Révolte de Münster

La révolte de Münster est une tentative des anabaptistes pour établir une théocratie dans la ville allemande de Münster, en Westphalie. L'épisode dura de à . Sous la conduite de Jean de Leyde, qui prétendait être directement inspiré par des visions divines, la ville fut administrée par la terreur et la polygamie y fut légalisée. La ville fut reprise par les armes par son ancien archevêque en et les meneurs mis à mort.

Cages dans lesquelles les cadavres des meneurs de la révolte de Münster furent exposés, accrochées au nouveau clocher de l'église Saint-Lambert de Münster (en) (1898).

La révolte de Münster a laissé une image déplorable de l'anabaptisme, bien que cette communauté religieuse se soit dans son immense majorité engagée dans une non-violence absolue. Il a aussi été une source d'inspiration pour de nombreuses œuvres littéraires ou cinématographiques.

La rébellion

La situation à Münster vers 1530

Après la guerre des Paysans allemands (1524-1525), qui avait surtout touché le sud de l'Allemagne, une deuxième révolte survint plus au nord à Münster, en Westphalie (1532-1535). Münster était sans doute à cette époque la plus riche et la plus influente ville de toute la riche région agricole de Westphalie, siège d'un puissant évêque qui était aussi le suzerain de la ville[1]. La ville avait été touchée par la Réforme dès 1531 par l'arrivée du prédicant luthérien Bernt Rothmann. La vive opposition de l'évêque et de ses partisans, qui tentèrent de l'expulser, le conduisit à se radicaliser. À partir de 1532, il devint le chef d'un parti d'opposition ; en 1533, il embrassa l'anabaptisme. Cette adhésion à l'anabaptisme reflète d'une part la recherche d'une adhésion à un christianisme radical, prenant au pied de la lettre le baptême des adultes - seul à être mentionné dans la Bible - mais aussi l'annonce de l'imminence de la fin du monde (ou millénarisme), tout comme la recherche de la perfection morale, mais il reflète aussi la meilleure expression disponible à ce moment des aspirations politiques et sociales de populations lassées de la corruption des élites[1].

En , le prince-évêque François de Waldeck avait été obligé d'accorder la liberté de culte dans la ville. Cette décision fit augmenter rapidement la population anabaptiste de Münster, tant les persécutions étaient vives partout ailleurs. Parallèlement, de nombreux catholiques et luthériens trouvaient plus prudent de quitter Münster, contribuant ainsi au basculement du rapport de force en faveur des anabaptistes. Fin 1533, le conseil qui réunissait des protestants modérés et des catholiques avait voulu expulser un nouveau prédicateur anabaptiste mais celui-ci avait été aussitôt réintroduit en ville par ses partisans. Impuissant, le conseil s'était tourné vers la force, mais les mercenaires engagés par François de Waldeck avaient été défaits et chassés de la ville en .

L'arrivée des anabaptistes néerlandais

Simultanément, l'anabaptisme s'était rapidement développé aux Pays-Bas sous l'impulsion de Melchior Hoffman, né en Franconie, qui, converti au luthéranisme puis à l'anabaptisme, s'était lancé au milieu des années 1520 dans une grande tournée pour prêcher la nouvelle foi. Pourchassé, il était arrivé en Hollande, où il avait trouvé un terrain favorable et fait de nombreuses conversions. Ses disciples, les « melchiorites », formaient un groupe particulier parmi les anabaptistes; ils rejetaient le pacifisme des autres anabaptistes et, au contraire, préconisaient la violence pour renverser les dirigeants de la société et la préparer à l'arrivée imminente du Royaume de Dieu[1]. Très durement réprimés aux Pays-Bas, les melchiorites étaient venus nombreux chercher refuge à Münster. Leur chef s'appelait Jan Matthijs (également orthographié Matthys, Mathijsz, Matthyssen, Mathyszoon) ; il était secondé par un boulanger de Haarlem et par un tailleur de Leyde, Jan Bockelson ou Beukelszoon, dit Jean de Leyde.

La prise de contrôle de Münster par les anabaptistes

Jan Matthijs avait identifié Münster comme « la nouvelle Jérusalem » dont il est question dans le livre de l'Apocalypse, et le , un certain nombre de ses disciples entra dans la ville et y introduisit le baptême des adultes, baptisant notamment le prédicant Rothmann et plus de mille adultes. Des préparatifs énergiques commencèrent, non seulement pour maintenir ce qui avait été gagné, mais afin de conquérir le monde à partir de Münster.

Siège de Münster : l'attaque de la Pentecôte 1534 (gravure de 1535).

La ville fut aussitôt assiégée par le prince-evêque François de Waldeck. En , le dimanche de Pâques, Jan Matthijs, qui avait prophétisé le jugement de Dieu à venir sur les méchants ce jour-là, fit une sortie avec seulement trente hommes, croyant qu'il était un deuxième Gédéon. Coupé du reste de ses partisans, il fut tué, sa tête coupée et placée sur un poteau bien en vue des assiégés, et ses organes génitaux cloués sur la porte de la ville. Jean de Leyde fut alors intronisé comme son successeur politique et religieux, justifiant son autorité et ses décisions par des visions célestes. Son autorité augmenta, au point où il se proclama lui-même le successeur de David et adopta des insignes et des honneurs royaux, et assuma le pouvoir absolu dans la « nouvelle Sion ». Il légalisa la polygamie, et prit lui-même seize femmes. Cette polygamie lui permettait, à lui et à ses principaux sbires, d'épouser de force les veuves de ses opposants décapités. On lui attribue aussi la décapitation publique d'une femme qui aurait refusé ce mariage. La communauté des biens fut également établie. Pendant ce temps, la plupart des habitants de Münster mouraient de faim en raison des privations causées par un siège qui devait se prolonger plus d'un an.

La fin de la rébellion

Après une résistance opiniâtre, la ville fut prise le par l'archevêque dont la faible armée avait été renforcée par les princes allemands, particulièrement Philippe de Hesse. Le prédicant Bernt Rothman mourut pendant la bataille. En , Jean de Leyde, le drapier Bernhard Knipperdolling et le chancellier Krechting, les trois plus importants dirigeants survivants de la « nouvelle Sion », furent torturés et exécutés sur la place du marché de Münster. Leurs cadavres furent exposés dans des cages suspendues au clocher de l'église Saint-Lambert. Les cages sont encore là, bien que les ossements aient été retirés entretemps[2].

Les conséquences

La révolte de Münster a marqué un tournant dans l’histoire du mouvement anabaptiste. Il n'aura plus jamais l'occasion d'assumer le pouvoir politique ou civil et adoptera des mesures strictes pour réprimer toute tentative en ce sens. Il est difficile de retracer l'histoire ultérieure du groupe en tant que corps religieux, compte tenu de la diversité des dénominations et des croyances.

Le mouvement des Batenburgers, disciples de Jan van Batenburg, conserva les vues millénaristes de l'anabaptisme de Münster, de même que le principe de la polygamie et de l'usage de la force contre les non-anabaptistes. Leur mouvement était entré dans la clandestinité après la répression de la révolte de Münster, ses membres se présentant si nécessaire comme catholiques ou luthériens.

En les dirigeants des différents groupes anabaptistes se réunirent à Bocholt dans une tentative de maintenir l'unité. La réunion comprenait adeptes de Batenburg, des survivants de Münster, David Joris et ses sympathisants, et les anabaptistes non-violents[3]. Lors de cette réunion, les principaux différends entre les groupes furent le mariage polygame et l'usage de la force contre les non-croyants. David Joris proposa un compromis en déclarant que le temps n'était pas encore venu pour se battre contre les autorités, et qu'il serait imprudent de tuer tous les non-anabaptistes. Les anabaptistes réunis acceptèrent ce compromis[4], mais la réunion n'empêcha pas la fragmentation de l'anabaptisme.

Certains anabaptistes non-violents trouvèrent comme chef Menno Simons et les frères Obbe et Dirk Philips, des dirigeants anabaptistes hollandais qui avaient répudié la pensée radicale des anabaptistes de Münster. Ce groupe prit le nom de Mennonites. Ils rejetèrent toute utilisation de la violence et prêchèrent une foi basée sur l'amour de l'ennemi et la compassion.

L'impact littéraire

Hors du commun, la révolte de Münster a frappé les esprits et inspiré maint ouvrage lyrique, littéraire ou cinématographique.

Opéra et théâtre

Livres

  • Le roi des derniers jours. L'exemplaire et très cruelle histoire des rebaptisés de Münster (1534-1535) par P. Barret/J-N Gurgand, Hachette, 1981, 395 p. (ISBN 2-01-006194-2)
  • The Unfortunate Traveller, or the Life of Jack Wilton de Thomas Nashe (1594) (lien projet Gutenberg)
  • The Friends of God de Peter Vansittart, Éditions Macmillan, Londres, 1963 ; édité aux États-Unis sous le titre The Siege (Le Siège), Éditions Walker, New York, 1963
  • L'Œuvre au noir de Marguerite Yourcenar, Éditions Gallimard, 1968, prix Femina (ISBN 978-2070367986)
  • Q de Luther Blissett (ISBN 0-15-101063-3), publié en Italie en 1999 par quatre membres du Luther Blissett Project. Le roman a été traduit en français par Serge Quadruppani sous le titre L'Œil de Carafa
  • Perfection, par Anita Mason (en), Spinsters Ink Books (en), 2003
  • Speak to Her Kindly: A Novel of the Anabaptists (Parlez-lui gentiment : un roman des anabaptistes) de Jonathan Rainbow, Éditions Pleasant Word, 2003 (ISBN 1-57921-590-4)

Films

  • Rules for a Film about Anabaptists de Georg Brintrup, Allemagne 1975-1976
  • König der letzten Tage (Roi des derniers jours), série TV de Tom Toelle, Allemagne, 1993 (mini-série historique)
  • La Chair et le sang de Paul Verhoeven

Références

  1. The Anabaptist Commune of Münster 1534 -1535, par Komnenos
  2. E.G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, tome 1, Presses Universitaires de France, Paris 1961, pages 187-188
  3. The Radical Reformation, by George Hunston Williams (ISBN 0-940474-15-8), p. 582
  4. The Radical Reformation, by George Hunston Williams (ISBN 0-940474-15-8), p. 583

Sources

  • La base de cet article est l'article anglais de Wikipedia. Les faits ont été toutefois contrôlés au travers des sources suivantes, ce qui a pu conduire à des enrichissements :
  • Sébastien Fath, "Anabaptisme, le soulèvement des convertis", revue SCIENCES HUMAINES, avril 2016, no 280, p. 40-43
  • E.G. Léonard, Histoire générale du Protestantisme, tome 1, Presses Universitaires de France, Paris 1961, pages 187-188
  • Article en anglais bien documenté sur le contexte historique: The Anabaptist Commune of Münster 1534 -1535, par Komnenos

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