Cagot

Un cagot, au féminin cagote, dans le sud-ouest de la France, était aussi appelé agote, sur le versant sud des Pyrénées, en Espagne. Il s'agissait de termes dépréciatifs qui désignaient des groupes d'habitants, exerçant des métiers du bois, ou du fer[1], frappés d'exclusion et de répulsion dans leurs villages surtout au Pays basque[2],[3] de part et d'autre du Piémont pyrénéen et en Gascogne, entre le XIIIe siècle et les temps modernes. La réputation des cagots est associée à la peur de la lèpre. Des populations similaires existaient en Bretagne (les caqueux, caquins ou caquous).

Pour l’article ayant un titre homophone, voir Kago.

Derniers Agotes, localité de Bozate (Navarre), à la fin du XIXe siècle, assemblage de photographies de 1900.
Charpente de l'église Saint-Girons à Monein, construite par les cagots.
Sculpture de « cagot » de l’église Saint-Girons de Monein.
Maisons de cagots dans le quartier Mailhòc (maillet de bois), Saint-Savin, carte postale ancienne (1906). Cette maison aurait été démolie.
À Saint-Léger-de-Balson (Gironde), la source Saint-Clair est « double », l'une pour les pèlerins, l'autre pour les cagots. (Fév. 2010).
Porte des cagots (depuis murée) de l'église Saint-Martin de Moustey
Bagnères-de-Bigorre - l'Adour et le quartier des cagots
Bénitier destiné aux cagots, cathédrale d'Oloron, Béarn
Porte des cagots de l'église de Sauveterre-de-Béarn.
Le château de Montaner, construit par les cagots, pour Gaston Fébus.
Campan - La halle, construite par les cagots, classée monument historique.

Localisation et désignation

Les cagots sont présents en France en Gascogne (des portes de Toulouse[4], jusqu'au Pays basque, en Armagnac, en Chalosse, dans le Béarn, en Bigorre et dans les vallées pyrénéennes), mais aussi dans le nord de l'Espagne (Aragon, Navarre sud et nord, Pays basque et Asturies) où ils sont désignés par le terme Agotes[5]. Quoique réduits depuis des siècles à n'avoir de relations normales qu'entre eux, ils ne constituaient cependant pas un groupe en tant que tel, ils étaient au contraire disséminés, vivant par petits groupes de deux ou trois familles aux abords de presque toutes les villes ou villages des régions mentionnées[6]. Ces hameaux étaient appelés crestianies puis à partir du XVIe siècle cagoteries[7],[8] ou aux Capots. À l’échelle du Béarn par exemple, la répartition des cagots, souvent charpentiers, s’apparente à celle des autres artisans nombreux essentiellement dans le piémont. Loin de s’agglutiner en quelques lieux, les crestians s’éparpillent dans 137 villages et bourgs. En dehors des montagnes, 35 à 40 % des communautés connaissent des cagots, surtout les plus importantes, à l’exclusion des très petits villages[9]. La toponymie et la topographie indiquent que les endroits où se trouvaient les cagots présentent des caractéristiques constantes ; ce sont des écarts, en dehors des murs, nommés « crestian » (et dérivés) ou « place » (les noms Laplace sont fréquents) à côté de points d'eau, lieux attribués pour vivre et surtout pratiquer leurs métiers.

Selon les lieux et les époques, les façons de désigner les cagots ont évolué.

Avant le XVIe siècle, crestians et gésitains, des désignations liées à la religion et à la lèpre

Les chercheurs et historiens évaluent aujourd'hui l'apparition des « crestians » ou « chrestias » au XIIIe siècle[10]. la désignation a peut-être été synonyme en gascon de « lépreux blancs ». Les lépreux étaient quant à eux désignés sous le nom de pauperes Christi « pauvres du Christ », à rapprocher des Anawim, les « pauvres de Yavhé ». On pensait peut-être à l'époque à un principe de précaution dicté par Dieu, d'où le terme de crestian.

Les crestias sont appelés, à Bordeaux, ladres (voleur en occitan gascon) qui signifiait lèpre en ancien français, terme aussi à rapprocher de ladrón signifiant voleur ou pillard en espagnol et donc synonyme de bagaude, duquel cagot pourrait être issu. Les chroniques les désignent souvent encore par les dénominations de capos, gaffos, tous termes de mépris qui signifiaient aussi lépreux. À cette même époque on les appelait aussi des noms de Lazare. D'ailleurs, dans certains textes du XVIe siècle, le terme cagot et ses équivalents sont employés comme des synonymes de « lépreux ». En béarnais, ce terme signifiait « lépreux blanc ». Les dénominations de Gahet (gahets, gahetz, gafets, gaffets) et de Gahouillet, forme pyrénéenne du castillan gajo lépreux, sont aussi utilisées. Lèpre désigne au Moyen Âge différentes maladies de peau mal définies : la lèpre rouge est presque toujours mortelle ; la lèpre blanche ou lèpre tuberculeuse présente des signes semblables, mais peut se stabiliser. Toutes les maladies de peau, donc visibles, étaient assimilées à une lèpre, une ladrerie, d'un mot hébreu rattaché à Lazare. Tous ces malades inspirent la peur de la contagion et sont isolés hors des villages. La seule et mauvaise connaissance des maladies de peau visibles, sous le terme générique de lèpre, induisait faussement que toutes ces maladies étaient transmissibles par le contact et se transmettaient dans les générations.

Le terme employé pour lèpre en Gascogne était lo mau de sent Lop le mal de saint Loup »), ou plus souvent lo malandrèr, (litt., « le mal-aller », lat. malandria, ), cf l'italien malandato, « mal fichu », et les mots français « malandrin » et « maladrerie » qui en découlent aussi. Le terme ladre (du nom Lazarus) est aussi employé[11]. On voit que l'assimilation de termes injurieux aux noms de la lèpre a été d'usage courant, et demeure.

Le terme de Gésitas, Gésites ou Gésitains est postérieur à 1517, date d'un célèbre procès à la suite d'une pétition de cagots aux États de Navarre. Cette pétition fut combattue par un certain Caxarnaut qui utilisa un texte de l'Ancien Testament où il est question d'un prince sauvé de la lèpre par le prophète Élisée, mais trahi par son valet Geizi (Giézi ou Géhazi). Ce dernier fut châtié sur place par le prophète qui lui donna la lèpre ôtée peu de temps avant à son maître. Caxarnaut voulait démontrer que la lèpre était incurable et d'origine divine[12]. Ce sont les textes officiels qui appellent les cagots les gézites, mot curieux et savant que le peuple n’adoptera pas et que l’on trouvera seulement dans la bouche ou sous la plume des lettrés[13].

Au fil des siècles, de nouvelles appellations pour désigner les cagots

Le nom de cagot est apparu vers le XVIe siècle, lorsque la théorie des origines goths remplace celle des lépreux[12]. Au temps de la renaissance, le mot crestia ou crestian qui désignait les cagots au Moyen Âge est totalement abandonné dans la langue courante. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, en Armagnac, en Condomois, en Lomagne, le peuple les appelle capots, en Béarn cagots, au Pays basque français et en Navarre espagnole agots[13]. Les cagots sont aussi appelés agotasBordeaux, dans l'Agenais, et les Landes), agotz (Pays basque). Durant cette même période apparaissent aussi les appellations mèstres (maîtres dans le travail du bois) et charpentiers (les Parlements, non sans difficulté, essaieront d’imposer l’usage de charpentier parce que les mots capot ou cagot sont ressentis comme une insulte)[13].

Les cagots étaient aussi appelés canars[14], parce qu'ils devaient porter sur leurs habits une patte de canard pour se faire reconnaître[15]. Ils sont également nommés en Bigorre grauèrs ou cascarròts. Les cagots sont peut-être à rapprocher de ces parias qu'étaient les marrones ou marruci (les Marrons) d'Auvergne et des Alpes[7] ainsi que des colliberts du Bas-Poitou[16], des capots ou gens des marais d'Anjou, ou des coquets de Vendée[17],

Une population réprouvée

Les cagots vivant comme des proscrits et frappés de tabou, un nombre considérable d’interdictions dictées par la superstition pesaient sur eux : certaines étaient orales, mais d’autres étaient transcrites dans les « fors » (lois) de Navarre et du Béarn des XIIIe et XIVe siècles.

Interdits et obligations

Les interdits pesant sur les cagots ne se cumulaient pas toujours. Il faut tenir compte des différences locales de part et d'autre des Pyrénées, et des évolutions dans le temps (sur une très longue période de 800 ans) de la réalité des cagots.

Discriminations de lieu d'habitation

Mis à l'écart, victimes d'une sorte de racisme populaire, fortement ancré localement, il leur était défendu, selon les lieux, sous les peines les plus sévères, d'habiter dans les villes et les villages. Ils vivaient dans des quartiers spéciaux, dans des hameaux ou villages isolés, souvent d’anciennes léproseries. Ces hameaux avaient leur fontaine, leur lavoir et souvent leur propre église et parfois un petit établissement hospitalier géré par un ordre religieux[12].

Obligation de porter un insigne et obligations vestimentaires

Les cagots étaient tenus de porter un signe distinctif, généralement en forme de patte d'oie (pédauque) ou de canard, coupé dans du drap rouge et cousu sur leurs vêtements. Francisque Michel a fait apparaître que dans une des chansons anciennes (contre la cagoterie) qu'il compila et publia (Noces de Marguerite de Gourrigues, du XVIIe siècle), il semblait résulter que, outre la patte de canard qu'ils portaient sur la poitrine, les cagots avaient encore la cocarde rouge au chapeau[18]. À Marmande, en 1396, le règlement de la ville précise que les gahets devront porter, cousu sur leur vêtement de dessus, du côté gauche, un signe de tissu rouge, long d’une main et large de trois doigts[19].

Un arrêt du parlement de Bordeaux défendit aux cagots, sous peine du fouet, de paraître en public autrement que chaussés et habillés de rouge (comme les Cacous en Bretagne)[16].

En 1460, les États du Béarn demandèrent à Gaston IV de Foix de Béarn qu'il leur fût défendu de marcher pieds nus dans les rues sous peine d'avoir les pieds percés d'un fer, et qu'ils portassent sur leurs habits leur ancienne marque d'un pied d'oie ou de canard. Le prince ne répondit pas à cette demande[16].

Mais à la différence des lépreux, dont le grand signe a été la cliquette ou les cliquets ou crécelle ou tartavelle, le chercheur Yves Guy écrit que l'on peut facilement défier qui que ce soit de trouver une seule allusion à un cagot s'annonçant par un instrument bruyant de ce type[1].

À Jurançon, devant la principale porte de leurs maisons, les cagots étaient forcés d'avoir une figure d'homme sculptée en pierre. Toutes ces sculptures ont été détruites par la suite avec le plus grand soin. On peut vraisemblablement penser qu'elles permettaient de signifier la présence de cagots[18].

Discriminations à l'église

Les cagots ne se rendaient au village que pour leurs besoins les plus pressants, et pour aller à l'église. Dans de nombreux cas, ils n'entraient que par une porte latérale, souvent plus petite, comme celle de l'église d'Arras-en-Lavedan ou de l'Abbaye de Saint-Savin-en-Lavedan (petite ouverture au ras du sol appelée « fenêtre des cagots »[20]) et ne prenaient l'eau bénite qu'au bout d'un bâton. C’est aussi au bout d’une planchette que le curé leur tendait l’hostie lors de la messe. Parfois, ils avaient leur propre bénitier, simple pierre creusée incrustée dans un mur de l'église et sans grandes sculptures. Un certain nombre de bénitiers sur pied représentant des Atlantes ou des Maures sont faussement attribués au cagots, comme à Pierrefitte-Nestalas et à l'Abbaye de Saint-Savin-en-Lavedan[12].

Les sacrements même leur étaient interdits en certains endroits, pour la même raison qu'aux animaux. Ils ne pouvaient recevoir le sacrement de l'Ordre, et ne pouvaient entrer dans la cité de Lourdes que dans la journée, par une porte qui leur était réservée : la Capdet pourtet[12].

Discriminations liées à l'état civil

La naissance dans une famille de cagots suffisait à établir pour le reste de la vie la condition de cagot. La marginalisation des cagots débutait au baptême célébré sans carillon et à la nuit tombée (la mention « cagot », ou son synonyme érudit « gézitain », était portée sur le registre paroissial) et se terminait après leur mort, puisqu'ils avaient un cimetière à part[1]. Ils n’avaient pas de nom de famille : seul un prénom, suivi de la mention « crestians » ou « cagot », figurait sur leur acte de baptême. Sur les registres des paroisses, comme sur les actes civils, leur nom était toujours accompagné de l'épithète flétrissante de cagot[21]. Ils n’étaient admis nulle part aux honneurs ou aux fonctions publiques. On ne leur permettait pas de faire à la guerre office de combattants, mais leurs services comme charpentiers étaient utilisés pendant les sièges. Il leur était interdit de porter aucune arme ni aucun outil de fer autre que ceux dont ils avaient besoin pour leurs métiers.

Les cagots ne pouvaient se marier qu’entre eux, car la famille qui les eût accueillis se fût déshonorée[21] ; pas de dérogation à cette règle. Aussi, pour éviter la consanguinité, les cagots allaient chercher femme dans d’autres communautés de cagots plus ou moins proches[13], ou ils s’expatriaient à peu de distance, introduisant dans la communauté d’accueil leur nom patronymique, emprunté à leur communauté d’origine[13]. D’autre part, les villageois ne perdaient pas une occasion d'attaquer les cagots quand un mariage entre cagots avait lieu. Des cris, des chants injurieux les accueillaient au passage ; bien vite les beaux esprits du village composaient une chanson grossière, en forme de litanie, où tous les gens de la noce étaient compris, et dont on accompagnait le cortège[21]. Souvent des rixes éclataient, le sang coulait — mais les parias, moins nombreux, avaient presque toujours le dessous[21].

Discriminations juridiques

On ne les entendait en justice qu’à défaut d’autre témoignage, et il ne fallait pas moins de quatre ou même de sept cagots pour valoir un témoin ordinaire[21]. D'après l'ancien for de Béarn, il fallait la déposition de sept cagots pour valoir un témoignage[16]. Toutefois, le pouvoir juridique des cagots n'était pas nul : ils n’étaient point serfs. Ils passèrent par exemple un contrat de gré à gré (voir infra) avec Gaston Fébus, dans l’église de Pau, en présence de témoins, et par-devant notaire[22], où les cagots s'engageaient à la construction du château de Montaner, contre une exonération de la taille.

Interdictions concernant les activités liés à la nourriture et à l'eau

Les interdits liés aux croyances qu'ils pouvaient contaminer l'eau étaient nombreux : interdiction de venir boire aux fontaines, ils devaient prendre celle-ci à des fontaines qui leur étaient réservées. Interdiction de laver aux lavoirs communs (par exemple à Cauterets, ils ne pouvaient se baigner qu'après les autres habitants, et ne pénétrer que par une entrée dérobée donnant accès à des bains réservés aux seuls cagots)[12].

Interdiction d’entretenir aucun bétail, si ce n’est un cochon pour leur provision et une bête de somme — encore n’avaient-ils pas pour ces animaux la jouissance des biens communaux[21]. Ils ne pouvaient vendre le produit de leur exploitation aux gens du village[12] (interdiction de faire du commerce).

Il était interdit aux cagots de labourer, de danser et de jouer avec leurs voisins[21]. Certains métiers leur étaient interdits, généralement ceux considérés comme susceptibles de transmettre la lèpre, comme ceux liés à la terre, au feu et à l’eau : ils n'étaient donc jamais cultivateurs. Ils ne devaient porter aucun objet tranchant, donc ni arme ni couteau.

En 1606, les États de Soule leur interdisent l'état de meunier[16]. Les règlements les plus anciens ne spécifient pas toujours que les cagots ne peuvent être que charpentiers ; en revanche, ils leur interdisent plusieurs autres professions, en particulier celles qui ont trait à l’alimentation. C’est ainsi que la coutume de Marmande (1396) défend aux gaffets de vendre du vin ou de faire du commerce dans les tavernes ; ils ne pouvaient pas non plus vendre du porc, du mouton, ou autres animaux comestibles ; il leur était interdit en outre d’extraire l’huile de noix. La coutume du Mas d’Agenais (1388) défendait de louer les gaffets pour les vendanges[22].

Le clergé comme l’aristocratie justifient ces discriminations, parfois jusqu'en plein XVIIIe siècle, en dépit du fait que les cagots étaient catholiques. Ils condamnent cependant les excès commis sur ces populations par les manants, sur lesquels pesaient les corvées et la taille, dont étaient exempts les cagots, à certaines époques et dans certaines régions.

On ne connait pas d'étude ou de recensement sur les cagots protestants, quoiqu'il dût y en avoir dans les régions majoritairement réformées du sud-ouest.

Statut fiscal des cagots

Pour les années 1360 et 1365 par exemple, les cagots payaient des redevances pour leurs terres ou fiefs, ainsi que des taxes sur le revenu de celles-ci[22]. L'exemption de la taille ne fut pas uniforme. Au XVe siècle, dans la plupart des pays d'élection (les plus nombreux), la taille concernait les chefs de famille roturiers, elle était répartie arbitrairement d'après les signes apparents de richesse et en fonction des réseaux d'influence. Seules dans les régions correspondant à la "taille réelle" (dans la plupart des pays d'État), la taille[23] concernait les biens fonciers.

L’Armagnac stricto sensu était, avec le Béarn où les cagots atteignent aussi approximativement 2 % de la population, le seul pays où les cagots ont eu un statut fiscal à part[9] :

Le 6 décembre 1379 (la taille seigneuriale existait depuis environ 300 ans), les cagots (défendus par leurs procureurs) passèrent un traité avec Gaston Fébus par lequel ils s’engageaient à exécuter toute la charpente du château de Montaner, ainsi que les ferrures nécessaires, le tout, à leurs frais; en revanche, le prince leur accordait la remise de deux francs sur l'imposition de chaque feu (les « feux » correspondaient aux foyers ou familles) ; les dispensait de la taille ; et leur permettait de prendre le bois dans ses forêts. Les exemptions d’impôts dont il est ici question ne regardaient que les cagoteries existantes en 1379, et non celles à venir, ainsi qu’il est spécifié dans le For de 1551[22]. Ce privilège ne fut aboli qu’en 1707. On ignore si les cagoteries anciennes qui avaient été abandonnées en 1385 (Aydie, Montardon, Lagor, Laas) jouirent des bénéfices du traité de 1379, lorsque plus tard elles furent à nouveau occupées par les parias. Plusieurs des cagots qui figurent dans le dénombrement de 1385 semblent n’avoir pas eu à payer le droit de feu. La reconnaissance des cagots envers Gaston Fébus s’était manifestée deux ans plus tôt (1383) par un hommage au souverain, hommage où figurent quatre-vingt-dix-huit d’entre eux[22]. Après la mort de Gaston Fébus, la rénovation du fort, en 1398, exempte ces cagots selon les termes du contrat, pour leurs cagoteries, tout comme les ecclésiastiques pour leurs bénéfices[9] ; en 1379, des serfs furent eux aussi dispensés de corvées, contre des versements en argent dont le produit fut affecté aux travaux du château de Montaner[24].

Dans les Landes et la Chalosse, où leur présence était « forte », les cagots devaient acquitter un tarif de droits paroissiaux qui leur était propre[9].

Globalement, le nombre des questes des cagots levées dans les différentes recettes du comte d’Armagnac recoupe assez bien la fréquence de la toponymie cagot. On pourrait, a priori, penser que la queste ou emparanse (impôts), repose sur les chefs de famille. En réalité la situation est sans doute plus complexe.

Concernant le cens, l'exemple peut être donné des gahets de Bordeaux, charpentiers de leur état, qui étaient rassemblés dans un faubourg où ils formaient une sorte de communauté. Ils y avaient, au milieu des vignes, une chapelle particulière appelée de leur nom Saint-Nicolas-des-Gahets[25], et ils payaient pour le tout un cens annuel de 16 sous au chapitre de la cathédrale Saint-André. Il leur était interdit de toucher aux vivres des marchés, ni d’entrer dans les boucheries, les tavernes et les boulangeries[26].

Les cagots étaient épargnés, sous les Albret, de la Gabelle en Béarn, Bigorre et Chalosse. Cette exemption, quand elle existait, a duré jusqu'au règne de Louis XIV, date à laquelle on comptait encore 2 500 cagots en Béarn. Ceux-ci rachetèrent alors, moyennant finances compensant les impôts dont ils étaient dispensés, leur « affranchissement » par ordonnance royale.

Métiers cagots

On considérait au Moyen Âge que le fer ou le bois ne pouvaient pas transmettre la lèpre. Beaucoup de cagots étaient donc charpentiers, menuisiers, bûcherons, sabotiers, tonneliers ou forgerons. Ces métiers dépendaient des régions où vivaient les cagots. Ceux-ci ne pouvaient exercer que le métier de charpentier en Béarn, ou celui de bûcheron dans le Gers[1].

Cagots bâtisseurs

Les cagots excellaient dans le travail du bois. ils ont participé à la construction de la charpente de nombreux édifices, dont certains sont aujourd'hui des monuments historiques.

  • Au XIIIe siècle : c’est à des cagots du Béarn que l’on confie la construction de la charpente de Notre-Dame de Paris[6],[27].
  • 1379 : sous la direction de Sicard de Lordat et de vingt-cinq maîtres maçons, les cagots construisent le château de Pau[22]. Dans le Béarn, une liste des cagots ayant travaillé à la charpente du château de Montaner (engagement pris en 1379, réalisé en 1398), ainsi que le dénombrement général de la vicomté en 1385, permettent de faire pour cette époque une approximation du nombre de cagots entre 600 et 1.000 personnes[28]. Pour le château de Montaner, le maître charpentier cagot Pierre Doat s’engage pour les cagots à installer des fours pour y cuire 100000 briques par an. Pour l’achèvement du donjon, et pour l’ossature des bâtiments à l’intérieur de l’enceinte, quatre-vingt-huit charpentiers cagots s’engagent à fournir toutes les pièces de bois nécessaires, taillées, avec leurs ferrures ; à les poser ; à recouvrir les charpentes du toit de lauzes livrées sur place[24].
  • 1396 : Berdot de Candau et Arnaud de Salafranque, sous la direction du chef des cagots de Lucq, Peyrolet, exécutent les réparations de l’église d’Ogenne[22];
  • 1404 et 1414 : les cagots réparent le moulin de Navarrenx, sous la direction de Berduquet de Caresuran, architecte de valeur[22] .
  • 1464 : à Monein (qui comptait en 1385 environ 2300 habitants), la réalisation de la charpente remarquable de l’imposante église Saint-Girons est confiée aux cagots[29]. Mais comme dans les autres églises de la région, dans l'église Saint-Girons, un bénitier et une petite porte sont attribués à ces exclus de la société[30].
  • Au XVIe siècle, les cagots travaillent aux abattoirs et au temple protestant de Pau[22].
  • 1597 : un incendie endommage l'église de Campan ; les cagots reconstruisent la charpente.
  • 1694 : le 19 novembre 1694, un autre incendie violent détruit l'église de Campan, la halle, et 70 maisons. Les cagots vont reconstruire l'église, ainsi que la halle de Campan, lieu d'un important marché aux bestiaux. L'église et la halle datent de cette époque. La halle, classée monument historique depuis le 14 mars 1927, est la plus ancienne des Hautes-Pyrénées.
  • On pourrait citer bien d’autres travaux encore, à Morlaas, à Loubieng, à Arzacq et ailleurs[22].

Règlements et pratiques

En 1471, un règlement fait par un notaire d'Oloron spécifiait que les cagots devaient vivre de leur métier de charpentier, ainsi qu’ils y étaient obligés par un usage ancien ; de plus, il leur interdisait les autres professions. Pour éviter que les prix de leurs travaux ne fussent majorés par suite de l’espèce de monopole dont ils jouissaient, le même règlement prenait soin de dire que le cagot de Moumour (pour lequel ce document avait été rédigé) serait dans l’obligation de fournir, avant tout, les commandes faites par les habitants de son village, moyennant un salaire raisonnable[22]. Concernant leur rémunération, les cagots qui refusaient de travailler sans être payés (de quelque façon que ce soit), furent accusés de refuser de travailler pour ceux qui n'avaient pas les moyens de les payer, et ne travailler que pour les riches, moyennant double salaire, « encore qu’ils ne restassent à l’ouvrage que la moitié du jour ». C’est pourquoi les États demandèrent qu’on forçât les cagots à travailler soit à la journée, soit à prix fait par-devant expert, et cela pour les pauvres comme pour les riches[22].

La plupart des cagots faisaient honnêtement et bien leur travail; Jean Darnal, parlant du règlement de Police fait pour Bordeaux en 1555, disait par exemple, à leur sujet, qu’ils étaient « charpentiers et bons travaillans, qui gagnent leur vie en cet art dans la ville et ailleurs  »[31]. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les cagots ont acquis une telle maîtrise dans le travail du bois qu’on les considérait comme des « maîtres » et, plus tard, on les appellera couramment « lous mèstres », lous mèstes, les maîtres, et ou « les charpentiers »[13] car ils étaient considérés comme des Maîtres dans le travail du bois, à qui l’on fait appel pour les ouvrages les plus difficiles ou les plus risqués[13].

Les cagots savaient aussi tirer parti des ressources naturelles des lieux où ils vivaient. Par exemple, le saumon était devenu une manne financière pour le village de Navarrenx. Les cagots, habiles charpentiers pour certains, participèrent activement à l’élaboration de nombreux engins de pêche ; le crochet (ancêtre du rateau) le barau (filet tournant) les nasses, les coffres à moulin, etc.[32]

Mais lorsqu'en 1604 (sous Henri IV), les cagots de Nay, en particulier, se mêlèrent de vouloir vendre toutes sortes de marchandises, les États de Béarn réaffirmèrent que les cagots ne pouvaient avoir d'autres professions que charpentier et menuisier, métiers auxquels ils étaient assujettis par le For, et qu'il leur était interdit « de s’adonner à aucun art mécanique, et moins encore à la vente de marchandises »[22].

Compagnonnage

Au retour de son pèlerinage à Compostelle, un cagot pouvait s’inscrire comme compagnon de Saint-Jacques à la confrérie des charpentiers de son village[12]. La relégation professionnelle des Cagots a pu générer le compagnonnage, comme le suggère René Descazeaux[réf. nécessaire], mais ultérieurement à la mise à l'écart, et principalement pour les métiers du bois. Certains, dont le Larousse, pensaient que les Gavots (compagnons du Devoir de liberté) étaient des descendants des cagots[33].

Les cagots[34] n'étaient acceptés que parmi les compagnons du Devoir de Liberté (l'une des différentes branches du compagnonnage, apparue en 1804 et regroupant tous les compagnons qui ne se reconnaissent pas dans le catholique « Saint devoir de Dieu » : loups, étrangers, indiens, gavots ).

Tous les cagots n'étaient pas des charpentiers

Mais le chercheur Yves Guy, en prenant comme exemples les actes paroissiaux de familles de Saint-Savin, a réfuté l'affirmation selon laquelle "tous les cagots étaient des charpentiers". Pour lui, le mot "charpentier" était devenu une étiquette de substitution pour désigner les cagots[35].

Les autres professions exercées par les cagots le plus souvent furent celles de menuisier, vannier, de cordier et de tisserand. Les tisserands le plus souvent se voyaient contraints de travailler pour le dehors, les gens du pays ne leur donnant presque rien à faire sous prétexte que leur drap serait encagotté[21].

Dans les cas où les instruments de torture étaient en bois, ce qui était fréquent dans les bourgs et villages, il arrivait que les cagots fussent bourreaux, constructeurs de cercueils et fossoyeurs, fonctions n’améliorant pas leur image auprès des populations locales ni, de ce fait, leur sort. En 1607 (sous Henri IV), à Garos, les cagots refusèrent de faire les cercueils et les tréteaux pour les supporter; les jurats et députés de la ville firent alors une ordonnance par laquelle ils obligeaient les prévenus à exécuter ces funèbres travaux, à toute sommation, et cela moyennant un salaire fixe, que paierait le maître de la maison où serait constaté le décès. Les cagots récalcitrants étaient passibles d’une « loi majeure »[22].

On retrouve aussi des cagots exerçant des professions telles que chirurgiens et on leur prête volontiers des dons de guérisseurs, car vivant près des forêts, ils avaient une bonne connaissance des plantes médicinales[12].

Les femmes étaient souvent sages-femmes ; jusqu’au XVe siècle, les cagotes eurent même la totale exclusivité de cette activité. Il faut dire que le pouvoir religieux considérait les sages-femmes en général comme des sorcières qui avaient accumulé des connaissances empiriques sur le corps, les plantes médicinales, la prévention et la guérison des maladies.

La profession exercée par les cagots les sauve de la misère et surtout les maintient dans une constante relation avec le reste de la population[13]. Et c’est cela sans doute qui permettra plus tard leur définitive réintégration[13]

Historique du phénomène des cagots

Chronologie

En France, ce fut une ordonnance de Louis XIV qui y mit fin ; le clergé persista à employer le terme durant une grande partie du XVIIIe siècle, mais dès ce moment, la distinction avait presque partout disparu. Le terme continua d'être utilisé, mais pour désigner tout autre chose. En revanche, en Navarre, et en Espagne, le phénomène survécut jusqu'en 1819, avec même des traces au XXe siècle.

Dates connues
  • 1070 : ils sont mentionnés comme « gafos » dans le fuero de Navarre rédigé pour Sancho Remíriz[réf. nécessaire]
  • 1288 : première mention du terme « cagot »[réf. nécessaire]
  • 1379 : Signature par les cagots du Béarn (charpentiers) d'un contrat avec Gaston Fébus, où les cagots s'engageaient à la construction du château de Montaner contre une exonération de taille
  • 1464 : Réalisation de la charpente remarquable de l'église Saint-Girons par les cagots
  • 1514 : les agots en Navarre sont les premiers à se plaindre de leur sort au pape Léon X.
  • 1580 : les cagots, avec l'accord des Consuls et du Recteur, construisent eux-mêmes leur propre chapelle dédiée à Saint Sébastien dans la vallée de Campan.
  • 1611 : sur requête desdits cagots, il fut procédé en Béarn à une enquête médicale ordonnée par le gouverneur de la province : cette expertise conclut à l'absence de toute trace de maladie[14].
  • 1642 : dernier acte de baptême de la paroisse de Doazit (Landes) faisant état du terme de « gesitaing ».
  • Vers 1675, on renonça à inscrire sur les registres paroissiaux la qualité de cagot ou gesitain, après le nom des intéressés ; on écrivit le mot « charpentier ».
  • 1691 : violent incendie dans la vallée de Campan. L'église est détruite et sera remise en état, comme en 1597, par les cagots.
  • Doazit 1692, Brassempouy 1694 : Dernière inhumation mentionnée dans le cimetière des chrestians de la paroisse
  • 1707 : abolition du privilège issu de la construction du château de Montaner (exonération de la taille pour un certain nombre de cagoteries du Béarn)
  • 1723 : arrêt du Parlement de Bordeaux, faisant défense à toute personne du pays de labour d'injurier aucun particulier comme prétendus descendants de la race de Giezy, et de les traiter d'agots, cagots, gahets ni ladres, à peine de 500 livres d'amende ; ordonnant qu'ils seront admis dans les assemblées générales et particulières, aux charges municipales et honneurs de l'église, même pourront se placer aux galeries et autres lieux de ladite église où ils seront traités et reconnus comme les autres habitants des lieux, sans aucune distinction ; comme aussi que leurs enfants seront reçus dans les écoles et collèges des villes, bourgs et villages, et seront admis dans toutes les instructions chrétiennes indistinctement[36].
  • Le 19 janvier 1724 : un autre arrêt du Parlement de Bordeaux, signé de la main même de Montesquieu, exige que soit respecté l'arrêt précédent du 7 juillet 1723 du même Parlement.
  • 1764 : dernier emploi du terme « charpentier » dans les registres paroissiaux de Saint-Savin, terme à peine voilé utilisé par le clergé de Saint-Savin pour désigner les cagots.
  • 1819 : loi abolissant la discrimination en Navarre. Un quartier de Madrid reste toutefois un ghetto cagot (Nuevo Baztán) d'où émigrent vers les États-Unis certains de leurs descendants. À Arizkun (Navarre), le quartier de Bozate serait resté habité par les descendants de cagots au début du XXe siècle.

Origines du phénomène

Les raisons les plus diverses ont été données pour expliquer le phénomène. La documentation écrite concernant l'Aquitaine avant le XIe siècle étant presque inexistante, chacun y est allé de son hypothèse, en fonction des conceptions de chaque époque et de chaque auteur.

L'explication traditionnelle est qu'il s'agissait de familles lépreuses ou de descendants de lépreux. Mais le docteur Yves Guy, du CNRS, auteur notamment du rapport « Sur les origines possibles de la ségrégation des cagots », ayant eu à soigner des lépreux, nota le premier que la notion (encore acceptée à la fin du XIXe siècle) de « lèpre blanche » (héréditaire) est invalidée par l'étude contemporaine de cette maladie[37]. La caractérisation des cagots comme lépreux héréditaires est donc un fantasme collectif localisé à la région. Les cagots n'étaient pas lépreux, mais ils étaient désignés comme tels[14]. Et dès le XIIe siècle, avec le développement de la lecture de la bible en fonction de son sens moral et allégorique, les théologiens considéraient la lèpre comme la figure biblique du pêché généralisé[14]. La vision religieuse, sur un fond d'ignorance radicale de la nature réelle de la maladie et de terreur panique de la population devant ce fléau était capable de justifier la notion de lèpre héréditaire[14].

Diverses origines ethniques leur ont été prêtées par des historiens : on les a ainsi fait descendre des Goths[38], des Sarrasins[39] ou de Cathares.

L'hypothèse cathare est appuyée sur la supplique adressée en 1514 au pape Léon X (voir infra) « (…) parce que l'on dit que leurs ancêtres avaient prêté main-forte au comte Raymond de Toulouse, dans sa révolte contre la sainte Église romaine (…) »[40]. Les demandeurs se gardent bien de nier les faits imputés, se contentant de poursuivre ainsi : « (…) Ils supplient le Saint Père d'ordonner que, puisqu'ils n'ont trempé en rien dans la conduite de leurs aïeux, ils soient remis en possession de tout ce qu'on leur dénie (…) Car ils sont bons catholiques et fils soumis de sainte mère l'Église (…) ». De plus, le nom de « crestians » évoque assez précisément le nom que se donnaient les Cathares eux-mêmes : « bons crestians »[41]. En général, cette thèse est repoussée par les historiens (par exemple De Marca[42] et Lardizábal[réf. souhaitée]) qui notent que les premiers Cathares n'apparaissent en Languedoc qu'en 1170 et qu'il n'y a jamais eu en Gascogne d'Église cathare. Le catharisme organisé n'a en effet guère dépassé la rive droite de la Garonne, tandis que les cagots sont essentiellement présents dans les régions situées en rive gauche, en Bigorre, Béarn, Gascogne, Pays basque et même Navarre, au-delà des Pyrénées. Toutefois, pour expliquer leur présence sur la rive gauche de la Garonne, rien ne s'oppose à ce qu'un certain nombre de Cathares [réf. souhaitée], chassés de Languedoc par les massacres et la répression, s'y soient réfugiés. Englobés ensuite sous le terme générique de « cagots », ils se seraient dit bons disciples de l'Église de Rome, à seule fin d'échapper à la vindicte ecclésiastique[43].

Une hypothèse sociale en fait par ailleurs des réprouvés pour cause de leur métier (charpentiers)[réf. souhaitée]. Mais les sources [réf. souhaitée] semblent indiquer que ce n'est pas l'association corporative qui a provoqué l'ostracisme et que ce sont au contraire les restrictions qui leur étaient imposées qui les ont conduits à adopter certains métiers.

Alain Guerreau, directeur de recherche au CNRS, a analysé les conditions qui ont permis qu'un groupe se trouve stigmatisé de cette manière[44]. Pour lui, c'est la réorganisation de la société féodale dans le sud-ouest de la France aux XIIe et XIIIe siècles, qui a créé, dans un contexte économique et politique figé, une catégorie d'exclus (fils cadets, sans terre) vivant à la marge. Les lépreux étant eux aussi rejetés de la société à la même époque, l'assimilation se serait maintenue par la suite, lorsque fut oubliée leur origine.

La lente lutte des cagots vers l'intégration

En 1425, dans son château de L'Isle-Jourdain, le comte Jean IV d'Armagnac reçoit une « plainte et supplique » des Crestias de sa ville de Lectoure, et il écrit au juge de Lomagne : ... Ces Crestias sont tous les jours inquiétés et molestés par nos bailes de Lectoure, bien qu'ils n'aient commis aucun crime ou délit justifiant ces vexations, mais pour leur extorquer une certaine somme... Quant à nous, informés de ce que cesdits Crestias sont bien utiles et conviennent à notre cité de Lectoure, nous voulons et désirons que nos sujets et vassaux soient préservés et gardés de pareilles oppressions et extorsions. Pour cela nous voulons et vous mandons et commandons expressément... que, de par nous, vous interdisiez et défendiez auxdits bailes, sous grandes peines par nous appliquées, que d'ores et déjà, ils ne molestent et n'inquiètent plus lesdits Crestias, à moins qu'ils n'aient à leur encontre quelque information qui soit par vous décrétée... »[13].

En 1514, les cagots de Navarre s'adressent au pape Léon X, se plaignant de discriminations dans les églises. Léon X répondit par une bulle enjoignant de « les traiter avec bienveillance sur le même pied que les autres fidèles » et confia l'application de cette bulle au chanoine de Pampelune. Mais la mise en pratique de ces dispositions à leur égard provoqua d'interminables procès, en dépit de l'appui de l'empereur Charles Quint, en 1524[13].

Les Agots de Navarre avaient aussi fait appel au parlement de Pampelune en 1515, les pétitionnaires étaient au nombre de plus de deux cents, issus de soixante-cinq villages des diocèses de Pampelune, Huesca, Jaca, Bayonne et Dax. Le parlement de Pampelune fit droit à leur requête. Mais la condition des Agots au niveau local reste inchangée, en raison de l'hostilité de la population[13], en particulier la population rurale de connivence avec le Bas-clergé[7].

Pendant plus de trois siècles, le scénario fut le même : brimades se succédant à leur égard, procès gagnés par eux de plus en plus souvent, appui du haut clergé et des princes, mais résistance des autorités locales et du peuple.

Cette lutte juridique est illustrée par celle menée par les cagots de Saint-Clar et de Lectoure, à partir du milieu de la seconde moitié du XVIe siècle. Ceux-ci subissaient violences et injures lorsqu'ils se mêlaient au reste de la population, en toutes circonstances. Un procès en 1560, qu'ils perdent[45], suivi d'un procès en appel en 1579, s'enchaîna avec une nouvelle affaire du même genre en 1599 et 1600. Le Parlement de Toulouse, avant de juger si les charpentiers de Lectoure et Saint-Clar étaient en droit de se plaindre d’avoir été injuriés du nom de capot, ordonna qu’il fût procédé à un examen médical. Le 15 juin 1600, les médecins reconnurent que les capots en question étaient absolument sains de leur personne. Ce n’est qu’en 1627 que les anciens parias obtinrent du Parlement de Toulouse entière satisfaction, et la jouissance de tous les droits qui jusqu'alors leur étaient refusés. Cet arrêt de 1627 eut sans doute un retentissement considérable, car il n’y a aucune trace de procès nouveaux avant la fin du XVIIe siècle[22].

Au XVIe siècle, on estime que les cagots représentaient environ dix pour cent de la population locale. À partir de cette époque, si les interdits demeuraient, l’isolement se relâcha, et au fil des siècles qui suivirent ils commencèrent peu à peu à s’intégrer dans la population de sorte que leurs noms de familles, désormais inscrits sur les registres paroissiaux, ne les distinguaient plus, puisque, avec un même patronyme dans une même paroisse certaines familles étaient cagotes et d’autres non. En fait, il est certain que la plupart des familles du sud-ouest de la France et de l’autre versant des Pyrénées en Espagne comptent au moins un ascendant cagot.

En 1683, un fait administratif bouleversera la donne, même si les attitudes n'évolueront que très lentement. Louis XIV et Colbert ayant besoin d'argent pour financer les guerres lointaines, l'Intendant de Béarn, M.Dubois du Baillet, devant la demande royale, d'imposer la gabelle au Béarn, à la Bigorre et à la Chalosse jusqu'alors épargnés sous les Albret, proposa que l'on donne la possibilité aux cagots d'acheter leur affranchissement ; l'instauration de la gabelle pouvant provoquer des émeutes. L'idée fut acceptée et les Lettres Patentes distribuées. Les cagots pouvaient devenir des citoyens à part entière et les interdits les frappant furent en partie supprimés (ordonnance de l'intendant de Bezons de 1696), avec l'aide de l'évêque de Tarbes, Mgr de Poudenx, et abolis en 1789. Le successeur de Mgr Poudenx, Mgr de la Romagère a ordonné prêtre le premier cagot ; c'était en 1768. À la fin du XVIIIe siècle, leur intégration au sein des communautés villageoises était pratiquement établie, bien qu'encore rejetée par nombre de non-cagots[12].

C’est la Révolution française qui leur permit de devenir définitivement citoyens à part entière[réf. nécessaire], à la suite des Juifs et des Protestants qui l'étaient devenus grâce à l'édit de Versailles pris par Louis XVI en 1787 et enregistré en 1788.

En 1809, le sous-préfet d’Argelès répondait au ministre de l’Intérieur soucieux du bien être de ces exclus : Elle [la population cagote] s’est tellement fondue et mélangée par les alliances avec les autres communauté du pays que tous les caractères physiques et moraux, s’il en existe, ont entièrement disparu, et que ces familles ne sont plus distinguées que par l’ancienne tradition locale dont le souvenir s’efface chaque jour. »[12]

Au XIXe siècle, subsistaient essentiellement les injures, le terme « cagot » en constituant une, encore utilisée dans le sud-ouest de la France, sans qu’on ne sache plus aujourd’hui quelle en est l'origine.

En Espagne, en Navarre, la ségrégation qui a officiellement pris fin en 1819 lorsque le Parlement a interdit expressément la marginalisation des agotes a également mis longtemps à se résorber dans les mentalités, voire dans les faits. La localité de Bozate dans la commune d'Arizkun, située dans la vallée du Baztan en Navarre fut la dernière enclave connue des Agotes (du XIVe siècle au début du XXe siècle, porte à part à l'Église, espace à part dans le cimetière, pas de mariage à l'extérieur du groupe, ségrégation à l'école, etc.).

Mémoire

Un musée se trouve dans la localité de Bozate, en Espagne, créé par le sculpteur Xabier Santxotena[46], né en Arizkun (descendant d'Agotes). Pour ce dernier, les cagots provenaient des groupes d'une ancienne guilde, en France, dédiée à la construction de cathédrales. Selon Santxotena, l'exclusion des cagots viendrait du fait que ces groupes avait des idées religieuses différentes de l'orthodoxie catholique (ils incinéraient leurs morts, ils étaient contre la hiérarchie de l'Église, etc)[47]. Si fait que, considérés comme hérétiques, les agotes avaient été par conséquent considérés comme porteurs d'une sorte de « lèpre spirituelle » symbolique. Le musée présente les œuvres du sculpteur (dans un parc) et une casa Gorrienea, ouverte en 2003, montre la vie quotidienne de ces ancêtres cagots.

Le seul musée des cagots de France se trouve dans les Hautes-Pyrénées à Arreau[48]. Il est situé dans le château des Nestes, rue Saint-Exupère[49].

La rue des Capots, et la "porte Anglaise" - Mézin (Lot-et-Garonne).

La toponymie sert également la Mémoire, des lieux existent encore, rappelant l'existence des cagots dans ces localités : rue des cagots (communes de Montgaillard et de Lourdes)[50], impasse des cagots (Laurède)[50], place des cagots (Roquefort)[50], place des capots (Saint-Girons), rue des Capots (communes de Mézin, Sos, Vic-Fezensac, Aire-sur-l'Adour, Eauze, Gondrin)[50], chemin des capots (Villeneuve-de-Marsan), ruelle des capots (Verine). À Aubiet, un lieu-dit (lotissement) s’appelle « les Mèstres ». C’est à cet endroit, dans un hameau, que les cagots (les mestres) d’Aubiet vivaient, sur la rive gauche de l’Arrats, séparés du village par la rivière. Dans ce dernier exemple, la découverte du nom du lieu a permis à des enseignants de découvrir l'histoire des cagots et de déclencher un travail pédagogique[51]. Des noms de lieux-dits évoquent aussi les cagots, comme Salazar (Villefranche-de-Lauragais), Saint-Lézé, Larrazet (Tarn-et-Garonne)[50]. Jusqu'au début du XXe siècle, plusieurs quartiers de cagots portaient encore le nom de Charpentier.

Un exemple de discrimination fondée sur la peur et les préjugés

Peur de la contagion

L'histoire des cagots témoigne de la peur viscérale qu'éprouvaient les populations vis-à-vis de la lèpre, de la terreur que cette maladie inspirait, mais aussi et surtout des ravages que la peur opère, des fantasmes qu'elle suscite et des réactions qu'elle inspire, du rôle qu'elle joue dans la ségrégation d'une partie de la population.

Si leur sort peut être comparé à celui de groupes exclus dans de nombreuses sociétés (parias et poulichis en Inde ou burakumin du Japon), la particularité des cagots dans l'histoire des discriminations est d'être une relégation héréditaire et socio-économique vernaculaire, non justifiée par une structure religieuse ou politique à la différence des systèmes de caste, des ghettos juifs ou bannis. Elle ne vise ni à la disparition ni à la conversion : on n'a pas de trace de pogromes ou de bûchers destinés aux cagots pour leur seule qualité de faire partie de cette communauté. C'est un processus discriminant autour de la peur de la maladie impure et/ou généalogiquement transmise, dans une structure socio-économique d'exclusion sur le terroir villageois. Cette population, considérée comme physiquement différente, garda un statut spécifique dans la société médiévale d’abord et moderne ensuite, faisant parfois fonction de bouc émissaire pour conjurer la peur de la lèpre, maladie dont on ignorait l’origine et que l’on ne savait pas soigner.

Ce n'est qu'avec la progression du pouvoir central normalisateur que le phénomène disparaît pour le cas des cagots à la fin du XVIIe siècle.

Préjugés sociologiques

Les préjugés s'appuyaient d'une part sur la croyance en un stéréotype physique des cagots, décrits par certains[réf. souhaitée] documents comme tantôt petits et bruns au teint olivâtre, et tantôt grands aux yeux bleus (pourtant aucune origine ethnique homogène ou particulière n'apparaît clairement, et rien ne les distingue vraiment du reste de la population). Des médecins nommés par le Parlement de Toulouse, après expertise de 22 d’entre eux le 13 juin 1600[réf. nécessaire], ne purent que conclure qu’ils étaient exempts de toute pathologie. Mais les préjugés demeuraient, attribuant aux cagots[6] un ensemble de caractéristiques physiques et de caractères abstraits. Ainsi les cagots étaient censés dégager une odeur désagréable.

D'autre part, les préjugés s'appuyaient aussi sur des stéréotypes moraux (on disait aussi les cagots nuisibles et maléfiques, les prétendant parfois sorciers, les accablant de nombre de maux et vices), mais aussi fantasmatiques, les affublant de tares telles que l’absence de lobe aux oreilles, de pieds et de mains palmés, ou d’être goitreux. Certains de ces traits rappellent les séquelles physiques de la lèpre, tandis que le goitre était une maladie typique des populations montagnardes privées de nourriture iodée. Concernant l’arriération mentale en proportion de cette population, il n'est pas établi que ce pourcentage ait différé du reste de la population locale. Les populations du Moyen Âge, contrairement aux nôtres, ne discriminaient de toute façon pas sur ce critère.

De plus, les préjugés attribuant aux cagots un éloignement de l’Église catholique ne sont pas absents, comme l'atteste ce quatrain de Ronsard de 1562, Remonstrance au peuple de la France, ou cagot est associé à Goths, Wisigoths, mais aussi Huguenots.

« Je n'aime point ces noms qui sont finis en os,
Gots, cagots, austrogots, visgots et huguenots,
Ils me sont odieux comme peste, et je pense
Qu'ils sont prodigieux à l'empire de France. »

Patronymes cagots

Patronymes dérivés de cagots en France

Les noms de famille dérivés des métiers, tels Charpentier et Cordier sont globalement assez présents dans les descendances des cagots de par l'absence de nom de famille dans les registres paroissiaux. De même, le surnom de Chrétien qui leur était donné entraîne une forte occurrence de ses dérivés (Chrétien, Chrestia, Crestien, Cretin..) dans les noms de famille actuels, sans toutefois pouvoir exclure une autre provenance pour ces noms de famille.

Les cagots habitant en dehors des villes, il est fréquent de désigner la place où ils habitaient comme "la place". Ainsi, le nom de famille Laplace peut être attribué à des cagots.

Plus directement, les dérivés de toutes les formes de surnoms des cagots, sont aujourd'hui présents dans les descendances. On trouve en particulier, les formes dérivées de Colibert (Colbert, Collibert, Collibet...), de Caquin ou Kakou (Coquin, Coquet, Caque, Caquette, Caqueux, Cacou...), de Gahet (Gaffet, Gaffez, Gavot...), d'Agot, voire de Canard, en raison de la patte de canard qu'ils devaient porter (Canard, Canar...).

Enfin, les noms de famille désignant des lépreux peuvent également avoir été donnés à des cagots : Lépreux, Lazare, Lazaru, Salazar, Leze...

Autres patronymes portés par les cagots

Le premier cagot béarnais dont nous connaissons le nom s’appelle Domengoo de Momas, d’Artiguelouve. Momas est un village béarnais. Le cagot qui s’établissait dans la cagoterie d’un autre village pouvait garder comme additif (au nom de baptême) le nom du village d’origine, dont il était l’exclu[52].

Les cagots ont, en premier lieu, comme patronymes, des prénoms, dû au fait qu'ils n'avaient pas le droit d'avoir un nom de famille dans les registres paroissiaux. Chez les cagots, cela paraît indiquer le baptême le jour de tel ou tel saint, dont on substitue le nom au nom oriental du catéchumène : Guillem (Guillaume) ; Bertran (Bertrand) ; Baslia (Bastien) ; Arnaut (Arnaud)[53]. Ce qui paraît plus particulier, c’est l’abondance de diminutifs indiquant une moindre considération : Janiet (Petit Jean) ; Guilhaumet (Petit Guillaume) ; Peyrolet (Petit Pierre) ; et Bernadou (Petit Bernard) ; Lucalou (Petit Lucas), etc.[53].

Les noms d’objets : Tislès (paniers) ; Caplisteig (tête de panier) ou encore Tamboury (tambourin), qui est donné parce qu'anciennement les cagots jouaient du tambour de basque, présomption d’origine espagnole ou mauresque[53].

Citons quelques appellations exclusivement cagotes : Berdot ; Blazy (Blaise) ; Estrabou ; Doat et Douau ; Feuga ; Louncaubi et Mouncaubi ; Menjou et Menjoulet[53].

Le paysan pyrénéen a, plus rarement que les provinciaux de langue d’oïl, un surnom pour patronyme. En tout cas, ceux-ci sont tous portés par des descendants de cagots : Chibalet (petit cheval) ; Cournel (cornet, peut-être cornard) ; Joarï Soulel (Jean qui est seul) ; Pistole (pistole) ; Lachoune (parties génitales féminines)[réf. nécessaire] ; Matagrabe (tue boue, vainqueur de la boue, sans doute parce que sa cabane était bâtie sur un bourbier). On ne cédait pas aux cagots les meilleurs terrains et d’ailleurs, en général hors du village ; Lamoune (le singe) ; Mounau, Mounou (le singe, le petit singe) ; Testaroüye (tête rouge, le rouquin)[53].

Quelques noms de lieux leur sont spéciaux : Caussade (chaussée) ; Castagnède (châtaigneraie) ; Junca/Junqua (jonchaie) ; Tuya (endroit planté de bruyères et d’ajoncs). On remarquera ici les sites malsains ou isolés qu'indiquent ces mots, rappelant l’habitat de ces sortes de parias, toujours mis à part, jusqu'aux temps modernes. Un nom de métier, réservé aux cagots, tisserand, est fréquent, en Béarn et en Bigorre : Tisné et le pluriel Tisnès[53].

Ce qui précède ne prouverait que le caractère distinct d’habitants du Sud-Ouest. Ne portant pas les mêmes noms que les autres, ils formaient donc incontestablement un groupe à part.

Mais il existe des noms de cagots très communs en Aragon et dans les pays de langue catalane, certains répandus dans la région de Valence et même en Castille. Plusieurs rappellent l’origine espagnole de ceux qui les portent. Antonio ; Arraza et Darraza ; Berdolo ; Monico et Monicolo ; Oliva ; Rozès ; Ramonet et Ramonau ; Rotger. Les mots s’altèrent plus ou moins prononcés par des gascons, mais on reconnaît les racines hispaniques. Les patronymes cagots : Chicouyou ; Chicoy (du castillan chico, petit, altéré en béarnais, chicou, on appelle les Espagnols des chicous dans plusieurs régions des Basses-Pyrénées) ; Espagnac et Despagnat indiquent la provenance espagnole. Les noms de marranes, de morisques se retrouvent, quoiqu'en petit nombre. Peut-être : Moura ; Boulan ; Boumata ; Bourjou ; Laouan sont-ils des altérations, d’anciens noms arabes[53].

Fusler et Miro ; Rey sont en général portés dans les Baléares par les chnetas, juifs convertis au Xe siècle. On les trouve çà et là dans les Pyrénées. Marrân et Marrant, nom cagot, rare il est vrai, est le mot espagnol marrano, juif converti et aussi porc. Quant au nom de Gahet et de Gahouillet, c’est la forme pyrénéenne du castillan gajo lépreux. Il est incontestablement exclusif à des cagots. (La conversion du "f" et du "h" est fréquente.)[53].

Les noms de cagots pouvaient être notamment observés sur les registres paroissiaux (mention de gézitains annotées aux côtés des noms de cagots), ou bien par exemple sur des registres notariaux ou fiscaux. Ainsi l'inventaire des ressources domaniales dans les bailliages de Pau, Lembeye et Montanérès, vers 1550, comporte de longues listes de francaus (impôts) dus par des cagots, par exemple : lo crestia de Gerderest, Menyolet crestia de Gerderest, Dangavo maeste Guillem du crestia du ssus, Margalide du crestia de bat, Johan de Feaas, maeste Bernadon deu Bosq, maeste Bernadon, maeste Bemad de Poguet, maeste Pascaou de Balente[54].

Étymologie de cagot

L'hypothèse d'une origine liée aux Goths a été proposée anciennement. Elle soutient que cagot s'est formé par contraction de can-goths. Acculés aux pieds des Pyrénées, ils auraient reçu des habitants le nom injurieux — y compris dans les documents en latin — de canes gothi, c'est-à-dire « chiens de Goths »[55]. Cette dénomination injurieuse est usitée dès 507 pour désigner les Goths à cause de leur attachement à l'arianisme, objet de scandale pour les catholiques. Selon cette hypothèse, cette race, vouée à la persécution des Francs après leur victoire à la bataille de Vouillé, en 507, où Clovis tua Alaric II, roi des Wisigoths, aurait été obligée de se cacher dans les plus secrets réduits des montagnes pour conserver ses habitudes religieuses. Elle y aurait, outre la consanguinité, contracté la lèpre et l'hypothyroïdie, maladies endémiques qui, conjuguées entre elles, auraient réduit cette race à un état pareil à celui des crétins (à rapprocher du « crétin des Alpes »). Lorsque, dans la suite, elle aurait abjuré l'arianisme pour se réunir à la communion romaine, la communauté des cagots aurait alors été regardée comme un ensemble de ladres et infects. *Canes gothi ne peut rendre compte des plus anciennes attestations du nom du type cacor, cacos, cagou cagot, où il n'existe aucune trace d'un [n].

Rabelais utilise dès 1535 le terme cagot en français et cela, dans un passage de Gargantua au sujet de l'abbaye de Thélème : une inscription sur la porte en interdit l'entrée aux « hypocrites, bigots, cagots ».

Ces termes de bigots et de cagots liés dans une même phrase sont associés par la rime et par l'analogie d'un élément -got, puis par leur signification respective, c'est pourquoi certains y voient le rapprochement avec un jugement religieux basé sur une foi exagérée et hypocrite telle l’Académie Française qui dans son édition 1932-1935 donne comme définition à ce mot : « Celui, celle qui a une dévotion fausse ou mal entendue. » ou « Got », en langue germanique, signifiait Dieu ; et delà nous tirons les mots de bigot et cagot, pour dénoter ceux qui avec une trop grande superstition s’adonnent au service de Dieu. »[réf. nécessaire]. Dans son édition de 1986, l'Académie lui accorde les deux sens : 1. Anciennement. Lépreux ; descendant de lépreux. 2. Personne qui a une dévotion hypocrite ou mal comprise. P. M.

Quant à son étymologie, Étienne Pasquier[56] écrit au XVIe siècle : « Got en langue germanique et française signifiait Dieu, et de là nous tirons les mots de bigot et cagot ». P. M. Quitard propose une autre hypothèse[57] : Court de Gebelin fait procéder ce mot d'un latin caco-deus, rapporté par Ducange. Caco, signifiant faux, serait devenu cagot, hypocrite ; et comme l'hypocrite a toujours le nom de Dieu à la bouche, et l'emploie à tout, il aurait été surnommé, chez les peuples qui appellent Dieu God, kakle-God, caquette-Dieu, et insensiblement cak-god et cagot. Ce mot est un composé non attesté dans les langues germaniques et invraisemblable créé par cet auteur sur la base de l'anglais cackle (ou du néerlandais kakelen), verbe signifiant « caqueter » (poule), et god « dieu » (gotique guÞ). Ces hypothèses étymologiques anciennes sont toutes rejetées par les linguistes et les lexicographes modernes.

Malgré la ressemblance avec le mot grec cacos « mauvais », il faut sans doute privilégier une étymologie béarnaise cagot « lépreux blanc »[58],[59].

Le béarnais cagot représenterait un dérivé bas latin en -osus non attesté *cacosus « breneux »[60],[61] de la racine cac- du verbe bas-latin cacare (qui a évolué vers l'occitan cagar cf. cagole, correspondant à chier, mot d'oïl de même origine)[62], hypothèse renforcée par l'existence en moyen français des mots cacor (attesté dès 1285[63]), cacos (1321[64]), cagou (1426[65]) et caqueux (XVe siècle)[59],[61]. Cependant cagou semble breton, car le breton a cagal, pluriel cagalou « crotte », ayant aussi postérieurement le sens de « misérable, gueux, mendiant »[59] qui est vraisemblablement un correspondant du béarnais cagot.

Cagot est effectivement une appellation dépréciative occasionnelle, celle plus neutre de crestian étant plus répandue, par exemple dans la toponymie. La prononciation béarnaise n'est pas [ca'go] mais [ca'gòt] : comme le -òt est un suffixe diminutif occitan, cagòt peut se traduire littéralement par « crotte » ou « petit merdeux ». En fin de compte, le rapprochement avec le terme cacare > cagar reste la seule hypothèse envisagée par les lexicographes et les linguistes. En effet, sur le plan sémantique, le mot désignait bien à l'origine des populations reculées des vallées pyrénéennes (peut-être affectées de la lèpre ou d'une autre maladie) et a été appliqué par dérision aux bigots[66], [59].

Sens dérivé

Jusqu'au milieu du XXe siècle, cagot, utilisé comme une insulte, signifiait aussi bien « crétin » que « idiot du village », « bigot » ou « goitreux ». Beaucoup d'observateurs faisaient la confusion entre les crétins et les cagots, du fait que ces derniers, contraints à l'endogamie, avaient parmi eux des individus qui semblaient avoir subi un arrêt de croissance. Mais ce n'était pas la généralité, et les cagots observés par la société d'anthropologie de Paris en 1867 n'étaient atteints d'aucune difformité[12].

Le terme « cagot » a pris, à la suite de bigot et sans doute sous l'influence de sonorités communes, le sens de « personne dévote à l'excès » ; ceci proviendrait des efforts désespérés des cagots pour s'intégrer dans les communautés locales.

Attesté chez Rabelais, le mot a également eu la nuance d'hypocrisie, de religiosité affecté, préfiguration de « tartuffe ».

« Quoi ? je souffrirai, moi, qu'un cagot de critique
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ? »

 Molière, Le Tartuffe I, 1.

« Sénécal se rembrunit, comme les cagots amenés dans les réunions de plaisir. »

 Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale.

Bibliographie

  • Antolini, P., 1991, Au-delà de la rivière. Les cagots : histoire d'une exclusion, Nathan (1989 en italien), (ISBN 2091904309).
  • Bouillet, M.-N., et Chassang, A. (dir.), 1878, « Cagots », Dictionnaire universel d'histoire et de géographie, 25e édition (Wikisource).
  • Charpentier, L., 1971, Les Jacques et le mystère de Compostelle, Robert Laffont (éditions J'ai Lu) (pages 135-141), (ISBN 2277513679).
  • Cordier, E., 1866-1867, « Les Cagots des Pyrénées », Bulletin de la Société Ramond.
  • Descazeaux, R., 2002, Les Cagots, histoire d'un secret, Pau, Princi Néguer, (ISBN 2846180849).
  • Fabre, M., 1987, Le Mystère des cagots, race maudite des Pyrénées, Pau, MCT, (ISBN 2905521619).
  • Fay, H.-M., 1910, Lépreux et Cagots du Sud-Ouest, Paris, 1910, reprint ICN, Pau, 2000, 784 p.
  • Guerreau, A. et Guy, Y., 1988, Les Cagots du Béarn. Recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen, Paris.
  • Jean-Emile Cabarrouy, 1995, Les cagots - Exclus et maudits des terres du sud. J&D Éditions, Biarritz;
  • Loubès, G., 1998, L'énigme des cagots, éditions Sud Ouest, (ISBN 2879012775).
  • Francisque Michel, L'Histoire des races maudites de la France et de l'Espagne, Paris, A. Franck, , 341 p. (lire en ligne) ; rééd. deux tomes, Ed. des Régionalismes, Cressé, 2010, (ISBN 2846183198) & (ISBN 2846185638).
  • Ricau, O., 1999, Histoire des cagots, réédition Pau, Princi Néguer, (ISBN 2905007818).
  • Robb, Graham, Une histoire buissonnière de la France, Flammarion / Champs 2011 (ISBN 978-20812-8946-8).
  • Jean-Jacques Rouch, Jean le cagot : Maudit en terre d'oc, Toulouse, Privat, coll. « Roman historique », , 215 p., 22 cm (ISBN 978-2-7089-5903-3)
  • Vincent Raymond Rivière-Chalan, La marque infâme des lépreux et christians sous l'ancien régime. Des cours des miracles aux cagoteries, La pensée universelle, 1978
  • (eu) Tambourin, Marikita, Agoten in memoriam, 2016, Maiatz
  • Benoît Cursente, Les cagots, histoire d'une ségrégation, 2018, Cairn Edition

Voir aussi

Liens externes

Notes et références

  1. Yves Guy, « Sur les origines possibles de la ségrégation des cagots », Centre d'Hémotypologie du C.N.R.S., C.H.U. Purpan et Institut pyrénéen d'Etudes anthropologiques, no Communication présentée à la séance de la Société française d'histoire de la médecine., (lire en ligne)
  2. (eu + fr) Marikita Tambourin, Agoten in memoriam, Baiona, Maiatz, , 291 p. (ISBN 9791092009309, OCLC 959549522)
  3. Un toponyme Chrestias existe à Colomiers.
  4. PAOLA ANTOLINI, Los Agotes. Historia de una exclusión,
  5. Jean-Emile Cabarrouy, Les cagots, une race maudite dans le sud de la Gascogne : peut-on dire encore aujourd'hui que leur origine est une énigme ? "Exclus et maudits des terres du sud", J. & D. éditions, , 76 p.
  6. Francisque Michel (1809-1887), target="_blank" Histoire des races maudites de la France et de l'Espagne, 1847, p. 96
  7. « Paratge », sur http://paratge.wordpress.com (consulté le )
  8. François Beriac, « Une minorité marginale du Sud-Ouest : les cagots », Persée, nos 6-1, (lire en ligne)
  9. Benoît Cursente, « La question des « cagots » du Béarn. Proposition d'une nouvelle piste de recherche », Cahiers du Centre de Recherche historique, (lire en ligne)
  10. Cf la hont deus Ladres, la « fontaine des lépreux » à Saint-Christau, vallée d'Aspe
  11. « Les cadets, les cagots, les abbés laïques et les guides », sur www.patrimoines-lourdes-gavarnie.fr (consulté le )
  12. Gilbert Loubès, L’énigme des cagots, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest,
  13. Alain Guerreau (historien, directeur de recherche au CNRS) et Yves Guy (docteur en médecine, docteur ès science, directeur de recherche à l'INSERM), Les cagots du Béarn, Minerve, , 230 p., p. Chapitre premier
  14. Robert, Ulysse, Les signes d'infamie au moyen âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques, Paris, H. Champion, (lire en ligne)
  15. Jules Michelet, target="_blank" Histoire de France, Volume 1, p. 495
  16. Patois de Luçon où ce mot désigne également les « Gens du voyage »
  17. Ulysse Robert, Les signes d'infamie au moyen âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques, H. Champion, (lire en ligne)
  18. « Fonds Albert Ricaud, érudit marmandais », sur Archives du conseil général (consulté le )
  19. « Léglise de Saint-Savin-en-Lavedan », sur http://patrimoines.midipyrenees.fr/ (consulté le )
  20. L. Louis-Lande, « Les cagots et leurs congénères », Revue des deux mondes, (lire en ligne)
  21. Dr H.-M. Fay, Dr H.-Marcel, Histoire de la lèpre en France . I. Lépreux et cagots du Sud-Ouest, notes historiques, médicales, philologiques, suivies de documents, Paris, H. Champion, (ark:/12148/bpt6k57243705)
  22. « plan des généralités françaises assujetties à la taille »
  23. « Sa construction au XIVème », sur Les amis du château de Montaner (consulté le )
  24. Cette chapelle devenue paroisse, la Chapelle Saint-Nicolas-de-Graves, a été détruite« Capera Gahets », sur http://www.pss-archi.eu/
  25. L. Louis-Lande, « Les Cagots et leurs congénères », Revue des Deux Mondes, no tome 25, (lire en ligne)
  26. « Connaissez-vous les cagots ? », sur Bibliothèque de Bordeaux (consulté le )
  27. « Les cagots : un mystère en Béarn », sur Site officiel de l’Office de tourisme de Lacq, Cœur de Béarn (consulté le )
  28. « Monein », sur Site officiel de l’Office de tourisme de Lacq, Cœur de Béarn (consulté le )
  29. « Église Saint-Girons de Monein », sur Paroisse Saint-Vincent des Baïses - Monein (consulté le )
  30. Francisque Michel, Histoire des races maudites de la France et de l'Espagne., Paris, A. Franck, (lire en ligne), T. 1 page 10
  31. « Cercle historique de l'Arribère », sur http://bearndesgaves.fr (consulté le )
  32. Jean-Claude Bouleau et Frédérick Tristan, Encyclopédie du compagnonnage, Rocher, , 719 pages p.
  33. Musée du compagnonnage à Toulouse
  34. « Archives pyrénéennes : cagots » (consulté le )
  35. Archives départementales de la Gironde« Inventaire des archives de la série C. », sur http://archives.gironde.fr/ (consulté le )
  36. http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1983x017x001/HSMx1983x017x001x0085.pdf
  37. Par exemple le germaniste Pierre Bertaux
  38. L'historien Claude Larronde, comme Pierre de Marca, pense qu'« Il s'agit de descendants de Sarrasins qui restèrent en Gascogne après que Charles Martel eut défait Abdel-Rahman. Ils se convertirent et devinrent chrétiens. » ; Claude Larronde, Vic-Bigorre et son patrimoine, Société académique des Hautes-Pyrénées, 1998, p. 120.
  39. Loubès 1998, p. 26.
  40. Lafont, R., Duvernoy, J., Roquebert, M., Labal, P., Les Cathares en Occitanie, Fayard, 1982, p. 7.
  41. « L'Israël des Alpes », Revue des deux Mondes, , tome 74. page 595 (lire en ligne)
  42. voir ci-dessus le passage cité de la supplique à Léon X [réf. incomplète]
  43. Les Cagots du Béarn. Recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen de Alain Guerreau et Yves Guy, éditions Minerve, Paris, 1988
  44. Michel Figeac, Les affrontements religieux en Europe : Du début du XVIe siècle au milieu du XVIIe siècle, Coédition CNED/SEDES,
  45. (es) Xabier Santxotena Alsua
  46. (es) « Le quartier Bozate », sur http://www.diariodenavarra.es (consulté le )
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  50. « Les cagots d'Aubiet et ceux du Gers », sur OCCE (consulté le )
  51. « Les habitants de la forêt », sur http://alainjb.lalanne.pagesperso-orange.fr/ (consulté le )
  52. J.H Probst-Biraben, professeur à la medersa de Constantine, Cagots des Pyrénées et Mudejares d'Espagne, Revue du Folklore Français, (lire en ligne), pages 27 et 28
  53. Françoise Bériac, Lien Une minorité marginale du Sud-Ouest : les cagots, (lire en ligne)
  54. Michel, Histoire des races maudites, I, p. 284
  55. Étienne Pasquier, Œuvres choisies, p. 101
  56. p. 1182-1183, Dictionnaire Étymologique, Historique et Anecdotique des Proverbes et des Locutions Proverbiales de la Langue Française. Paris, 1842, P. Bertrand, Libraire-éditeur.
  57. CNRTL (France) : étymologie de « cagot »
  58. Dictionnaire historique de la langue française sous la direction d'Alain Rey, 4e éd. enrichie, Le Robert, 2012, t. 1, p. 546b.
  59. ibidem
  60. http://www.cnrtl.fr/definition/cagou
  61. mensuel CQFD, , mai 2011
  62. Archives de la Seine-Maritime, Chronique ms. anonyme de 1285 à 1323, no5 des Cartul., fo142 roet vods Mém. de la Société d'histoire de Paris, XI, 57 [1884]
  63. pluriel, Chronique parisienne anonyme, ibidem, formes isolées. B. 1.
  64. Plouzané, Bretagne d'après Esn.
  65. CNRTL (France), ibidem
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