Pieuvre
Pieuvre(f) et poulpe(m) sont des noms vernaculaires ambigus désignant en français certains céphalopodes benthiques du sous-ordre Incirrina (principalement la famille des octopodidés, de l'ordre Octopoda). Ces animaux se caractérisent, au sein des céphalopodes par leur grande intelligence et par leur capacité à changer de couleur au millième de seconde, à leur guise, par mimétisme avec leur environnement ou en fonction de leurs émotions. Leur corps est entièrement souple, hormis un bec qui ressemble à certains égards à celui des perroquets. Leurs huit bras sont pourvus de ventouses et leur sang est bleu.
Poulpe
l'appellation « Poulpe ou pieuvre » s'applique en français à plusieurs taxons distincts.
Taxons concernés
Étymologie et appellations
Le mot « poulpe » vient du grec πολύπους (polypous), qui signifie « plusieurs (πολύ - poly : plusieurs) pieds (ποúς - poús) ».
Le mot « pieuvre » est d'origine plus récente que « poulpe » : il semble cependant en dériver, si l'on en juge par la forme intermédiaire « poufre » ou « pouvre » que l'on rencontre dans le vocabulaire des pêcheurs en Languedoc (la forme occitane générale étant « póupre »). « Pieuvre » est emprunté aux pêcheurs guernesiais par Victor Hugo lors de son séjour sur cette île anglo-normande[1] : en 1866 il introduit ce mot en français dans son roman Les Travailleurs de la mer. Le succès de cette œuvre est tel, que « Pieuvre » supplante rapidement le mot « poulpe » dans l'usage courant et passe même en italien avec le mot piovra.
Ces deux appellations ne sont pas également usitées selon les régions et ne concernent pas tous les octopodes des côtes atlantiques et méditerranéennes françaises. En général, « poulpe » a évolué en appellation surtout commerciale et gastronomique, concernant notamment le poulpe commun. Toutefois l'animal vivant est encore désigné par « poulpe » depuis la Camargue jusqu'à la frontière italienne, alors que « pieuvre » domine ailleurs. En Corse on dit « polpu » prononcé polpou. On désigne par « poulpe » surtout les espèces de la famille des octopodidés, soit la plus grande famille d'octopodes, rassemblant plus de 200 espèces. Les espèces de cette famille ont notamment comme point commun leur mode de vie benthique, mais le terme « poulpe » peut aussi désigner des espèces du sous-ordre Incirrina puisqu'elles partagent avec la famille Octopodidae certains caractères, hormis leur mode de vie benthique. Tandis que les espèces de l'autre sous-ordre (Cirrina), les cirrates, ne sont donc pas des poulpes puisqu'elles possèdent des cirres, une ombrelle et des nageoires et ont un mode de vie pélagique[2].
Noms vernaculaires et noms scientifiques correspondants
Liste alphabétique de noms vernaculaires attestés[3] en français.
Note : certaines espèces ont plusieurs noms et, les classifications évoluant encore, certains noms scientifiques ont peut-être un autre synonyme valide.
- Pieuvre à anneaux bleus — Hapalochlaena maculosa
- Pieuvre blanche — Eledone cirrhosa
- Pieuvre boréale — Bathypolypus arcticus
- Pieuvre chatrou de nuit — Octopus briareus
- Pieuvre commune — Octopus vulgaris
- Pieuvre dimorphe — Ocythoe tuberculata
- Pieuvre diurne — Octopus cyanea
- Pieuvre géante du Pacifique — Enteroctopus dofleini
- Pieuvre tachetée — Callistoctopus macropus
- Pieuvre ocellée — Octopus ocellatus
- Pieuvre mimétique — Thaumoctopus mimicus
- Pieuvre mouchetée — Callistoctopus macropus
- Pieuvre musquée — Eledone moschata
- Pieuvre photogénique — Wunderpus photogenicus
- Poulpe de récif commun — Octopus cyanea
- Pieuvre de récif caraïbe — Octopus briareus
- Gros poulpe bleu — Octopus cyanea
Physiologie, comportement et écologie
Les caractéristiques générales des pieuvres sont celles des Octopodes, avec des nuances pour chaque espèce : voir les articles détaillés pour plus d'informations sur leur description ou leur mode de vie.
Biologie
Le corps de la pieuvre est constitué d'un épais manteau de tissus qui protège sa coquille interne. Elle se déplace grâce à ses huit bras aussi appelés tentacules. Ces bras longs et musculeux sont équipés de ventouses qui permettent à la pieuvre de se cramponner sur un point fixe ou de saisir un objet. Ils sont placés autour de la bouche qui comporte une sorte de bec de perroquet qui permet à la pieuvre de décortiquer les crabes ou coquillages dont elle se nourrit, rejetant les débris autour d'elle. Deux entonnoirs ou siphons situés à l'ouverture de la cavité palléale lui permettent de s'oxygéner ou d'accélérer son déplacement en cas de besoin, en y injectant de l'eau avec vigueur. Deux yeux à la forte acuité sont placés au sommet du corps de la pieuvre[4].
Le poulpe dispose d'un système circulatoire où circule sous forte pression un sang bleu, car l'hémoglobine des organismes vertébrés y est remplacé par l'hémocyanine, découverte en 1878 par le savant belge Léon Fredericq lors de son étude détaillée des poulpes[5]. Ce sang circule dans le système circulatoire sous l'action d'un cœur principal ou « systémique » relayé par deux petits cœurs branchiaux qui pompent le sang oxygéné par les branchies. La pieuvre a donc trois cœurs[4].
Enfin les pieuvres se distinguent par leur capacités intellectuelles, qui reposent sur leurs 500 millions de neurones répartis entre un encéphale central, les lobes optiques et les huit bras. De multiples expériences ont montré leur habileté à s'évader d'un réservoir ou à ouvrir un bocal contenant de la nourriture. Leur intelligence leur permet d'adopter des comportements faisant appel au camouflage, à l'innovation, à la tromperie, à l'apprentissage et à la mémoire[6]
Certaines espèces ont une espérance de vie de six mois, alors que la pieuvre géante du Pacifique peut vivre cinq ans si elle ne se reproduit pas.
Alimentation
En temps normal, la Pieuvre chasse en se déplaçant plutôt au ras du fond, qu'elle effleure à peine de la pointe de ses tentacules.
Doublant son poids presque tous les trois mois, la pieuvre est dotée d'un appétit proportionnel à sa croissance. Surtout friande de crabes et de coquillages, elle en rejette les carapaces et coquilles. La bouche qui s'ouvre entre les tentacules, est armée d'une paire de mandibules cornées normalement invisibles, en forme de bec de perroquet.
Reproduction
La copulation des pieuvres peut durer de une à plusieurs heures. Sécrétées par le pénis interne, les poches de sperme (ou spermatophores) sont acheminées par le siphon vers une gouttière du bras hectocotyle qui servira à les introduire dans la cavité palléale de la femelle.
Une fois fécondée, la femelle surveille ses œufs pondus en grappes au plafond d'une niche rocheuse. Pendant six semaines, elle les protège, les ventile, les nettoie, sans manger. Lorsqu'ils éclosent, elle meurt affaiblie et amaigrie, mais ne meurt pas de faim. Des sécrétions endocriniennes provenant des deux glandes optiques sont la cause d'une mort génétiquement programmée (et si ces glandes sont enlevées par chirurgie, la femelle peut vivre plusieurs mois après sa reproduction, jusqu'à mourir finalement d'inanition).
Chaque jeune poulpe doit donc refaire les expériences de survie sans pouvoir bénéficier de la mémoire de ses géniteurs.
Locomotion et défense
Refoulant l'eau de mer par un siphon, la pieuvre peut se propulser pour échapper à ses poursuivants comme un avion à réaction. Elle prend la fuite en projetant à volonté un ou plusieurs nuages d'encre, laquelle est sécrétée dans sa « poche au noir ».
Le cas échéant, si un de ses bras est sectionné, il peut repousser.
Grâce à l'homochromie, l'animal peut changer la couleur et la structure de sa peau en fonction de son humeur et de son environnement immédiat. Sa peau recèle des millions de cellules colorées contractiles, les chromatophores, et peut aussi se couvrir à volonté de taches, de petites cornes et autres pustules mimétiques. Le changement de couleur peut être un signal, par exemple, pour la très toxique pieuvre aux anneaux bleus. Elle peut prendre l'apparence d'une silhouette comme celle du poisson-lion ou de l'anguille.
Intelligence
Enfin, la pieuvre fait preuve d'une intelligence étonnante pour un invertébré. Elle serait capable de déduire, de mémoriser et d'apprendre. Par exemple, des pieuvres ont compris par observations successives comment retirer le couvercle d'un bocal pour accéder à la nourriture contenue dans ce dernier[7].
Il arrive également aux pieuvres de disposer des coquillages ou débris autour de leur habitat. Certains comparent ce comportement à une forme de décoration[8]. Il a cependant été observé que les pieuvres se servent de ces restes comme appâts, afin d'attirer puis capturer crabes et poissons.[réf. nécessaire]
Elles possèdent une mémoire puissante, stockée dans leurs nombreux neurones. Les poulpes de Méditerranée sont sans conteste les plus astucieux car, vivant dans l’environnement relativement hostile de l’Empédocle, volcan sous-marin situé entre la Sicile et la Tunisie, ils ont appris à tirer avantage des émanations sous-marines : de nombreux crustacés meurent d'excès de chaleur ou d'hypoxie autour des évents, et les poulpes viennent ensuite les déguster. Les filets perdus par les pêcheurs qui continuent à piéger des poissons au fond, profitent aussi au poulpe de Méditerranée qui vient les y dévorer.
En ce qui concerne la sensation de douleur, selon une enquête de 2021, les poulpes pourraient ressentir une douleur émotionnelle d'une manière similaire à celle ressentie par les mammifères. Cette étude serait la première preuve de ce comportement chez un invertébré.[9]
Relation avec l'homme
En aquarium, il arrive que certains poulpes, tout comme certaines murènes, habitués à l'homme, deviennent familiers, mais en milieu naturel ils se montrent plutôt craintifs.
En gastronomie, qui demeure l'essentiel de la relation homme-poulpe, ce dernier est appelé chatrou dans la cuisine antillaise ; à La Réunion, on parle de zourit, que l'on cuisine en civet.
En Amérique du Nord, on utilise le nom de pieuvre et il arrive parfois que le nom soit aussi donné aux calmars.
Les poulpes dans la culture
Selon Jean Claude Ameisen[10], le poulpe est plutôt vu comme un animal sympathique en particulier en Grèce où ses capacités de camouflage sont louées par les philosophes : ils servent d'ailleurs de motif décoratif depuis l'Antiquité. Au Japon, les plongeuses ama ont remarqué les pratiques sexuelles des pieuvres qui ont inspiré Hokusai[11].
- Poulpe sur un vase antique du Musée archéologique d'Athènes.
- Le « rêve de l’ama », par Hokusai (1814).
- Gilliatt et la pieuvre : sculpture par Joseph Carlier (1879).
À partir du XVIIIe siècle, la légende du kraken, gigantesque poulpe fantastique issue des légendes scandinaves médiévales et réputée capable de tirer au fond des navires, commence à se répandre. Peut-être est-elle née à partir d'observations de débris d'Architeuthis flottant en surface. C'est sans doute en partie sous cette influence que certains auteurs commencent à décrire les pieuvres comme des animaux monstrueux, notamment Victor Hugo dans Les Travailleurs de la mer (description d'un combat entre le personnage de Gilliatt et une pieuvre carnivore), qui est aussi le premier à utiliser le nom de « pieuvre » (emprunté au dialecte de la Manche)[12]. Cet imaginaire est repris dans la sculpture et au cinéma dès 1918 dans Les Travailleurs de la mer, film muet d'André et Léonard Antoine, avec d'innombrables avatars ultérieurs. L'image de la pieuvre sert aussi de métaphore (notamment dans les théories du complot ou dans les analyses des réseaux mafieux) pour parler d'une organisation tentaculaire qui accapare secrètement de l'influence par des moyens occultes.
- Entrée principale de l'Institut océanographique de Paris (1911).
- Depuis le Nautilus du Capitaine Nemo
Avec l'avènement de la plongée sous-marine et surtout du cinéma documentaire, l'animal réel a commencé à être mieux connu et a fini par regagner une certaine sympathie dans le cœur du grand public (des peluches le représentent dans les commerces de souvenirs), sans pour autant cesser d'être un mets de choix. Mais dans le domaine du jeu vidéo, l'animal est régulièrement choisi pour représenter un adversaire[13].
Le documentaire La Sagesse de la pieuvre (My Octopus Teacher), film sud-africain réalisé par Pippa Ehrlich et James Reed, raconte la relation menée durant une année entre Craig Foster et un poulpe sauvage. La Sagesse de la pieuvre a obtenu l'Oscar 2021 du meilleur film documentaire.
Individus célèbres
Paul, une pieuvre commune vivant en captivité entre 2008 et 2010 dans un aquarium d'Oberhausen (Allemagne) a été utilisée pour « prédire »[14] les résultats des principaux matchs de l'équipe nationale de football allemande[15]. Elle crée la sensation à la Coupe du Monde 2010 en désignant systématiquement l'équipe vainqueur, à l'occasion des 7 matchs de l'équipe d'Allemagne et de la finale Pays-Bas - Espagne. Paul le poulpe est mort le [16].
Bionique, biomimétisme
En 2017, une équipe de chercheurs sud-coréens a développé une méthode d'élaboration d'un matériau adhésif inspiré des ventouses de la pieuvre commune Octopus vulgaris. Cet adhésif conserve ses propriétés dans des milieux secs ou immergés et présente de possibles applications en électronique ou en médecine[17].
De même, les mécanismes de camouflage des poulpes ont inspiré une équipe de chercheurs américains qui ont développé un nouveau matériau à base de fibre de verre et de silicone reproduisant la biophysique des papilles de la peau des poulpes. Des applications dans le domaine militaire sont envisagées[18].
Gastronomie
Notes et références
- http://www.cnrtl.fr/etymologie/pieuvre.
- Bernhard Grizmek, Le monde animal en 13 volumes : Encyclopédie de la vie des bêtes, vol. 3, Zurich, Gredos, (ISBN 3-287-00204-X).
- Attention aux appellations et traductions fantaisistes circulant sur l'Internet.
- « Poulpe », sur https://www.futura-sciences.com/ (consulté le )
- Audrey Binet, « Le sang bleu », sur le site de l'Université de Liège (consulté le ).
- Ludovic Dickel et Anne-Sophie Darmaillacq, « L'intelligence des céphalopodes », Pour la science, no 441, (lire en ligne, consulté le ).
- Vincent Armillon, « Les pieuvres font preuve d’une intelligence surprenante »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), Fréquence Terre, .
- Voir fin de cet article du Web Pedagogique.
- (en) Robyn J. Crook, « Behavioral and neurophysiological evidence suggests affective pain experience in octopus », iScience, vol. 24, no 3, (ISSN 2589-0042, DOI 10.1016/j.isci.2021.102229, lire en ligne, consulté le )
- « Naissance d'un mythe »
- Yoshiyuki Iwase (岩瀬 禎之, Iwase Yoshiyuki), 海女の群像―千葉・御宿 (1931-1964)
- Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, éd. Primento 2012, (ISBN 9782806240521), 631 pages.
- William Audureau, « Les poulpes dans les jeux vidéo, des héros qui commencent à faire leurs pieuvres », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne, consulté le )
- Concernant la zoomancie (divination basée sur le comportement animal) voir Portail:Scepticisme.
- « Paul le poulpe est formel : l'Espagne va battre l'Allemagne », sur lemonde.fr, .
- « Paul le poulpe, star de la Coupe du monde de football, est mort », Le Monde (consulté le ).
- Martin Tiano, « Un adhésif inspiré par les ventouses du poulpe », Pour la Science, (lire en ligne)
- Sarah Sermondadaz, « Un tissu de camouflage inspiré par la peau des poulpes », Sciences & Avenir, (lire en ligne)
Annexes
Bibliographie
- Vladimir Biaggi, Jean Arnaud, Poulpes, seiches, calmars: mythes et gastronomie, éditions Jeanne Laffitte, 1995
- Jean-Pierre Montanay, Poulpe, Hachette, 2015
- Peter Godfrey-Smith, Le prince des profondeurs. L'intelligence exceptionnelle des poulpes, Flammarion, (lire en ligne)
Articles connexes
Liens externes
- «Pieuvre : un animal qui fait couler beaucoup d’encre», La Méthode scientifique, France Culture,
- «Génie du vivant : Les poulpes avec Laure Bonnaud-Ponticelli», Les Savanturiers, France Inter, .
- Pieuvre, Aquaportail
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