Vexilla Regis

Vexilla Regis est une hymne latine du poète chrétien Venance Fortunat, évêque de Poitiers du VIe siècle. Il tient son nom de la première phrase : « Vexilla regis prodeunt, fulget crucis mysterium, quo carne carnis conditor suspensus est patibulo. »

Chantée pour la première fois le quand une relique de la Vraie Croix, envoyée par l'empereur byzantin Justin II à la requête de sainte Radegonde, fut transportée de Tours au monastère de Sainte-Croix à Poitiers, elle file une métaphore où la croix du Christ est assimilée à un arbre, plus précisément à l'arbre de vie, ainsi qu'aux vexilla impériales romaines.

Paroles

Paroles en latin Traduction française en vers[1]

Vexílla Regis pródeunt,
Fulget Crucis mystérium :
Quo carne carnis cónditor,
Suspénsus est patíbulo.

Quo vulnerátus ínsuper
Mucróne diro lánceæ,
Ut nos laváret crímine,
Manávit unda et sánguine.

Impléta sunt quæ cóncinit
David fidéli cármine,
Dicens: In natiónibus
Regnávit a ligno Deus.

Arbor decóra, et fúlgida,
Ornáta Regis púrpura,
Elécta digno stípite,
Tam sancta membra tángere.

Beáta, cujus bráchiis
Sæcli pepéndit prétium,
Statéra facta córporis,
Prædámque tulit tártari.

O Crux ave, spes unica,
Hoc Passiónis témpore,
Auge piis justítiam,
Reísque dona véniam.

Te summa Deus Trínitas,
Colláudet omnis spíritus:
Quos per Crucis mystérium
Salvas, rege per sæcula. Amen[2].

1. Aujourd’hui du grand Roi l’étendard va marchant,
Où l’Auteur de la chair vient sa chair attachant.
Aujourd’hui de la Croix resplendit le mystère,
Où Dieu souffre la mort aux mortels salutaire.

2. Voilà, du flanc du Christ, étant du fer atteint,
Sors le ruisseau vermeil, qui les crimes éteint :
Céleste lavement des âmes converties,
Mêlant de sang et d’eau ses ondes my-parties.

3. Maintenant s’accomplit aux yeux de l’Univers
L’oracle que David inspira dans ses vers,
Chantant ces mots sacrés sur les tons de sa lyre :
L’Éternel par le bois a planté son Empire.

4. Arbre noble et trophée illustre et glorieux,
Orné du vêtement du Roi victorieux :
Plante du Ciel chérie, et des anges chantée,
Pour toucher de sa chair la dépouille sacrée.

5. Tige trois fois heureuse dont le chef exalté,
Soutient le juste prix du monde racheté,
Et balance le corps qui mort, ses bras déploie
Pour ravir aux enfers leur rapine et leur proie.

6. Je te salue, ô Croix, seul espoir des vivants !
En ces jours douloureux de larmes s’abreuvant,
Augmente aux cœurs des bons l’immortelle justice,
Et pardonne aux pécheurs leur mortelle malice.

7. Ainsi puisse ton nom en mérite infini,
Suprême Trinité ! sans fin être béni,
Et ceux que, par la Croix tu délivres de crainte,
Triompher à jamais sous ta bannière sainte. Amen.

Cette version fut choisie, dans les années 1960 et 1970, par Dom René-Jean Hesbert qui traitait huit cents manuscrits. Dans son catalogue Corpus antiphonalium officii, celle-ci est classifiée comme CAO8410 (tome IV). Surtout, elle se trouve dans trois sur douze manuscrits grégoriens plus anciens et sûrs[3].

L'université de Waterloo ressemble plusieurs variations parmi de nombreuses manuscrits .

Partition

Histoire

Reliquaire de la Sainte Croix de Poitiers

Venance Fortunat était un poète italien depuis longtemps présent et célèbre dans les cours royales franques mérovingiennes. Il avait notamment écrit des poèmes en l'honneur des reines Brunehilde et Frédégonde. Là-bas, il fait la connaissance de la reine Radegonde, femme de Clotaire Ier roi des Francs. Fervente chrétienne et horrifiée par le meurtre de son frère par son mari, elle abandonne la cour et se réfugie à Poitiers. Venance Fortunat décide de la suivre. Elle y fonde en 552 le monastère Notre-Dame ou Sainte-Marie-Hors-les-Murs. C'est alors le premier monastère féminin de Gaule.

Désirant obtenir une relique pour son abbaye, Radegonde, profitant de son statut royal, demande à l'empereur romain d'orient Justin II et à sa femme Sophie un morceau de la Vraie Croix, ce qui lui est accordé : cinq petits morceaux montés ensemble pour former une croix patriarcale. Justin II en envoie aussi un autre morceau, plus grand, au Pape Jean III, également préservé et que l'on appelle Crux Vaticana. La relique arrive en France puis est amenée triomphalement à Poitiers au cours d'une grande procession partant de Tours, le . C'est pour cette occasion que Fortunat écrit et compose le chant Vexilla Regis, et l'abbaye prend le nom de Sainte-Croix. Venance Fortunat continue ensuite de se rapprocher de la religion sous l'influence de Radegonde, et rédige d'autres célèbres hymnes religieuses telles que Pange Lingua Gloriosi Proelium Certaminis. En 576 il est ordonné prêtre, puis devient évêque de la ville vers 600, et après sa mort est considéré comme un saint catholique, tout comme Radegonde et plusieurs autres de ses disciples.

Le chant est intégré au missel romain, et chanté le jour du Vendredi saint, quand le saint sacrement est mené en procession jusqu'à l'autel. Il est également présent dans la liturgie des Heures, le bréviaire romain l'assignant aux vêpres tous les jours depuis le samedi précédant le dimanche de la Passion, jusqu'au Jeudi saint, ainsi qu'aux vêpres du , fête de la Sainte Croix. Avant Vatican II, il était également chanté le et le .

Réforme d'Urbain VIII sous influence des humanistes

À la Renaissance, le pape Urbain VIII fit réviser, dans le cadre de la réforme tridentine, les hymnes qui étaient en usage dans le rite romain. En conséquence, fut sorti en 1632 son Breviarium romanum pour lequel les humanistes[4] du bréviaire réécrivent le texte[5], dans l'optique d'améliorer la prosodie. En retrouvant les textes latins classiques dans les écritures anciennes, ces humanistes étaient en train de critiquer les œuvres médiévales, qui n'employaient plus la quantité syllabique, mais d'autres esthétiques tel l'accent.

Cette version se distingue par sa septième strophe (doxologie) Te fons salutis Trinitas, qui était entièrement nouvelle. Mais les modifications y étaient nombreuses[6].

Usage divisé en France

En France, la Révolution affecta à l'usage de cette hymne, explicitement en raison du mot Regis. Dorénavant, certains fidèles ne chantaient ni la Vexilla Regis ni l'antienne Salve Regina[7]. D'autres exécutaient la Vexilla Regis, même en dehors de la liturgie, par exemple durant la guerre de Vendée en tant qu'hymne de reconnaissance et d'encouragement[8].

Or, une fois le culte restauré, Dom Prosper Guéranger, qui était occupé de la restitution correcte de la liturgie, présentait et recommandait cette hymne, pendant la semaine sainte, au moment de la prière de soir [9].

Composition musicale à l'époque de la musique romantique

Pratiquée toujours en monodie, l'hymne manque de composition en polyphonie. Néanmoins, on compte quatre grands compositeurs catholiques dans le répertoire de la musique classique. Il s'agissait d'abord de Niccolò Antonio Zingarelli dont l'œuvre était réservée à l'usage dans la liturgie, y compris sans doute à la chapelle du Vatican. Charles Gounod, Anton Bruckner et Giacomo Puccini aussi laissèrent leurs compositions. Or, au XIXe siècle où un grand nombre de motets religieux furent composés, le texte n'intéressa pas la plupart des musiciens.

Réforme liturgique de Pie X

La réforme de saint pape Pie X était remarquée par sa centralisation de la liturgie par le chant grégorien, selon laquelle l'Édition Vaticane était dorénavant obligatoire dans toutes les églises catholiques. D'abord en 1908, Dom Joseph Pothier, président de la commission, fit sortir son graduel romanum qui adoptait la version quo carne (voir Paroles)[2]. En fait, il s'agissait d'une publication à la base du Liber gradualis de Solesmes selon les manuscrits les plus anciens, que Dom Pothier avait édité et fait publié en 1883. Or, avant sa démission, il fit publier l’antiphonale romanum en 1912, avec un autre texte. Cette fois-ci, l'Édition Vaticane adoptait le texte d'Urbain VIII[10]. Donc, pour le rite romain, ces versions furent officielles, toutes les deux, jusqu'au concile Vatican II. En d'autre termes, la version traditionnelle était réservée à la messe alors que la version tridentine était destinée à l'office.

Après le concile Vatican II

Même après le concile Vatican II, l'hésitation reste encore. En 1983, l'abbaye de Solesmes sortit son nouveau Liber hymnarius en édition critique. Dans ce livre, la version quo carne (p. 58)[11] et la version qua vita (p. 60)[12] sont respectivement adoptées.

Thèmes

La Croix comme vexillum

Vexillum de l'Empire romain

Le premier vers, qui donne son titre à l'ensemble, parle de Vexilla regis, ce qu'on traduit généralement par bannières ou étendards du Roi. Mais le vexillum romain, plus qu'un drapeau, correspond à l'objet entier en trois dimensions incluant ses supports et décorations, notamment l'aigle qui surmonte les étendards des légions. Le poème compare ainsi la Croix et le Christ qui y est cloué à un vexillum romain. Le sang coulant des blessures du Christ tel un ruisseau imbibe le bois et ses vêtements qui prennent une couleur rouge comparable à la pourpre impériale romaine et à celle de ses bannières.

Josse Clichtove explique que les vexilla du Christ sont non seulement la Croix mais les autres instruments de sa Passion (par exemple la Lance). Cela expliquerait le pluriel de vexilla. Johann Wilhelm Kayser pense plutôt que les vexilla font référence aux vraies bannières surmontées de croix utilisées par les Romains après Constantin, et probablement aux croix utilisées lors de la procession pour laquelle le poème a été rédigé.

La Croix comme arbre de vie

Détail d'un vitrail à la Basilique Saint Nazaire à Carcassonne : Jésus crucifié sur l'Arbre de vie

Le poème assimile beaucoup plus clairement la Croix à un arbre, sous-entendu à l'arbre de vie. C'est un thème ancien de la théologie chrétienne[13]. Des légendes apocryphes prétendent même que la croix de la Crucifixion est matériellement faite du bois de l'arbre de vie biblique.

La Croix est en bois, plantée dans le sol, et c'est par le bois que "Dieu a planté son empire". La forme même de la croix évoque une tige d'où sortent trois branches. L'arbre-croix aurait été "élu" par les cieux, seul digne de soutenir le corps du Christ. Cela indique qu'il ne s'agit pas d'un arbre ordinaire mais sacré. La version révisée des paroles renforce encore l'association à l'arbre de vie, en faisant de la Croix elle-même une source de résurrection et de vie éternelle (Qua vita mortem pertulit / Et morte vitam protulit).

Reprises et influences dans l'histoire de l'art

Littérature

Inscriptions et arts graphiques

Sur la tombe d'August Strindberg, à Stockholm
  • La salutation chrétienne ‘O Crux ave, spes unica’ (ou des variantes comme Spes Unica ou Ave Crux, spes unica) se trouve fréquemment inscrite sur des croix et calvaires publics. Ainsi à Bannoncourt, Chailly-lès-Ennery, Ennery, Hendaye, Louhossoa, Lemud, Raon-l'Étape, la croix de l'Évangile à Paris et d’autres. On la trouve également sur de nombreuses sépultures, notamment au cimetière du Père-Lachaise.
  • L'artiste britannique David Jones a nommé Vexilla Regis une peinture aux couleurs ternes représentant un grand arbre majestueux entouré de plusieurs autres arbres ainsi que de buissons de roses, d'animaux et d'une colonne surmontée d'une aigle romaine visiblement sculptée à partir d'un tronc. On distingue en arrière-plan un temple romain et un cercle de pierres mégalithique évoquant Stonehenge, ainsi que quelques colonnes ruinées. Comme dans l'hymne, l'arbre central représente la Croix du Christ. À gauche, un arbre plus petit abritant un nid de pélican, symbole de charité, représente la croix du bon larron, et à droite l'arbre mort et sculpté pour former une colonne triomphale romaine représente celle du mauvais larron[14].

À la Renaissance

Musique baroque

  • Juan García de Salazar (1639 - † 1710) : hymne religieuse à 4 voix, dans le recueil de la cathédrale de Zamora[21]
  • Francesco Durante (1684 - † 1755) : hymne pour chœur à 4 voix et instruments[22]

Musique classique

Musique contemporaine

Œuvre instrumentale

Voir aussi

Liens externes

Notices

Note et références

  1. Réalisée par Michel de Marolles.
  2. Graduale Romanum, p. 191, 1908
  3. Université de Waterloo
  4. Pierre Paris, Les hymnes de la liturgie romaine, p. 74,
  5. Université de Waterloo
  6. Pour toutes les modifications, voir l'étude de George Warren McGrath, The Revision of the Hymns of the Roman Breviary under Urban VIII, p. 139 (chant n° 51)
  7. Gérard Guicheteau, Nouvelle histoire des guerres de Vendée, p. 64, 2017
  8. Jacques Crétineau-Joly, Histoire de la Vendée militaire, p. 259, 2017
  9. Prosper Guéranger, L'année liturgique : La Passion et la Semaine Sainte, 4e édition, p. 37, 1875
  10. Antiphonale Sacrosanctæ Romanæ, p. 340, 1912 Sabbato ante Dominicam Passionis, Ad Vesperas (aux vêpres pendant la semaine sainte)
  11. Académie de chant grégorien
  12. Académie de chant grégorien
  13. Scholar search
  14. (en) « Vexilla Regis, 1948 – Collection Database – Kettle's Yard », sur Kettle's Yard (consulté le ).
  15. Notice Bnf
  16. Université d'Oxford
  17. Notice Bnf
  18. Notice Bnf
  19. Notice Bnf
  20. Notice Bnf
  21. Notice Bnf
  22. Notice bnf
  23. Notice Bnf
  24. Notice Bnf
  25. Notice Bnf
  26. Notice Bnf
  27. Notice Bnf
  28. Notice Bnf
  29. Notice Bnf
  30. Notice Bnf
  • Portail du christianisme
  • Portail du catholicisme
  • Portail de la musique classique
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.