Françoise-Louise de Warens

Françoise-Louise de la Tour, également connue sous les noms de Madame de Warens ou Louise Éléonore de la Tour du Pil (née le à Vevey en Suisse, et morte le [1] à Chambéry, alors dans le duché de Savoie), est une aristocrate, manufacturière, prospectrice de filons miniers, épistolière, espionne et libertine suisse.

Elle est élevée par ses tantes appartenant au mouvement piétiste après la mort de son père au domaine des Bassets, dans un cadre bucolique. Elle y passe une enfance idyllique qu'elle narrera plus tard à Jean-Jacques Rousseau. À la mort de sa tante Louise, elle est envoyée en pension en tant que riche héritière pour y recevoir une éducation soignée. Elle est ensuite mariée par ses tuteurs à l'âge de 14 ans à Sébastien-Isaac de Loys en 1713, avec une dot de 30 000 livres.

Elle fonde une fabrique de soie et de galettes et s'enfuit de Vevey en barque pour Évian en 1726 pour se mettre sous la protection du duc de Savoie et roi de Sardaigne Victor-Amédée II. Elle se jette à ses pieds dans une révérence à la fin de la messe qui la rend célèbre du jour au lendemain. Devenue catholique et convertisseuse après avoir abjuré sa foi protestante, elle recueille dans son domaine des Charmettes Jean-Jacques Rousseau, alors âgé de 15 ans et qui s'est enfui de Genève. Elle devient sa protectrice durant près de 14 ans, assurant son éducation musicale, littéraire et son avenir. Elle entame également une relation amoureuse avec lui en 1732 alors qu'elle est également liée à son secrétaire Claude Anet, qui l'avait suivie dans son exil à Évian. Madame de Warens inspire à Rousseau le personnage de Julie dans son célèbre roman La Nouvelle Héloïse, ainsi que la dixième et ultime lettre de ses Confessions. À la mort de son compagnon et secrétaire, Claude Anet, Rousseau devient son secrétaire.

Elle est, à son arrivée en Savoie, recrutée comme espionne au service du roi de Sardaigne, et mène des missions délicates dont elle rend compte à Turin. Après avoir dirigé et fait prospérer une ferme agricole, suscitant la jalousie et les tracasseries de ses voisins, elle projette d'établir un jardin botanique royal à Chambéry pour y employer Claude Anet, qui est passionné d'herboristerie. Elle s'engage activement dans les affaires et les projets agricoles tout au long de sa vie. Entre 1747 et 1757, elle fonde des sociétés d'extraction minière et d'export de charbon dans le massif du Mont-Blanc avec son compagnon Jean-Samuel Wintzenried, ainsi qu'une manufacture de poterie.

Elle meurt pauvre et ruinée par ses affaires successives dans la poterie et les filons miniers à Chambéry, aux côtés de Jean Danel le à dix heures du soir.

Biographie

Enfance et adolescence à Vevey 1699-1726

La maison Le Castel où nait Françoise Louise de la Tour le 31 mars 1699, située rue du Conseil 23, Vevey, Suisse.

Françoise-Louise de Warens nait le à Vevey[2], une ville située au bord du lac Léman, dans le Pays de Vaud dans le manoir de sa famille, Le Castel. Sa famille appartient à la petite noblesse protestante de la région[3] de la baronnie du Châtelard dans le Vieux-Chablais, réuni au Pays de Vaud sous la domination bernoise[4][5]. Sa mère Jeanne Louise Warnery est une bourgeoise de Morges veuve d'un premier mari, qui apporte une dot conséquente dans son second mariage, somme qui finance l'achat du Castel en . Son père est Jean-Baptiste de la Tour. Il appartient à la noblesse locale, dispose d'un domaine et s'intéresse à la médecine[6]. Françoise-Louise est la dernière née des 4 enfants du couple, et la seule fille. Ses frères jumeaux César et Abraham sont nés en , et Jean Étienne en . La petite fille est baptisée dans l'église Sainte-Claire le par un pasteur protestant.

La famille la Tour

Jean Baptiste de la Tour est l'un des quatre fils de Georges de la Tour, et de Suzanne-Judith de Charrrière, aristocrates du domaine des Bassets à Chailly sur Montreux. Leur ancêtre Uldricus de Turre a obtenu son statut de bourgeois au 14e siècle, mais les quatre frères habitant au domaine des Bassets sont considérés comme des « bourgeois du dehors » (du deuxième cercle) et n'ont pas les mêmes droits que les « bourgeois du dedans » (ou du premier cercle). Ils entament les démarches pour obtenir une lettre de bourgeoisie leur garantissant les mêmes droits politiques et avantages fiscaux que les bourgeois du dedans, et l'obtiennent le en faisant recours[7].

Tradition ancestrale de la pratique de la médecine

Le père de Françoise de la Tour est mège[N 1] de Chailly, c'est-à-dire qu'il est un médecin de campagne disposant d'une formation pratique dans ce domaine, qui soigne à la fois les animaux et les êtres humains. Dans la bibliothèque de la maison familiale des la Tour sont gardés les livres de médecine ayant appartenu à Gamaliel de la Tour, l'arrière grand-père paternel de Françoise de la Tour, qui est diplômé de médecine de l'université protestante de Montpellier. Françoise-Louise de la Tour a ainsi l'occasion de regarder son père pratiquer ce type de médecine, qui requiert la préparation de remèdes en utilisant des cahiers de recettes telles le « cahier Hugonin »[8].

Exemples de femmes ayant fui le mariage arrangé dans la famille

Le père emmène parfois sa fille rendre visite à ses deux marraines, Marie et Suzanne de Blonay, où elle entend parler de la vie romanesque des deux filles du baron Jean-Daniel de Blonay, Marie-Madeleine et Barbe de Blonay. Marie-Madeleine voulant échapper au mariage arrangé par son père, est enlevée par son amoureux, Philippe de Blonay, qui n'est autre que le parrain de la tante de Françoise-Louise. La sœur de Marie-Madeleine, Barbe de Blonay s'enfuit en barque sur le lac avec son amoureux catholique, Jean-François de Blonay Saint-Paul, le baron refusant leur union. La duchesse de Savoie, Christine de France, sœur du roi Louis XIII la prend sous sa protection, et Barbe de Blonay devient sa dame d'honneur[9]. Barbe de Blonay perd son mari assassiné, et arrive à faire saisir les biens de l'assassin. Elle se remarie plus tard avec le seigneur de Lucinge, et donne naissance à un fils[10].

La mère de Françoise-Louise de la Tour, Louise Warnery meurt en 1700 et Jean Baptiste de la Tour se remarie à Marie Flavard, et meurt à son tour en 1709 laissant derrière lui quatre enfants[11].

Le domaine des Bassets

Photo du domaine des Bassets, maison familiale des tantes Violette et Louise de Françoise-Louise de la Tour, démoli en 1889 avec vue sur la galerie du première étage
Photo du domaine des Bassets, maison de famille de Françoise-Louise de la Tour, démoli en 1889, vue de la grange situé à angle droit du bâtiment principal.

Le père Jean-Baptiste confie ses trois enfants, César, Abraham et Françoise-Louise à ses deux sœurs célibataires, Louise et Violente de la Tour. Jusqu'ici les enfants ont vécu à Vevey, et ils déménagent à la campagne dans le domaine des Bassets[12]. C'est de ce domaine que s'inspirera Rousseau bien des années plus tard, le choisissant comme le lieu des évènements de son roman La Nouvelle Héloïse, situé dans la baronnie du Châtelard du bailliage de Chillon Vevey. Le domaine agricole à l'époque de la jeune fille comporte des prés, des vignes, des vaches et 13 ruches. Le domaine a été acquis par l'ancêtre Uldricus de Turre de Chally, bourgeois de Vevey en 1382, et s'étend des rives du lac aux vignobles et pâturages. La maison est construite par son fils Nicodus. Une famille de 11 générations jusqu'à Françoise-Louise de la Tour se succèdent, dont les noms sont enregistrés dans les registres paroissiaux comme bienfaiteurs de l'Église Saint Martin. Dès la réforme, leurs noms inscrits en latin se francisent[13].

Parmi les ancêtres de Françoise-Louise de la Tour, Pierre de la Tour, de la 8e génération devient baron, ce qui l’exonère des prestations féodales. La famille de Françoise-Louise de la Tour est donc constituée de ce que l'on nomme le « deuxième cercle » de la haute société locale. Les bourgeois de Berne et les membres de la maison de Blonay constituent le « premier cercle » et occupent les charges prestigieuses, levant les impôts, et faisant justice. La fonction la plus prestigieuse en Pays de Vaud est exercée par le bailli de Lausanne, qui fait fonction de collecteur d'impôts, juge, et chef de la police et est tiré au sort ou choisi parmi les bourgeois du conseil des Deux-Cents[13].

Françoise-Louise de la Tour et ses frères s'établissent dans la maison dite des demoiselles de La Tour, les deux sœurs de Jean-Baptiste qui ne se sont jamais mariées. Loïse Clément-Grandcourt, qui loua le domaine pour y établir un pensionnat de jeune filles entre 1841 et 1844 écrit dans une lettre du [3] :

Cette maison vaste, commode, qui a l'air d'un vieux château, domine une allée de noyers qui descend jusqu'à la baie de Clarens et jouit d'un vue magnifique à faire crier[14].

Jean-Jacques Rousseau s'étant inspiré du domaine des Bassets et de Madame de Warens pour écrire son célèbre roman, Julie ou la Nouvelle Héloïse, il est possible d'avoir une idée de la maison en se référant à ses textes.

« Il y a au premier étage une petite salle à manger différente de celle où on mange ordinairement au rez-de-chaussée. Cette salle particulière est à l'angle de la maison et éclairée des deux cotés. Elle donne par l'un sur le jardin au-delà duquel on voit le lac à travers les arbres, par l'autre on aperçoit un grand coteau de vigne qui commence d'étaler aux yeux les richesses qu'on y recueillera dans deux mois »[15][14].

L'éducation de Madame de Warens par ses tantes

Ses tantes lui prodiguent une éducation bourgeoise malgré leur statut d'aristocrates, lui apprenant à coudre, filer, tisser et faire de la dentelle, ainsi qu'à tenir un domaine et un ménage. L'éducation religieuse est assurée à domicile dans une tradition piétiste. L'évangile est lu dans le salon, et les fidèles de cette mouvance se rassemble autour de François Magny. Louise et Violette de la Tour sont à une reprise convoquées devant le consistoire de Vevey, pour répondre à des questions.

Elles transmettent à leur filleule une façon d'associer Dieu à la nature, et de sentir sa présence dans les éléments naturels, professant une indifférence aux statuts sociaux ainsi qu'une bienveillance envers leurs prochains, avec la volonté de soigner leurs maux. Ainsi la petite fille a-t-elle pour amies la fille d'un maçon du domaine, Fanchette Cochard[16].

Les tantes retiennent des traditions aristocratiques le nécessaire juridique pour l'administration de leur domaine : droits et devoirs seigneuriaux, dîmes, lods, droit de champart etc... On leur a recommandé de ne pas se lancer ni dans les affaires, ni dans les procès. Françoise-Louise de la Tour est une élève douée, et à l'âge de huit ans elle a fini de lire tous les livres de la bibliothèque familiale. Elle s'intéresse en particulier aux livres où il est question de religion[17].

Marie Flavard écrit à sa sœur le 8 janvier 1708 pour dire combien les tantes, et surtout Louise de la Tour ont su avec talent faire l'éducation de la petite fille[17]. La même année, alors que Françoise-Louise de la Tour a 9 ans, sa tante Louise décède, et son autre tante Violette vend le domaine des Bassets à son frère pour aller s'installer à Yverdon chez son autre sœur Madeleine. Françoise-Louise retourne chez son père à Vevey, où vivent ses deux demis frères nés de la nouvelle union de son père avec Marie Flavard, ainsi que son propre frère Abraham, qui meurt à son tour. Son père, Jean-Baptiste de la Tour meurt d'une hydropisie en octobre 1709, et Marie Flavard accouche d'une petite fille morte née. Marie Flavard décide alors de retourner aux Bassets avec les trois enfants survivants des 8 enfants de Jean-Baptiste de la Tour. Ce dernier lègue à ses enfants tous ses biens de façon égalitaire, et nomme deux oncles tuteurs pour Françoise-Louise de la Tour, Gamaliel de la Tour et David Ancel[18].

En 1710, Françoise-Louise de la Tour devient marraine d'une petite fille, Françoise-Marie de la Tour, fille de Rose de la Tour, avec laquelle elle noue des liens similaires à ceux qu'elle avait avec sa tante Louise de la Tour[18].

Séjour à la pension Crespin

L'entente avec sa belle-mère n'étant pas parfaite, ses tuteurs décident de l'envoyer en pension chez Bénigne Artaud (Mme Crespin) à Lausanne[3], et elle quitte le domaine des Bassets en 1711 définitivement. Mme Crespin appartient à la mouvance piétiste et est un temps menacée d'expulsion par le petit conseil. La situation de Françoise-Louise de la Tour est celle d'une héritière aisée, car elle est seule héritière après le décès de ses frères des biens de sa mère, et héritière du tiers de l'héritage laissé par son père. Elle jouit donc d'une éducation soignée que permet sa fortune personnelle, le prix de sa pension chez Madame Crespin se montant à 200 livres suisses[19][20][21]. Elle montre plus d'aptitudes pour les chiffres que les lettres, éprouvant de la difficulté à apprendre les règles de la langue française. Elle apprécie les cours de clavecin de Mlle Chavannes, cours pendant lesquels elle se noue d'amitié avec une autre pensionnaire, Mlle Lafond, qui est la fille de réfugiés français. Françoise-Louise lui parle de son ancêtre Barbe de Blonay, et Mlle Lafond de son envie de voyager à Turin et Paris[22].

Négociations du contrat de mariage entre les deux familles

Pour son malheur, elle représente avec sa fortune un beau parti, mais ses parents ne sont plus là pour la protéger. Ses tuteurs négocient mal son contrat de mariage, n'ayant que peu d'intérêts à lui trouver le meilleur parti. En 1713, on lui fait rencontrer un prétendant, Sébastien-Isaac de Loys, né le 28 juillet 1688 à Lausanne, fils d'Esther de Lavigny, dame de Vuarens et de Jean de Loys, chef fortuné de la famille des Villardin. Sébastien de Loys fait des études, puis est envoyé à Lucerne pour apprendre l'Allemand. Il intègre ensuite le régiment suisse de Portes et devient enseigne du Duc de Savoie. Devenu officier, il est envoyé en Russie par le Roi de Suède. Il devient également bourgeois de Lausanne et membre du conseil des Deux-Cents. En 1712 il est nommé capitaine d'une troupe d'élite directement sous l'autorité de Leurs Excellences de Berne. L'officier écrit dans ses carnets de raison[23],[3] :

« Au commencement de 1713, M. de Villardin fit connaitre à son fils qu'il souhaitait le voir rechercher en mariage Mlle de la Tour. Bien que M. de Loys se songeat pas beaucoup à changer d'état, il regarda le conseil comme un ordre et fit connaissance avec la demoiselle qu'il n'avait vue auparavant. S'étant épris d'elle d'une violente passion, il se montra résolu, de sorte que son père, M. de Villardin, se rendit à la Tour-de-Peilz pour demander à Gamaliel de la Tour. »

Une lettre anonyme écrite de Londres en 1712 figurant dans les archives de Loys indique peut-être que Sébastien-Isaac de Loys avait une liaison avec une femme francophone à Londres. Sébastien-Isaac de Loys paraphe en effet de sa main en 1726, après la fuite de Madame de Warens à Évian cette lettre, indiquant que la lettre lui a été écrite par une dame à laquelle il aurait du vouer sa vie[24]. Il est probable selon Anne de Noschis, que le père de Sébastien-Isaac de Loys ait voulu contrer les intentions de ce dernier de se marier avec une femme sans fortune à Londres, en entamant des démarches pour que son choix se porte sur une riche héritière orpheline, avec une dot conséquente de 30 000 livres. La première version du contrat de mariage est rédigé le 22 mars 1713 par un notaire de Lausanne, et les deux oncles de l'orpheline demandent que le domaine de Vuarens et ses terres constituent la dot du jeune marié. La deuxième version rédigée le 18 avril 1713 contient cette clause[25], mais le jour où elle est présentée, l'oncle et tuteur Gamaliel de la Tour est absent pour maladie, et David Ancel, l'autre tuteur est soit absent soit ne signe pas l'acte. Or le deuxième alinéa du contrat stipule [26]:

En vue duquel mariage ladite noble Françoise-Louise de la Tour se constitue audit noble Sébastien-Isaac de Loys, son cher époux, avec tout ses biens échus, desquels ledit noble époux aura la jouissance pendant sa vie[N 2]

Les droits de jouissance des biens de l'orpheline sont immédiatement transmis à son mari au titre de l'alinéa 2 du contrat, et en tant que propriétaire seule demeure à Madame de Warens la possibilité de tester. Pour elle sont prévus cinquante petits écus par année, ainsi que 300 livres pour l'achat de vêtements et joyaux, joyaux qu'elle a l'obligation contractuelle de transmettre à ses enfants. La seule obligation du mari, prévu à l'alinéa 5, est un engagement futur à une augmentation de dot de 8 000 livres, engagement que Sébastien-Isaac de Loys ne tiendra pas, car son père ne lui transférera jamais la propriété des terres de Vuarens. Ainsi les termes du contrat fixent-ils la fortune des époux : Sébastien-Isaac se retrouve maitre de 50 000 livres, dont 30 000 provenant de sa femme, et 20 000 de son propre père, que celui-ci s'engage à verser[27].

Le 29 avril 1713 Gamaliel de la Tour signe sans broncher la procuration, mais le deuxième tuteur, David Ancel d'Yvonand voit le problème de l'engagement de verser 20 000 livres dans le futur et non pas immédiatement, et refuse de signer. Il intente même un procès à Gamaliel de la Tour pour faire annuler le contrat. Gamaliel étant malade. il envoie son fils aux audiences du tribunal. Les disputes entre les deux représentants légaux de l'orpheline sont telles, que les juges finissent par leur retirer la tutelle, qui est confiée à François Magny. À ce moment Gamaliel de la Tour meurt et son fils Jean-Baptiste, époux de Rose de la Tour (mère de la filleule de Françoise de la Tour) reprend la direction de la famille. François Magny se rend à Neuchâtel afin de convaincre David Ancel de signer et parvient à ses fins[28].

Le père de Sébastien-Isaac de Loys le convoque alors juste avant le mariage pour lui faire signer une attestation selon laquelle il abandonne tous ses droits sur la terre de Vuarens. Le jeune marié demande alors tout de même le droit de pouvoir porter le nom. On ne sait à ce jour pas pourquoi le père de Sébastien-Isaac de Loys le désavantage ainsi dans la succession, puisqu'il était d'après la loi seul héritier de l'héritage de sa défunte mère, et qu'il dote par contre les enfants de son second mariage[29].

De part son statut et sa fortune, Françoise-Louise de Loys pouvait prétendre à un meilleur parti parmi les bourgeois du premier cercle, alors que Sébastien Isaac de Loys est un homme au final sans dot, et issu du deuxième cercle. Sa condition de riche héritière orpheline lui vaut d'être la cible des concupiscences, sans que ses parents puissent la protéger[30].

Mariage

Le château de Vullierens en 1744. en 1713 s'y tient la réception du mariage de Françoise-Louise de la Tour et Sébastien-Isaac de Loys.
Photo de 2016 du château de Vuillerens.

Le [11], âgée de 14 ans, elle épouse Sébastien Isaac de Loys (1688-1754)[31],[32] à Lausanne et devient baronne de Warens (ou orthographié Vuarrens), du nom d'une propriété du père de son mari près de Vevey[33]. La réception se tient au château de Vullierens, chez Gabriel-Henri de Mestral, oncle de Sébastien-Isaac de Loys[3].

On n'a pas de détail sur la nuit de noce. On sait que la mariée est âgée de 14 ans, et que son éducation à la campagne lui a certainement donné une notion du coït des animaux. On sait juste que les époux font chambre à part, ce qui n'est pas anormal pour l'époque, et que Madame de Warens souffre fréquemment de « vapeurs », qui à cette époque sont décrites comme des affections hystériques et mélancoliques[34]. Rousseau dans ses confessions parle tout de même d'un mariage malheureux[35][36].

Le couple s'installe au Castel, la maison de Madame de Warens à Vevey. Elle comporte 11 pièces, et ils ont à leur disposition 3 domestiques, une servante, une cuisinière et un valet affecté au service personnel de Sébastien-Isaac de Loys. Le couple se rend également dans ses autres demeures à Lausanne et au domaine des Bassets, où Madame de Warens continue d'assurer la direction des vendanges du domaine des Bassets. Elle fonde une manufacture de bas de soie et d'armature de chapeau (galettes) en 1725 à Vevey. La manufacture fait faillite l'année suivante[37],[38].

Fuite à Évian

Le , alors qu'elle a 27 ans, elle s'enfuit de Vevey pour se rendre à Évian sous le prétexte de prendre les eaux, emmenant avec elle un dénommé François Canet. Elle devient célèbre lorsqu'au cours d'une messe elle se jette aux pieds du roi de Sardaigne Victor-Amédée II à la fin de sa révérence, pour lui demander protection et subsistance. Le roi fait alors atteler une voiture pour l'envoyer à Annecy[39].

Elle se convertit au catholicisme au monastère de la Visitation, abjure entre les mains de Mgr Bernex l'évêque de Genève-Annecy, et perçoit dès lors une pension de 1500 livres du Roi de Sardaigne[40] [41]et des évêques de Maurienne et d'Annecy[42]. À ce moment, elle ajoute à son nom celui d'Éléonore[32][43]. Elle est chargée d'accueillir les fugitifs protestants de Genève et de Berne souhaitant se convertir et de les envoyer à Turin[42]. L'évêché lui octroie le statut de convertisseuse et elle s'installe dans sa demeure[44], rue de l'Évêché. Le Roi lui demande de porter le titre de baronne de son ancêtre Pierre de la Tour, et elle se fait connaitre comme « Baronne de Warens » ou « Baronne de Voiran »[13].

Le 26 septembre 1726 elle fait une donation de tous ses biens à son mari venu lui rendre visite au monastère de la visitation à Annecy. L'acte établi devant notaire est signé en présence de Gaspard de Lambert, Joseph Faure, premier et second syndics d'Annecy-le-Vieux, les révérends François Chabod et Amédée Montillet, maître François Chovest, praticien, bourgeois d'Annecy. Son mari en contrepartie lui assure le versement de 1000 livres[45].

Elle fait annuler son mariage en [46].

Ses biens sont confisqués et remis à son mari en tant que gestionnaire par le Sénat de Berne. Le consistoire suprême de Berne acte le divorce en 1727[37].

Rencontre avec Jean-Jacques Rousseau à Annecy

Madame de Warens et le jeune Rousseau, illustration tirée d'une édition des Confessions de Rousseau
Première rencontre avec Madame de Warens par Steuben (1830) à Annecy.

Elle accueille chez elle Jean-Jacques Rousseau, alors un jeune apprenti âgé de 15 ans qui s'est enfui de Genève[47], où il était battu par son maître Abel Ducommun[40], le [48],[11]. Il écrit dans Les Confessions plus tard relatant cette rencontre :

« Que devins-je à cette vue ! Je m’étais figuré une vieille dévote bien rechignée ; la bonne dame de M. de Pontverre ne pouvait être autre chose à mon avis. Je vois un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant, le contour d’une gorge enchanteresse. Rien n’échappa au rapide coup d’œil du jeune prosélyte ; car je devins à l’instant le sien, sûr qu’une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener en paradis[40]. »

Activités d'espionnage

Extrait de la renonciation faite par Victor-Amedee II roi de Sardaigne (1666-1732), en faveur de son fils, le prince Charles-Emmanuel, son fils.

On sait que pour rendre compte de ses activités au roi de Sardaigne, Victor-Amédée II, elle se rend régulièrement à Turin, ou elle côtoie une cours aristocratique vivant dans de luxueux palais, assistant aux fêtes somptueuses où elle est reçu avec joie.

Le roi de Sardaigne Victor-Amédée II l'a engagée comme espionne parce qu'il projette l'invasion de la Suisse Occidentale. Madame de Warens se rend à Paris en 1730 avec Claude Anet[49] et Bernard-Paul Regard, Seigneur d'Aubonne. Durant ce voyage, elle fait réaliser un portrait par le peintre Nicolas de Lagillière. Elle se brouille avec Regard, et quitte Paris précipitamment, suscitant la méfiance de tous cotés, pour aller rendre compte au roi de Sardaigne. Le roi cependant se marie et Il abdique en faveur de son fils le , et se retire au château de Chambéry[50]. Déçu par le début de règne de son fils, il tente de reprendre la couronne, mais est ensuite assigné à résidence par son fils.

En septembre 1730, Madame de Warens est assignée à résidence à Rumilly[3].

Rousseau, pendant ce temps part seul visiter Vevey, afin de mieux connaitre les terres natales de Madame de Warens :

«Je pris pour cette ville un amour qui m’a suivi dans tous mes voyages, et qui m’y a fait établir enfin les héros de mon roman»[3].

Ce voyage lui sert pour l'écriture de son roman La Nouvelle Héloïse[38], où il décrit par le menu le domaine des Bassets où Françoise-Louise de la Tour a passé son enfance[14]. Rousseau indique dans ses Confessions la raison du voyage de Madame de Warens à Paris qui lui est donnée par l'intéressée elle-même :

Tout ce que j’ai cru entrevoir dans le peu qu’elle m’en a dit est que, dans la révolution causée à Turin par l’abdication du roi de Sardaigne, elle craignit d’être oubliée, et voulut, à la faveur des intrigues de M. d’Aubonne, chercher le même avantage à la cour de France, où elle m’a souvent dit qu’elle l’eût préféré, parce que la multitude des grandes affaires fait qu’on n’y est pas si désagréablement surveillé. Si cela est, il est bien étonnant qu’à son retour on ne lui ait pas fait plus mauvais visage, et qu’elle ait toujours joui de sa pension sans aucune interruption. Bien des gens ont cru qu’elle avait été chargée de quelque commission secrète, soit de la part de l’évêque, qui avait alors des affaires à la cour de France, où il fut lui-même obligé d’aller, soit de la part de quelqu’un plus puissant encore, qui sut lui ménager un heureux retour[36].

Chambéry 1731-1735

À son retour de Paris et Turin en 1731, Madame de Warens s'installe à Chambéry dans la maison du comte de Saint Laurent, intendant des finances[51]. Elle s'installe là bas car l'intendant est chargé de lui verser la pension du roi de Sardaigne, tâche dont il s'acquitte continuellement en retard, et elle pense avec justesse qu'en lui louant sa maison, il sera obligé de la payer[52]. Elle s'y installe aussi pour défendre ses intérêts, afin de ne pas être desservie, selon Rousseau dans ses Confessions[36].

Ménage à trois avec Claude Anet

Lorsque Madame de Warens déménage à Chambéry avec son compagnon, Claude Anet, Rousseau les rejoint, après avoir cherché «Maman» partout. Il est en effet allé à Annecy la retrouver pour s'apercevoir qu'elle était partie pour Paris. Une de ses amies lui indique l'adresse où elle se trouve à Chambéry et il l'y rejoint. Cependant Madame de Warens vit avec Claude Anet une relation secrète, dont Rousseau ne prendra connaissance que lorsque ce dernier, à la suite d'un mot dur de Madame de Warens tente de mettre fin à ses jours en avalant le contenu d'un flacon de laudanum. Rousseau de son coté devient l'amant de Madame de Warens qui souhaite l'initier à l'amour en 1732 à l'âge de 20 ans. Les trois vivent sous le même toit une relation difficile mais que Rousseau qualifiera en ces termes dans ses Confessions, déclarant nouer une solide amitié avec Anet [36]:

Ainsi s’établit entre nous trois une société sans autre exemple peut-être sur la terre. Tous nos vœux, nos soins, nos cœurs étaient en commun ; rien n’en passait au-delà de ce petit cercle. L’habitude de vivre ensemble et d’y vivre exclusivement devint si grande, que si, dans nos repas, un des trois manquait ou qu’il vînt un quatrième, tout était dérangé, et, malgré nos liaisons particulières, les tête-à-tête nous étaient moins doux que la réunion[36].

Activités de Madame de Warens à Chambéry
Madame de Menthon découvrant la gorge de Madame de Warens pour mettre au jour le rat censé être caché là selon Rousseau, illustration pour une édition des Confessions

Outre son rôle d'espionne, Madame de Warens est une femme active qui multiplie les projets et les mondanités. Toujours passionnée de botanique, elle décide de fonder un jardin des plantes royales à Chambéry, afin d'y employer Clade Anet, qui est également herboriste. Elle pratique la chimie empirique à l’hôtel Costa de Beauregard et cherche à s'entourer de personnes entrepreneuses et brillantes, intellectuelles, prêtres, hommes d'affaires. Elle les reçoit chez elle, les invite à dîner et donne des concerts et des spectacles, rend visite à Mme de Menthon en été dans son château[3].

Claude Anet, envoyé chercher du génépi au mois de mars 1734 en montagne, finit par mourir d'une pneumonie. Rousseau prend sa place en tant que secrétaire[3].

Les Charmettes 1735 - 1740

redresseLa maison Les Charmettes où Jean-Jacques Rousseau a vécu avec Mme de Warens
Chambre de Madame de Warens aux Charmettes

Après avoir cherché quelque temps une maison à la campagne, Madame de Warens et Rousseau s'installent en 1735 au domaine des Charmettes près de Chambéry, que Madame de Warens loue au capitaine Noëray[3].

Avant cela, ils habitent la maison de Madame Revil, et celle de Mr de Conzié, qui devient leur ami[53].

Un bail de est signé le 6 juillet 1738. Ce faisant, Madame de Warens succède dans les lieux à Pierre Renaud, procureur de Savoie, qui par la suite lui rend la vie pénible au possible par jalousie.

Séjour de Rousseau et essai sur les femmes

Rousseau séjourne chez elle aux Charmettes[54] entre et [55]. Elle assure alors son éducation tant spirituelle, philosophique, musicale, artistique que sentimentale, à tel point qu’il ne l’oubliera jamais (il l'appelle « Maman »). Rousseau découvre son attrait pour la littérature à ce moment, lit beaucoup, et étudie avec assiduité. C'est là qu'il rédige son poème intitulé Le Verger des Charmettes[56],[57], une prestation remarquée par François-Joseph de Conzié et Madame de Warens[58]. À la suite de ce poème il est décidé que Rousseau a des compétences en littérature et pourrait devenir écrivain. Rousseau et Madame de Warens réfléchissent sur les thèmes qu'il pourrait aborder, et la question de l'inégalité et de la servitude dans laquelle les hommes maintiennent les femmes surgit dans leurs discussions. Rousseau rédige alors deux pages intitulées Sur les femmes, discutant des causes fondant les inégalités entre hommes et femmes, et passent en revue les femmes illustres de l'histoire : Didon, Lucrèce, Jeanne d'Arc. Ce texte peut être considéré comme un prélude au Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, mais si Rousseau n'a pas encore dans ce texte élaboré les clefs d'analyse des concept de nature et culture il s'y positionne en reconnaissant les injustices faites aux femmes[59].

Texte de Jean-Jacques Rousseau sur les femmes, écrit alors qu'il résidait aux Charmettes avec Madame de Warens en 1735.

Considérons d'abord les femmes privées de leur liberté par la tyrannie des hommes, et ceux-ci maîtres de toutes choses, car les couronnes, les charges, les emplois, le commandement des armées, tout est entre leurs mains, ils s'en sont emparés dès les premiers temps par je ne sais quel droit naturel, que je n'ai jamais bien pu comprendre et qui pourrait n'avoir d'autre fondements que la force majeure[59][60],[61].

L'influence de Madame de Warens sur les conceptions de Rousseau se fait sentir, par exemple l'idée selon laquelle les femmes influencent les évènements historiques. S'il ne continue pas à travailler sur ce thème c'est parce qu'il pense que le thème a déjà été abordé de nombreuses fois. On sait toutefois qu'il collabore par la suite à un projet de livre prenant la défense du rôle des femmes de Louise Dupin[62].

Entre 1740 et 1742, Rousseau travaille comme précepteur à Lyon. Il quitte les Charmettes, où il vit seul et mortifié les derniers temps pour se rendre à Paris en 1742 présenter ses travaux sur les annotations musicales.

Exploitation du domaine agricole des Charmettes

Madame de Warens administre ses terres agricoles mais la tâche est ardue et Rousseau ne lui étant d'aucune aide sur ce plan (il peine à tenir les finances et se montre trop faible pour les travaux agricoles) elle embauche un jeune contremaitre, Jean-Samuel de Wintzenried, dit chevalier de Courtille, dont elle s'éprend[63]. L'exploitation agricole prend le l'ampleur et Madame de Warens débute une liaison avec Wintzenried dès 1737[3].

Le 17 juin 1742 Madame de Warens écrit au comte de Saint Laurent, intendant général des finances pour se plaindre des vols et des tracasseries perpétuées par la famille de Pierre Renaud sur ses terres. Elle écrit par exemple qu'il mène des chasseurs et des chiens dans ses prés en fleurs, que sa femme envoie sa servante faire « des fassines sur mon fond  »[64], et qu'elle incite des gens du faubourg à en faire autant. Ainsi trouve-t-elle un homme du faubourg occupé à couper son bois... Ou encore, en l'absence du propriétaire, l'accès à l'eau pour les bestiaux est bouché de pierres[52], et il installe des « passoërs »[N 3] pour interdire l'accès aux chemins, rendant difficile l'accès aux champs[65].

Pour Albert Metzger les années aux Charmettes furent des années difficiles à bien des égards en raison de ces tracasseries[52].

Exploitations minières à Chambéry

Madame de Warens revient s'installer à Chambéry en 1742 et y passe ses dernières années. Elle se lance dans l'exploitation de gisements miniers à Sallanches en 1745, car sa pension du roi de Sardaigne est suspendue à la suite de l'occupation de la Savoie par l'Espagne. Elle fonde les Mines de la Haute Maurienne, produit des casseroles en fonte et des marmites à récupération de chaleur.

En 1745 sa belle-mère, Marie de la Tour meurt, et Madame de Warens retourne à Vevey pour récupérer une partie de son héritage.

Voyage à Rome fait en 1824 et 1825, par Pierre Lacour fils : Les Charmettes, chambre de Mlle de Varins et tableau avec portrait présumé, 1825.

Elle poursuit ses affaires industrielles de 1747 à 1757[66]. Ses affaires marchent si bien qu'elle envoie des lingots d'or à ses amis pour Noël[63].

Entre 1751 et 1752, s'associant à Jean-Samuel Wintzenried, elle fonde une fabrique de poterie, et la Compagnie des charbonniers exploitant des «charbons fossiles» dans le duché de Savoie. En 1952 leur est accordé le privilège exclusif de recherche et excavation du charbon de pierre et de terre (trouille) dans le comté de Savoie. Ils s'associent à Msgr Bérard et de la Courbière de Genève pour avoir les fonds financiers nécessaires à l'excavation à Arraches, dans le Faucigny, mais les résultats ne sont pas probants. Des démarches sont entreprises pour écouler 15000 quintals de charbon d'Arrache à Genève, mais il ne reçoivent pas l'autorisation de le faire par la voie des eaux.

Ses affaires périclitent et elle est poursuivie en justice[37].

Ruine et fin de vie

Lieu de décès de Mme De Warens en 1962

Rousseau lui rend visite avec sa femme, Thérèse Levasseur en juin 1754 à Chambéry, et en août 1754 à Grange Canal près de Genève. Il se dit alors frappé par sa déchéance (elle a 55 ans) [67] : et complètement ruinée, et usée avant l’âge.

Elle tombe gravement malade en 1756 et écrit le 7 février au baron d'Angeville qu'elle souffre de douleurs de gouttes dans tous les membres et a les pieds et les enflées. Le 27 septembre 1757 elle est obligée de résilier l'achat d'une maison fait à Évian en 1755 à Jean-François Joudon, où elle comptait se retirer, faute de moyens pour honorer le paiement, et ceci à son désavantage puisque qu'elle doit verser une somme de 415 livres pour dommages et intérêt, qui sont pris sur la pension que lui verse le roi de Sardaigne à la trésorerie de Chambéry[68].

De son coté Samuel Jean de Courtille essaie de trouver un emploi d'assesseur auprès du gouvernement pour subvenir à ses besoins. À la suite de la destitution de Madame de Warens des mines de la Haute Maurienne, il perd son emploi de contrôleur et inspecteur qu'il a tenu durant trois ans dans l'entreprise quand Thoring est nommé directeur général. Une pension de 600 livres par an lui est versé dès le 1er juillet 1952 jusqu'en 1758, date à laquelle devait se terminer son contrat. Dans une lettre de 1756 qui est censée louer ses bons services, on apprend qu'il est marié depuis 1752 à la fille d'un Mr Bergonsi, de Moutiers. Le dernier acte notarié de la baronne de Warens lui accorde une pension de 100 livres et une somme de 1 755 livres en échange de la cession de tous les droits sur les mines dont il fut l'associé.

Elle meurt dans une maison du faubourg Nezin à Chambéry le 29 juillet 1762[37]. Ses funérailles ont lieu le 30 juillet 1762 à l'Église de Lémenc à Chambéry[3]. Jean Danel, son homme d'affaires genevois qui partageait alors sa vie paie les frais d'enterrement[68].

Après son retour d’Angleterre en , Rousseau tente de reprendre contact avec elle, et découvre qu’elle est décédée.

Sa tombe subsiste longtemps et des visiteurs en rendent compte[68](p262), puis ses ossements sont transférés de Lemenc au cimetière de la ville dans une fosse commune, sans doute avant 1864[68](p264).

Œuvres

Épistolière, Madame de Warens est l'auteure incontestée de lettres Nouvelles Lettres de Mme de Warens sur Gallica ; ses Mémoires et Pensées sont controversées[69].

Postérité et hommage

Plaque commémorative de Madame de Warens à Vevey à l'emplacement de sa maison natale, oû elle vécut avec son mari Sébastien de Loys
Plaque commémorative Décès de Mme de Warens
Avenue De-Warens, Genève.
Pages du manuscrit de la Nouvelle Heloise de Jean-Jacques Rousseau.

Rousseau lui rend hommage 50 ans après l'avoir rencontré en 1778, alors qu'il est vieux et malade dans les dernières pages qu’il ait écrites, la « Dixième promenade » des Rêveries du promeneur solitaire. Le personnage de Julie de son roman La Nouvelle Héloise est inspiré par elle.

L'Avenue de Warens à Genève porte son nom.

Jules Michelet écrit « Le génie de Rousseau naquit de Madame de Warens »[40].

Françoise Lambert, conservatrice du Musée de Vevey, est d'avis que la ville de Vevey n'aimait pas Madame de Warens, mais qu'elle lui doit beaucoup, puisqu'avec le succès du livre La nouvelle Héloïse de Rousseau, les premiers touristes anglais sont venus en visite à Vevey, donnant plus tard naissance à la Riviera, secteur touristique de Vevey au bord du lac. Le musée de Vevey a consacré une exposition à Madame de Warens à la suite de la sortie du livre de Anne Noschis[63].

Historiographie

Amédée Doppet, biographe de Madame de Warens
L'alchimiste amoureux de Madame de Warens, extrait des Mémoires, dans le Conteur Vaudois, 13 février 1904. Ces Mémoires ne sont pas d'elle.

La notoriété de Rousseau et son évocation des années passées aux côtés de Madame de Warens inscrivent la description de sa vie dans la culture littéraire française, tout en passant sous silence les années de son enfance et ses activités de femme d'affaires, alors que la période la plus faste de sa vie se situe entre 1747 et 1757 lorsqu'elle se lance dans l'exploitation minière.

Amédée Doppet publie des fausses mémoires en 1785 sans doute dans l'espoir de se faire connaitre comme Rousseau, en alléguant avoir retrouvé le bréviaire de Madame de Warens, mais Albert Muntger dans son livre dès 1888 dément ces affirmations[70].

En 2012 l'historienne Anne Noschis publie une biographie complète de Madame de Warens retraçant tout son parcours, de son enfance à Vevey en mettant l'accent sur ses réalisations personnelles[71],[63],[72].

Notes et références

Notes

  1. Un mège, ou « meige » est un médecin guérisseur ou rebouteux, voir https://fr.wiktionary.org/wiki/meige#fr-nom-1
  2. Abordant le chapitre de la pension Crespin dans son livre sur la vie de Madame de Warens ainsi que la négociation de son contrat de mariage, l'historienne Anne Noschis cite les propos de Simone de Beauvoir "La femme a toujours été donnée en mariage à certains mâles par d'autres mâles". Selon l'historienne, l'alinéa 2 du contrat de mariage de Françoise-Louise de la Tour en est l'illustration parfaite.
  3. «Passoërs» semble être un mot de franco provençal savoyard issue de la variation locale de peyssiere qui selon le dictionnaire étymologique et historique du galloroman voir en ligne ici en recherchant la page 97 https://lecteur-few.atilf.fr/index.php/page/lire/e/189551 est un barrage composé d'une double rangée de pieux entre lesquels on bourrait des fascines fraiches et du sable et qui en Alyon est utilisé entre 1363 et 1421.

Références

  1. Les confessions, de Jean-Jacques Rousseau, éd. intégrale publiée sur le texte autographe conservé à la Bibliothèque de Genève, précédée d'une introduction et suivie de notes et d'un index, Publié par Garnier frères, 1930, note no 135, page 240 (lire en ligne), consulté le .
  2. Albert Gonthier, Montreux et ses hôtes illustres, Cabedita, , 181 p. (ISBN 978-2-88295-267-7), p. 19, voir et les notes de l'édition Folio 186 : par Silvestre de Stacy, Les Rêveries du promeneur solitaire, Paris, Gallimard, , 277 p. (ISBN 2-07-036186-1), p. 167.
  3. Musée, p. 1.
  4. Albert de Montet, Madame de Warens et le pays de Vaud, Lausanne, Georges Bridel et Cie, , 275 p. (lire en ligne)
  5. Montet, p. 1.
  6. Noschis, p. 45.
  7. Noschis, p. 46.
  8. Noschis, p. 57.
  9. Noschis, p. 58.
  10. Noschis, p. 65.
  11. François Mugnier, Nouvelles lettres de Madame de Warens : Suisse et Savoie, 1722-1760, (lire en ligne), xx
  12. Noschis, p. 50.
  13. Noschis, p. 51.
  14. Noschis, p. 53.
  15. Jean-Jacques Rousseau, Julie ou La nouvelle Héloïse, éd. Garnier-Flammarion, coll. GF Flammarion, 1967, (ISBN 2-08-070148-7, lire en ligne), partie V, Lettre II à milord Edouard, p. 410
  16. Noschis, p. 59.
  17. Noschis, p. 60.
  18. Noschis, p. 61.
  19. Albert de Robarts - University of Toronto, Madame de Warens et le pays de Vaud, Lausanne : G. Bridel, (lire en ligne)
  20. Montet, p. 23.
  21. Noschis, p. 63.
  22. Noschis, p. 66.
  23. Charlotte Hermann, « Monsieur de Warens », sur Vibiscum | Association des Amis du Vieux Vevey, Vibiscum, Annales Veveysannes, (consulté le ), p. 139-140
  24. Noschis, p. 69.
  25. « P Loys 2425 Contrat de mariage entre noble Sébastien Isaac Loys, fils de noble Jean de Loys, seigneur de Villardin, et d'Ester de Lavigny, et noble Louise Françoise de la Tour, fille de feu Jean Baptiste de la Tour, bourgeois de Vevey et de Jeanne Louise Varnery. \ L'épouse se constitue avec tous », sur Inventaires des Archives cantonales vaudoises (consulté le )
  26. Noschis, p. 71.
  27. Noschis, p. 72.
  28. Noschis, p. 74.
  29. Noschis, p. 75.
  30. Noschis, p. 82.
  31. « Sébastien Isaac de Loys, de retour d'un voyage à l'étranger, approuvent les ventes - notamment celle de la terre de Vuarrens - qui ont été faites par Daniel et Charles Guillaume de Loys pour payer ses créanciers dans le Pays de Vaud. Devant se rendre incessamment à l'étranger, il prie ces deux personnes de mener à chef cette liquidation (1728 novembre 4. Vullierens) », sur Inventaires des Archives cantonales vaudoises (consulté le ).
  32. Chloé Guérout, « Chambéry. Madame de Warens, la « maman » de Rousseau », Le Dauphiné libéré, (lire en ligne).
  33. William Acher, « Points de repère pour la Genève de Madame de Warens 1725-1745 », p. 139, in "Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, Société d'émulation du département des Vosges, Table des tomes I-XXXV, 1905-1962 (lire en ligne).
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  62. Meike Knittel, « Les femmes privées de leur liberté par la tyrannie des hommes - Schweizerische Gesellschaft für die Erforschung des 18. Jahrhunderts (SGEAJ - SSEDS) » (consulté le )
  63. « Premier amour de Rousseau, «Maman» s’expose », Le Temps, (ISSN 1423-3967, lire en ligne, consulté le )
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  66. Albert University of Ottawa, Les Dernières années de Mme de Warens : sa succession à Chambéry, sa tombe : d'après les documents inédits trouvés aux Archives d'Etat, à Turin, aux Archives départementales de la Savoie et à l'ancien Tabellion de Chambéry, Lyon : H. Georg, (lire en ligne)
  67. « Était-ce la même Mme de Warens, jadis si brillante ? » dans Les Confessions, p. xx.
  68. Albert University of Ottawa, Les Dernières années de Mme de Warens : sa succession à Chambéry, sa tombe : d'après les documents inédits trouvés aux Archives d'Etat, à Turin, aux Archives départementales de la Savoie et à l'ancien Tabellion de Chambéry, Lyon : H. Georg, (lire en ligne)
  69. data BNF
  70. Albert (1853-1923) Auteur du texte Metzger et Françoise-Louise-Éléonore de (1699-1762) Auteur du texte Warens, Les Pensées de Mme de Warens, son biographe le général Doppet, Mme de Warens aux Charmettes, son oratoire, Mme de Warens au Reclus, ses relations avec Wintzenried jusqu'en janvier 1754, d'après les documents inédits tirés des archives départementales de la Savoie... / Albert Metzger, (lire en ligne)
  71. Francine Brunschwig, « La «maman» de Jean-Jacques Rousseau fut aussi une espionne », 24 heures, (ISSN 1424-4039, lire en ligne, consulté le )
  72. « En marge de l’année Rousseau: une biographie exhaustive de Madame de Warens » (consulté le )

Voir aussi

Ouvrages et sources utilisés pour la rédaction de cet article

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

Autres ouvrages

  • Anne-Armandy, La vie d'amour de Madame de Warens, L. Querelle, (lire en ligne)
  • Hippolyte Buffenoir, Les portraits de Madame de Warens, (lire en ligne)
  • Théophile Dufour, Jean-Jacques Rousseau et Madame de Warens, impr. Perrissin, (lire en ligne)
  • Luigi Foscolo Benedetto, Madame de Warens, la "maman" de Rousseau, F. Le Monnier, (lire en ligne)
  • Roger Francillon, Histoire de la littérature en Suisse romande, Zoé, impr. 2015, cop. 2015 (ISBN 978-2-88182-943-7 et 2-88182-943-0, OCLC 908339433, lire en ligne).
  • Claude Habib, Rousseau aux Charmettes, De Fallois, dl 2012 (ISBN 978-2-87706-794-2 et 2-87706-794-7, OCLC 795443015, lire en ligne).
  • Claude Habib, Le consentement amoureux : Rousseau, les femmes et la cité, Hachette Littérature, (ISBN 2-01-235432-7 et 978-2-01-235432-6, OCLC 40583778, lire en ligne).
  • Arsène Houssaye, Les Charmettes: Jean-Jacques Rousseau et Madame de Warens, Didier, (lire en ligne)
  • Noëlle Roger, Jean-Jacques Rousseau et Madame de Warens, (lire en ligne)
  • Michel Peyramaure, Le bonheur des Charmettes : roman, La Table ronde, (ISBN 2-7103-2536-5 et 978-2-7103-2536-9, OCLC 51058860, lire en ligne).
  • Michel Porret et Jacques Berchtold, Rousseau visité, Rousseau visiteur : les dernières années (1770-1778) actes du colloque de Genève (21-22 juin 1996), Droz, (ISBN 2-88412-040-8 et 978-2-88412-040-1, OCLC 43872660, lire en ligne)
  • (en) Ritter, Idées religieuses de Madame de Warens, (lire en ligne)
  • Joseph Serand, Nouveaux documents sur Madame de Warens, Le Maître, professeur de musique de J.J. Rousseau, et sur Claude Anet, Revue savoisienne, (lire en ligne)
  • Jules Jean Franćois Marie Vuy, Lettres inédites de Madame De Warens publiées avec un avant-propos, Imp. de Louis Thésio, (lire en ligne)

Liens externes

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