Tiqqun
Tiqqun est le nom d'une revue philosophique française de critique sociale, fondée en 1999[1] affichant pour but de « recréer les conditions d’une autre communauté ». Le collectif à l'origine de sa création s'est constitué à Paris en marge de "l'assemblée de Jussieu" lors du mouvement des chômeurs de 1998.
Pour l’article ayant un titre homophone, voir Tikkoun olam.
Après sa seconde et dernière publication en et la dispersion de ses membres, Tiqqun est devenu un courant de pensée ayant inspiré plusieurs ouvrages. La revue a été l'objet d'un certain intérêt dans les médias en [1] après l'arrestation de Julien Coupat[2] qui avait été un des membres de son comité de rédaction.
Le Tiqqun est aussi un concept philosophique, éponyme de la revue dans laquelle il a été développé.
Tiqqun est également le nom sous lequel ont été publiés plusieurs livres reprenant des textes de la revue, pour désigner, si ce n'est leur auteur collectif[3], du moins « un point de l'esprit d'où ces écrits émanent[4] ».
Selon Mehdi Belhaj Kacem, qui a très brièvement fréquenté ses animateurs, la revue se serait dissoute à Venise en 2001 à la suite des attentats du 11 septembre[5].
Origine et utilisation du nom
Le nom de la revue vient de la grande importance que les rédacteurs accordent au concept philosophique de Tiqqun[6]. C'est la transcription francisée du terme d'origine hébraïque Tikkoun olam, un concept issu du judaïsme souvent employé dans la tradition kabalistique et messianique, qui signifie tout à la fois réparation, restitution et rédemption, et qui recouvre en grande partie, et entre autres, la conception juive de la justice sociale.
Au-delà de ces deux éléments, le terme Tiqqun est aussi employé, notamment dans l'expression « les Tiqqun[5],[7] », pour désigner le comité de rédaction ou un groupe plus vaste, voire l'ensemble des personnes partageant les convictions dont la lecture de la revue serait à l'origine. Tiqqun rejette cependant catégoriquement cette utilisation[3],[4].
Appartenances et filiations
Tiqqun, par son style poétique et son engagement politique radical, s'apparente aux théories situationnistes et à certains courants nés de l'Autonomie.
Tiqqun s'est diffusée et est relativement acceptée dans le milieu philosophique radical, les milieux situationnistes ou post-situationnistes, dans l'ultra-gauche, les mouvances squat et autonome, ainsi que chez une partie des anarchistes.
Tiqqun, dont le nom même évoque une dimension spirituelle, développe parfois une ligne « métaphysique critique » déroutante pour les habitués d'une rhétorique strictement matérialiste et athée[réf. souhaitée].
Dans une démarche théoricienne expérimentale se référant à différentes traditions révolutionnaires ou seulement critiques,Tiqqun a puisé son inspiration et ses réflexions dans les travaux de théoriciens ou de philosophes aussi divers et contradictoires que Guy Debord, Michel Foucault, Gilles Deleuze, Félix Guattari, Martin Heidegger, Walter Benjamin ou Baruch Spinoza, entre autres. A partir des années 2000, la revue a profondément influencé les réflexions politiques du philologue italien Giorgio Agamben[8], lequel s'est quelquefois vu, à tort, attribuer une autorité occulte sur ses rédacteurs.
Aucun article de Tiqqun n'est signé, néanmoins il existe un comité de rédaction qui n'est pas anonyme, puisqu'il est composé (pour Tiqqun n°1 en tout cas) de Julien Boudart, Fulvia Carnevale, Julien Coupat, Junius Frey (clairement un pseudonyme), Joël Gayraud, Stephan Hottner et Remy Ricordeau[9].
Publications en français
Seuls deux volumes de la revue ont paru, sans numérotation.
- Tiqqun, Organe conscient du Parti Imaginaire - Exercices de Métaphysique Critique (dit « Tiqqun 1 »), 162 pages, auto-édition, 1999[10],[11]
- Tiqqun, Organe de liaison au sein du Parti Imaginaire - Zone d'Opacité Offensive (dit « Tiqqun 2 »), 292 pages, Les Belles-Lettres, 2001 (ISBN 2-91337-211-2)[12].
Depuis, plusieurs articles[13],[14] puis l'intégralité[10],[12] de ces deux volumes ont été publiés en ligne. Parallèlement, certains textes ont été repris en livres chez divers éditeurs.
- Hommes-Machines, mode d’emploi, éditions Michel Baverey, direction Grégoire Robinne, 1999 (ISBN 2-91268-817-5).
- Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, Mille et Une Nuits, 2001 (ISBN 2-84205-590-X)[7],[15].
- Théorie du Bloom[16], éditions La Fabrique, 2004 (ISBN 2-91337-239-2).
- Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, éditions VLCP, 2006 (ISBN 2-91670-101-X).
- Introduction à la guerre civile, éditions VLCP, 2006 (ISBN 2-91670-100-1).
- Ceci n'est pas un programme, éditions VLCP, 2006 (ISBN 2-91670-102-8).
- Contributions à la guerre en cours[17], éditions La Fabrique, 2009 (ISBN 9782913372931).
- Tout a failli, vive le communisme !, éditions La Fabrique, 2009 (ISBN 9782913372993).
La parution erratique de la revue, qui la laisse croire défunte, n'est peut-être qu'une apparence[18].
Traductions
Plusieurs des textes de la revue ont fait l'objet de traductions parues en ligne[19],[20]. Certaines ont été publiées en livres dans divers pays.
- En italien
- Elementi per una teoria della Jeune-Fille, éditions Bollati Boringhieri, 164 pages, 2003 (ISBN 8-83391-476-3).
- La comunità terribile : sulla miseria dell'ambiente sovversivo, éditions DeriveApprodi, 165 pages, 2003 (ISBN 8-88742-395-4).
- Teoria del Bloom, éditions Bollati Boringhieri, 138 pages, 2004 (ISBN 8-83391-537-9).
- En allemand
- En espagnol
- En portugais
- A comunidade terrivel: da miséria nos ambientes subversivos, Edições antipáticas, 123 pages, 2005.
- En russe
- Теория девушки, éditions Hylaea, 130 pages, 2014.
- En tchèque
- Podklady pro teorii dívky. Display, 149 stran, 2019. (Trans. Sára Vybíralová) (ISBN 978-80-906381-5-0)
- En anglais
- Introduction to Civil War, éditions Semiotext(e), 232 pages, 2010.
- This is not a Program, éditions Semiotext(e), 216 pages, 2011.
- Preliminary Materials for a Theory of the Young-Girl, éditions Semiotext(e), 144 pages, 2012.
Un courant de pensée
Après 2001, le courant de pensée se reconnaissant dans les thèses de Tiqqun a publié plusieurs ouvrages :
- Appel, 2003.
- La Fête est finie, Lille, 2005 : critique de l'opération "Lille 2004 - capitale européenne de la culture".
- Comité invisible, L'Insurrection qui vient, La Fabrique, 2007.
- Marcello Tarì, Autonomie ! Italie, les années 1970, La Fabrique, 2011.
- Comité invisible, À nos amis, La Fabrique, 2014.
- Comité invisible, Maintenant, La Fabrique, 2017.
Les tiqquniens forment une tendance dans le mouvement autonome et sont notamment présents dans le mouvement des squats. À Paris, le local de Tiqqun de la rue Saint-Ambroise est un lieu de réunion pour de nombreux groupes du mouvement étudiant. Il accueille une bibliothèque, des projections, et des débats. C'est également un endroit où les militants peuvent photocopier gratuitement leurs tracts, leurs journaux, leurs brochures, ou de vieilles revues révolutionnaires des années 70 retrouvées dans la bibliothèque. Les tiqquniens participent notamment au mouvement antisécuritaire sur l'université de Nanterre de 2002 à 2004, puis à l'occupation de la Sorbonne et de l'EHESS en 2006 durant le mouvement anti-CPE. Le local de Saint-Ambroise ferme en 2008.
À partir de 2003, l'esprit de Tiqqun se diffuse également sur le Plateau de Millevaches, dans le Limousin, après l'installation de Julien Coupat à Tarnac. Une expérience autogestionnaire s'y dessine autour de la ferme du Goutailloux et d'une épicerie associative. Ce mouvement rural qui renoue avec la tradition communiste locale est rejoint par Serge Quadruppani, qui se présente en 2014 aux élections municipales à Eymoutiers. La même année, Benjamin Rosoux et Manon Gilbert, autres inculpés dans l'affaire dite "de Tarnac" sont élus au conseil municipal de Tarnac.
Dans les années 2010, les tiqquniens, autrement appelés "appelistes" en référence à l'Appel publié en 2003, sont également présents dans le mouvement zadiste, à Notre-dame-des-Landes, entre autres, lors de l'opposition à la construction d'un nouvel aéroport, et dans de nombreuses manifestations, notamment en 2016 à Nuit debout et dans le mouvement contre la loi-travail en 2017.
Parce qu'il prône l'anonymat, l'invisibilité et l'horizontalité, ce courant de pensée n'a ainsi permis l'émergence d'aucun représentant médiatique identifiable. Dans le mouvement autonome, les tiqquniens s'opposent d'autre part au dogmatisme, au sectarisme et à l'autoritarisme du courant communisateur pour parier sur un mouvement révolutionnaire résolument moderne, spontanéiste, libertaire et populaire. Aussi, être tiqqunien consiste à vouloir renouer avec l'esprit de la Commune et proposer la réalisation immédiate du communisme. Dans cet esprit, beaucoup de ceux qui se réfèrent à ce courant de pensée ont ainsi activement participé au mouvement des Gilets jaunes à la fin de la décennie 2010.
Critiques
Dans le mouvement autonome, les thèses tiqquniennes sont critiquées par le courant communisateur, en particulier par la revue Meeting (2004-2008), qui dénonce l'abandon par Tiqqun de la référence à la lutte de classe. Pour Tiqqun, les classes sociales n'existent plus : les prolétaires ont été transformés en consommateurs et totalement intégrés au système capitaliste dans leurs rapports économiques. Selon cette vision, la révolution ne peut plus se faire sur ce terrain mais ne peut désormais se jouer que dans une approche transversale opposant la vie elle-même au développement du contrôle social total incarné par la notion Foucaldienne de biopouvoir. Cette notion, par les lectures contradictoires et confuses qu'elle suscite, est cependant elle-même objet de nombreuses controverses. Il en est de même de l'insurrectionalisme revendiqué dans plusieurs textes du "comité invisible" compris, à tord ou à raison, comme infantile et/ou idéologique.
Notes et références
- Chloé Leprince, « On a retrouvé les écrits du gardé à vue pour sabotages à la SNCF », Rue89, 13 novembre 2008.
- Sur l'arrestation de Julien Coupat : Anne-Cécile Juillet et Stéphane Sellami, « TGV sabotés : les secrets de l’enquête », Le Parisien.fr, 13 novembre 2008.
- « Postface à l'édition italienne de la Théorie du Bloom », in Théorie du Bloom, éditions La Fabrique, 2004, p. 143-144. Extrait : Le public italien, qui ne peut avoir eu entre les mains ni Tiqqun 1 ni Tiqqun 2, s'interrogera légitimement sur le sens de la mention « Tiqqun » là où l'ON aurait attendu le nom d'un auteur. Tiqqun, pour commencer, n'est pas un auteur, ni singulier ni collectif. L'insistance avec laquelle ON a tenu à modérer, en Italie, chaque recension des Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille par la mention qu'ils étaient le fait de cette espèce folklorique mais heureusement éteinte - « un groupe d'intellectuels parisiens » - renseigne assez sur les méfaits inhérents à la fiction-auteur : neutraliser toute vérité quant à ses conséquences pour moi, en lui assignant un propriétaire. Tiqqun, pour sûr, n'est pas un groupe ; Tiqqun est un moyen, un moyen dans la constitution en force d'une position.
- « Memento », in Introduction à la guerre civile, éditions VLCP, 2006. Extrait : Cracher et cracher encore, tant qu'il est en nous de crachats, à la figure de l'Auteur, à la clôture de l'Œuvre. Rappeler que la mention Tiqqun sur les couvertures ne fait qu'indiquer, entre mille autres possibles, la localisation d'un point de l'esprit d'où ces écrits émanent.
- Entretien avec Mehdi Belhaj Kacem, « Tiqqun et la mort d'EvidenZ », Ironie no 80, novembre 2002. Extraits : Il est intéressant de voir que les deux revues les plus radicales de ces dernières années, Tiqqun et EvidenZ, ont implosé sous les effets des deux derniers grands évènements politiques, le World Trade Center et les élections présidentielles.(...) Le 11 septembre 2001, tous les Tiqqun étaient en Italie. Ils voient les images à la télé. Ils vont fêter ça, boire, s'amuser, etc. Et d'un seul coup, ça dégénère complètement.(...) De la même façon que Tiqqun a explosé le 11 septembre 2001, EvidenZ a explosé le 21 avril 2002. L'événement a fait apparaître le réel politique à l'intérieur de chaque communauté. Le réel politique des positions pseudo-radicales.
- Concept présenté dans l'article « Théorie du Bloom », Tiqqun 1, p. 36.
- Emmanuel Poncet, « Jeune-Fille, l’avide recherche », revue Technikart no 76, 1er octobre 2003.
- Entretien avec Mehdi Belhaj Kacem, loc. cit. Extrait : Et puis, il y avait aussi la présence d'Agamben au sein de Tiqqun, avec tout cet imaginaire tendancieux post-auschwitzien.
- Extraits de l’article De l’économie considérée comme magie noire
- Texte intégral de Tiqqun 1.
- Perig Pitrou, compte rendu dans La Revue des revues no 28, 2000.
- Texte intégral de Tiqqun 2.
-
Textes tirés du premier volume
- « Eh bien, la guerre ! », sur le site de l'Observatoire de Téléologie.
- « Qu'est-ce que la Métaphysique Critique ? », sur le site d'Espaces Lacan.
- « De l'économie considérée comme magie noire (extraits) », sur le site de l'Observatoire de Téléologie.
- « Premiers matériaux pour une Théorie de la Jeune-Fille », sur le site de Claire Fontaine.
- Texte tiré du second volume
- « Comment faire ? », sur le site Infokiosques.net.
- Eric Loret, compte rendu dans Libération, 19 octobre 2001.
- Ce texte porte en épigraphe cet extrait d’Ulysse de James Joyce :
M. Bloom observait curieux et bonhomme, la souple silhouette noire. C'est si net : le lustre de son fourreau lisse, le bouton blanc sous la queue, le phosphore des prunelles vertes. Les mains aux genoux, il se pencha vers elle.
- - Du lait pour la minouche !
- - Mrkrgnaô !
- Ce livre est une compilation des articles « Introduction à la guerre civile », « Une métaphysique critique pourrait naître comme science des dispositifs... » et « Comment faire ? », parus dans Tiqqun 2.
- Fiche de Contributions à la guerre en cours, sur le site des éditions La Fabrique.
-
En anglais
- « Introduction to Civil War (fragments) », traduction, par Jason Smith, d'extraits d'« Introduction à la guerre civile », sur le site Soft Targets.
- « How to ? », traduction de « Comment faire ? », sur le site de Claire Fontaine.
-
En italien
- « Ecografia di una potenzialita », traduction d'« Échographie d'une puissance », sur le site Materiali Resistenti.
Voir aussi
Articles connexes
- Mouvement autonome en France
- Biopouvoir : concept foucaldien repris dans Tiqqun 1 et 2.
- Black Bloc : Tiqqun voit dans ce mode d'action une forme d'apparition du « Parti Imaginaire ».
- Internationale situationniste : groupe dont Tiqqun reprend quelques concepts, comme celui du « Spectacle ».
- Julien Coupat
Liens externes
- .
- Le site http://docs.tiqqun.org héberge au format pdf les deux numéros français de la revue Tiqqun.
- Critiques et commentaires (par date de publication)
- « Avant-garde & Mission : la tiqqounerie », critique de D. Caboret et P. Garrone, sur le site de la revue La Guerre de la Liberté, 1999, portant sur Tiqqun 1.
- « Rions un peu avec Tiqqun », critique de Jérôme Ceccaldi, in revue Multitudes no 8, mars-avril 2002, portant sur Tiqqun 2.
- « La guerre des sexes, ou l'Histoire comme scène de ménage », in revue Le Philosophoire no 19, hiver 2003, commentaire des notions de « Jeune-Fille », de « Spectacle » et d'« hystérocratie ».
- « Tiqqun : une rhétorique de la remontrance », critique de Jacques Guigou, in revue Temps Critiques no 14, hiver 2006, portant sur Tiqqun 1.
- « Notes de lecture sur L'insurrection qui vient (mais aussi sur Tiqqun, l'Appel, Ruptures...) », sur le blog Critique radicale de la valeur, été 2008.
- « La tentation insurrectionniste », critique de l'insurrectionnalisme de Tiqqun par J. Wajnsztejn et C. Gzavier.
- « Quand Julien Coupat animait Tiqqun », Le Nouvel Observateur, .
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