Lundi de la matraque

Le Lundi de la Matraque est le nom donné à un événement qui s’est déroulé le à Montréal, au Québec (Canada), lors des festivités de la St-Jean Baptiste. Il s’agit également de la veille de l’élection fédérale où le chef du Parti Libéral du Canada (PLC) et premier ministre intérimaire du Canada de l’époque, Pierre-Elliott Trudeau sera élu majoritaire. La St-Jean Baptiste est la fête nationale du Québec et la venue de Trudeau, dont sa position centralisatrice est connue, est mal vue par plusieurs Québécois. Elle est alors considérée comme un affront[1]. L’expression « Lundi de la matraque » a été popularisée à la suite de la publication d’un livre paru l’année suivante aux éditions Parti Pris, qui relate l’événement éponyme[2]. Le titre du livre tient son inspiration du terme du journaliste de Radio-Canada, Jean-Claude Devirieux, qui a parlé de « lundi de la matraque » en référence aux événements qui se déroulaient cette soirée-là. Il tient lui-même son inspiration du samedi de la matraque de 1964.

Contexte

Mouvement indépendantiste au Québec

Les années 60 furent marquées par une montée du nationalisme québécois qui s’est traduit par la création de plusieurs groupes dont  l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec (ASIQ), le 9 août 1960  puis le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) le 10 septembre de la même année. Le RIN prend de l’importance et trois membres se réunissent afin de fonder en février 1963 le Front de Libération du Québec (FLQ). Ce groupe important se caractérise par un mouvement souverainiste et habitué à des coups de pression pour l’indépendance du Québec.

Groupe important du mouvement souverainiste. En 1964 avec Pierre Bourgault à sa tête, le RIN devient officiellement un parti politique provincial. Le 24 juillet 1967, le président de la France à l’époque, Charles de Gaulle prononça à la fin d’un discours public à Montréal « Vive le Québec libre ! »[3]. Cette phrase déclencha une très longue ovation et inspira davantage le mouvement souverainiste à se faire entendre. Finalement en 1968, Pierre Bourgault dissout le parti et invite ses membres à rejoindre René Lévesque alors qu’il crée le Parti Québécois le 14 octobre 1968. Lors du lundi de la matraque, le RIN était toujours un groupe en vigueur.

Trudeau et le mouvement souverainiste

L’arrivée de Trudeau en politique en 1965 vient d’une invitation du premier ministre fédéral de l’époque et chef du Parti libéral, Lester B. Pearson à trois rédacteurs québécois de Cité libre qui seront plus tard nommés Les trois colombes : Jean Marchand, Gérard Pelletier et Pierre-Elliott Trudeau. Trudeau va rapidement devenir ministre de la Justice en 1967 dans le gouvernement Pearson, puis va être élu premier ministre du Canada en 1968 à la suite du départ de Lester B. Pearson. Pierre-Elliott Trudeau (parfois surnommé PET) voue un antinationalisme viscéral alors que le mouvement souverainiste prend de l’ampleur au Québec dans les années 1960[4]. C’est en 1944 qu’il quitte le Canada afin d’aller compléter une maîtrise en économie politique à Harvard. C’est lors de cette période de sa vie qu’il fut inspiré par des auteurs comme John Henry Williams et Alan Harvey Hansen et arriva à la conclusion que le Québec était mieux à l’intérieur du Canada. C’est pour cette raison que Trudeau avait cette politique d’un Canada uni qui inclut le Québec. Étant un québécois opposé à l’indépendance du Québec, il était vu comme un traître par ceux qui militent pour la souveraineté du Québec[5].

Chronologie des événements

Arrivée de PET

Sachant que le Parti libéral du Canada a fait campagne pour un Canada uni qui ne comprend qu’une seule nation, l’arrivée de Pierre Elliott Trudeau, invité par, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, suscite l’indignation. La St-Jean Baptiste est la fête de la province de Québec, la présence de celui-ci parmi les dignitaires est vue comme une provocation par les souverainistes québécois, celui-ci étant la figure opposée au mouvement indépendantiste du Québec.

Tensions et Manifestation

Pendant les semaines qui précèdent l’événement, le Rassemblement pour l’indépendance nationale et son président, Pierre Bourgault, dénoncent la présence de Trudeau à la St-Jean Baptiste. Les indépendantistes ont l’intention de s’opposer à sa présence. Le Front de libération du Québec a été fondé au cours de l’année 1963 par entre autres des individus issus du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) ; le contexte de l’époque plaçait la violence comme une option politique envisageable. Le plan de Pierre Bourgault tombe vite à l’eau le jour de l’événement. Lors de son arrivée sur place, celui-ci est rapidement appréhendé par la police. En effet, prévenu d’éventuels débordements, les forces policières son présentes durant l’événement.

Une foule de personnes était rassemblée au parc La Fontaine en face de l’estrade pour faire valoir leur mécontentement. Comme il y eut des activités au parc durant la journée, plein de familles y étaient déjà présentes en plus des manifestants indépendantistes qui se mêlaient à la foule. L’arrestation hâtive de Bourgault met en colère le rassemblement de militants qui vient interrompre le défilé. Ils commencent à lancer des roches aux policiers et ces derniers répliquent en chargeant dans la foule, parfois montés sur des chevaux, ce qui envenime la situation[6]. L’attitude des policiers envers la foule provoque une réaction négative des simples citoyens présents à l’événement qui, choqués par le spectacle qui se déroule devant leurs yeux, vont rejoindre les rangs des manifestants et tenter de déborder les policiers. Les policiers interviennent et procèdent à de violentes arrestations. Des projectiles atteignent l’estrade d’honneur. La situation étant plutôt dangereuse, des assaillants tentent d’atteindre Pierre Elliott Trudeau. Le premier ministre du Québec de l’époque, Daniel Johnson et son entourage vont se réfugier en lieu sûr loin de l’estrade d’honneur. Trudeau dans un geste de défi, se lève brièvement puis se rassoit, refusant la recommandation de son personnel, demeurant au côté du maire Jean Drapeau[7]. Ces images feront le tour du Canada et aideront à faire de lui l’homme solide pour l’unité canadienne aux yeux des Canadiens.

La couverture de l’événement

L’événement est diffusé en direct sur les ondes de Radio-Canada. À la télévision, la caméra ainsi que les commentateurs ne se concentrent que sur le défilé dans une tentative de rapporter l’événement dans l’objectif qui était prévu. Toutefois, des journalistes de la radio de Radio-Canada décrivent en direct les événements qui ont lieu en marge de la fête alors que les affrontements entre policiers et manifestants s’enveniment de plus en plus. Un feu clandestin à l’aide de bancs de parc est créé par les manifestants qui s’approprient ainsi le feu de la fête de la Saint-Jean pour marquer leur mécontentement[8].

Conséquences

Violence : Bilan de l'émeute

Le lendemain, le bilan de l’émeute est de 292 arrestations, dont celles de 81 mineurs, 123 blessés, dont 42 policiers, auxquels il faut ajouter 12 auto-patrouilles brûlées et six chevaux blessés. Parmi les manifestants arrêtés se trouvent Paul Rose et Francis Simard qui se rencontrent dans un fourgon de la police. Cette rencontre s’avérera importante puisqu’ils deviendront membres de la cellule Chénier du Front de libération du Québec (FLQ) et seront des acteurs importants des événements de la crise d’octobre.

Appropriation de la fête nationale

La manifestation du RIN contre Pierre-Elliott Trudeau était un moyen pour le mouvement souverainiste de manifester son mécontentement envers le premier ministre, pour lui signifier qu’il s’agissait de la fête des Québécois et qu’il n’était donc pas le bienvenu. La venue de PET était une raillerie envers le peuple québécois selon Pierre Bourgault, sa position dans l’estrade d’honneur au-dessus du défilé en est une symbolique. En manifestant, Bourgault souhaitait que le Québec s’approprie sa fête nationale :

« D’ailleurs, c’est une des meilleures manifestations du RIN. Notre intervention a changé cette fête à jamais. Trudeau n’est jamais revenu célébrer la fête des Québécois. La Saint-Jean qui était une fête folklorique est véritablement devenue notre fête nationale à partir du 24 juin 1968 »[1].

Il y avait aussi une intention de démocratiser la fête de la Saint-Jean-Baptiste pour qu’elle ne soit plus réservée à un groupe d’élite, mais bien à tous les Québécois désireux de la célébrer. Cette manifestation servait à la fois de mécontentement envers la présence de Trudeau à la soirée, mais aussi à sa position dans l’estrade d’honneur avec d’autres politiciens importants de l’époque[9].  Après la formation du Parti Québécois en 1968, les tendances radicales et violentes du groupe souverainistes RIN fera en sorte qu’il sera écarté de l’unification des indépendantistes au sein d’un même parti par René Lévesque. L’indéfectibilité du RIN sur l’unilinguisme français d’un Québec souverain, ses positions socialistes en matière économique et la manifestation violente du défilé de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal en 1968 excluent pour Lévesque toute possibilité de fusion avec le RIN. Il accepte cependant que les militants rinistes s’inscrivent à titre individuel au nouveau parti politique, ce qui était déjà le cas.

Mise sur pied d’une escouade antiémeute

Les policiers présents lors de l’événement étaient pour l’immense majorité des patrouilleurs. Ils n’étaient d’aucune façon entraînés ou expérimentés pour ce type de manifestation. Des policiers à cheval renversent et piétinent des manifestants et donnent des coups de matraque. Les erreurs commises durant l’émeute et le traitement des détenus au poste de police furent fortement critiquées. Le manque de coordinations des policiers était en partie responsable de la tournure violente de l’événement. « Le lundi de la Matraque » devient l’événement précurseur de la fondation de l’escouade antiémeute au Québec.

Création de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (après 1 an)

La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a été créée en mars 1969, soit près d’un an après les événements du lundi de la matraque. Elle est présidée par Gilles Gariépy de 1969 à 1971 et regroupe au départ 23 associations de journalistes. Elle remplace l’Alliance des journalistes de langue française qui représentait les journalistes canadiens-français à l’échelle du pays. La FPJQ a été créée pour les journalistes québécois. À la suite des événements qui se sont déroulés après que le journaliste de Radio-Canada Claude-Jean Devirieux ait fait part de son indignation en onde de la brutalité policière qui se déroulait le soir du lundi de la matraque[10]. Cet avis aura valu la suspension de Devirieux ainsi que son exclusion à la soirée électorale qui se déroulait le lendemain soir. La police devenait de plus en plus hostile envers les journalistes, n’hésitant pas à fracasser des caméras et saisir film et pellicules de presse. À la suite de cet événement une centaine de journalistes de tous les milieux se réunirent et élurent sept journalistes qui se sont consultés. Les journalistes ont conclu qu’une fédération professionnelle québécoise était nécessaire pour les protéger et les soutenir. Plusieurs collègues journalistes se sont portés à la défense de Devirieux et c’est à la suite de ces événements qu’est créée la FPJQ[11].

Notes et références

  1. « L'émeute qui a transformé la Saint-Jean-Baptiste en fête nationale », sur Le Devoir (consulté le )
  2. Paul Rose et Robert Lanctôt, Le lundi de la matraque, 24 juin 1968., Montréal, Parti pris,
  3. « Archives – De Gaulle: «Vive le Québec libre!» », sur Le Devoir (consulté le )
  4. Mathieu Bock-Côté, « Justin Trudeau et le rêve canadien », Conflits no 11, , p. 16 - 19
  5. Mathieu Bock-Côté, « Pierre Elliott Trudeau, traître à son peuple », sur Le Journal de Montréal (consulté le )
  6. OUIMET, M. (2011) « Le lys en fête, le lys en feu : la Saint-Jean-Baptiste au Québec de 1960 à 1990 ». Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, Montréal. Page 100-102
  7. Zone Politique- ICI.Radio-Canada.ca, « Le lundi de la matraque vu par Radio-Canada », sur Radio-Canada.ca (consulté le )
  8. OUIMET, M. (2011) « Le lys en fête, le lys en feu: la Saint-Jean-Baptiste au Québec de 1960 à 1990 ». Université du Québec à Montréal, Montréal. Page 100-102
  9. OUIMET, M. (2011) « Le lys en fête, le lys en feu : la Saint-Jean-Baptiste au Québec de 1960 à 1990 ». Université du Québec à Montréal, Montréal. Page 100-102
  10. « Il y a 50 ans, l’émeute de la Saint-Jean », sur Le Devoir (consulté le )
  11. « Quelques moments clés de l’histoire de la FPJQ | L'exemplaire – Média-école des étudiants en journalisme », sur www.exemplaire.com.ulaval.ca (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • ARCHIVE, « Le lundi de la matraque vu par Radio-Canada » » Publié le 22 juin 2018, archive. Consulté le 18 février 2021 à 22 h 29 sur : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1107917/st-jean-baptiste-1968-lundi-matraque-violence-emeute-archives
  • BORDELEAU, C. (1978). Pierre Elliott Trudeau. Montréal : Editions Heritage.
  • GERMAIN, Jean-Claude (2003) — « L’émeute qui a transformé la Saint-Jean-Baptiste en fête nationale » Le Devoir, consulté à partir de https://www.ledevoir.com/opinion/idees/30363/l-emeute-qui-a-transforme-la-saint-jean-baptiste-en-fete-nationale.
  • ENGLISH, John, « TRUDEAU, PIERRE ELLIOTT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 22, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 mars 2021, http://www.biographi.ca/fr/bio/trudeau_pierre_elliott_22F.html.
  • LAMBERT, M-E. (2015). Pierre Bourgault. L’encyclopédie canadienne. Récupéré le 18 février 2021 à https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/pierre-bourgault
  • NADEAU, Jean-Francois (2018) « Il y a 50 ans, l’émeute de la Saint-Jean » Le Devoir, Consulté à partir de : https://www.ledevoir.com/societe/530988/il-y-a-50-ans-l-emeute-de-la-saint-jean
  • OUIMET, M. (2011) « Le lys en fête, le lys en feu : la Saint-Jean-Baptiste au Québec de 1960 à 1990 ». Université du Québec à Montréal, Montréal.
  • ROSE, P., LANCTÔT, R. (1968). Le lundi de la matraque, 24 juin 1968. Montréal : Parti pris.
  • VALLIÈRES, P. (1986). Les héritiers de Papineau : itinéraire politique d’un nègre blanc, 1960-1985. Montréal : Québec/Amérique.

Articles connexes

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