Lèpre

La lèpre /lɛpʁ/[2] (ou maladie de Hansen) est une maladie infectieuse chronique due à Mycobacterium leprae, une bactérie proche de l'agent responsable de la tuberculose, identifiée par le Norvégien Gerhard Armauer Hansen en 1873. Celle-ci touche les nerfs périphériques, la peau et les muqueuses, et provoquant des infirmités sévères. Elle est endémique dans certains pays tropicaux (en particulier d'Asie). La lèpre est une maladie peu contagieuse.

Lèpre
(maladie de Hansen)
Arran Reeve, un homme de 24 ans affecté par la lèpre[1].
Spécialité Infectiologie
CIM-10 A30
CIM-9 030
OMIM 246300
DiseasesDB 001347
MedlinePlus 001347
eMedicine 220455, 1104977 et 1165419
eMedicine med/1281 
MeSH C01.252.410.040.552.386
Incubation min 1 années
Incubation max 20 années
Symptômes Polyneuropathie, hypoesthésie (en), dépigmentation (en), paresthésie, fonte musculaire, contracture, mutilation, lagophtalmie, kératite, microperforation, déformation d'un matériau et épistaxis
Maladie transmissible Transmission par contact (d)
Causes Mycobacterium leprae et Mycobacterium lepromatosis (en)
Traitement Pharmacothérapie et antimicrobien (d)
Médicament Clofazimine, dapsone, thalidomide et dapsone
Patient UK Leprosy-pro

Mise en garde médicale

La lèpre fut longtemps incurable et très mutilante, entraînant en 1909, à la demande de la Société de pathologie exotique, « l'exclusion systématique des lépreux » et leur regroupement dans des léproseries comme mesure essentielle de prophylaxie.

La maladie est aujourd'hui traitable par antibiotiques ; des efforts de santé publique sont faits pour le traitement des malades, l'équipement en prothèses des sujets guéris, et la prévention[3].

Historique de la maladie

La lèpre, réalité pathologique, était remplie d’un imaginaire morbide qui participait activement à sa représentation et à sa perception, imagination qui illustre ce qu'inspirait cette maladie et inspire encore de nos jours.

Il existe ainsi une lèpre-maladie et un concept lépreux (faute morale ou « syndrome religieux »)[4].

Concept religieux

Tapisserie représentant Vespasien atteint de la lèpre, Hospices de Reims, v. 1500
Groupe de lépreux arabes durant la domination ottomane, près de la tombe de Myriam, située hors des murs de la vieille ville de Jérusalem, 1910

Dans le Lévitique, il est question d'un ensemble de manifestations cutanées connues sous le nom de tsara'at (צרעת). Cette affection se présente comme des taches blanches ou dartres susceptibles d'évoluer en ulcères :

« L'Éternel parla à Moïse et à Aaron, et dit : Lorsqu'un homme aura sur la peau de son corps une tumeur, une dartre, ou une tache blanche, qui ressemblera à une plaie de lèpre sur la peau de son corps, on l'amènera au sacrificateur Aaron, ou à l'un de ses fils qui sont sacrificateurs. Le sacrificateur examinera la plaie qui est sur la peau du corps. Si le poil de la plaie est devenu blanc, et que la plaie paraisse plus profonde que la peau du corps, c'est une plaie de lèpre : le sacrificateur qui aura fait l'examen déclarera cet homme impur. S'il y a sur la peau du corps une tache blanche qui ne paraisse pas plus profonde que la peau, et que le poil ne soit pas devenu blanc, le sacrificateur enfermera pendant sept jours celui qui a la plaie »[5].

Il est explicitement question d'une maladie spirituelle, ayant certains stigmates corporels et qui touche la personne s'étant rendue « impure » par ses comportements sociaux (en particuler la calomnie ou la diffamation, "motsi shèm ra'" מוציא שם רע), et qui peut s'étendre à des objets inanimés (vêtements, habitation...).

Les chapitres XIII et XIV du Lévitique sont entièrement consacrés à la tsara'at et regroupent diverses parties faisant référence à l’examen des malades, aux dispositions qu’il faut prendre vis-à-vis d’eux ainsi que du rituel de purification. La personne susceptible d’être impure est alors isolée pendant sept jours afin d’observer l’évolution de la maladie et l’apparition d’autres atteintes comme des brûlures, des plaies ou des cicatrices purulentes[6],[5].

La tsara'at est la marque d'un courroux divin, ce n'est pas un concept médical, c'est pourquoi le diagnostic de tsara'at est confié aux prêtres et non pas aux médecins[7].

Le Deutéronome (Dt 24,8) prescrit d’éviter la lèpre et non le lépreux en écoutant les Écritures et en ne contrevenant pas à la loi divine pour éviter la colère de Dieu : « Prends garde à la plaie de la lèpre, afin de bien observer et de faire tout ce que vous enseigneront les sacrificateurs, les Lévites ; vous aurez soin d'agir d'après les ordres que je leur ai donnés. »[6].

L'association du lépreux avec la mort concernait son aspect physique dont la peau était dégradée, et qui faisait de lui un être ressemblant à un enfant mort né[8]. Donc le lépreux apparaissait comme un être vivant, mais qui possédait les caractéristiques physiques d’un mort en état de décomposition. Ainsi sa mort sociale et son exclusion n’étaient que l'expression de son apparence qui évoquait la mort physique[6].

Concept sanitaire

Dans une autre perspective, la tsar'at a été traduite en lèpre, afin qu'un problème de pureté rituelle puisse aider à éviter un problème de santé publique. En effet, les rabbins connaissaient l'existence de la maladie de Hansen, sa gravité et sa contagiosité (Talmud de Babylone, Sanhedrin 98a) mais ils ont volontairement pratiqué l'amalgame entre la tsara'at et la lèpre afin de protéger la communauté en mettant à l'écart toute personne susceptible de la contaminer, tout en s'appuyant sur les ressources de la Torah complétées par celles de la loi orale[6].

Les Évangiles synoptiques relatent la guérison d'un lépreux puis de dix lépreux par Jésus (Mc 1,40–45; Mt 8,1–4; Lc 5,12–16), interprétée comme un pardon des fautes ou une preuve de foi[9].

Du point de vue d'histoire de la médecine, la tsara'at doit réfléter une réalité d'ordre médical. Pris dans leur totalité, les manifestations de tsara'at ne s'accordent avec aucune entité dermatologique moderne. La plupart des auteurs modernes écartent l'identité pure et simple de la tsara'at avec la lèpre, mais ils acceptent l'idée qu'il s'agit d'un ensemble de manifestations relativement bénignes (psoriasis, vitiligo, favus, certaines formes d'eczémas...) et d'autres plus graves comme différentes formes de lèpre[7].

Après plusieurs siècles d'exégèse historique, les historiens considèrent que la lèpre est la seule maladie chronique de la peau dont la gravité peut justifier les mesures sociales du législateur biblique, car « il est difficile de croire qu'un rejet social aussi radical puisse s'expliquer seulement par des idées religieuses aberrantes sur des affections tout à fait bénignes »[7].

Lépreux à Jérusalem
Photo Luigi Fiorillo
Jésus guérit un lépreux, mosaïque médiévale, cathédrale de Monreale (Sicile), XIIe-XIIIe s.

Facteurs de diffusion de la lèpre

La chapelle de la Madeleine à Guidel (Morbihan).

La lèpre est connue depuis l’Antiquité. Les premières descriptions datent de 600 ans av. J.-C. On la retrouve dans les civilisations antiques en Chine, en Égypte et en Inde. On a d'ailleurs longtemps cru à une origine asiatique. Les travaux sur le génome de la bactérie indiqueraient plutôt une origine est-africaine ou moyen-orientale avant d'arriver en Asie et en Europe[10]. Elle serait arrivée en Afrique de l'Ouest avec les explorateurs nord-européens, puis l'esclavage l'aurait disséminée dans les Caraïbes et l'Amérique du Sud. Quoi qu'il en soit, la plus ancienne trace de cette maladie vient de l'Inde comme en atteste un squelette de 4 000 ans trouvé au Rajasthan[11].

Jusqu’au XIXe siècle, les croisades étaient tenues responsables de l’introduction de la lèpre en Europe. Voltaire écrivait dans son encyclopédie que « tout ce que nous gagnâmes à la fin de nos Croisades, ce fut cette gale; et de tout ce que nous avions pris, elle fut la seule chose qui nous resta ! ». En effet, la lèpre s’était tellement propagée en Europe après les croisades qu’il est difficile de contester le rôle de celles-ci. Baudouin IV de Jérusalem dit «  le Lépreux » (1161-1185) est d'ailleurs connu pour avoir souffert de cette maladie et ne pouvant donc avoir ni femme ni enfant[12]. Ainsi, les causes premières de la propagation de la maladie étaient le commerce crétois et phénicien, les conquêtes d’Alexandre le Grand, les légions de Pompée et d’Octave, la diaspora, la présence de Sarrasins en Espagne et en France, les expéditions Vikings, les invasions germaniques et enfin les croisades[13].

Il faut également souligner que le terme « lèpre » était une catégorie de diverses maladies avec des manifestations physiques externes dont la lèpre contagieuse faisait partie[14].

Victimes de la lèpre recevant la parole d'un évêque. Omne Bonum, de James le Palmer, Londres, 1360-1375.

Si ces facteurs avaient favorisé l’expansion de la maladie, pour que celle-ci ait autant sévi et se soit implantée pendant près de 1 500 ans, il a fallu des conditions locales particulièrement favorables à la maladie : tout d’abord une mauvaise hygiène, le déversement des ordures sur la route permettant aux animaux errants de s’en approcher et s’en nourrir, des habitations mal construites ne laissant pas la possibilité d’aérer correctement l’intérieur et de chasser l’humidité. À la campagne, les animaux pouvaient pénétrer dans la maison du paysan qui, le soir, s’allongeait avec toute sa famille ainsi qu’avec un potentiel invité sur un matelas au sol près du feu, laissant ainsi libre cours à la contagion. Les personnes n’utilisaient pas de fourchettes et trempaient les doigts directement dans un plat en commun avec l’ensemble de la famille ; les nobles étaient moins exposés. Un autre facteur qui favorisa l’expansion de la maladie localement fut la coutume de l’hospitalité comme pratique religieuse ; en effet, les croyances indiquaient que l’étranger demandant l’hospitalité pouvait être Dieu ou le Christ étant déguisé et testant la bonté du peuple ; toutes ces personnes (moines, mendiants, pèlerins, etc.) demandant l’hospitalité pouvaient être porteurs de lèpre.

Dès les premiers siècles de l’ère chrétienne, la lèpre sévissait en Europe et en 549, le Concile d’Orléans prit des mesures en faveur des lépreux en invitant tous les évêques à se préoccuper des malades résidant dans leur diocèse. En effet, selon les Saintes Écritures, les prêtres avaient un devoir envers tous les indigents et malades, mais ce Concile stipulait que les prêtres devaient se préoccuper plus ardemment des lépreux. Ceux-ci devaient aider les lépreux à se vêtir et à se nourrir avec leurs propres moyens afin que « les soins de la charité ne manquent pas à ceux qu’une cruelle maladie réduit à la détresse »[15].

En 583, le Concile de Lyon interdit le voyage aux lépreux afin d’éviter que la maladie se propage et stipule que les lépreux doivent être séparés du reste de la communauté et considérés comme étant morts. Ainsi, dès le VIIe siècle, diverses léproseries (établissements pour lépreux) voient le jour en Occident. En 757, en France, à Compiègne, un parlement décide que si dans un couple marié l’un des deux conjoints est lépreux, il est permis à l’autre de se remarier en toute bonne conscience.

Appellations du lépreux

En France, les lépreux pouvaient être appelés caquins ou cacous et devaient habiter à l'écart des villages dans des « caquineries ».

Appellations de la léproserie

En breton, « valordi » signifie « maladrerie », « léproserie », comme le lieu-dit « Valordi » situé près de la Pointe de la Torche en Plomeur (Finistère).

La léproserie peut ainsi être appelée caquinerie, « ladreries, maladreries, maladières, misellaria, mézelleries, lazarets, etc ». Les historiens en ont souvent exagéré le nombre à cause d'une erreur de traduction latine ou d'interprétation au XVIIIe siècle, reprise par eux par la suite et jusqu'à nos jours[16].

Exclusion du lépreux

Ancien cliquette pour lépreux
Lépreux sonnant sa cloche pour avertir les passants ; Ils utilisaient aussi des crécelles ou des cliquettes pour qu'on ne les approche pas, (manuscrit latin du XIVe siècle)

Avant d’arriver à l’exclusion pure et simple du lépreux, un certain nombre d’éléments sont requis. En premier lieu, la personne soupçonnée d’avoir contracté la maladie est convoquée pour un examen minutieux. Le malade est examiné par des médecins et est parfois soumis à une épreuve ; on saigne le malade et on jette son sang dans une bassine pleine d’eau ; si le sang garde sa couleur vermeille, la personne est déclarée saine, sinon elle est déclarée lépreuse. Selon les régions, ces épreuves peuvent varier. Le juge ecclésiastique rend la sentence et par la suite les experts rédigent un rapport relatant les examens pratiqués sur le malade et si celui-ci a été confirmé positif ou négatif à la maladie.

Retraite des lépreux en fonte, XVe

Le jour de l’exclusion du lépreux, le curé doit lui envoyer une tunique/manteau, une robe grise, noire ou écarlate dont l’épaule gauche ou la poitrine est ornée d’un morceau de tissu rouge en forme de patte d’oie ou de cœur ; il reçoit également un chapeau ou une capuche noire, un instrument (crécelle, cliquette), qu’il doit agiter de jour tous les dix pas et constamment de nuit (en Allemagne il s’agissait d’une corne), ou des morceaux de bois que le lépreux doit battre l’un contre l’autre pour avertir la population de son approche, ceux-ci fuyant pour éviter la contagion ; il reçoit également un gobelet pour l’aumône ou pour boire, une panetière pour conserver le pain, une cuillère, un baril et un couteau. Une procession s’engage donc pour le lépreux dont la première halte se fait à l’église, où l’on célèbre l’office des morts que le lépreux entend le visage couvert pour symboliser le mort dans son cercueil. Cet usage cruel a été supprimé dans certaines régions et dans d’autres il est remplacé par l'office du jour. Par la suite, la procession emmène le lépreux dans un cimetière ou un rite symbolique est organisé ; le lépreux doit entrer dans une tombe, rester à genoux pendant que le prêtre lui jette trois fois de la terre sur la tête en disant « mon ami, tu es mort au monde ».

La dernière halte se fait dans l’établissement des lépreux, la léproserie, où on lui lit les « défenses », c’est-à-dire le règlement qu’il doit à présent suivre en tant que lépreux, et les interdits qu'il doit jurer sur l’Évangile de respecter. Il devra se promener avec l’habit du lépreux afin que tous le reconnaissent, il ne devra pas toucher les arbres ou autres plantes sans le port de gants, il ne devra plus recevoir d’autre compagnie que les autres lépreux, etc. Il est souligné que l’exclusion du lépreux n’est que corporelle et que son esprit reste toujours parmi eux. Si le lépreux est étranger, il est uniquement chassé sans possibilité de revenir sous peine d’être brûlé vif ; si le malade est originaire du lieu, soit on lui assigne une cabane isolée des habitations, soit, si la ville est riche, une maladrerie est construite pour y accueillir les lépreux et si le malade était un bourgeois, alors sa vie en léproserie était plutôt confortable avec la possibilité de faire venir son mobilier[17].

Ancienne chapelle devenue léproserie fondée en 1206, Dunwich, Suffolk (Grande-Bretagne)

De plus, l’exclusion du lépreux devait être prononcée officiellement, donc si le malade pouvait cacher les symptômes de sa maladie, alors il pouvait continuer en cachette à vivre normalement avec sa famille, retardant ainsi le plus possible le jour de son exclusion, mais laissant libre cours à la contagion.

L'exclusion des lèpreux s'observait pour la première fois dans la cité de Babylone, où le traitement de ceux-ci était indiqué dans le Code de Hammurabi : "Si un homme présente des nodosités et des tâches blanchâtres, celui-ci doit être rejeté par Dieu et par la société".

Cette exclusion médiévale du lépreux s’organisait dans une période de centralisation de l’État et de l’Église, durant les XIIe et XIIIe siècles, où s’organisaient, entre autres, les luttes contre l’hérésie, la persécution des Juifs et la condamnation de l’homosexualité. Mais la persécution des lépreux ne s'arrêtait pas là ; en effet, en Bretagne, les caqueux avaient été victimes d’exclusions jusqu’au XVIIIe siècle, car ils étaient considérés comme des descendants de lépreux. Ils étaient considérés comme porteurs de la lèpre et donc contagieux, en continuité avec l’exclusion médiévale du lépreux. Au XVe siècle, les caqueux étaient interdits de contacts avec l’Église, ils devaient pratiquer le métier de cordiers sans pouvoir faire commerce, sauf pour acheter du fil et du chanvre pour leur métier. Comme les lépreux médiévaux, ils devaient se promener[Quand ?] avec un morceau de tissu rouge sur leur vêtement afin que la population puisse les reconnaître[18].

Lépreux tenant la cliquette, E. Reclus, XIXe s.

« Depuis au moins le XVe siècle, le métier de cordier est le monopole des parias, considérés comme les descendants des lépreux : ils vivent dans des hameaux séparés, ont des lieux de culte ainsi que des cimetières qui leur sont réservés. (...) La chapelle de la Madeleine, aujourd'hui en Penmarc'h, leur est manifestement destinée, comme celle de Gestel (Morbihan) et de nombreuses autres un peu partout. En effet, les toponymes La Madeleine sont synonymes de noms de lieux comme La Maladrerie (léproserie) et sainte Madeleine est la patronne des cordiers[19]. »

Symptômes et transmission de la lèpre au Moyen Âge

Dès le haut Moyen Âge, grâce aux textes de l’Antiquité, les symptômes majeurs de la maladie avaient pu être identifiés. La forme de lèpre la plus apparente et la plus simple à identifier était sa forme lépromateuse où l’aspect du visage était très important jusqu’au Ve siècle, car il était le premier élément que l’on voyait de loin et que l’on remarquait. À partir du XIe siècle, hormis l’aspect du visage, l’on parlait à présent d’une « maladie desséchante qui affecte tous les membres du corps[20] » ; ce critère faisait partie des éléments de distinction entre une forme de lèpre bénigne et l’autre grave (selon Constantin l’Africain (1015–1087), moine au Mont-Cassin). Les premiers symptômes de la lèpre étaient identifiés dans les yeux devenant dilatés, les lèvres créant des boursouflures crevassées, le visage tuméfié et la cloison nasale qui se creusait et se détériorait.

Les lésions paléopathologiques rétrospectivement les plus visibles sur les restes osseux sont une érosion de l'arête nasale antérieure, la résorption de l'ouverture nasale piriforme, une atrophie des processus alvéolaires du maxillaire et la perforation du palais[21]. Selon l'archéologue Pia Bennike (responsable de la collection des 700 squelettes de la léproserie de Naestved au Musée d’histoire de la médecine de Copenhague) la lèpre attaquait le nez, les mains et les pieds des malades, dégradant leur aspect physique. La perte osseuse nasale était grave et les dents tombaient toutes.

Les enfants étaient plus atteints que les adultes, et les plus pauvres également. En effet, les enfants pauvres vivaient moins longtemps, donc la maladie était moins avancée sur leurs squelettes que sur ceux des enfants bourgeois qui pouvaient vivre plus longtemps et dont les squelettes étaient donc très détériorés par la maladie. Ceci n’est pas une nouveauté, car les enfants issus de couches sociales basses étaient moins bien nourris et en moins bonne santé que les enfants de couches bourgeoises, qui pouvaient se nourrir convenablement et avoir des conditions de vie plus favorables[22].

Au Moyen Âge, le mécanisme de contagion s’expliquait par le « contact immédiat avec un poison ou par la médiation de l’air corrompu entre un agent malade et un patient sain[23] ». Ce modèle de transmission des maladies n’exclut pas que les médecins du Moyen Âge acceptaient la possibilité d’une transmission d’homme à homme. La lèpre était considérée comme une maladie de l’âme résultant d’une punition de Dieu en conséquence des péchés commis, donc la contagion de la maladie était tout d’abord pensée comme une contagion des péchés par les théologiens.

Au XIIIe siècle, on considérait donc déjà que la maladie était transmissible, un texte de Thomas d'Aquin en 1250 parlait de la lèpre comme d’une maladie contagieuse, donc les théologiens considéraient déjà la lèpre comme une maladie transmissible, mais assimilée à l’hérésie[24].

Remèdes d'alors

Plusieurs pratiques thérapeutiques pour lépreux étaient utilisées, sans réels fondements scientifiques et toujours avec une forte empreinte religieuse. Bernard de Gordon (1250–1320) avait prescrit des saignées pour les malades suivies de purges souvent associées à des cautérisations et à des scarifications ainsi que des bains quotidiens de plantes. Henry de Mondeville (1260–1320) écrivait qu’il fallait recouvrir le visage du malade avec de la graisse de poules rôties, ces dernières nourries avec du froment cuit et des serpents. Une autre pratique consistait à tuer une anguille des mers selon un rituel très précis puis de le cuire avec des plantes. On dessèche la peau avec l'ellébore noire et blanche mais aussi avec la chaux vive[25].

Représentation du lépreux

Exécution et mise au bûcher des lépreux et des Juifs, Grandes chroniques de France, lire en ligne, XIVe s.

Selon des illustrations du XIIIe siècle, le lépreux était représenté de façon réaliste, agitant sa cloche, crécelle ou cliquette afin de demander l’aumône, complètement camouflé de la tête au pied, ne faisant entrevoir qu’une mince partie de sa peau déformée et ravagée. Comme les Juifs avec la rouelle, les lépreux devaient porter un signe distinctif permettant de les reconnaître[26]. Tout d’abord, comme dit précédemment, leur vêtement comportait sur l’une des épaules un morceau de drap rouge. Dans le pays chartrain, les lépreux devaient porter un linge blanc sur la tête ainsi que leur instrument pour avertir la population[27].

Le bas-relief qui ornait le portail de Saint-Julien-le-Pauvre à Paris, datant de la première partie du XIIIe siècle, représentait saint Julien, sa femme dans un bateau et le Christ avec la figure d’un lépreux recouverte d’un capuchon et d’une tunique[pas clair]. Un manuscrit latin de la Bibliothèque nationale de Saint-Germain, du XIIIe siècle, représentait un lépreux encapuchonné, bras croisés et tenant sa « cliquette ». Dans un autre manuscrit de la même bibliothèque, l’on voit un lépreux se faire guérir par Jésus et donc laissant tomber son instrument en symbole de sa guérison. Hormis les représentations artistiques et manuscrites, la distinction entre lépreux et non-malades se faisait également après la mort, car dans un cimetière de Dijon l’on avait retrouvé des tombes représentant un lépreux avec sa cliquette à la ceinture[27].

Déclin de la lèpre

La lèpre avait atteint son apogée au XIIIe siècle et commença à décliner à partir du XIVe siècle grâce à divers facteurs. Tout d’abord, l’exclusion des lépreux dans les léproseries s’était avérée insuffisante, car certains lépreux fuyaient la léproserie où ils étaient maltraités[16]. Ou encore, pour essayer de retarder au plus tard leur exclusion, les malades essayaient de cacher leurs symptômes le plus longtemps possible en restant chez eux. On constate également, qu’après la huitième croisade (1270 à Tunis), la lèpre commençait son déclin.

L’amélioration du bien-être des populations a joué également un rôle dans le déclin de la maladie, les vêtements n'étaient plus fabriqués en laine (considérée[Par qui ?] comme véhicule de la maladie), mais en toile. La nourriture joua également un rôle ; on[Qui ?] avait émis l’hypothèse que l’expansion de la lèpre était due à une alimentation riche en sapotoxines qui proviendraient de farines non nettoyées ; à partir du XIIIe siècle, la farine serait mieux lavée et nettoyée, mais cela ne peut à soi seul expliquer le déclin de la maladie[réf. nécessaire]. D’autres facteurs, génétiques, épidémiologiques et immunologiques, entraient également en ligne de compte[28].

La lèpre reste néanmoins très répandue en Europe jusqu'au XVIe siècle[29] et pour leur part, des chercheurs de l'Université Hébraïque de Jérusalem expliquent cette disparition par la tuberculose, une maladie infiniment plus dangereuse, qui aurait pris le pas sur la lèpre : les lépreux affaiblis par leur maladie, donc plus vulnérables au bacille de la tuberculose et vivant en communauté, « la propagation du bacille était donc favorisée. Les scientifiques supposent que les lépreux mouraient de la tuberculose plus vite que la lèpre ne se propageait »[30],[31].

Période contemporaine

En 1873, le Norvégien Armauer Hansen découvre le bacille responsable de cette maladie.

Carte de répartition des cas de lèpre en 1891.

Si la Société de pathologie exotique de Paris recommande en 1909 « l'exclusion systématique des lépreux », et si le code de l'indigénat prévoit la ségrégation coercitive, celle-ci disparaît à partir de la troisième Conférence internationale sur la lèpre organisée à Strasbourg en 1923, dont le secrétaire général, Émile Marchoux, préconise l'humanisation des léproseries[32].

Au XXe siècle, la lutte contre cette maladie connaît un nouvel élan à la suite de la mort du prêtre et missionnaire belge Damien de Veuster, mieux connu sous le nom de Père Damien, qui avait consacré sa vie aux lépreux de Molokai (Hawaï). Mort en 1889 à l'âge du 49 ans des suites de la lèpre, son histoire commençait à se répandre et à susciter beaucoup d'intérêt de façon à stimuler la recherche.

Une coordination internationale de la lutte contre la lèpre s'organise en 1930 lors de la réunion à Bangkok de la Société spéciale de la lèpre de la Société des Nations[32].

L'« Institut central de la Lèpre » est inauguré à Bamako en 1935. Il est rebaptisé « Institut Marchoux » en 1945, puis Centre national d'appui à la lutte contre la maladie en 2001[33]. Jusqu'à l'apparition des sulfones au début des années 1950, le traitement reposait sur l'huile de chaulmoogra[34]. Voir ci-dessous « anciens traitements ».

À partir des années 1990, plus de 12 millions d'individus ont été guéris de la lèpre. Sa prévalence a diminué de 90 % et la lèpre a été éradiquée dans 108 des 122 pays touchés.

La lèpre n’est plus un problème de santé publique mondiale puisque sa prévalence mondiale est actuellement[Quand ?] inférieure à 1 cas pour 100 000 habitants. Elle demeure un problème de santé publique dans 100 pays situés en majeure partie en Afrique, Asie (dont l'Inde) et Amérique du Sud (Brésil). Deux cent dix mille (210 000) nouveaux cas ont été détectés dans le monde en 2010 et 1,5 million de personnes voire plus sont atteintes[30],[31].

L'Ordre souverain de Malte et la Fondation Raoul Follereau consacrent des fonds importants à cette maladie (léproserie et recherche médicale). D'autres associations religieuses ou laïques agissent aussi en ce sens[35]. De moins en moins de médecins connaissent cette maladie de la misère et des guerres, ce qui tend à augmenter la gravité des séquelles des personnes atteintes.

Cause et mécanisme

Comparaison mycobacterium tuberculosis, M. leprae et M. smegmatis

La lèpre est due à une infection par la bactérie Mycobacterium leprae. Jusqu'à récemment, l'être humain était le seul réservoir naturel connu de Mycobacterium leprae, mais 15 % des tatous sauvages de Louisiane et du Texas ont été retrouvés porteurs de la maladie, ainsi que des écureuils roux sur certaines îles britanniques[36]. Mycobacterium leprae peut également être présente dans le sol.

Radiographie des mains du patient ci-dessus (Archives médicales militaires des États-Unis)

La transmission de Mycobacterium leprae est mal connue, elle remonte souvent à l'enfance par inhalation de « postillons » d'un lépreux contagieux. Elle se fait également par des mucosités de lépreux mises au contact d'ulcérations ou de plaies cutanées, enfin par l'intermédiaire d'objets souillés : linge, natte, oreillers… Tous ces modes impliquent les contacts étroits et durables d'une promiscuité de type familial. La transmission héréditaire[37] n'existe pas, mais une transmission congénitale semble possible (la transmission congénitale n'a été observée que chez le tatou à neuf bandes (Dasypus novemcinctus)[38]. En outre, le sol infecté et les insectes vecteurs (punaises, moustiques) pourraient jouer un rôle dans la transmission de la maladie. En 2011, une étude suggère qu'une transmission serait possible du tatou à l'être humain[39], ainsi qu'un cas de patient - ancien chasseur de tatous - ayant développé la maladie en 2019 (rapporté par des médecins dans le British Medical Journal[40]).

L'un des symptômes les plus connus est la résorption osseuse, ici, chez un patient de 67 ans (qui présente aussi une atteinte neurologique) ; Archives médicales militaires des États-Unis.

Les patients non traités atteints du type lépromateux hébergent un grand nombre de Mycobacterium leprae dans leur muqueuse nasale, les sécrétions nasales, la salive, les lésions cutanées. La lèpre tuberculoïde, la forme la moins sévère, est généralement considérée comme non contagieuse. La période d'incubation, exceptionnellement longue (plusieurs années), explique que la maladie ne se développe que chez les jeunes adultes.

La lèpre se manifeste suivant deux tableaux : la forme lépromateuse et la forme tuberculoïde. La cause de ces deux formes n'est pas claire. Il semble exister une réaction immunologique différente entre les deux types, bien que le germe soit le même : dans la forme tuberculoïde, la dissémination du germe semble limitée et la biopsie de la peau montre une prédominance de lymphocytes CD4+ et un milieu riche en interleukine 2 et en interféron gamma. Dans la forme lépromateuse, la dissémination du bacille est beaucoup plus importante avec, à la biopsie de peau, présence prédominante de lymphocytes CD8+ et d'autres cytokines[41]. Cette différence de réponse pourrait être due à une susceptibilité d'ordre génétique chez l'hôte, certaines mutations de type polymorphisme nucléotidique simple étant plus fréquentes sur certains gènes intervenant dans les réactions immunitaires[42].

Épidémiologie

L'épidémiologie de cette maladie, encore mal comprise pourrait avoir une composante zoonotique.

Gerhard Armauer Hansen a découvert le premier bacille connu de la lèpre il y a plus d'un siècle, mais n'a cependant jamais réussi à cultiver durablement la bactérie sur des tissus de patients atteints de lèpre ni sur d'autres milieux de culture. Il en va de même pour tous les autres biologistes depuis plus d'un siècle après lui[43].

Les tatous y sont sensibles, mais une espèce l'est tout particulièrement.

Ecureuil roux à Madrid (Espagne)

Ceci laisse penser que cette mycobactérie a des besoins très spécifiques[43]. En 2016, bien que des scientifiques (comme Indira Nath, en Inde) consacrent encore leur vie à l'étude de cette maladie, « de nombreuses questions subsistent quant à son mode de transmission et à son épidémiologie »[43].

En 2016 au Royaume-Uni, de manière inattendue Avanzi et al., via des études génomiques, histopathologiques et de la sérologiques, ont identifié ce pathogène dans les excroissances verruqueuses de la face et des extrémités de plus en plus souvent trouvées chez l'écureuil roux (Sciurus vulgaris)[36]. Cette espèce est en forte régression en Angleterre face à l'avancée de l'écureuil gris (espèce introduite et devenue invasive). L'écureuil roux pourrait donc être l'un des réservoirs animaux du bacille[36]. Jusqu'alors, sauf pour les tatous dans les Amériques (et en particulier le tatou à neuf bandes), on considérait que ce bacille n'attaquait pratiquement que l'être humain[36]. L'étude de cette maladie chez l'écureuil pourrait peut-être permettre de mieux comprendre l'Éco-épidémiologie, la biologie et l'épidémiologie de la lèpre[43]. Deux souches différentes de lèpre ont été découvertes chez les écureuils d'Angleterre, d'Irlande et d'Écosse : Mycobacterium leprae issue d'une souche humaine médiévale, aujourd'hui retrouvée dans la population méridionale des écureuils de l'île Brownsea alors que M. lepromatosis (bacille plus récemment découvert) a été trouvé chez les écureuils roux du reste du Royaume-Uni, ainsi qu'en Irlande. À la suite de cette découverte, les parasitologues se demandent maintenant si cette maladie ne serait pas une zoonose et si d'autres animaux ne sont pas également porteurs du bacille[36].

Endémisme, répartition

Répartition en 2003.
Prévalence de la lèpre en 2007, nombre de cas pour 10 000 personnes.

L’Organisation mondiale de la santé recensait, en 2016, 216 108 nouveaux cas de lèpre dans le monde[44] (la France compte 250 cas déclarés, tous originaires de l'outre-mer ou des zones d’endémie)[35].

  • En 2000, 738 284 nouveaux cas ont ainsi été identifiés (pour 640 000 en 1999) ;
  • en 2001, 755 000 cas de lèpre ont été diagnostiqués ;
  • en 2002, 763 917 nouveaux cas furent détectés.

En 2016, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait état de 145 pays qui ont rapporté des cas[44]:

  • 90 % des cas se trouvent au Brésil, en Birmanie, au Mozambique, à Madagascar, en Éthiopie, en Inde et au Népal (prévalence allant de 2 à 4,6 pour 10 000 habitants selon les pays). Mais la prévalence mondiale reste stable, aux alentours de 1/100 000.
  • 650 000 patients sont sous traitement.
  • 70 % des cas enregistrés au début de 2002 vivaient en Inde.
  • Il y a eu 34 nouveaux cas en Europe en 2002.
  • Les régions les plus touchées sont par ordre décroissant : Asie du Sud-Est, Amérique du Sud, Afrique.
  • Le sex-ratio est de 1.

En , 83 % de la prévalence mondiale et 88 % des nouveaux cas se concentraient dans 6 pays : Brésil, Inde, Indonésie, Mozambique, Népal, et République Démocratique du Congo[45].

Diagnostic

Deux lépreux en Inde, 1960

Il existe différents types de lèpre. Schématiquement, on distingue deux formes cliniques : la lèpre tuberculoïde et la lèpre lépromateuse, elles-mêmes reliées par des formes dites intermédiaires. Depuis les années 1960, afin de mieux standardiser et réglementer la thérapeutique, l’OMS a classé les formes cliniques de la lèpre en :

  • Formes multibacillaires, correspondant aux formes lépromateuse et intermédiaires, ayant plus de cinq lésions cutanées.
  • Formes paucibacillaires, correspondant essentiellement à la forme tuberculoïde.

Lèpre tuberculoïde

Cette forme de lèpre est la plus fréquente. Elle associe :

  • de grandes taches dépigmentées sur la peau, qui est devenue insensible au toucher, à bords nets, uniques ou en petit nombre, contenant peu ou pas de bacilles. Les éruptions cutanées, comme dans toutes les formes de lèpre, sont non prurigineuses ;
  • des troubles nerveux touchant les membres, avec troubles de la sensibilité et anomalies cutanées : ulcères, maux perforants, mutilations, paralysies ;
  • et des lymphocytes circulants qui reconnaissent Mycobacterium leprae ;
  • ces patients ne sont pas contagieux.

Lèpre lépromateuse

Symptôme de la lèpre, photo de 1906.

La lèpre lépromateuse est une maladie générale.

C'est une forme où les lésions cutanées et muqueuses prédominent :

  • l’atteinte cutanée prédomine, avec des macules hypochromiques (avec ou sans anesthésie) discrètes, à contours flous. Puis apparaissent les lésions typiques de cette forme, les lépromes, qui sont des papules (nodules infiltrés) luisantes nodulaires de sensibilité normale, siégeant sur tout le corps, mais prédominant au visage (avec épistaxis et congestion nasale) ;
  • l'atteinte des nerfs est moins sévère dans cette forme ;
  • il n'y a pas d'immunité vis-à-vis de Mycobacterium leprae ;
  • ces patients sont contagieux ;
  • environ la moitié des patients présentant une lèpre lépromateuse développent un érythème noueux lépreux (ENL) au cours des toutes premières années d'antibiothérapie efficace. Cette réaction peut survenir spontanément avant le traitement, facilitant le diagnostic, ou elle peut survenir jusqu'à 10 ans après le traitement.

S’y associent des atteintes :

Lèpre intermédiaire

Entre ces deux formes bien caractérisées, se situe un véritable spectre de formes dites intermédiaires, pour lesquelles les réactions de défense sont instables et variables. Les lésions cutanées ressemblent à celles de la lèpre tuberculoïde, mais sont plus nombreuses et irégulières. De grandes tâches peuvent toucher un membre entier, et les nerfs périphériques peuvent éventuellement être touchés impliquant faiblesses et pertes de sensations. Ce type de lèpre est instable et peut évoluer vers les symptômes de la lèpre lépromateuse ou à l'inverse, à la forme tuberculoïde de la lèpre. Ce spectre est encore mal connu du milieu médical.

Diagnostics différentiels à évoquer devant des lésions hypochromiques

Diagnostic différentiel à évoquer devant des lésions papuleuses

Diagnostic bactériologique

Jeunes lépreux malgaches soignés dans le dispensaire de la mission de Nossi-Bé, avant 1933

Elle permet la confirmation diagnostique par mise en évidence du Mycobacterium leprae ou bacille de Hansen. Sa négativité n’élimine pas le diagnostic, mais sa recherche est importante pour les formes borderline, pour adapter le traitement (patient pauci- ou multibacillaires), et diagnostiquer les rechutes.

Une coloration de Ziehl-Neelsen permet de visualiser le Mycobacterium leprae ou bacille de Hansen à partir de produits de raclage de la muqueuse du nez (rhinite lépreuse) ou à partir des cellules d'éruptions cutanées (lépromes).

Sont appréciés :

  • la numération = index bactériologique (IB) = charge bacillaire cotée de 0 à 6
  • la morphologie = index morphologique = viabilité des bacilles (en %)
  • on distinguait les patients paucibacillaires PB (pas de bacilles visibles) et multibacillaires MB (index bacillaire non nul) ;
  • actuellement la mise en évidence du bacille n’est plus nécessaire, et l’on distingue les formes PB et MB en fonction du nombre de lésions.

Atteinte neurologique

Elle détermine le pronostic de la maladie. La lèpre touche principalement les nerfs périphériques. Le Mycobacterium leprae a un tropisme neurologique. Le bacille se multiplie dans la cellule de Schwann.

Elle débute dans la 1re année d’évolution de la maladie par une hypertrophie des troncs nerveux à rechercher au niveau du cubital, du médian, du sciatique poplité externe (SPE), tibial postérieur (TP), plexus cervical superficiel. Puis au fil des années, apparition d’une mononévrite multiple douloureuse déficitaire. Le déficit touche d’abord la sensibilité thermo-algique, puis la conduction motrice avec déficit moteur (parésie puis paralysie), amyotrophie, et troubles trophiques… L’expression clinique neurologique indique que 30 % des fibres nerveuses sont atteintes par le bacille de Hansen.

Les nerfs les plus touchés sont :

  • nerf V (anesthésie cornéenne) ;
  • nerf VII (atteinte de l’orbiculaire des paupières ou des lèvres entraînant des difficultés pour l’alimentation, l’élocution et donc des difficultés d’ordre psychosocial) ;
  • nerf ulnaire +++ : griffe cubitale, amyotrophie hypothénar, hypoesthésie cutanée donc brûlures…
  • nerf médian : amyotrophie thénar, hypoesthésie cutanée…
  • sont aperçues des paralysies mixtes cubitomédianes (« main de singe »), aucune préhension possible ;
  • le radial, plus rarement (main tombante) ;
  • le tibial postérieur (TP) +++, orteils en griffe, mal perforant plantaire ;
  • le SPE +++, pied tombant (steppage), pied en varus équin ;
  • atteinte mixte SPE + TP.

En général la chronologie des troubles neurologiques se présente ainsi :

  1. anesthésie, troubles trophiques ;
  2. fissures, plaies, brûlures ;
  3. infection ostéoarticulaire ;
  4. diminution de la surface d’appui ;
  5. cicatrices adhérentes ;
  6. amputation, mutilation, perte de substance…

Invalidité

Ce sont les complications ultimes de toutes les formes de lèpre. Ces complications peuvent être invisibles (conséquences psychosociales, maladie taboue) et visibles (mutilations, déformations, paralysie). L’OMS se base surtout sur les atteintes oculaires et neurologiques pour établir un score d’invalidité.

Traitement

Lépreux de Tahiti en Polynésie, 1898.

Anciens traitements

Un des premiers traitements fut l'huile de chaulmoogra extraite des graines du taraktogenus hydnocarpii. L'isolation de l'acide chaulmoogrique avait été faite par Alice Ball en 1916 et perfectionnée ensuite par Arthur Dean[46]. Cependant cette huile avait l'inconvénient d'être chère et de faire éclater les seringues. Le dermatologue Édouard Jeanselme a préconisé un mélange d’huile de chaulmoogra, de camphre et de guaïacol comme traitement contre la lèpre.

Dans les années 1930, le père Clément Raimbault découvrit les effets de l'huile dolno, produite à partir de graines de takamaka des Hauts (Calophyllum tacamahaca), arbre courant à La Réunion.

Traitements actuels

Bien que non mortelle, la lèpre expose à des invalidités sévères et des handicaps permanents si elle n'est pas traitée à temps. Le traitement comporte plusieurs antibiotiques, afin d'éviter de sélectionner des souches résistantes du germe. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis 1981 une polychimiothérapie (PCT) comprenant trois médicaments, car Mycobacterium leprae développe des résistances en cas de monothérapie

Ces trois antibiotiques constituent le traitement de référence de l'OMS. Cette association médicamenteuse détruit l'agent pathogène et guérit le malade. La durée du traitement oscille entre 6 et 24 mois, selon la gravité de la maladie.

En cas de résistance et/ou allergie, on utilise :

Forme de lèpre Traitement de référence
Paucibacillaire RMP 600 mg par mois (S) + DDS 100 mg par jour. Durée 6 mois
Multibacillaire RMP 600 mg/mois (S) + CLO (300 mg/mois (S) et 50 mg/j) + DDS 100 mg/j. Durée 12 mois

(S) = traitement supervisé

Nouveau schéma thérapeutique en cours d’évaluation

Structure Rifampicine
  • Rifampicine + ofloxacine + minocycline en 1 prise mensuelle supervisée pendant 3 à 6 mois pour les patients paucibacillaires et 12 à 24 mois pour les multibacillaires.

Autres traitements

Lorsque les lésions sont déjà constituées, le traitement repose en plus sur des prothèses, des interventions orthopédiques, des chaussures spéciales, etc.

Rechutes

  • C’est la reprise de la maladie après une PCT bien suivie. Parfois, une résistance aux ATB est en cause.
  • Elles peuvent être tardives, jusqu’à 9 ans (6 pour les PB) après la PCT.
  • Elles sont rares, 0,77 % à 9 ans (1,07 % pour les PB à 6 ans).

Immunité entre la tuberculose et la lèpre

Il y a une certaine immunité croisée entre la tuberculose et la lèpre.

Les pays où la tuberculose a sévi le plus anciennement sont depuis le plus longtemps débarrassés de la lèpre[30].

Le BCG, vaccin contre la tuberculose, aurait une efficacité protectrice vis-à-vis de Mycobacterium leprae. La vaccination faite avant l'âge de 15 ans, et la revaccination amélioreraient cette prévention[47].

Notes et références

  1. Photo de Pierre Arents, planche VIII du Traité pratique et théorique de la lèpre, d'Henri Lenoir.
  2. « Lèpre - traduction - Dictionnaire Français-Anglais », WordReference.com (consulté le ).
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  5. « Sainte Bible », sur http://saintebible.com/, (consulté le ).
  6. J.-P. Messali, op. cit., pp. 335-339. Lire en ligne
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  17. Malet, Christian, Histoire de la lèpre et de son influence sur la littérature et les arts, Paris, Faculté de Médecine de Paris, , p.77–80.
  18. Calvez, Marcel, « Les Accusations De Contagion Comme Argument D'exclusion: L'exemple Des Caqueux De Bretagne », Ethnologie française, no 1, t.22, , p. 56–60 (lire en ligne).
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  35. Dans le monde, il y a de nombreux hôpitaux pour l'asile et le traitement des lépreux. Des groupes liés à l'Église catholique en supportent financièrement et en gèrent 547 (2013) selon les plus récentes données de l'Annuaire Statistique de l’Église. De suite, leur distribution par continent : en Afrique 198, en Amérique (au total) 56, en Asie 285, en Europe 5 et en Océanie 3. Les nations avec le plus grand nombre d'hôpitaux sont : en Afrique, la République démocratique du Congo (32), Madagascar (29) l'Afrique du Sud (23) ; en Amérique : le Mexique (8), dans l'Amérique Centrale - Antilles : la République dominicaine (3), en Amérique du Sud : le Brésil (17), l'Équateur et la Colombie (4), en Asie : l'Inde (200), la Corée (15), en Océanie : la Papouasie-Nouvelle-Guinée (3) --- (Agence Fides, congrégation pour l'évangélisation des peuples, 26 janvier 2013).
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Voir aussi

Ouvrages

  • Christian Malet, Histoire de la lèpre et de son influence sur la littérature et les arts, Paris, Faculté de médecine de Paris, 1967
  • Ulysse Robert, Les Signes d'infamie au Moyen Âge : Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles, Paris, H. Champion, 1891, p. 146-158
  • François-Olivier Touati, Maladie et société au Moyen Âge. La lèpre, les lépreux et les léproseries dans la province ecclésiastique de Sens jusqu’au milieu du XIVe siècle, Paris, Bruxelles, De Boeck Université, 1998
  • Jean-Pierre Messali, « La ”lèpre” dans les écrits bibliques et rabbiniques : aspects historiques, textuels et rituels », Religions, Université Sorbonne-Paris-Cité, 2016. NNT 2016USPCA037 (en ligne)

Articles

  • Marcel Calvez, « Les accusations de contagion comme argument d'exclusion : l'exemple des caqueux de Bretagne », in Ethnologie française, tome 22, no 1, 1992, p. 56-60 (en ligne)
  • Arnaud Fossier, « La contagion des péchés (XIe – XIIIe siècle). Aux origines canoniques du biopouvoir », in Tracés. Revue de Sciences humaines, no 21, 2011 (en ligne)
  • L. Grillon, « Les rites ecclésiastiques de la séparation des lépreux en Périgord à la fin du XVe siècle  », dans Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, 1960, tome 87, 3e livraison, p. 187-190 (en ligne)
  • Alfred Marx, « L'impureté selon P. Une lecture théologique », in Biblica, vol. 82, no 3, 2001, p. 363-384 (en ligne)
  • Bruno Tabuteau, « Histoire et archéologie de la lèpre et des lépreux en Europe et en Méditerranée du Moyen Âge aux Temps modernes », in Annales de Normandie, no 5, vol. 49, 1999, p. 567-600 (en ligne)
  • Aurélien Robert, « Contagion morale et transmission des maladies : histoire d’un chiasme (XIIIe – XIXe siècle) », in Tracés. Revue de Sciences humaines, no 21, 2001, p. 41-60 (en ligne)

Articles connexes

Liens externes


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