Semaine tragique (Espagne)
On connaît sous le nom de Semaine tragique (Semana Trágica en castillan ; Setmana Tràgica en catalan) les évènements qui se sont déroulés à Barcelone et dans d'autres villes de la province entre le et le .
Pour les articles homonymes, voir Semaine tragique (homonymie).
Date | 1909 |
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Lieu | Barcelone, Espagne |
Pour protester contre un décret du qui mobilise les réservistes, et contre l'envoi de troupes au Maroc espagnol pour participer à la guerre de Mélilla, l'organisation Solidaridad Obrera lance un appel à la grève générale.
Le mouvement se transforme en émeutes, la loi martiale est proclamée, des barricades se dressent dans les rues et des affrontements ont lieu avec l'armée : 104 civils, 4 soldats et 4 membres de la Croix-Rouge trouvent la mort.
L'Église, principal soutien du pouvoir, est alors visée par les émeutiers : 18 églises, 49 couvents ou collèges religieux sont la proie des flammes.
La monarchie réprime le mouvement. Le pédagogue libertaire Francisco Ferrer est fusillé le après avoir été désigné comme responsable de ces événements.
Contexte historique
L'Espagne commence l'année 1909 avec Alphonse XIII comme monarque et Antonio Maura, du Parti conservateur, comme chef du gouvernement issu des élections tenues le .
Politiquement l'Espagne, qui ne s'est pas encore remise des contrecoups occasionnés par la perte en 1898 de ses dernières colonies, Cuba et les Philippines, au cours de la guerre hispano-américaine, vit dans un système d'alternance entre deux partis politiques : le Parti conservateur et le Parti libéral, qui monopolisent le gouvernement au moyen d'élections totalement manipulées par le caciquisme[1].
En Catalogne dominaient toutefois deux partis rivaux, l'Union républicaine d'Alejandro Lerroux et Solidaritat Catalana, menée par Francesc Cambó. C'est ce dernier, nationaliste et représentant de la bourgeoisie locale, qui sort vainqueur des élections de 1907 (il remporte 41 députés sur les 44 de la région).
D'un point de vue social, les ouvriers espagnols amorcent une véritable prise de conscience syndicale et le mouvement ouvrier surgit dans les zones industrialisées, tout particulièrement à Barcelone avec Solidaridad Obrera, une confédération syndicale de socialistes, anarchistes et républicains, formée en conséquence du rejet du rapprochement de Solidaritat Catalana avec le Parti conservateur de Maura.
Événement déclencheur
Après la perte de ses dernières colonies d'outre-mer, l'Espagne chercha à augmenter sa présence en Afrique du Nord ; au cours du partage colonial effectué en 1906 à la conférence d'Algésiras elle obtint le contrôle sur le nord du Maroc.
Le , les ouvriers espagnols travaillant à la construction du chemin de fer qui devait unir Melilla aux mines de Beni-Buifur, appartenant à une société contrôlée par le comte de Romanones et le marquis de Comillas, furent attaqués par les autochtones berbères.
Ce petit incident, qui constitua de fait le début de la guerre de Mélilla, qui se prolongea jusqu'en 1927 via la guerre du Rif, fut utilisé par le gouvernement de Maura pour initier un projet colonialiste à l'encontre de l'opinion populaire.
La mobilisation des réservistes fut ordonnée et la mesure fut fort mal accueillie par les classes populaires. Il convient de souligner que la législation en vigueur permettait l'exemption par le versement de 6 000 réaux (1 500 pesetas), une somme qui n'était pas à la portée du peuple (le salaire quotidien d'un travailleur s'élevait à l'époque à environ 10 réaux, 2,5 pesetas). La majorité des réservistes étaient en outre pères de famille et leur travail constituait bien souvent l'unique source de revenu du foyer.
Le dimanche 18 juillet, date du premier embarquement prévu au port de Barcelone, plusieurs aristocrates barcelonais vinrent offrir aux soldats des scapulaires, des médailles et du tabac ; ce qui provoqua des tumultes populaires, encore aggravés par l'arrivée de nouvelles du front marocain informant des importantes pertes subies dans les zones du conflit.
À Madrid est décidée une grève générale pour le 2 août mais, à Barcelone, Solidarité ouvrière préfère agir par surprise et programme pour le lundi 26 juillet un arrêt du travail qui dégénéra et donna lieu à la Semaine tragique.
Le gouverneur civil de Barcelone, Ángel Ossorio y Gallardo (ca), démissionna car il refusait de déclarer l'état de guerre dans la ville ; il fut remplacé par l'avocat valencien Evaristo Crespo Azorín (ca).
Lundi 26 juillet
La grève est massivement suivie à Barcelone, Sabadell, Terrassa, Badalona, Mataró, Granollers et Sitges ; un comité de grève est créé pour la diriger et la coordonner.
Les autorités ordonnent la descente de l'Armée dans les rues. Elle y est accueillie par la population aux cris de ¡Viva el Ejército! (Vive l'Armée !) et ¡Abajo la guerra! (À bas la guerre !). Hormis quelques incidents sporadiques, la journée reste pacifique.
Mardi 27 juillet
L'arrivée de nouvelles du Maroc sur le désastre du Barranco del Lobo, au cours duquel périrent 1 200 réservistes, pour la plupart issus du contingent qui était sorti de Barcelone le , provoqua le début d'une véritable insurrection avec levée de barricades dans les rues.
La protestation, à son début pacifiste, prend dès lors un tournant anticlérical avec l'incendie de nombreuses églises, couvents et écoles religieuses ; on assiste même à la profanation de sépultures[2]. En revanche, aucune banque ni usine n'est affectée.
La loi martiale est décrétée dans la ville et les premiers coups de feu sont échangés dans la zone des ramblas; l'Armée abandonne son attitude passive et les esprits s'échauffent davantage encore.
Mercredi 28 juillet
Barcelone s'éveille au milieu de colonnes de fumées provenant des édifices religieux pris d'assaut ou incendiés.
Le comité de grève se montre incapable de contrôler les ouvriers. L'insurrection déborde et atteint son paroxysme. La ville ne dispose plus de troupes sûres suffisantes pour affronter les mutineries des garnisons et des forces de sécurité qui refusent de combattre des grévistes qu'elles considèrent comme leurs compagnons.
Jeudi 29 juillet
L'absence d'une direction effective explique que l'insurrection entame son déclin. L'unique espoir des insurgés était que le soulèvement s'étendît au reste de la péninsule ; ce qui n'eut pas lieu car le gouvernement réussit à isoler Barcelone et à répandre l'idée, fausse, que les évènements survenus avaient un caractère séparatiste. Cette duperie annihila toute possibilité d'un écho populaire favorable dans les autres régions.
Ce même jour arrivèrent à Barcelone des renforts depuis Valence, Saragosse, Pampelune et Burgos qui finirent par maîtriser, entre le vendredi et le samedi, les derniers foyers de rébellion.
Répression
Le bilan des troubles fait état d'un total de 78 morts (75 civils et 3 militaires), un demi-millier de blessés et 112 édifices incendiés (dont 80 religieux).
Le gouvernement Maura, par l'intermédiaire de son ministre de l'Intérieur (Espagne), Juan de la Cierva y Peñafiel, commence immédiatement, le 31 juillet, une répression féroce et arbitraire[3].
Plusieurs milliers de personnes furent arrêtées, parmi lesquelles 2 000 furent poursuivies pénalement. Il y eut 175 condamnations à l'exil, 59 peines de prison à perpétuité et 5 peines capitales. De plus les syndicats furent interdits et on ordonna la fermeture des écoles laïques.
Les cinq condamnés à mort furent exécutés le 13 octobre au château de Montjuic. Parmi ceux-ci se trouvait Francisco Ferrer Guardia, cofondateur de l'École moderne, rendu coupable d'être l'instigateur de la révolte en se fondant uniquement sur une accusation formulée dans une lettre remise par les prélats de Barcelone.
Ces exécutions entraînèrent une très forte critique de Maura de la part de l'opinion publique européenne ; une grande campagne fut organisée par la presse étrangère, des manifestations nombreuses eurent lieu et même certaines ambassades furent prises d'assaut.
Le Roi, alarmé par les réactions tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du pays, renvoya Maura et le remplaça par le libéral Segismundo Moret.
Filmographie
- La ciutat cremada, Antoni Ribas (ca),1976)
Notes et références
- Voir Pacte du Pardo.
- Dolors Marín, Barcelona en llamas: La Semana Trágica, La Aventura de la Historia, Año 11, no. 129, p. 47.
- (ca) Jesús Mestre i Campi (dir.), Diccionari d'història de Catalunya, Barcelone, Edicions 62, , 6e éd. (1re éd. 1992), 1147 p. (ISBN 978-84-412-1885-7), p. 1002
Annexes
Bibliographie
- (ca) Josep Benet, Maragall davant la Setmana Tràgica, Barcelone, 1964.
- (en) Joan Connelly Ullman, The Tragic Week: A Study of Anticlericalism in Spain, 1875–1912, Cambridge, Harvard University Press, 1968.
- (ca) « La Setmana Tràgica », Gran Enciclopèdia Catalana, sur enciclopedia.cat, Barcelone, Edicions 62..
- (en) Angel Smith, Anarchism, Revolution and Reaction. Catalan Labour and the Crisis of the Spanish State, 1898-1923, New York, Berghahn, 2007
Article connexe
Liens externes
- (es) La Semana Trágica de Barcelona, document audio retraçant le déroulement et le contexte de la Semaine tragique sur le site de Radio Televisión Española
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