Mauri (peuple)

Mauri (en grec ancien : Μαυρούσιοι (Maurusii)) est l'appellation latine (d'où dérive le terme français « Maures ») de la population berbère de Maurétanie (actuel Maroc), et plus tard de l'Afrique romaine en général.

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Moulage de la frise de la colonne Trajane, exposé au Musée de la Civilisation romaine, à Rome, représentant la cavalerie mauri du général romain d'origine mauri, Lusius Quietus combattant durant les Guerres daciques de Trajan.

Histoire

Période romaine

Carte de l'Empire romain sous Hadrien (117-138), montrant l'emplacement des Mauri.

En 42, l'Empire romain incorpore les provinces romaines de Maurétanie césarienne (actuelle Algérie occidentale et centrale) et de Maurétanie tingitane (actuel nord du Maroc). La région autour de Carthage faisait déjà partie de l’Afrique proconsulaire. La domination romaine était suffisamment efficace pour que ces provinces soient intégrées à l'empire.

Les raids des Mauri dans le sud de la péninsule Ibérique sont mentionnés dès le règne de Néron dans les Eclogues de Calpurnius Siculus : « Sans toi, Mélibée, nous aurions cité naguère visiter les derniers confins de la terre, et les pâturages de Géryon, foulés par les Maures cruels, ces lieux où le large Bétis roule, dit-on, ses eaux limpides sur un sable d'or[1] ». La Bætis est le Guadalquivir moderne, donc ce poème implique des raids Mauri sur la Bætique au ier siècle. Les Mauri originaire des montagnes situées au-delà de la frontière romaine ont traversé le détroit de Gibraltar pour faire irruption dans la province romaine de Bætique, dans l'actuel sud de l'Espagne, au début des années 170[2]. Les Mauri ont de nouveau attaqué la Bætique à la fin des années 170 ou 180 sous le règne de Commode. À cette époque, ils ont assiégé la ville de Singilia Barba, qui est libérée du siège par l'arrivée de troupes romaines de la province de Maurétanie tingitane, dirigées par le procurateur C. Vallius Maximianus[3].

Au début de l'ère chrétienne, Mauritius désigne toute personne originaire de Maurétanie.

En 272, quand Aurélien marche contre Zénobie, son armée comprend de la cavalerie mauri[4]. Le Notitia dignitatum mentionne des unités de cavalerie romaine nommées Equites Mauri, soit cavalerie mauri. Beaucoup de Mauri sont enrôlés dans l'armée romaine et sont bien connus comme membres du comitatus, l'armée mobile de l'empereur, avant le règne de Dioclétien[5]. En 320 dans le compte rendu d'un interrogatoire consulaire de Numidie, un grammairien latin nommé Victor déclare que son père était un décurion à Cirta et que son grand-père servait dans le comitatus, car de ses propres mots, « nôtre famille est de sang maure »[6].

À l'époque de Dioclétien, la cavalerie mauri ne fait plus partie de l'armée de campagne mobile mais est plutôt stationnée le long des frontières perses et du Danube. Il y a un régiment d'Equites Mauri (cavalerie mauri) dans « chacune des six provinces, de la Mésopotamie à l'Arabie »[7]. Les Mauri font partie d'un groupe plus large appelé Equites Illyricani, indiquant un service antérieur dans la province romaine d'Illyricum[4].

Alors qu'un grand nombre de Mauri offrent leurs services à l'Empire romain, d'autres lui résiste. Le co-empereur de Dioclétien, Maximien, fait campagne contre les Mauri pendant deux ans à la fin des années 290. C'est peut-être la raison pour laquelle les légions frontalières du nord-ouest de l'Afrique ont été renforcées à l'époque de Dioclétien avec sept nouvelles légions réparties à travers la Tingitane, la Tripolitaine, l'Afrique, la Numidie et les Maurétanies[8].

Dans les années 370, les Mauri pillent des villes romaines en Afrique. Théodose l'Ancien fait campagne contre eux en 372[9]. Une tribu mauri appelée Austoriani est nommée comme participant à ces raids[10]. Selon l'historien Arnold Hugh Martin Jones, qui suit Ammien Marcelin, les raids sur la Tripolitaine ont été causés par « la négligence et la corruption de Romanus, le comes Africae [comte d'Afrique]... en 372, Firmus, un chef mauri avec lequel Romanus s'était disputé, mène une révolte, remportant plusieurs régiments romains à ses côtés »[11].

Le frère de Firmus, Gildon, également un chef mauri, rejoint les Romains et aide à réprimer la révolte de Firmus. En guise de récompense, il reçoit le poste de « magister utriusque miliae par Africam », ou maître de l'infanterie et de la cavalerie pour l'Afrique[12]. Théodose réprime la rébellion, mais a été exécuté peu de temps après à Carthage.

En 397, Gildon rompt son allégeance à l'Empire romain d'Occident, alors sous le contrôle de l'enfant empereur Honorius et de son maître des soldats, Stilicon. Gildon coupe le ravitaillement en blé de Rome et déclare allégeance à Eutrope, l'ennemi de Stilicon, à Constantinople. Eutrope envoie des encouragements mais pas de troupes ni d'argent. Le Sénat romain déclare Gildon ennemi public (hostis publicus)[13].

Gildon avait un autre frère appelé Mascezel. Par le passé, Gildon avait fait massacrer les enfants de Mascezel[14]. Pour cette raison, Mascezel aide les Romains à réprimer la rébellion de son frère. Avec l'aide de Mascezel, une force romaine de 5 000 hommes bat Gildon et rétablit le contrôle impérial sur l'Afrique. Stilicho a peut être ensuite fait en sorte que Mascezel soit éliminé. En remplacement de Gildon, Stilicon confie à son beau-frère Bathanarius la responsabilité des affaires militaires en Afrique en 401[15].

À la fin du IVe siècle et au début du ve siècle, un grand nombre de soldats de l'armée de campagne impériale mobile (le comitatus) sont stationnés en permanence en Afrique pour maintenir l'ordre contre les Mauri. L'historien Jones estime que sur un total de 113 000 hommes dans le comitatus, 23 000 sont en poste en Afrique. Ces troupes s'ajoutaient aux limitanei, les armées de frontière permanentes ; mais les limitanei étaient insuffisants contre les Mauri et ainsi des parties de l'armée de campagne sont placées à leurs côtés. Selon Jones, ces troupes étaient alors indisponibles pour leur objectif initial, qui était de réagir rapidement et chaque fois que nécessaire aux invasions barbares[16].

En 411-412, le dux Libyarum (commandant des forces romaines en Libye) s'appelle Anysius. Il est noté comme commandant d'une guerre contre une tribu mauri, les Austuriani. Synésios de Cyrène a loué le duc Anysius pour son courage et sa gestion efficace de la guerre[17].

En l'an 412, les limitanei (gardes-frontières stationnés en permanence) de la Cyrénaïque ont besoin d'aide pour résister aux attaques du groupe mauri Austuriani. L'Empire byzantin (à l'époque sous le règne du jeune empereur Théodose II) a envoyé un escadron de barbares Unigardi. Synesius de Cyrène a loué ces barbares fédérés et en a demandé plus[18].

Période byzantine et vandale

Après la chute de Rome, les Vandales envahissent et règnent sur une partie de l'Afrique. À la mort de l'empereur Valentinien, Genséric obtient l'alliance des Mauri.

Les Mauri participent aux différentes expéditions de piraterie menées sur les côtes méditerranéennes par les Vandales sous Genséric. En 455, ils participent au Sac de Rome de Genséric, puis ils saccagent la Campanie. En 461, les Mauri et les Vandales ravagent la Sicile et l'Italie, ramenant un nombre significatif de prisonniers avec eux en Afrique.

À la mort de Genséric, ses successeurs ne peuvent plus étendre leur autorité de manière effective sur les Mauri et l'intérieur des terres est resté sous le contrôle de ces derniers[19]. L’armée vandale n'est pas une armée permanente et, après la mort de Genséric, sa puissance s’est détériorée. Aucune armée frontalière n'étant mise en place pour se protéger contre les incursions des Mauri, ces derniers ont empiété sur les zones frontalières du royaume. En conséquence, lorsque Bélisaire a reconquis l'Afrique pour l'Empire byzantin en 533-534, il n'a eu aucune difficulté à établir son autorité sur l'ancien royaume vandale, mais ses successeurs ont eu beaucoup de difficulté à contrôler le Mauri[20].

Le roi vandale Hunéric (477-484) a exilé 4 966 évêques et prêtres catholiques de l'autre côté de la frontière sud du royaume vandale vers le territoire d'alliés Mauri. Hunéric était un chrétien arien et ne voulait que le clergé arien du royaume vandale. Exiler le clergé catholique auprès des Mauri était donc le moyen utilisé par Hunéric pour établir sa domination arienne dans le royaume vandale.

Hildéric (523-530) n'a pas été en mesure de contrôler les attaques des Mauri. En 530, après une défaite face à ces derniers, il est déposé et remplacé par Gélimer. L'empereur byzantin Justinien se sert de la prise de pouvoir de Gélimer comme d'une excuse pour envahir l'Afrique, car il entretenait de bonnes relations en vertu d'un traité avec Hildéric. Le général de Justinien, Bélisaire vainc les Vandales et établit rapidement l'autorité byzantine sur l'ancienne province romaine d'Afrique. Les chefs Mauri ont été étonnés de l'avancée rapide de Bélisaire en Afrique, et en raison de cela, ils ont pour l'essentiel attendu l'issue de la guerre des Vandales et ont finalement prêter allégeance à Bélisaire. Les Vandales avaient déjà perdu une grande partie du territoire romain d'origine au profit des Mauri, y compris tout ce qui se trouvait à l'ouest de Césarée. Dès que Bélisaire a quitté l'Afrique en 534, les Mauri ont recommencé à effectuer des raids. Le général Solomon mène une série de campagnes contre eux, mettant un terme aux raids, jusqu'à une mutinerie des troupes byzantines en 536. À la suite de la rébellion des troupes byzantines, les Mauri ont pu à nouveau attaquer en toute impunité le territoire byzantin. Solomon est rappelé et remplacé par Germanus, qui pacifie la rébellion des troupes byzantine ; ensuite, Solomon est rappelé pour se battre à nouveau contre les Mauri en 539. À cause de la guerre des Mauri et de la rébellion des troupes, les Byzantins ont du mal à percevoir les impôts de la province nouvellement conquise. Justinien est préoccupé par les guerres contre les Ostrogoths et les Perses et est incapable d'appliquer beaucoup de ressources au contrôle des Mauri, ouvrant ainsi la porte à de nouvelles rébellions de Mauri dans les 540 et les années suivantes.

Solomon a réussi à établir un contrôle sur les Mauri en territoire byzantin. Cependant, son neveu Serge a invité des chefs d'une tribu locale mauri appelée Laguatan à un pourparlers et les a massacrés en 544. Cela a conduit à un soulèvement de Mauri, dans lequel Solomon a été tué. Justinien a confié à Serge le contrôle de la province byzantine d'Afrique, mais Serge étant incompétent, Justinien a donc envoyé Aréobindus en général. Le duc byzantin de Numidie, Guntharic, souhaitant devenir roi d'Afrique, soutient les Mauri en secret. Les troupes byzantines ne sont pas payées à temps et étaient souvent peu fiables. Guntharic a occupé Carthage et a tué Aréobindus, mais a été tué à son tour par un loyaliste byzantin d'origine arménienne, Artabanès. Artabanès a réussi à reprendre le contrôle des troupes. Son successeur, Jean Troglita, organise une coalition de tribus mauri pacifiées et vainc les Mauri révoltés en 548. En 563, Cusina, un puissant chef berbère allié des Byzantins est assassiné par le nouveau préfet d'Afrique, ce qui provoque une nouvelle rébellion mauri. Les Mauri envahissent et pillent une partie de l'Afrique, jusque l'intervention de diplomates byzantins qui permettent un retour à la paix. En 569, une importante révolte des Mauri menée par Garmul contre le régime byzantin a lieu sous le règne de Justinien II, au cours de laquelle le préfet du prétoire est tué. L'année suivante, le magister militum est tué. En 571, un autre magister militum est tué. Sous le règne de l'empereur Maurice, entre 582 et 602, il y a eu deux autres rébellions mauri, mais moins dangereuses.

Arnold Hugh Martin Jones affirme que les graves difficultés rencontrées par les Byzantins pour établir le contrôle sur les Mauri après la conquête du royaume vandale sont en grande partie imputables au manque d’argent et de ressources destinées aux troupes stationnées en Afrique, et ce à son tour en raison des nombreuses guerres menées par Justinien ailleurs. Les Mauri ont pris de vastes étendues de terres aux Vandales pendant le règne de l'inefficace Hildéric, et les Byzantins n'ont jamais conquis ces territoires. Dans la zone sous contrôle byzantin, presque chaque ville était fortifiée, même loin des zones frontalières. De nombreuses villes semblent avoir été réduites car les populations se sont concentrées dans des zones fortifiées réduites. Dans certaines villes, le forum était fortifié. Tout cela suggère une prospérité et une population réduite et une menace de guerre accrue, plus probablement avec les Mauri. Jones affirme qu'en raison de l'incapacité d'engager suffisamment de ressources pour pacifier complètement la région, le gouvernement de Justinien n'a jamais versé plus d'impôts que ce qu'il en a coûté pour maintenir le contrôle. Cependant, certains Mauri ont été recrutés dans les armées byzantines pour servir outre-mer et au moins deux régiments de mauri d'Afrique ont été levés et affectés à l'Égypte byzantine.

Au début du VIIe siècle, les provinces d'Afrique Proconsulaire, Byzacène et de Numidie (soit l'actuelle Tunisie et l'Est de l'Algérie) sont sous le contrôle de l'Exarchat de Carthage, une division de l'Empire byzantin. Les anciennes provinces romaines de Maurétanie césarienne et Tingitane (soit l'actuel Maroc et l'Algérie occidentale et centrale) et les campagnes sont occupées par les Mauri, avec leurs propres rois ou chefs. En 646, le patrice Grégoire, exarque de Carthage mène une rébellion contre l'empereur Constant II. La révolte trouve un large soutien parmi les Mauri de l'intérieur. Grégoire quitte Carthage et fixe sa nouvelle résidence à Sufétula, dans l'intérieur des terres, près de ses alliés Mauri.

En 647, le patrice Grégoire, maintenant indépendant, doit faire face aux envahisseurs musulmans à Sufétula. Il mobilise de nombreuses tribus mauri alliées en vertus d'un traité du sud-ouest de la Byzacène et peut-être de Numidie méridionale. Après la défaite de Grégoire, les tribus Mauri rompent leur allégeance à l'Empire et la majeure partie du sud de l'actuelle Tunisie échappe au contrôle de l'exarchat de Carthage.

Après la chute de l'exarchat de Carthage en 698, la résistance indigène des Mauri contre les arabo-musulmans s'est poursuivie pendant 50 ans. Au viiie siècle, la Chronique de 754 mentionne toujours le terme Mauri, comme un endonyme[note 1], cette fois, les Mauri sont décrits comme des artisans de la conquête musulmane de la péninsule Ibérique, et des invasions omeyyades en France.

Renaissance du nom

L'État moderne de Mauritanie reçoit son nom en tant que colonie française en 1903 ; il porte le nom de l'antique Maurétanie, en dépit de son emplacement considérable au sud de l'ancienne région.

Notes et références

Notes

  1. les distinguant des Arabes à leurs côtés, nommés Sarrasins (en latin : Saraceni).

Références

  1. Calpurnius Siculus, Églogue (lire en ligne), p. IV
  2. Richardson 1996, p. 231.
  3. Richardson 1996, p. 232.
  4. Jones 1964, p. 57.
  5. Jones 1964, p. 53.
  6. Jones 1964, p. 52-53.
  7. Jones 1964, p. 55.
  8. Jones 1964, p. 59.
  9. Richardson 1996, p. 292.
  10. Ammien Marcelin (trad. M. Nisard), Histoire de Rome, t. XXVI, Paris, Firmin Didot, (lire en ligne), chap. IV, p. 5
  11. Jones 1964, p. 140.
  12. Jones 1964, p. 183.
  13. Jones, Martindale et Morris 1971, p. 395-396.
  14. Jones, Martindale et Morris 1971, p. 396.
  15. Jones 1964, p. 184.
  16. Jones 1964, p. 197.
  17. Martindale 1980, p. 108.
  18. Jones 1964, p. 203.
  19. Jamil M. Abun-Nasr, A History of the Maghrib (Cambridge Univ., 1971) p. 27, 38 & 43 ; Michael Brett et Elizabeth Fentress, The Berbers (Blackwell 1996) p. 14, 24, 41–54 ; Henri Terrasse, History of Morocco (Casablanca: Atlantides 1952) p. 39-49, esp. 43-44; Serge Lancel, Carthage (Librairie Artheme Fayard 1992, Blackwell 1995) p. 396-401; Glenn Markoe, The Phoenicians, Berkeley, CA: Université de Californie, 2000, p. 54-56.
  20. Jones 1964, p. 260.

Bibliographie

  • (en) John Richardson, The Romans in Spain, Blackwell,
  • (en) Arnold Hugh Martin Jones, The Later Roman Empire, Londre, Basil Blackwell,
  • (en) John Robert Martindale, Arnold Hugh Martin Jones et John Morris, Prosopography of the Later Roman Empire, Volume I,
  • (en) John Robert Martindale, Arnold Hugh Martin Jones et John Morris, Prosopography of the Late Roman Empire, Volume II, Cambridge University Press,
  • (en) Arnold Hugh Martin Jones, The Later Roman Empire 284-602, Oxford, Blackwell,

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