La Société du spectacle (livre)
La Société du spectacle est un essai de Guy Debord publié initialement le chez Buchet/Chastel. Le livre connut un fort retentissement après les événements de Mai 68.
Pour les articles homonymes, voir La Société du spectacle.
La Société du spectacle | ||||||||
Couverture de l'édition chez Gallimard | ||||||||
Auteur | Guy Debord | |||||||
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Pays | France | |||||||
Genre | Essai philosophique Essai politique |
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Éditeur | Buchet/Chastel | |||||||
Date de parution | ||||||||
Chronologie | ||||||||
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La forme du livre et son propos
L'ouvrage est composé de 221 « thèses » et subdivisé en neuf chapitres comme suit :
- I. « la séparation achevée »
- II. « la marchandise comme spectacle »
- III. « unité et division dans l'apparence »
- IV. « le prolétariat comme sujet et comme représentation »
- V. « temps et histoire »
- VI. « le temps spectaculaire »
- VII. « L'aménagement du territoire »
- VIII. « la négation et la consommation dans la culture »
- IX. « l'idéologie matérialisée »
Le livre est agencé comme un essai politique et vise à exposer son sujet de manière assertive. En effet, Debord ne cherche pas à démontrer ni même à convaincre, mais à montrer. Il rejoint ainsi la conception de Marx en disant que la philosophie doit trouver sa réalisation et non plus sa discussion[1]. L'auteur prolonge dans cet essai la critique du fétichisme de la marchandise que Marx développe en 1867 dans Le Capital, elle-même un prolongement de la théorie de l'aliénation exposée par Marx dans ses Manuscrits de 1844. L'originalité de la réflexion de Debord consiste à décrire l'avance contemporaine du capitalisme sur la vie de tous les jours, c'est-à-dire dans son emprise sur le monde « à travers » la marchandise. Cette filiation s'exprime par un certain nombre de « clins d'œil » ou de reprises, dont la première phrase du livre est l'annonce. En effet, la phrase d'ouverture de la Société du Spectacle est un détournement[2] de la phrase d'ouverture du Capital de Karl Marx :
« La richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises. »
— (première phrase dans le livre de Marx)
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. »
— (première phrase de La Société du Spectacle)
Thèses de l'auteur
La Société du spectacle est essentiellement une critique radicale de la marchandise et de sa domination sur la vie, que l'auteur voit dans la forme particulière de l'« aliénation » de la société de consommation. Le concept de spectacle se réfère à un mode de reproduction de la société fondé sur la reproduction des marchandises, toujours plus nombreuses et toujours plus semblables dans leur variété. Debord prône une mise en acte de la conscience que l'on a de sa propre vie, envers une illusoire pseudo-vie que nous impose la société capitaliste, particulièrement depuis l'après-guerre.
La Société du spectacle décortique les processus d'individuation dans la société post-industrielle alors naissante. Il y est décrit l'évolution de la pratique de « séparation » comme dispositif économique capitaliste. Comment depuis l'introduction des chaines de montages où le travailleur est séparé de ce qu'il produit, la société libérale-marchande depuis les années 1950 produit le sujet/consommateur en tant qu'être séparé de ses véritables désirs par diverses industries socio-culturelles (cinéma, télévision etc.) : par exemple comment les stéréotypes du jeune branché ou du rebelle deviennent des modèles de comportements à suivre, faisant de notre volonté de se montrer à l'autre, un pastiche d'une reproduction consommable, interchangeable (« Le spectacle n'est pas un ensemble d'images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ». Thèse 4 du chapitre premier, « Le vrai est un moment du faux » ; thèse 9 du chapitre premier).
Il soutient, dans le premier chapitre essentiellement, que la direction immanente du spectacle en est aussi le but et qu'ainsi, au fur et à mesure de son application, elle se justifie elle-même de façon exponentielle.
Selon Debord, le spectacle est le stade achevé du capitalisme, il est un pendant concret de l'organisation de la marchandise. Le spectacle est une idéologie économique, en ce sens que la société contemporaine légitime l’universalité d’une vision unique de la vie, en l’imposant aux sens et à la conscience de tous, via une sphère de manifestations audio-visuelles, bureaucratiques, politiques et économiques, toutes solidaires les unes des autres. Ceci, afin de maintenir la reproduction du pouvoir et de l’aliénation : la perte du vivant de la vie.
Aussi le concept prend plusieurs significations. Le « spectacle » est à la fois l'appareil de propagande de l'emprise du capital sur les vies, aussi bien qu'un « rapport social entre des personnes médiatisé par des images »[3].
Dans les sociétés spectaculaires, la marchandise devient le vecteur, le dispositif des conditions économiques et sociales les produisant (« Sous toutes ses formes particulières, information ou propagande, publicité ou consommation directe de divertissements, le spectacle constitue le modèle présent de la vie socialement dominante. Il est l'affirmation omniprésente du choix déjà fait dans la production, et sa consommation corollaire. Forme et contenu du spectacle sont identiquement la justification totale des conditions et des fins du système existant ») – thèse 6. Dans les sociétés dites libérales, l'abondance et l'hétérogénéité des entreprises productrices et de leurs produits est décrite par Debord selon le terme « spectaculaire diffus » (thèse 65) tandis que dans les sociétés dites « socialistes », la gestion des marchandises et de leurs productions sont centralisées par les structures bureaucratiques gérant la totalité de ces États. Debord la décrit selon le terme « spectaculaire concentré » (thèse 64).
En 1988, dans Commentaires sur la société du spectacle, Debord décrit l'évolution de la société spectaculaire en ceci que ces rapports marchands se sont totalement fondus dans la société à tel point qu'ils sont devenus systémiques. Il la décrit en tant que combinaison des deux formes précédentes selon le terme « spectaculaire intégré » (commentaire IV). Debord y résume la thèse de son livre en une phrase, pour lui le « spectacle moderne » est « le règne autocratique de l’économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable, et l’ensemble des nouvelles techniques de gouvernement qui accompagnent ce règne. »
Réactions diverses
- Le philosophe Giorgio Agamben en 1990 : « L’aspect sans doute le plus inquiétant des livres de Debord tient à l’acharnement avec lequel l’histoire semble s’être appliquée à confirmer ses analyses. Non seulement, vingt ans après La Société du spectacle, les Commentaires sur la société du spectacle (1988) ont pu enregistrer dans tous les domaines l’exactitude des diagnostics et des prévisions, mais entre-temps, le cours des événements s’est accéléré partout si uniformément dans la même direction, qu’à deux ans à peine de la sortie du livre, il semble que la politique mondiale ne soit plus aujourd’hui qu’une mise en scène parodique du scénario que celui-ci contenait. L’unification substantielle du spectacle concentré (les démocraties populaires de l’Est) et du spectacle diffus (les démocraties occidentales) dans le spectacle intégré, qui constitue une des thèses centrales des Commentaires, que bon nombre ont trouvée à l’époque paradoxale, s’avère à présent d’une évidence triviale. Les murs inébranlables et les fers qui divisent les deux mondes furent brisés en quelques jours. Afin que le spectacle intégré puisse se réaliser pleinement également dans leur pays, les gouvernements de l’Est ont abandonné le parti léniniste, tout comme ceux de l’Ouest avaient renoncé depuis longtemps à l’équilibre des pouvoirs et à la liberté réelle de pensée et de communication, au nom de la machine électorale majoritaire et du contrôle médiatique de l’opinion (qui s’étaient tous deux développés dans les États totalitaires modernes). »[4]
- Jacques Ellul, dans les notes de ses cours publiées sous le nom La pensée marxiste, rappelle que l'affirmation de la vie ressentie comme ramenée à un simple spectacle par le prolétariat se trouve bien chez Marx, et que Debord n'en est pas l'initiateur.
Éditions
- La Société du spectacle, éditions Buchet/Chastel, Paris, .
- La Société du spectacle, éditions Champ libre, Paris, .
- La Société du spectacle, éditions Gallimard, Paris, , 184 pages.
- La Société du spectacle, éditions Gallimard, collection Folio, Paris, .
Notes et références
- « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer », Karl Marx (1845), Thèses sur Feuerbach
- Guy-Ernest Debord & Gil J. Wolman, Mode d'emploi du détournement.
- Guy Debord, La société du spectacle, 4
- http://juralibertaire.over-blog.com/article-20137929.html Postface de Giorgio Agamben à l'édition italienne en un volume de La Société du spectacle et des Commentaires sur la société du spectacle
Voir aussi
Bibliographie
- Jean-Louis Moinet, Genèse et unification du spectacle, Champ Libre, 1977.
- Anna Trespeuch-Berthelot, « Les vies successives de La Société du spectacle », Vingtième siècle Revue d’histoire, Paris, Presses de Sciences Po, n°122, avril-.
Articles connexes
- Internationale situationniste (organisation, 1957-1972)
- Commentaires sur la société du spectacle (essai, 1988)
- Champ libre (maison d'édition, 1969-1984)
- La Société du spectacle (film, 1973)
- Guy Debord
- Gérard Lebovici
- Culture de masse
- Fétichisme de la marchandise
- Société de masse
- Société de consommation
Liens externes
- Relevé de citations d'autres auteurs « détournées » par Guy Debord dans La Société du Spectacle, Geocities
- Jean-Marie Tremblay, « Guy-Ernest Debord, La société du spectacle (1967) », texte complet, sur Les classiques des sciences sociales par l’Université du Québec à Chicoutimi, (DOI 10.1522/cla.deg.soc, consulté le )
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