Exode hors d'Égypte
L’Exode d'Israël hors d'Égypte (hébreu : יציאת מצרים Yetsi'at Mitzrayim, « la sortie d'Égypte ») est un récit biblique selon lequel les Hébreux, réduits en esclavage par l’Égypte, s’en émancipent pour revenir, sous la conduite de Moïse et Aaron, dans le pays de Canaan et en prendre possession en vertu de la promesse divine faite à leurs ancêtres. La sortie d’Égypte et la longue traversée du désert qui y fait suite sont relatées dans les Livres de l’Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome.
Pour les articles homonymes, voir Exode.
Ce récit est considéré comme l’un des événements fondateurs du judaïsme avec le don de la Torah sur le mont Sinaï, qui fonde sa foi en un Dieu personnel intervenant directement dans l’histoire, et est commémoré lors de la fête de Pessa'h.
Son historicité fait cependant l’objet de débats et critiques dans le milieu académique. Tel que le récit de l'Exode le présente, il ne correspond vraisemblablement pas à la description d'un événement historique[1]. Selon l'historien Nadav Naaman, ce récit de l'Exode et de la conquête de Canaan constitue probablement une construction biblique littéraire et théologique qui évoque la perte du contrôle militaire égyptien en Canaan vécue comme une libération, la mémoire culturelle juive transférant cette situation par la mise en scène d'une sortie d'Égypte[2].
La narration biblique
Les Israélites avaient quitté le pays de Canaan pour l’Égypte lorsque Joseph était devenu premier ministre d’Égypte. Après la mort de Joseph à l'âge de cent dix ans[N 1], et la venue d’un pharaon « qui ne connaissait pas » (ou « n’avait pas connu ») Joseph[N 2], les Égyptiens, effrayés par la croissance démographique rapide des israélites et leur prêtant des visées dominatrices, les réduisent en esclavage.
Ce travail, et en particulier la fabrication de briques, était extrêmement rigoureux, et les conditions d’oppression énormes[N 3]. Moïse, en exil d’Égypte à cette époque, fut appelé (ou se sentit appelé) à devenir leur dirigeant. Retournant en Égypte, il essaya de négocier avec le Pharaon, qui ne fut pas réceptif, et dit ne pas connaître le dieu de Moïse[N 4]. Moïse, sous l’ordre de Dieu, invoqua une série de plaies. Finalement, le Pharaon agréa la demande des israélites, de laisser Moïse les conduire dans le désert pour honorer leur dieu.
Cependant, le Pharaon changea d’avis dès leur départ, et dépêcha un nombre de soldats, afin de les ramener[N 5]. Les Israélites s’échappèrent miraculeusement, traversant une « mer » à pied sec, les eaux formant un mur de chacun de leur côté[N 6]. Dès que les Israélites traversèrent la mer, la mer se referma, prenant au piège les poursuivants égyptiens[N 7], qui ne purent s’enfuir car leurs chars s’étaient enlisés[réf. nécessaire].
Après leur départ d’Égypte, les Israélites réalisèrent un périple à travers environ quarante endroits. Les endroits où l’on situe actuellement ces étapes, surtout les premières de la liste, sont inconnues ou sujettes à caution. Des événements d’importance se tinrent dans ces premières 'stations', dont le don ou la proclamation des Dix Commandements sur le mont Sinaï, avec le reste de la Loi mosaïque. Les Israélites arrivent finalement à Kadesh-Barnéa, où ils demeurent relativement longtemps. Des explorateurs sont envoyés faire un rapport sur Canaan en vue de son invasion mais, à l’exception de Josué fils de Noun l’Éphraïmite et Caleb fils de Yefouné le Qenizzite, tous dissuadent de tenter la moindre entreprise devant la force des habitants.
Tous ces évènements semblent s’être produits au cours de la première année suivant l’Exode, la Torah situant la traversée du désert entre les quatre-vingt ans et les cent-vingt ans de Moïse[3] : « Israël fut donc condamné à errer quarante ans dans le désert »[N 8]. Moïse conduit ensuite les Israélites au travers d’une série de campements, que les biblistes appellent les Stations (en), au cours des quarante ans susmentionnés. Toute la génération présente au début des quarante ans, y compris Myriam, Aaron et Moïse lui-même, meurt en dehors de la Terre promise, à l’exception de Caleb et Josué, auquel Moïse délègue l’autorité. C’est donc lui qui dirige le début de la conquête de Canaan, en traversant la rive orientale du Jourdain.
Tableau des étapes de l'exode selon le livre de l'Exode
date | référence | lieu | référence | événement | référence |
---|---|---|---|---|---|
14 nisan | Ex. 12, 16 | Pi-Ramsès | Ex. 12, 37 | entre les deux soirs: sacrifice de l'agneau pascal | |
15 nisan | Soukkot | Ex. 12, 37; 13, 20 | la nuit : Pâques ;
le soir suivant : premier campement |
||
16 nisan | Etam (en) | Ex. 13, 20 | deuxième campement | ||
17 nisan | Ex. 14, 20 (nuit) | Pi-Hahirot | Ex. 14, 2 | passage de la mer Rouge | Ex. 14 |
18 au 20 nisan | désert de Shur (en) | Ex. 15, 22 | errance | ||
21 nisan | Marah | eaux amères purifiées | Ex. 15 | ||
22 nisan | Elim (en) | Ex. 15, 27 | |||
15e jour du second mois | désert de Sîn | Ex. 16, 1 | don de la manne | Ex. 16, 22 | |
Raphidim (Massah (en) et Meribah (en))[N 9]. | Ex. 17, 1.7 | épreuve de l'eau sortie du rocher | |||
Amalek | Ex. 17, 8-15 |
La route de l'Exode
Le récit biblique de l'Exode est probablement un épisode symbolique ou combine plusieurs traditions, aussi est-il vain de rechercher une route de l'Exode à partir d'une lecture littérale du livre de l'Exode[4].
Plusieurs trajets auraient pu être empruntés par les acteurs de l’Exode. De nombreux lieux cités n’ont pu être identifiés avec leurs correspondants modernes, et l’information présente dans la Bible et littératures apparentées ne donne pas d’information suffisamment univoque sur les repères géographiques. L’itinéraire que les Israélites auraient suivi après leur départ d’Égypte est donné sous forme narrative et récapitulé sous forme d’itinéraire. Quelques villes du début de l’itinéraire, comme Ra’amses, Pithom et Souccoth, sont relativement bien identifiées, et la seconde partie de l’itinéraire, aux abords du pays de Canaan, est également constituée d’endroits relativement connus : le site de Kadesh-Barnéa a probablement été correctement identifié, mais les premières traces d’occupation retrouvées dans l’aire ramsesside sont datées de plusieurs siècles en aval d’un Exode, y compris tardif. Le mont Sinaï, si important dans la Bible, n’est pas clairement localisé : si le Djebel Moussa, dans le sud de la péninsule du Sinaï, est le plus souvent cité, d’autres candidats plus ou moins crédibles, comme le Har Karkom, ont été proposés, et aucun signe probant de l’Exode n’a été jusqu’ici mis en évidence.
C’est pourquoi des dizaines, voire centaines de routes ont été proposées, et la localisation des étapes est en grande partie dépendante du site que le chercheur veut considérer comme le mont Sinaï et/ou le mont Horeb.
Le passage de la mer Rouge ne fait pas davantage l’objet de consensus, sinon qu’il n’a probablement pas eu lieu à la mer Rouge. Ont été proposées la branche pelussique du Nil, le long du réseau des lacs Amers et des plus petits canaux qui formaient une barrière contre une fuite vers l’ouest, le golfe de Suez (au SSE de Soukkot) et le golfe d’Aqaba (au S d’Ezion-Geber). Il semble, d’après le passage scriptural de la « mer Rouge, » en fait la mer des Joncs (Yam Souf), que le terme aurait pu désigner tant le golfe d’Aqaba que celui de Suez, mais il pourrait également s’agir de l’un des nombreux étangs à papyrus de l’Égypte.
Nombres impliqués dans l'Exode
Le Livre de l'Exode indique un nombre de 600 000 familles en partance[N 10]. Ce nombre est aussi donné dans le Livre des Nombres[N 11] et dans les Antiquités judaïques[5]. Moïse, sur ordre de Dieu[N 12], effectue un dénombrement de tous les mâles âgés de vingt ans et plus. Deux ans après la fuite d’Égypte, ils sont au nombre de 603 550[N 13],[N 14]. Moïse, sur ordre de Dieu, demande une participation pour le travail saint à 603 550 contribuables[N 15],[6]. Après la révolte de Coré, Dathan et Abiron, Moïse effectue un autre dénombrement[N 16] et ils ne sont plus que 601 730[N 17]. L'archéologue Donald Bruce Redford estime que le nombre donné dans le texte biblique est peu crédible dans la mesure où il est trop grand[N 18].
Données archéologiques et datations de l'Exode
Un siècle de recherches par les archéologues et égyptologues n'a fourni aucune preuve qui puisse être directement liée à la captivité de l'Exode, à l'évasion et aux périples à travers le désert. Pour cette raison, la plupart des archéologues ont abandonné les recherches archéologiques concernant Moïse et l'Exode comme « une vaine poursuite ». Pour Ze'ev Herzog, professeur d'archéologie à l'université de Tel-Aviv, « aucune démarche scientifique ne prouve la réalité de cette sortie d'Égypte, des grandes années d'errance dans le désert et de la conquête de la Terre promise »[7]. Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman avancent quant à eux que « les sites mentionnés dans l'Exode ont bien existé. Certains étaient connus et furent apparemment occupés, mais bien après le temps présumé de l'Exode, bien après l'émergence du royaume de Juda, quand les textes du récit biblique furent composés pour la première fois »[8]. Lester Grabbe, résumant la position dominante dans la recherche historique et archéologique sur le sujet en 2016, indique que « malgré les efforts de certains fondamentalistes, il n'y a aucun moyen de sauver le texte biblique en tant que description d'un événement historique. Une grande population d'Israélites, vivant dans leur propre partie du pays, n'a pas quitté une Égypte dévastée par divers fléaux et dépouillée de ses richesses et passé quarante ans dans le désert avant de conquérir les Cananéens[9]. »
Un certain nombre de théories ont été avancées pour rendre compte des origines des Israélites et, en dépit de différences dans les détails, sont tombées d'accord pour donner des origines cananéennes à Israël. La culture des colonies des premiers Israélites est cananéenne, leurs objets de culte sont ceux du dieu cananéen El, la poterie reste dans la tradition locale cananéenne, et l'alphabet utilisé est ancien cananéen. Le seul marqueur qui distingue les villages « israélites » des sites cananéens est une absence d'os de porc, bien que même cette différence (marqueur ethnique ou dû à d'autres facteurs) demeure un sujet de litige.
Notes et références
Références
- Lester L. Grabbe, Ancient Israel : what do we know and how we know it ?, T&T Clark (en), p. 84
- Thomas Römer, L'oppression en Égypte, Chaire Milieux bibliques du Collège de France, 27 février 2014, 19 min 30 s.
- Comme la manne venait d’être introduite, Ex 16,35 « ne parle pas pour le passé, mais pour l’avenir ».
- (en) Donald Redford, Egypt, Canaan, and Israel in Ancient Times, Princeton University Press, , p. 260
- Flavius Josèphe, Antiquité Judaïques, livre 2, XV:1.
- Dans Antiquités Judaïques, livre 3, VIII:2, Flavius Josèphe indique 605 550 au lieu de 603 550.
- Deux archéologues contestent la réalité historique de la Bible, Henri Tincq, Le Monde.fr, 6 juin 2002
- Finkelstein et Silberman 2002
- (en) Lester L. Grabbe, « Late Bronze Age Palestine: If we had only the Bible … », dans Lester L. Grabbe, The Land of Canaan in the Late Bronze Age, Londres et New York, Bloomsbury T&T Clark, , p. 38 : « Despite the efforts of some fundamentalist arguments, there is no way to salvage the biblical text as a description of a historical event. A large population of Israelites, living in their own section of the country, did not march out of an Egypt devastated by various plagues and despoiled of its wealth and spend forty years in the wilderness before conquering the Canaanites. ».
Notes
- Genèse 50,26.
- Exode 1,8.
- Exode 1,14.
- Exode 5,2.
- Exode 14,5-9.
- Exode 14,21-22.
- Exode 14,23-28
- Nb 14,34.
- Les fils d'Israël mettent Dieu à l'épreuve pour avoir de l'eau à boire. Les lieux de Massah et Meribah sont cités ensemble (Ex 17:7, Dt 33:8, Ps 95:8), le lieu de Massah est cité seul (Dt 6:16, Dt 9:22) et le lieu de Meribah est cité seul (Nb 20:13, Nb 27:14, Dt 32:51, Ps 81:7, Ps 106:32).
- Exode 12,37.
- Nombres 11,21.
- Nombres 1,1.
- Nombres 1,46.
- Nombres 2,32.
- Exode 38,26.
- Nombres 26,1-4.
- Nombres 26,51.
- Dans le film documentaire en 4 épisodes de 52 minutes appelé La Bible dévoilée et réalisé par Thierry Ragobert, l'archéologue Donald Bruce Redford dit dans l'épisode 2 que ce nombre est déraisonnable.
Voir aussi
Bibliographie
- Encyclopaedia Judaica. S.v. « Population ». (ISBN 0-685-36253-1)
- Yilgal Shiloh. The Population of Iron Age Palestine in the Light of a Sample Analysis of Urban Plans, Areas and Population Density. Bulletin of the American Schools of Oriental Research (BASOR) 239, (1980): 25-35. (ISSN 0003-097X)
- Nahum Sarna (en). Six hundred thousand men on foot in Exploring Exodus: The Origins of Biblical Israel, New York : Schocken Books (en) (1996): ch. 5. (ISBN 0-8052-1063-6)
- Hershel Shanks, William G. Dever, Baruch Halpern et P. Kyle McCarter. The Rise of Ancient Israel: Symposium at the Smithsonian Institution October 26, 1991, Biblical Archaeology Society (en), 1992. (ISBN 1-880317-05-2)
- Manfred Bietak. Avaris: The Capital of the Hyksos: Recent Excavations, Londres : British Museum Pubs. Ltd, 1995. (ISBN 0-7141-0968-1). Here, Bietak discusses Thutmose III era finds in the vicinity of the later city of pi-Rameses.
- Thomas E. Levy (en) et Mohammed Sajjar. Edom & Copper, Biblical Archaeology Review (BAR), juillet- : 24-35.
- Exodus: The Egyptian Evidence, édité par Frerichs, Lesko & Dever, Indianapolis: Eisenbrauns, 1997. (ISBN 1-57506-025-6) See esp. Malamat’s essay there.
- Theophile Meek, Hebrew Origins, Gloucester, Massachusetts : Peter Smith Pub. Inc., 1960. (ISBN 0-8446-2572-8)
- John J. Bimson. Redating the Exodus. Sheffield, Angleterre : Sheffield Academic Press (en), 1981. (ISBN 0-907459-04-8)
- Yohanan Aharoni. The Archaeology of the Land of Israel. Philadelphie : Westminster Press, 1982. (ISBN 0-664-21384-7). This book is notable for the large number of Ramesside cartouches and finds it cites throughout Israel.
- Johannes C. de Moor. Egypt, Ugarit and Exodus in Ugarit, Religion and Culture, Proceedings of the International Colloquium on Ugarit, Religion and Culture, édité par N. Wyatt et W. G. E. Watson. Münster, Allemagne : Ugarit-Verlag, 1996. (ISBN 3-927120-37-5)
- Richard Friedman. Who Wrote the Bible?. HarperSanFrancisco, 1997. (ISBN 0-06-063035-3). (an introduction for the layman to the view that there are in all probability multiple sources for the "Books of Moses")
- Amnon Ben-Tor (en). Hazor - A City State Between The Major Powers. SJOT (en), vol. 16, issue 2, 2002: 308. (ISSN 0901-8328)
- (de) Jan Assmann, Exodus. Die Revolution der Alten Welt, C.H.Beck, , 493 p. (ISBN 978-3-406-67430-3)
- Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman (trad. de l'anglais), La Bible dévoilée : les nouvelles révélations de l'archéologie, Paris, Bayard, , 431 p. (ISBN 2-227-13951-X, notice BnF no FRBNF38827160)
Articles connexes
- Moïse
- Livre de l'Exode
- Données archéologiques sur l’Exode et Moïse,
- Données archéologiques sur les premiers écrits en hébreu ancien,
- Histoire de la recherche sur le Pentateuque,
- Pharaon de l'Exode
- Chronologies comparées des dynasties égyptiennes
- Portail de la Bible
- Portail de la culture juive et du judaïsme