Style sulpicien

Le style sulpicien, style saint-sulpicien ou art dit « de Saint-Sulpice » désigne un courant esthétique et artistique d’images et d’objets religieux chrétiens, en particulier catholiques, et communément associé à la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Le concept reste encore aujourd’hui assez vague et peut s’appliquer à des vitraux, des statues, des images pieuses, etc.

Sacré Cœur de Jésus - image pieuse Bouasse Lebel - fin XIXe siècle

Les œuvres de ce style ont pour but de susciter la dévotion et baignent dans une atmosphère de paix et de recueillement. Elles sont caractérisées par une certaine douceur et un sentimentalisme allant du plus léger au plus excessif, et sont qualifiées par certains de « mièvres » dès la fin du XIXe siècle. Le langage plastique typiquement éclectique prend souvent des formes plus ou moins néo-gothiques, néo-romanes, néo-classiques, baroques, etc.

Devenu incontournable dans la seconde moitié du XIXe siècle, apprécié par le peuple chrétien et les ecclésiastiques, l’art de Saint-Sulpice commence à être critiqué par les intellectuels catholiques dès la fin du XIXe siècle[1],[2]. L’expression « art de saint-sulpice », originellement péjorative, est inventée en 1897 par Léon Bloy pour désigner les objets religieux vendus par les marchands de la place Saint Sulpice[3]. S'il est clairement lié à un certain art religieux et catholique, l'emploi péjoratif de l'adjectif « sulpicien » ne vise ni l'église congrégation de Saint-Sulpice ni l'église du même nom.

Le style saint sulpicien est alors accusé d’uniformiser l’art, de détruire l’originalité et de nuire aux artistes chrétiens. En effet, les œuvres, souvent produites dans des manufactures, achetées sur catalogue, recourent massivement à la fabrication en série (assistée parfois de moyens industriels) et inondent les marchands.

La réprobation devient cependant générale après les années 1920, ce qui entraine le déclin de la production puis son arrêt total vers le milieu du XXe siècle. Dès lors vivement décriées, les œuvres relevant de ce style sont détruites massivement, notamment dans le sillage de la réforme qui a suivi le deuxième concile du Vatican. Mais au début du XXIe siècle, cette forme d’art suscite un intérêt certain, comme en témoignent les études scientifiques, les restaurations d’intérieurs d’église et les classements divers des artefacts restant.

Néanmoins, encore aujourd'hui, l'adjectif sulpicien s'applique à un objet « qui est caractérisé par un aspect mièvre, conventionnel et d'un goût souvent douteux »[4].

Origine de l'expression

L'expression style saint-sulpicien vient des nombreuses échoppes qui vendaient des objets religieux autour de l’église Saint-Sulpice, à Paris. Elle s'explique par le fait que les alentours de cet édifice, dans le nord du quartier de l'Odéon, regroupaient traditionnellement de nombreux magasins de livres, d'images et d'objets religieux. Le quartier reste d'ailleurs bien pourvu en librairies et boutiques spécialisées en objets religieux chrétiens (parmi lesquels : La Procure, la Librairie Saint-Paul, Téqui...). L'emploi péjoratif de sulpicien n'est donc pas lié à l'église Saint-Sulpice, ni à la congrégation des prêtres de Saint-Sulpice.

C'est dans son roman La femme pauvre, que Léon Bloy introduit l'adjectif dans un sens clairement négatif. Deux personnages dialoguent au sujet du tableau La Transfiguration de Raphaël. L'un d'eux se demande si « un seul homme [a] jamais pu prier devant cette image » et affime « qu'il [lui] serait tout à fait impossible de bafouiller la moindre oraison [devant cette peinture]». À quoi son interlocuteur répond: « Savez-vous pourquoi? (...) C'est que Raphaël, au mépris de l'Evangile, qui n'en dit pas un seul mot, a tenu à faire planer ses trois personnages lumineux, obéissant à une peinturière tradition d'extase infiniment déplacée dans la circonstance. L'ancêtre fameux de notre bondieuserie sulpicienne[5] (...) n'a pas compris qu'il était absolument indispensable que les Pieds de Jésus touchassent le sol pour que sa transfiguration fût terrestre »[3].

Origine et développement

Il est communément admis que l’art dit de Saint-Sulpice trouve ses origines dans l’art dévotionnel de la Contre-Réforme après le Concile de Trente, mais les œuvres religieuses reconnus véritablement comme Saint-Sulpiciennes sont généralement datées entre la seconde moitié du xixe siècle siècle et le premier tiers du xxe siècle.

La Révolution avait ruiné un grand nombre de lieux de culte et les ecclésiastiques ressentaient en ce début de xixe siècle le besoin d’obtenir, à prix modique, de nouvelles statues et images pour leurs églises et chapelles. Ils avaient également besoin d’images imprimées dans le cadre de l’éducation et du catéchisme.

Le style Saint-Sulpicien n’a vraiment pris son essor qu’au cours de la seconde moitié du xixe siècle. C’est l’époque où les manufactures d’art chrétien se développent et s’industrialisent, où le chemin de fer et le commerce maritime s'intensifient permettant l’approvisionnement de magasins spécialisés comme ceux de la place St Sulpice et la diffusion à l'étranger.

Enfin, l’intérêt pour l’art chrétien est, à cette époque, à son maximum. On scrute les œuvres du passé pour s’en inspirer. Les échanges intellectuels entre artistes chrétiens via diverses revues sont nombreux. Dans sa revue Annales archéologiques, l'archéologue A.N. Didron (1806-1867) veut par exemple ressusciter l’art du vitrail médiéval. L'ouvrage du père jésuite Charles Cahier, Caractéristiques des saints dans l'art populaire, publié en 1867, est une source d'inspirations pour les fabricants d'images et de statues.

Certains, comme le statuaire Léon Moynet (1818-1892) ou le sculpteur Ignaz Raffi (1828-1895; fondateur de la maison Raffl), se nourrissent de toutes ces informations et progrès techniques et vont proposer une forme d’art éclectique reprenant le langage esthétique de diverses époques, et ce, pour un cout limité grâce à la fabrication en série.

Rôle social

Les œuvres saint-sulpiciennes placées fréquemment dans l'espace public au XIXe siècle ont parfois un objectif social (calvaire de chemin, statue de carrefour…). Il s’agit de reconquérir symboliquement l’espace public et de ramener Dieu dans la vie de la cité. Elles participent ainsi à la recharge sacrale après la Révolution.

Caractéristiques esthétiques

Notre-Dame du Sacré-Cœur. Image pieuse, début du xxe siècle.

Les œuvres de ce style expriment des sentiments de douceur, de paix et d’extase maîtrisée. Elles ont pour fonction, par l'émotion qu'elles suscitent, d’inciter le fidèle au recueillement et à la prière.

Un certain sentimentalisme caractérise cette production, les personnages semblant vouloir interagir avec le spectateur et lui montrer leur bienveillance (images du Sacré Cœur tendant la main ou de Marie Immaculée abaissant son regard vers la terre et ouvrant ses bras en direction du fidèle qui la regarde).

Image pieuse signée Bouasse Jeune, fin du xixe siècle. Le sentimentalisme, visiblement traduit par les couleurs doucereuses, y est poussée à son paroxysme.

C’est contre ce sentimentalisme que sont menés les procès en « mièvrerie » de la fin du XIXe ou du XXe siècle. Si pour certains fabricants ou artistes, ce sentimentalisme reste léger comme chez les statuaires religieux qui fournissent les églises, chez d’autres il devient excessif voir outrancier (canivet parisien par exemple) entrainant rapidement la désapprobation des ecclésiastiques, voir du Vatican qui renforce son contrôle sur l’iconographie dès le XIXe siècle.

Les personnages représentés sont aussi souvent déconnectés de la réalité terrestre et parfois représentés dans la gloire du ciel. Les vêtements, même les robes de bures, se parent alors de dorures et de frises polychromes.

Les visages, aux joues souvent légèrement rougeoyantes, sont beaux et idéalisés, au mépris parfois de la réalité du personnage représenté.

La souffrance et les infirmités sont également absentes. La souffrance ne se rencontre véritablement que dans les scènes de la Passion où elle reste néanmoins contenue et exprimée par les expressions faciales ou les mains.

Liens avec les styles "néo" et polymorphisme

Les œuvres présentent souvent un éclectisme assumé. Le contrapposto issu de l’art classique est courant dans la statuaire et l’art du vitrail. Il côtoie des polychromies et des plis de manteau, pris sous le bras ou la ceinture, d’inspiration médiévale en particulier néogothique. La physionomie des corps est fréquemment assez réaliste sans être aussi musculeuse que celle de l’art classique. De ce fait, il est parfois impossible de faire la différence entre le style saint sulpicien et le néogothique par exemple. Enfin, il est fréquent qu'un statuaire propose aussi des œuvres franchement néoclassiques ou franchement néogothiques à côté d'œuvres plus saint-sulpiciennes.

En raison des contraintes économiques des clients, les œuvres sont souvent proposées en différentes matières. Ainsi la maison Raffl, statuaire, proposent à ses clients des statues en plâtre, en fonte, en bronze, en bois… Cela permet également de répondre à divers usages. Il faut que les statues destinées aux processions soient légères ; le carton romain est alors recommandé.

Dans le cadre d’œuvres destinées à des églises, pour faciliter leur intégration dans des intérieurs de style divers, le commanditaire peut également commander une œuvre avec des finitions en accord avec le style de son église. Ainsi une polychromie "extra-riche" (imitation brocart) convient probablement à une statue destinée à décorer un riche retable médiéval et une dorure intégrale à une statue destinée à s’intégrer à un retable doré du XVIIIe siècle.

Houchin (62), église St Omer. Les petites statues en terre cuite de la manufacture de Vendeuvre sur Barse occupent des niches prévues pour elle. Autel réalisé par la maison Pattein d'Hazebrouck, atelier de sculptures et d'ameublement ecclésiastiques, en 1883.

Une même œuvre peut donc se présenter sous diverses tailles, formes ou matières. Le client choisit ce qu’il veut grâce au choix sur catalogue avec diverses options disponibles. Enfin, il est fréquent de voir des églises purement néogothiques dotées de statues clairement saint-sulpiciennes (mais à décor néogothique) occupant des places prévues dès le départ pour elles. En effet, l'achat de ce type de statue était probablement moins couteux que la réalisation d'une sculpture originale.

Œuvres et thématiques

Le style sulpicien appliqué au vitrail : l'apparition de la Vierge à La Salette (1901) - église de Bois-Colombes.

La plupart des œuvres qualifiées de saint-sulpiciennes représentent des portraits de saints (images ou statues) ou des scènes de leurs vies, des anges (céroféraires, thuriféraires, adorateurs, musiciens…), le Christ, la Vierge Marie et notamment dans le cadre d’apparitions. Ainsi, parmi les œuvres les plus courantes, se trouve les images de Notre-Dame de Lourdes, de la Vierge immaculée (selon le modèle de la médaille miraculeuse), le Sacré Cœur (apparitions à Paray-le-Monial). En extérieur sont représentés le Calvaire et les scènes de la Passion.

Dernier avatar du XXe siècle, la statue de sainte Thérèse de Lisieux réalisée par Louis Richomme (en religion, frère Marie-Bernard) représente un incontournable de la statuaire saint-sulpicienne d’un grand nombre d’églises. On prétend même qu’elle serait la sculpture la plus répandue au monde[réf. nécessaire].

Les images pieuses, type images d'Épinal, distribuées par les colporteurs étaient aussi de style sulpicien, tout comme de nombreuses crèches de Noël. Pour l'art du vitrail sulpicien, certains vitraux de l'église Saint-Médard à Tremblay-en-France sont représentatifs, parmi d'autres[6].

Néanmoins, l'expression « style sulpicien » reste encore aujourd'hui très ambigüe car elle englobe dans une même appellation des styles, des périodes et des auteurs très différents regroupés dans une même dénomination conçue à l'origine pour être péjorative, appellation sous entendant la copie, la reproduction en grandes séries, à l'économie, d'œuvres très sentimentales.

Voir aussi

Bibliographie

  • Pierre Descouvemont, Sculpteur de l'âme : un trappiste au service de Thérèse, Éd. Gieldé, 2000 (ISBN 2-914222-01-7 et 978-2-914222-01-3), Modèle:OCLC76953976
  • Jean-Michel Leniaud, La révolution des signes : l'art à l'église, 1830-1930, Éditions du Cerf, 2007 ( (ISBN 978-2-204-08184-9) , Modèle:OCLC320496607
  • Bernard Berthod, Elisabeth Hardouin-Fugier, Gaël Favier, Illustrations de Camille Déprez, Dictionnaire des arts liturgiques, Frémur éditions, 2015 (ISBN 979-10-92137-05-7), Modèle:OCLC936568596
  • Abbé J. Durand. Les statues dites de Saint-Sulpice. À Vendeuvre (Aube) et à Vaucouleurs (Meuse). 1982. Réimpression dans Le paradis d'un homme créatif. ArTho, L'Argilière du Thoais, 2006. (ISBN 2-913163-15-7)
  • Abbé J. Durand. Une Manufacture d'art chrétien. 1975. Réimpression dans Le paradis d'un homme créatif. ArTho, L'Argilière du Thoais, 2006. (ISBN 2-913163-15-7)

Articles connexes

Notes et références

  1. Huysmans, « Enquête sur la renaissance idéaliste », Le Sillon,  :
    « "...le public catholique se tranche en deux parts très inégales. Une, minuscule, celle des gens pieux, intelligents et lettrés, épris de mystique et d’art, considérés par les autres comme des toqués et des êtres dangereux, et une autre, énorme, composée de toute la tourbe des catholiques ignares et bégueules, très décidés à empêcher, par tous les moyens possibles, toute tentative de littérature et tout essai d’art. / L’idéal de la rue Saint-Sulpice leur suffit parfaitement et ils n’en veulent aucun autre." »
  2. J.-K. Huysmans, Les foules de Lourdes, (lire en ligne), chap. 6 :
    « "A n'en pas douter, de tels attentats ne peuvent être attribués qu'à des facéties vindicatives du démon" »
  3. Léon Bloy, La Femme pauvre, Paris, Le Livre de Poche, 1962 [1897], I, XIII, p. 107 (lire sur Wikisource). Le soulignement en gras est ajouté.
  4. « Sulpicien, -ienne, adj. », sur cnrtl.fr (consulté le ).
  5. Italiques ajoutés.
  6. http://www.histoire-tremblay.org/60+les-vitraux-de-style-sulpicien.html.
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