Trois chansons (Ravel)

Les Trois chansons sont une œuvre de Maurice Ravel pour chœur a cappella. Achevées en 1915, éditées par Durand en 1916, elles furent créées le , interprétées par un ensemble choral réuni par Jane Bathori sous la direction de Louis Aubert, au Théâtre du Vieux-Colombier.

Trois chansons pour chœur a cappella
Genre Musique vocale, chœur
Musique Maurice Ravel
Texte Maurice Ravel
Langue originale français
Effectif chœur a cappella
Dates de composition 1915
Création
Théâtre du Vieux-Colombier (Paris)
Interprètes Jane Bathori et chœurs Bathori-Engel,
Louis Aubert (dir).

L'œuvre porte la référence M.69, dans le catalogue des œuvres du compositeur établi par le musicologue Marcel Marnat.

Circonstances et composition

C'est la seule composition de Ravel pour chœur a cappella, commencée en , alors qu'il est à Paris « cherchant à se faire incorporer »[1], écrivant lui-même les trois textes dans l'esprit de comptines populaires[2]. Le texte rappelant l'atmosphère de la Renaissance[3] est accompagné d'une musique également archaïsante avec des cadences plagales et des tournures anciennes[3].

Textes et analyse

I. Nicolette

En la mineur, dédiée à Tristan Klingsor, ce n'est « …assurément pas une chanson triste, encore qu'elle soit un rien cynique… le « thème » est suivi de trois « variations » — celle du Loup, celle du Page, gracieuse et aérienne, et celle du riche Barbon »[4]. Dans les trois couplets le motif est présenté alternativement par tous les registres, le tempo variant d'un couplet à l'autre[3] suivant les rencontres de Nicolette, à la fois sautillante et peureuse[5].

Nicolette, à la vesprée,
S'allait promener au pré,
Cueillir la pâquerette,
la jonquille et la muguet,
Toute sautillante, toute guillerette,
Lorgnant ci, là de tous les côtés.

Rencontra vieux loup grognant,
Tout hérissé, l'œil brillant;
« Hé là ! ma Nicolette,
viens-tu pas chez Mère-Grand? »
A perte d'haleine, s'enfuit Nicolette,
Laissant là cornette et socques blancs.

Rencontra page joli,
Chausses bleues et pourpoint gris,
« Hé là ! ma Nicolette,
veux-tu pas d'un doux ami ? »
Sage, s'en retourna, très lentement,
Le cœur bien marri.

Rencontra seigneur chenu,
Tors, laid, puant et ventru
« Hé là ! ma Nicolette,
veux-tu pas tous ces écus ? »
Vite fut en ses bras, bonne Nicolette
Jamais au pré n'est plus revenue.

II. Trois beaux oiseaux du Paradis

En fa mineur, dédiée à Paul Painlevé, « …des trois musiques, la plus raffinée sans doute… exquise ballade toute pleine de tendresse »[4], la chanson est cependant inspirée par l'afflux de mauvaises nouvelles[6] et évoque clairement la guerre[7]. Les premières strophes sont exposées par la céleste voix de soprano[7], continuée par la voix du ténor.

Trois beaux oiseaux du Paradis
(Mon ami z-il est à la guerre)
Trois beaux oiseaux du Paradis
Ont passé par ici.

Le premier était plus bleu que le ciel,
(Mon ami z-il est à la guerre)
Le second était couleur de neige,
Le troisième rouge vermeil.

« Beaux oiselets du Paradis,
(Mon ami z-il est à la guerre)
Beaux oiselets du Paradis,
Qu'apportez par ici ? »

« J'apporte un regard couleur d'azur
(Ton ami z-il est à la guerre) »
« Et moi, sur beau front couleur de neige,
Un baiser dois mettre, encore plus pur. »

Oiseau vermeil du Paradis,
(Mon ami z-il est à la guerre)
Oiseau vermeil du Paradis,
Que portez vous ainsi ?

« Un joli coeur tout cramoisi »
(Ton ami z-il est à la guerre)
« Ha ! je sens mon coeur qui froidit…
Emportez le aussi. »

III. Ronde

En la majeur, avec un dièse myxolydien[3], dédiée à Madame Paul Clemenceau (frère cadet de Georges Clemenceau), née Sophie Szepz [8],« …peut-être inspirée à l'artiste alors soldat par une célèbre chanson de troupe invitant les jeunes filles à ne point aller au bois où guette Cupidon »[9]. « Dans son étalage de science démoniaque érudite, Ravel a mêlé toutes les traditions : l'antique, la médiévale et même l'orientale »[10], et la polyphonie se fait de plus en plus virtuose[10].

Les vieilles :
N'allez pas au bois d'Ormonde,
Jeunes filles, n'allez pas au bois:
Il y a plein de satyres, de centaures, de malins sorciers,
Des farfadets et des incubes,
Des ogres, des lutins,
Des faunes, des follets, des lamies,
Diables, diablots, diablotins,
Des chèvre-pieds, des gnomes, des démons,
Des loups-garous, des elfes, des myrmidons,
Des enchanteurs et des mages, des striges, des sylphes,
des moines-bourrus, des cyclopes, des djinns,
gobelins, korrigans, nécromans, kobolds…
Ah !
N'allez pas au bois d'Ormonde,
N'allez pas au bois.

Les vieux :
N'allez pas au bois d'Ormonde,
Jeunes garçons, n'allez pas au bois :
Il y a plein de faunesses, de bacchantes et de males fées,
Des satyresses, des ogresses,
Et des babaïagas,
Des centauresses et des diablesses,
Goules sortant du sabbat,
Des farfadettes et des démones,
Des larves, des nymphes, des myrmidones,
Hamadryades, dryades, naïades, ménades,
thyades, follettes, lémures, gnomides,
succubes, gorgones, gobelines…
Ah !
N'allez pas au bois d'Ormonde,
N'allez pas au bois.


Les filles / Les garçons (les parenthèses indiquent des vers chantés simultanément avec le texte qui précède) :
N'irons plus au bois d'Ormonde,
Hélas ! plus jamais n'irons au bois.
Il n'y a plus de satyres, plus de nymphes ni de males fées.
Plus de farfadets, plus d'incubes,
Plus d'ogres, de lutins,
Plus d'ogresses,
De faunes, de follets, de lamies,
Diables, diablots, diablotins,
(De satyresses, non).
De chèvre-pieds, de gnomes, de démons,
(Plus de faunesses, non!)
De loups-garous, ni d'elfes, de myrmidons
Plus d'enchanteurs ni de mages, de striges,
de sylphes, de moines-bourrus, de cyclopes,
de djinns, de diabloteaux, d'éfrits, d'ægypans,
de sylvains, gobelins, korrigans, nécromans, kobolds ...
(De centauresses, de naïades, de thyades,
Ni de ménades, d'hamadryades, dryades, follettes,
lémures, gnomides, succubes, gorgones, gobelines)
Ah !
N'allez pas au bois d'Ormonde,
N'allez pas au bois.

Les malavisées vieilles,
Les malavisés vieux
les ont effarouchés — Ah !

Accueil et postérité

La critique fut d'emblée très favorable[11]. Plus tard Henri Collet écrit « sur ces trois chants dissemblables, Maurice Ravel a composé un adorable triptyque musical où il se montre le continuateur progressif des Janequin et des Costeley. Nicolette en est le premier temps « allegro moderato » ; les Trois beaux oiseaux du Paradis en constituent l'émouvant « andante ». Et la Ronde forme un finale éblouissant de verve. »[9].

À la mort du compositeur, l'œuvre fut comptée parmi celles de la maturité, révélant « un art de plus en plus maître de ses moyens »[12].

Discographie

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Monographies

  • Marcel Marnat, Maurice Ravel, Paris, Fayard, coll. « Les indispensables de la musique », 1986, rééd. 1995, 828 p. (ISBN 978-2-213-59625-9), p. 427-430. 
  • Vladimir Jankélévitch, Ravel, Paris, Seuil, coll. « Solfèges », 1956, rééd. 1995, 220 p. (ISBN 978-2-02-023490-0 et 2-02-023490-4). 
  • Jules Van Ackere (nl), Maurice Ravel, Bruxelles, Elsevier, , 216 p. 

Ouvrages généraux

  • Paul Pittion, La Musique et son histoire : tome II — de Beethoven à nos jours, Paris, Éditions Ouvrières, .

Articles

  • Henri Collet, « La musique chez soi », Comœdia, vol. année 14, no 2622, , p. 2 (lire en ligne)
  • Jean Marnold, « Musique », Revue de la quinzaine - Mercure de France, vol. 122, no 460, , p. 701 (lire en ligne, consulté le )
  • Robert Brussel, « La mort de Maurice Ravel », Le Figaro, vol. 112, no 363, (lire en ligne, consulté le )

Références

  1. Marnat 1986, p. 427.
  2. Marnat 1986, p. 428.
  3. Van Ackere 1957, p. 55.
  4. Jankélévitch 1956, p. 30.
  5. Paul Pittion 1960, p. 308.
  6. Marnat 1986, p. 410.
  7. Marnat 1986, p. 430.
  8. Marnat 1986, p. 222.
  9. Comœdia 1920, p. 2.
  10. Marnat 1986, p. 433.
  11. Revue de la quinzaine 1917, p. 701.
  12. Le Figaro 1937, p. 2.

Liens externes

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