Zones sensibles

Avant de fonder Zones sensibles, Alexandre Laumonier fut le fondateur et le directeur de la revue Nomad's land, de 1997 à 1999[4], puis celui des Éditions Kargo[5]^,[6] ; par la suite, il lança des collections éditoriales qu'il dirige toujours : « Terra Cognita »[7] aux Éditions de l'Éclat, « Fabula »[8] aux éditions les presses du réel[9] et « Graphê »[10] aux éditions Les Belles Lettres. Il est aussi le co-fondateur avec Emmanuel Requette des éditions Vies parallèles[11] basées à Bruxelles[12]. Il a parallèlement été directeur artistique du magazine Art Press de 2000 à 2007, dont il fut aussi le graphiste pour plusieurs numéros spéciaux du magazine. En tant que designer graphiste, il a également travaillé pour le Centre Pompidou, Les presses du réel, le Palais de Tokyo, le Centre d’Études Supérieures de la Renaissance, les éditions La Découverte, les Presses universitaires de France… Toutes ces années passées dans le monde de l'édition font que le 39e livre de Zones sensibles, SNML. Anatomie d'une contrefaçon[13] (consacré au Sidereus nuncius), est aussi le 100e livre qu'A. Laumonier a publié, en février 2020, depuis ses débuts dans l'édition en 1997[14].

Couvertures de deux livres écrits par Alexandre Laumonier, 6|5 et 4, publiés chez Zones sensibles (2014, 2019).

Le catalogue de Zones sensibles[15] est spécialisé dans les sciences humaines ou, comme le dit A. Laumonier, dans les « Sciences de l'homme » : « un vaste domaine se rapportant à l’humain dans ses divers modes d’existence (sociale, artistique, politique, culturelle vs naturelle, etc.), domaine qui peut concerner tout autant l’anthropologie que le roman graphique, les études culturelles que l’histoire de la médecine, les mondes sonores que les atlas géographiques, les constructions urbaines comme les environnements non humains[16]. » Emi Vergels remarque : « Zones Sensibles’ catalogue perfectly exemplifies Alexandre’s limitless tastes and wide-ranging interests : anthropology, history, ecology, and even graphic design are all covered here within a wide range of geographical locations[17]. » Par ailleurs, se fixant une ligne éditoriale « exigeante sans être élitiste »[18], Zones sensibles entend publier « des ouvrages aux sujets éclectiques, venant de plumes différentes (universitaires confirmés comme jeunes auteurs) et le plus souvent traduits »[19].

Dans son « Manifesto », A. Laumonier explicite le nom de sa maison d'édition : « Les zones sensibles sont justement ces lieux autres, des hétérotopies où s’entrecroisent les disciplines et les sujets récalcitrants, les autochtones et les allochtones, des lieux de décloisonnements et de rapprochements, des zones grises car le monde n’est ni noir, ni blanc ; des zones bariolées (à l’image du zinneke) qui contrastent avec l’homogénéité des milieux de ceux qui ''pensent'' ou qui ''gouvernent'' (il n’est pire ghettos que ceux-là) ; des zones sensibles qui sont celles de la société — ni de droite, ni de gauche (mais en faveur du livre-échange), minoritaires et indisciplinées[20]. »

Zones sensibles est parrainée par un comité scientifique : Jacques Dalarun (CNRS), Wim Decock (KuLeuven), Philippe Descola (Collège de France), Bruno Latour (Sciences Po), Jacques Le Goff † (EHESS), Jean-Claude Lebensztejn (université de Paris-4,), Christope Mileschi (U. Nanterre), Sylvain Piron (EHESS), Lucienne Strivay (Université de Liège) et Alexandre Vanautgaerden (Musée de la Maison d'Érasme)[21].

Fin novembre 2015, à la suite des attentats du 13 novembre, A. Laumonier signe une tribune dans le journal français Le Monde intitulée « Molenbeek-Saint-Jean n’est pas un ghetto »[22], dans laquelle il remet en perspective l'histoire récente de Molenbeek (d'où sont issus bon nombre des auteurs responsables de ces attentats) et l'importance accrue de la religion musulmane dans son quartier. En 2016, il décide de quitter le quartier de Molenbeek-Saint-Jean : « il était temps d’aller vers un autre lieu où, dans la rue, on vous fait moins sentir, par le regard, que vous n’êtes qu’un "mécréant"[23]. »

En début d'année 2020, lors de l'épidémie de la COVID-19, divers types de commerces dans différents pays durent cesser leurs activités à la suite des dispositions législatives prises par leur gouvernements respectifs afin de lutter contre la propagation du virus. Parmi ces commerces, les librairies furent dans l'obligation de fermer.

Sélection de livres publiés par Zones sensibles[n 1].

Fin mars 2020, à l'instar d'autres maisons d'édition, les éditions Zones sensibles mirent à disposition des lectrices et des lecteurs une sélection de livres issus de leur catalogue, plus même, ceux-ci purent être téléchargés. La maison d'édition motiva ainsi sa démarche : « En raison des confinements imposés par les gouvernements à la suite de la pandémie de Covid-19, puisque les librairies sont momentanément fermées et comme commander des livres chez Amazon n’est pas la meilleure idée, nous mettons en ligne, gratuitement et en intégralité, 12 titres de notre catalogue, téléchargeables au format PDF[24]. »[n 2]

À l'occasion de la parution de Généalogie de la morale économique de Sylvain Piron[25], Zones sensibles annonce sa décision de ne plus vendre de livre chez Amazon[26]. Cette décision s'accompagne d'un détail graphique qui empêche le livre d'être manipulé par les robots d'Amazon : le code-barres de l'ouvrage n'est pas placé sur la quatrième de couverture, mais au revers de la couverture.

Les éditions Zones sensibles se distinguent par des publications de textes originaux et souvent singuliers[27], comme celui de Ben Kafka[28] sur l'écriture bureaucratique[29], celui de Hanna Rose Shell[30] sur le camouflage[31]^,[32] ou celui sur l'omniprésence du baratin[33] dans notre quotidien[34]^,[35]. Aussi, avec ses traductions d'auteurs contemporains dont les textes sont devenus des classiques (Tim Ingold, Roy Wagner, Eduardo Kohn ou William Cronon par exemple), les éditions Zones sensibles représentent une « rare alternative in the world of academic publishing »[36].

Parmi la quarantaine de titres publiés[15] figurent des rééditions de textes classiques, tel cet extrait du célèbre Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle, Mahomet[38], ou ce roman de science-fiction d’Edwin A. Abbott daté de 1884, Flatland[39]^,[40] ; ainsi que des textes au statut autre, comme cette fable épistémologico-artistique[41]^,[42] de Vilém Flusser et Louis Bec Vampyroteuthis infernalis[43].

Alexandre Laumonier publie aussi des ouvrages relevant de l’histoire, comme ceux de Sylvain Piron : Dialectique du monstre[44], sur le scribe-cartographe Opicinus de Canistris[45] (lauréat du Best Dutch and Flemish Book Design 2015[46] et du Grand prix des Rendez-vous de l'histoire de Blois[47]^,[48]^,[49]^,[50]), ainsi que ses deux tomes L’Occupation du monde[51]^,[52]^,[53] et Généalogie de la morale économique. L’Occupation du monde 2[25]^,[54].

Livre de Paul Florensky, Les Imaginaires en géométrie, publié par Zones sensibles en 2016. La couverture est constituée d'un papier claque.

Cependant, le cœur du catalogue des éditions Zones sensibles est constitué d’ouvrages d’anthropologie, ou touchant de près au domaine de l’anthropologie. Ainsi, A. Laumonier s’emploie à faire traduire des textes classiques de la discipline anthropologique, par exemple : Comment pensent les forêts d’Eduardo Kohn[55], préfacé par Philippe Descola[56]^,[57]^,[58]^,[59] ; un classique de l’anthropologie américaniste[60] écrit par Keith Basso, L’eau se mêle à la boue dans un bassin à ciel ouvert[61] ; un classique de l’anthropologie culturelle originellement publié en 1975[62]^,[63]^,[64], L’invention de la culture de Roy Wagner[65]. A. Laumonier publie également des ouvrages d’anthropologues contemporains : Yucca Mountain[66], un ouvrage dans lequel John d'Agata enquête sur l’enfouissement de déchets nucléaires non loin de Las Vegas[67]^,[68] ; des ouvrages de l’anthropologue britannique Tim Ingold : Une brève histoire des lignes[69] qui propose une anthropologie des lignes[70]^,[71] et Marcher avec les dragons[72] qui est un recueil d’articles d’anthropologie de l'environnement[73]^,[74].

Enfin, A. Laumonier ne s’interdit pas de publier ses propres ouvrages : 6/5 (2013-2014)[75], consacré au Trading Haute Fréquence[76], suivi de 4[77] en 2019[78]^,[79]^,[80].

Couverture du livre de Talal Asad Attentats-suicides (2018), et intérieur du livre de Paul Scheerbart Perpetuum mobile (2014)[n 3].

Les ouvrages siglés « Z/S » « accrochent immédiatement le regard »[81], ce sont des « volumes agréables à l’œil, plaisants à manier et offrant de vraies surprises esthétiques[82]. » En effet, chaque publication possède une couverture unique, « façonnée pour chaque livre »[81] en relation avec le texte de l'autrice ou de l'auteur publié : une couverture microsillée pour le titre La mort d'un pirate[83]^,[84], une nappe rose pour le titre Stratégie pour deux jambons[85]^,[86]^,[87], une couverture sobre pour le titre Attentats suicides[88]^,[89]^,[90], ou encore, une reproduction des déplacements des éleveurs étudiés pour le titre Nomad's land[91]^,[92]^,[93].

« Alexandre is obviously interested in the overall look of his products — yet as an editor, he also knows how to respect the nature of each and every book’s content in its own right[94]. » Ainsi, chaque livre s'accompagne de trouvailles graphiques et un grand soin est apporté à la finition des ouvrages (typographie, impression, brochage), tout en maintenant des prix de vente modestes comme annoncé dans le « Manifesto »[95]. En outre, A. Laumonier « s’impose une contrainte, celle de garder toujours la même chaîne de production ; autrement dit, avoir toujours le même brocheur, le même sérigraphe, le même imprimeur…[3] » E. Vergels précise dans son article qu'A. Laumonier travaille « exclusively with local suppliers and services[96]. »

Cette attention portée à « l'objet-livre » rapproche les éditions Zones sensibles d'autres maisons d'édition telles B42[97], Éditions Non Standard[98] ou les créations d'Irma Boom[99] ; ces maisons d'édition furent toutes conviées à l'exposition « Volumes » en 2019[100]. De son côté, le Centre Pompidou-Metz organisa en 2013 une exposition intitulée « Une brève histoire des lignes »[101], celle-ci fut « librement inspirée » du livre éponyme de Tim Ingold traduit et publié chez Zones sensibles en 2011.

• Alexandre Laumonier, « Les petits éditeurs votent Google », sur Libération.fr, 7 juin 2006
• Alexandre Laumonier, « Une offre éditoriale si peu humaine... », sur Le Monde.fr, 7 septembre 2006
• Zones sensibles, « Manifesto », sur zones-sensibles.org, 2011. 
• Alexandre Laumonier, « Rachat de NYSE Euronext par ICE : les Bourses à l’âge de glace », sur Libération.fr, 20 mars 2013
• Alexandre Laumonier, « Molenbeek-Saint-Jean n’est pas un ghetto », sur Le Monde.fr, 23 novembre 2015. 
• Alexandre Laumonier, « Habiter Molenbeek », Les Temps Modernes, n^o 689,‎ mars 2016, p. 7-19 (lire en ligne)
• Alexandre Laumonier, « Philippe Descola, par-delà l’anthropologie », sur Libération.fr, 31 janvier 2019
• Alexandre Laumonier, « Bye bye Amazon », sur Acualitté, 10 novembre 2020. 

• Laure Jouteau, « Interview d'Alexandre Laumonier », sur Non fiction, 21 janvier 2008. 
• Gérôme Guibert et Emmanuel Parent, « Publier par gros temps. Kargo, un itinéraire éditorial des musiques populaires à la philosophie contemporaine : Entretien avec Alexandre Laumonier », Volume !, vol. 6, n^os 1/2,‎ 2008, pp. 177-191 (lire en ligne). 
• Léopoldine Charon, « Conférence d'Alexandre Laumonier », sur Sükrüt, 6 avril 2013. , Blog de l'atelier de communication graphique de la HEAR
• Julie Clarini, « Entretien avec Alexandre Laumonier », sur Le Monde.fr, 6 juin 2016. 

• Ulysse Baratin, « L’art de publier des essais : Entretien avec Alexandre Laumonier », En attendant Nadeau, n^o 28,‎ Édition du 15 au 28 mars 2017, pp. 41-46 (lire en ligne). 
• (en) Emi Vergels, « “I have my own way of doing things.” : How the uncompromisingly cerebral direction of Zones Sensibles is paying off », sur The word, 20 avril 2018. 

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• « Zones sensibles », site de l'éditeur
• (en) Alexandre Laumonier, « SNIPER IN MAHWAH & FRIENDS », blog personnel, sur Wordpress

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