre soldat mange des châtaignes sèches. »


Mais d'autres strophes presque aussi fréquemment citées et chantées mettent en cause, pêle-mêle, le manque de moyens matériels (l'intendance qui ne "suit pas") les buts de guerre trop ambitieux (conquête de Trieste et de la Vénétie ou de Gorizia au prix du sang) l'enrôlement des très jeunes soldats de la classe 99 (Ragazzi del 99 [22] ) envoyés au front à 17 ans sans vraie préparation militaire sur ordre de Cadorna, l'horreur des tirs fratricides et la collusion de Cadorna avec la classe dirigeante italienne et le roi Victor Emmanuel de Savoie .

"Il Generale Cadorna s'ha fatto carritere " Le général Cadorna s'est fait charretier militaire

Un avia mula... attaca la mogliere" Il n'y avait plus de mules, il a attelé sa femme"

ou alternativement

Per asinello avia Vittor' Emmanuele" Et en guise d'âne il avait Victor Emmanuel"


"Il general' Cadorna s' a fatto aviatore "Le général Cadorna s'est fait aviateur

Mancanza di Benzina...Pissava nel motore" Mais pénurie d'essence....il pissait dans le moteur"


"Il General' Cadorna a scritto a la Regina " Le Général Cadorna a écrit à la Reine

Se vo'l ver Trieste ....la vedi in cartolina" Si tu veux voir Trieste, tu la verras...en carte postale "


"Il general Gadorna ha fatto una sentenza " Le Général Cadorna a fait une déclaration

Pigliate mi Gorizia , vi mandero in licenza " Prenez moi Gorizia , je vous enverrai en permission"


"Il general cadorna e diventato matto " Le Général cadorna est devenu dingo

Manda il 99 che fa ancor'pipi al letto" il envoie au front le (contingent) 1899 qui fait encore pipi au lit"

"Il general Cadorna a comprato le vacche "Le General cadorna a acheté des vaches

E per il 99 che ancora beve il latte " C'est pour le (contingent) 99 qui boit encore du lait."


"Sapete cosa ha fatto la nostra artiglieria ? "Savez vous ce qu'à fait notre artillerie ?

hanno massacrato tutta la povera fanteria..." Ils ont massacré toute la malheureuse infanterie "


"Il general Cadorna dorme , bevi, mangia " Le Général Cadorna, il dort, il boit, il mange

Il povero soldato parte e non torna" Le pauvre soldat, il part et ne revient pas"


Il va sans dire qu'une telle chanson, véritable condensé de toutes les misères du soldat italien de base, était considérée comme subversive (comme en France la chanson de Craonne dirigée contre le "boucher Nivelle") et pouvait valoir de très sérieux ennuis à qui la chantait publiquement: Un cas documenté [23]est la condamnation à six ans de prison "pour propagande défaitiste"' d'un caporal, père de famille et décoré pour bravoure, qui l'avait chantée lors d'une permission dans sa ville natale de Brescia. La mainmise de cadorna sur la justice militaire et son traitement impitoyable des défaitistes (il avait fait rétablir la peine de décimation venue du fond de l'antiquité romaine et s'en faisait publiquement gloire) est un fait historique avéré.


Encore chantée de nos jours [24] dans diverses versions elle figure en bonne place parmi les plus fameuses chansons du "folklore rouge" italien et du répertoire pacifiste[25].

Selon un témoin cité par Del Boca, « Cadorna, lui, était notre véritable ennemi. Pas les Autrichiens »[26]. Des civils slovènes furent fusillés en nombre sur le front de l’Isonzo. Il y eut l’enfer de Gorizia (Ô Gorizia, tu sei maledetta ! - « O Gorizia, toi tu es maudite ! »). Ceci fait référence aussi aux horreurs de l’Isonzo, avec notamment le « téléphérique de la mort » desservant le front, qui charriait cadavres et blessés déchiquetés - depuis le haut vers bas - en échange d’approvisionnements - de bas en haut…

Hommages

  • Une place porte son nom à Milan : le « piazzale Luigi Cadorna ».
  • Il est mis en scène dans le film de Francesco Rosi, Les Hommes contre (1970).
  • Une classe de croiseur légers et un navire furent baptisés en son honneur.
  • Diverses rues et places de villes italiennes portent le nom de Cadorna, toutefois, dans un contexte de réevaluation historique, des voix s'élèvent, en particulier à gauche de l'échiquier politique [27] pour les débaptiser, au vu d'une image défavorable de grand vaincu de Caporetto et de "boucher des soldats italiens", c'est notamment chose faite depuis 2011 à Udine, dans la ville où le Général Cadorna avait installé son GQG , où le Piazzale Cadorna a été rebaptisé Piazzale dell' Unita Italiana-Place de l'unité Italienne [28]

Bibliographie

  • Christopher Clark (trad. de l'anglais), Les somnambules : Été 1914 : comment l'Europe a marché vers la guerre, Paris 2013, Flammarion, , 668 p. (ISBN 978-2-08-121648-8).
  • Fritz Fischer (trad. Geneviève Migeon et Henri Thiès), Les Buts de guerre de l’Allemagne impériale (1914-1918) [« Griff nach der Weltmacht »], Paris, Éditions de Trévise, , 654 p. (notice BnF no FRBNF35255571).
  • Pierre Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Peuples et civilisations » (no 19), (réimpr. 1939, 1948, 1969 et 1972) (1re éd. 1934), 779 p. (notice BnF no FRBNF33152114).
  • Max Schiavon, L'Autriche-Hongrie la Première Guerre mondiale : La fin d'un empire, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », , 298 p. (ISBN 978-2-916385-59-4).
  • Angelo Tasca, Naissance du Fascisme : L'Italie de l'armistice à la marche sur Rome, Paris, Gallimard, coll. « Tel », (1re éd. 1938), 503 p. (ISBN 978-2-07-076419-8).

Notes et références

  1. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 100, note 1
  2. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 106, note 2
  3. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 107
  4. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 106
  5. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 127
  6. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 110
  7. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 113
  8. Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, p. 549
  9. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 129
  10. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 167
  11. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 111
  12. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 112
  13. Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, p. 371
  14. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 130
  15. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 176
  16. Renouvin, La Crise européenne et la Première Guerre mondiale, p. 510
  17. Schiavon, L'Autriche-Hongrie dans la Première Guerre Mondiale, p. 180
  18. (fr)[PDF] Renaissance d’une polémique. 2014 : Les fusillés de la Grande Guerre de l’armée italienne en débat - Par Marco PLUVIANO - Observatoire du centenaire, Université Paris I.
  19. « Archivio Lorien - Canzone BOMBACE' », sur www.aclorien.it (consulté le )
  20. (it) « Sor Capanna », dans Wikipedia, (lire en ligne)
  21. Gilbert Meiner, «Mémoires italiennes de la colonisation, à propos de : Italiani, brava gente ? d’Angelo Del Boca» dans : Esprit, janvier 2008, p. 36-51.
  22. (it) « Ragazzi del '99 », dans Wikipedia, (lire en ligne)
  23. (it) « «Maledetto sia Cadorna, prepotente come un cane» - Cultura e Spettacoli », sur Trentino (consulté le )
  24. « il general Cadorna » (consulté le )
  25. « Chansons Contre la Guerre: anonyme - Il general Cadorna », sur www.antiwarsongs.org (consulté le )
  26. Angelo Del Boca, Italiani, brava gente?: un mito duro a morire, N. Pozza, 2005, p. 133.
  27. « Il movimento anti-Cadorna «Nuovi nomi a vie e piazze» - Corriere della Sera », sur www.corriere.it (consulté le )
  28. (it) « La storia rivisitata: Udine cancella piazza Cadorna », sur Messaggero Veneto, (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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