Camp de concentration de Theresienstadt
Le camp de concentration de Theresienstadt (en tchèque Terezín) a été mis en place par la Gestapo dans la forteresse et ville de garnison de Theresienstadt sur le territoire du protectorat de Bohême-Moravie dépendant de l'Allemagne nazie, aujourd'hui Terezín en Tchéquie.
Theresienstadt | ||
Entrée de la cour 1 de la prison, dans la petite forteresse de Theresienstadt. Le texte indique en allemand « Le travail rend libre ». | ||
Présentation | ||
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Type | Camp de transit, camp de concentration | |
Gestion | ||
Dirigé par | Siegfried Seidl Anton Burger Karl Rahm |
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Victimes | ||
Géographie | ||
Pays | Tchéquie | |
Localité | Terezín | |
Coordonnées | 50° 30′ 49″ nord, 14° 09′ 53″ est | |
Géolocalisation sur la carte : Tchéquie
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Histoire
Le , la Gestapo prend le contrôle de Theresienstadt et installe une prison dans la Kleine Festung (petite forteresse). Le , le site est transformé en camp de transit pour les Juifs tchèques avant la déportation à l'Est[1]. En même temps, Theresienstadt devient un ghetto pour les Juifs allemands et autrichiens âgés ou célèbres[2]. Pour le monde extérieur, Theresienstadt est présenté par les nazis comme une colonie juive modèle. Mais à l'intérieur, il s'agit d'un camp de concentration. Un grand nombre de Juifs provenant de Tchécoslovaquie, environ 7 000, sont notamment enfermés à Theresienstadt.
Des dizaines de milliers de personnes y périrent, certaines assassinées, d'autres sont mortes de malnutrition et de maladie. Plus de 150 000 personnes, y compris des dizaines de milliers d'enfants y ont été détenues avant d'être transportées par chemin de fer vers les camps d'extermination de Treblinka et Auschwitz ainsi que vers des camps plus petits[3]. La gestion au quotidien du camp était confiée à un conseil des anciens, composé au départ de membres de la communauté juive de Prague, la Jüdische Kultusgemeinde (JKG), puis élargie ensuite à des responsables juifs de Berlin et Vienne. Ce conseil avait la lourde responsabilité de désigner ceux qui allaient être exterminés[4].
Le , le contrôle du camp est transféré par les Allemands à la Croix-Rouge. Le maquis tchèque pénètre en premier à Theresienstadt suivi par L'Armée rouge quelques jours plus tard, le . Des actes de vengeance tolérés par les autorités soviétiques, sont commis par des survivants contre d'ex-Kapos, mais aussi des civils allemands[5]. Theresienstadt devient un camp de détention de ceux-ci, dans le cadre de l'internement des Allemands des Sudètes. Les conditions de détention y sont décrites par les témoins comme similaires à celles auparavant imposées par les nazis à leurs propres victimes[6]. Dans le même temps, certains des survivants juifs de Theresienstadt, lors de leur retour vers la Pologne, sont témoins ou victimes de l'antisémitisme polonais[7].
Population
La fonction de Theresienstadt évolue rapidement après que Joseph Goebbels et Reinhard Heydrich prennent conscience que la disparition de certains Juifs renommés, ou Prominenten, (artistes, savants, décorés ou mutilés de la Première Guerre mondiale) ne manquerait pas de susciter des questions quant au sort réservé au peuple juif tout entier. C’est le , lors de la conférence de Wannsee, que le double statut de Theresienstadt — camp de transit pour les Juifs du Protectorat de Bohême-Moravie et ghetto pour les Juifs du Reich âgés de plus de 65 ans (Ältersghetto), où ils pourront s’éteindre d’eux-mêmes, et pour les Prominenten —, est officialisé. À partir de 1943, les « cas particuliers » des lois de Nuremberg (mariages mixtes, « demi-Juifs » issus d’un parent non juif, etc.) peuvent y être envoyés. Le camp de Theresienstadt — où la correspondance écrite (courrier) avec l’extérieur sera encouragée tout en étant rigoureusement surveillée, voire manipulée — est donc conçu par Heydrich pour répondre aux interrogations de l’opinion publique sur le traitement des Juifs dans les camps.
Des artistes de premier ordre sont passés par Theresienstadt : écrivains, peintres, scientifiques, juristes, diplomates, musiciens et universitaires. Beaucoup trouvèrent la mort à Auschwitz-Birkenau.
La communauté de Theresienstadt veille à ce que les enfants bénéficient d'une éducation : des classes quotidiennes et des activités sportives sont organisées, le magazine Vedem est publié. 15 000 enfants bénéficient de ces mesures. Parmi ceux-ci, à peine 1 100 étaient encore en vie à la fin de la guerre. D'autres estimations font état d'à peine 150 enfants survivants.
Les conditions de vie à Theresienstadt sont extrêmement difficiles. Sur une superficie qui accueillait jusque-là 7 000 Tchèques, environ 50 000 Juifs sont rassemblés. La nourriture est rare : en 1942, environ 16 000 personnes meurent de faim ; parmi elles, Esther Adolphine, une sœur de Sigmund Freud, qui décède le .
En 1943, 500 Juifs du Danemark sont déportés à Theresienstadt, après avoir failli s'enfuir en Suède à l'arrivée des nazis. Cette arrivée de Danois aura une conséquence importante : le gouvernement danois insiste en effet pour que la Croix-Rouge ait accès au ghetto, à l'inverse de la plupart des gouvernements européens, qui ne s'occupent guère du traitement réservé à leurs citoyens juifs.
Personnalités y ayant vécu ou transité
- Ginette Kolinka
- Hans Günther Adler[8], écrivain (Un voyage) et poète de langue allemande né à Prague.
- Heinz Alt, compositeur allemand.
- Karel Ančerl, chef d'orchestre tchéco-canadien.
- Dina Babbitt, dessinatrice tchèque.
- Leo Baeck, rabbin allemand, érudit et un des chefs du judaïsme progressiste.
- Joseph Bor, juriste tchèque.
- Hanna Brady, petite fille tchèque originaire de Nové Město na Moravě, personnage central du livre qui lui a été consacré par Karen Levine (Hana's Suitcase: A True Story, 2002).
- Georges Chauvin, homme politique français.
- Robert Dauber, compositeur et violoncelliste.
- Friedl Dicker-Brandeis, artiste, professeure à Terezin.
- Viktor Frankl, neurologue et psychiatre, fondateur de la logothérapie.
- Hugo Freund, joaillier à Prague.
- Bedřich Fritta, dessinateur tchèque.
- Ludwig Wilhelm von Gans, chimiste et industriel allemand
- Rudolf Gelbard
- Kurt Gerron, acteur et réalisateur
- Petr Ginz, jeune dessinateur et écrivain tchèque.
- Pavel Haas, compositeur tchèque.
- Milada Horáková, femme politique tchécoslovaque.
- Regina Jonas, première femme rabbin
- Ottla Kafka, plus jeune sœur de Franz Kafka.
- Gideon Klein, compositeur et pianiste tchèque.
- Ivan Klíma, écrivain tchécoslovaque.
- Ruth Klüger, universitaire d'origine autrichienne
- Hans Krása, compositeur tchéco-allemand.
- André Lemoine résistant français, juge des Sables-d'Olonne.
- Anna Letenská, actrice tchécoslovaque.
- Marceline Loridan-Ivens, cinéaste française.
- Léon Meyer, homme politique français
- Františka Plamínková, femme politique tchécoslovaque.
- Sam Ringer, dessinateur, pour lequel c'est en 1945 le huitième camp d'internement. Il sera le père de Catherine Ringer.
- Coco Schumann, jazzman et guitariste allemand.
- Alice Sommer Herz, pianiste tchèque, la survivante la plus âgée de la Shoah (décédée en , à 110 ans)
- Anne-Lise Stern, psychanalyste française.
- Viktor Ullmann, pianiste et compositeur tchèque.
- Hans Winterberg, compositeur allemand d'origine tchèque.
- Ilse Weber, écrivaine tchèque.
- Helga Hošková-Weissová, artiste peintre tchèque. Son journal illustré, tenu en tant qu'enfant à Theresienstadt, a été traduit en français par Erika Abrams : Le Journal d’Helga, (Belfond, 2015).
- Felice Schragenheim, Juive allemande, amante d'Elisabeth Wust (dite Lilly), épouse d'un soldat de la Wehrmacht[9].
- Marcel Bousseau, résistant, député
Personnalités y étant décédées
- Clara Arnheim, peintre allemande ;
- Elkan Bauer, compositeur autrichien ;
- Otto Blumenthal, mathématicien allemand ;
- Terka Csillag, actrice de théâtre hongroise ;
- Robert Desnos, poète français ;
- les cousins Alfred et Gustav Flatow, champions olympiques allemands ;
- Hanuš Hachenburg (it), enfant poète et écrivain, l'un des rédacteurs de Vedem
- Jacobus Henricus Kann, banquier néerlandais ;
- Rudolf Karel, compositeur tchèque ;
- Joseph Kerebel, prêtre français et résistant ;
- Clementine Krämer, écrivaine allemande ;
- Augusta van Pels, habitante de la même annexe qu'Anne Frank ;
- Georg Pick, mathématicien autrichien ;
- Isidor Izaak Sadger, psychiatre et psychanalyste autrichien ;
- Grete Schmahl-Wolf, écrivain ;
- Mathilde Sussin, actrice autrichienne ;
- Siegfried Translateur, compositeur allemand ;
- Arthur von Weinberg, chimiste et industriel allemand.
Un instrument de propagande
Les nazis autorisent la visite de la Croix-Rouge pour faire pièce aux rumeurs à propos des camps d'extermination. Pour minimiser l'apparence de surpopulation, un grand nombre de Juifs sont déportés à Auschwitz. Les façades sont repeintes, le café est redécoré, de faux magasins sont achalandés pour donner l'impression d'un confort relatif. Les Danois à qui la Croix-Rouge rend visite sont installés dans des pièces fraîchement repeintes. Jamais plus de trois personnes n'y vivent. Les invités assistent à la représentation d'un opéra pour enfants, Brundibár[10].
Maurice Rossel, l'envoyé du CICR en , est complètement mystifié. Claude Lanzmann a réalisé en 1997 un documentaire, titré Un vivant qui passe, qui utilise une interview accordée en 1979 par Maurice Rossel : il y décrit le camp de son point de vue, tel qu'il lui sera présenté par la mise en scène des nazis.
La supercherie des nazis est un tel succès qu'un film de propagande est tourné (Der Führer schenkt den Juden eine Stadt - Le Führer offre une ville aux Juifs). Le tournage démarre le sous la direction de Kurt Gerron, un réalisateur, artiste de cabaret et acteur, qui était apparu avec Marlene Dietrich dans L'Ange bleu. On y voit notamment le chef d'orchestre déporté Karel Ančerl y diriger une œuvre du compositeur Pavel Haas, déporté lui aussi. Après le tournage, la plupart des acteurs et des membres de l'équipe, y compris le réalisateur, sont déportés à Auschwitz. Gerron et sa femme sont gazés le . Le film n'a jamais été diffusé à l'époque, mais découpé en petits morceaux destinés à la propagande ; seuls quelques fragments subsistent aujourd'hui. Souvent intitulé Le Führer donne un village aux Juifs, son titre est en fait Theresienstadt. Ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet[11].
Statistiques
Environ 144 000 personnes ont été déportées à Theresienstadt. Un quart d'entre elles, 33 000, mourut sur place, principalement à cause des conditions de vie (famine, maladies, épidémie de typhus à la fin de la guerre). 88 000 Juifs furent déportés à Auschwitz et dans les autres camps d'extermination. À la fin de la guerre, on dénombrait à peine 19 000 survivants.
Notes et références
- Georges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN 978-2-03-583781-3), p. 541
- Dictionnaire de la Shoah, p. 541
- (en) « The Holocaust Chronicle PROLOGUE: Roots of the Holocaust, page 282 », sur www.holocaustchronicle.org (consulté le )
- Thomas Nagel, La double peine des juifs de Theresienstadt, in Books, no 88, mars-avril 2018, p. 56-61 (article paru initialement dans The New York Review of Books le 28 septembre 2017, traduit pour Books par Alexandre Lévy.
- Lowe 2013 [EPUB] emplacements 3184, 2154, 2193, 4361 sur 13628.
- Lowe 2013 [EPUB] emplacement 3184 sur 13628.
- Lowe 2013 [EPUB] emplacement 4800 sur 13628.
- (en) Hans Günther Adler
- Lorraine Millot, « Elisabeth Wust, 85 ans. Mariée à un nazi ordinaire, puis amoureuse d'une juive morte en camp qu'elle célèbre dans Aimée et Jaguar. A Felice. », Libération.fr, (lire en ligne, consulté le )
- Sylvie Lindeperg, « Les fantômes de Terezin », L'Histoire n°456, février 2019, p. 74-79.
- « Extrait du film nazi », sur YouTube
Annexes
Bibliographie
- Bruno Giner, Survivre et mourir en musique dans les camps nazis, Paris, Berg International, coll. « Détours », , 220 p. (ISBN 978-2-917191-39-2, OCLC 721819255).
- Claude Lanzmann, Un vivant qui passe : Auschwitz 1943 - Theresienstadt 1944, Paris, Gallimard, coll. « Folio » (no 5579), , 80 p. (ISBN 978-2-07-045261-3, OCLC 866827190, notice BnF no FRBNF43698777).
- Keith Lowe (trad. de l'anglais par Johan Frederik Hel Guedj), L'Europe Barbare : 1945-1950, Paris, Perrin, , 488 p. (ISBN 978-2-262-03776-5, OCLC 843382483).
- Antoine Choplin, Une forêt d'arbres creux : roman, Lyon, La Fosse aux ours, , 115 p. (ISBN 978-2-35707-065-3, OCLC 927163804).
- J. Karas, La Musique à Terezin, Gallimard, 1993.
Filmographie
- Marvin J. Chomsky, Holocauste (mini-série), 1978 (quelques scènes se déroulent à Theresienstadt)
- Claude Lanzmann, Le Dernier des injustes, 2013
- Claude Lanzmann, Les Quatre Sœurs, 2017 (témoignage de Ruth Elias, dans le premier film Le Serment d'Hippocrate)
- Dan Curtis, War and remembrance, mini série américaine en 12 épisodes (1988-1989), d'après le livre du même nom de Herman Wouk qui participa à l'écriture du scénario. Plus du tiers du film se déroule dans le ghetto. Le film n'a jamais été diffusé à la télévision française.
- Baptiste Cogitore, Le Fantôme de Theresienstadt, 2019 (documentaire sur Hanus Hachenburg, jeune poète tchèque interné à Theresienstadt) www.sanchoetcompagnie.fr
Articles connexes
- Tchécoslovaquie pendant la Seconde Guerre mondiale
- Liste des camps de concentration nazis
- Camp d'internement de Theresienstadt (1945-1948) (de)
- Petite fortification de Theresienstadt
Liens externes
- Article sur Theresienstadt et la vie musicale, sur Musique et Shoah, holocaustmusic.ort.org/fr
- « Terezin (Theresienstadt) », sur Encyclopédie multimédia de la Shoah (consulté le )
- " Terminus Terezin " à Bibliothèque Royale de Belgique
- (en) Terezín Memorial
- (en) Terezín Initiative Institute
- Alain Lompech, « Terezin chantait », sur Le Monde, (consulté le )
- Élise Petit : Musique, religion et résistance à Theresienstadt
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