Canaan (région)

Canaan /kanaɑ̃/ (phénicien : ou 𐤊𐤍𐤏𐤍, KNˁN (Kanaʿn) ; hébreu : כנען Kənáʿan ; arabe : كنعان Kanʿān) désigne une région et une civilisation du Proche-Orient ancien située le long de la rive orientale de la mer Méditerranée. Cette région correspond plus ou moins aujourd'hui aux territoires réunissant l’État d'Israël, la Palestine, l'ouest de la Jordanie, le Liban et l'ouest de la Syrie. On appelle Cananéens les habitants de ce territoire à l'Âge du bronze, parfois appelé pour cette région « période cananéenne », plus spécifiquement au IIe millénaire av. J.‑C.

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Localisation des principales cités de Canaan durant l'âge du Bronze.

Cette période commence durant l'âge du Bronze moyen, qui couvre en gros la première moitié du IIe millénaire av. J.‑C., et voit une reprise de l'urbanisation dans la région après une période de crise. S'épanouit alors une riche civilisation urbaine, constituée de petits royaumes et située à la croisée des influences de l'espace syro-mésopotamien et de l'Égypte. L'âge du Bronze récent, qui va d'environ 1500 à 1200 av. J.-C., s'inscrit dans la continuité de la période précédente, mais les cités cananéennes sont alors placées sous la coupe du Nouvel Empire égyptien. L'essor des échanges à longue distance profite en particulier aux cités côtières qui connaissent une période prospère. L'âge du Bronze se termine au début du XIIe siècle av. J.-C. par une crise qui affecte à des degrés divers toutes les régions bordières de la Méditerranée orientale, et une partie des régions intérieures voisines. La domination égyptienne sur Canaan s'achève, et d'importantes recompositions sociales et ethniques ont lieu, avec l'émergence de nouvelles populations qui reprennent en grande partie l'héritage cananéen : les Phéniciens sur la côte nord (Liban actuel), les Philistins arrivés de l'extérieur pour s'établir sur le littoral méridional, et Israël dans les hautes terres de l'intérieur.

Dans le récit biblique, Canaan désigne la Terre promise aux Hébreux, par Dieu (Yahweh) à Abraham. Elle désigne la région comprise entre la mer Méditerranée et le Jourdain, avant sa conquête par Josué et les tribus d'Israël sorties d'Égypte. Le terme proviendrait selon ce texte du nom de Canaan, petit-fils de Noé. Les Cananéens sont présentés de façon négative : ce sont des idolâtres habitant la Terre promise, que les Hébreux doivent anéantir afin d'en prendre la possession, suivant la volonté divine, sans jamais y arriver.

Canaan et les Cananéens : définitions et contours

Étymologie

L'étymologie de Canaan est discutée. Le mot est généralement considéré comme formé sur une racine sémitique, même si une origine hourrite a aussi pu être proposée. Dans les alphabets nord-ouest sémitiques (hébreu, ougaritique, phénicien), Canaan est écrit knʕn. Dans le texte massorétique de la Bible, il est vocalisé כְּנַעַן (kĕnaʕan). En cunéiforme akkadien, il peut être écrit ki-na-aḫ-nu(m) (Mari, Byblos, Tyr), māt ki-na-ḫi (Assyrie, Ugarit) ou māt ki-in-na-aḫ-ḫi (Égypte, Mittani, Hattusa, Babylone). On trouve aussi la forme ki-in-a-nim (Alalakh) où la consonne pharyngale /ḫ/ est absente. Le terme dérive probablement de la racine sémitique knʕ qui signifie courber, soumettre. Appliqué au soleil, le terme désignerait l'« occident », le « pays du soleil couchant ». L'étymologie hourrite relie Canaan à kinaḫḫu qui désigne un tissu bleu dans les textes cunéiformes de Nuzi, mais cette étymologie est moins probable. Dans la Bible hébraïque, Canaan prend parfois la signification de « marchand » à cause de la réputation de marchands des Phéniciens[1],[2].

Dans la Bible

Limites de la Terre promise selon le Livre des Nombres 34:1-12 (rouge) et le Livre d’Ézéchiel 47:13-20 (bleu).

Selon la Bible hébraïque, Canaan a un sens territorial, désignant en gros la Palestine, soit les terres à l'ouest du Jourdain au Levant sud, et humain, « Cananéens » désignant les populations ou une partie des populations qui y vivent au moment du retour d’Égypte des Hébreux. Ce territoire est appelé ainsi du nom du personnage de Cana'an, quatrième fils de Cham, lui-même troisième fils de Noé (Genèse, 9:18 et 10:6). Bien plus tard Abraham se rend à Canaan à la demande de Dieu, qui promet cette terre au Patriarche et à ses descendants pour toujours (Genèse 12:1-7), promesse répétée à Isaac et Jacob. Plus tard c'est à Moïse que Dieu enjoint de se rendre à Canaan pour en (re)prendre possession : « Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens, et pour le faire monter de ce pays dans un bon et vaste pays, dans un pays où coulent le lait et le miel, dans les lieux qu’habitent les Cananéens, les Hittites, les Amorrites, les Perizzites (en), les Hivites et les Jébuséens. » (Exode 3:8). Si ces peuples sont classés par ordre d'importance, alors les Cananéens sont la principale population de la Terre promise[3]. Mais la Bible présente la situation de façon différente selon les passages : tantôt les Cananéens semblent être la seule population de Canaan, d'autres fois ils coexistent avec divers autres groupes, dont les noms changent d'un passage à l'autre, en tout cas cela implique que la région soit occupée par divers groupes ethniques[4],[5].

De ce fait, dans le livre de Josué, le pays de Canaan est l'objet de la conquête par les Hébreux, Dieu ordonnant à plusieurs reprises la destruction des Cananéens (Nombres 21:2-3, Deutéronome 20:17). Mais elle n'est pas conduite à sa fin quoique de nombreuses destructions se produisent lors de la conquête, et cet échec est vu dans le Livre des Juges comme une incapacité à accomplir le commandement de Dieu. Ce n'est qu'à l'époque du règne de David que les Cananéens passent sous la domination des Israélites. Canaan et les Cananéens apparaissent donc plutôt dans les livres bibliques comme l'opposé des Israélites, un obstacle à la reconquête de la terre promise et des adorateurs d'idoles[6],[5].

Cette situation remonte aux temps primordiaux, à la malédiction par Noé de son petit-fils Cana'an, qui lui assigne d'être esclave de ses frères, conséquence du fait que son père Cham a vu Noé dans sa nudité (Genèse 9:25), une faute dont la nature exacte est débattue, qui en tout cas semble se retrouver dans le fait que les Cananéens soient décrits dans les autres textes bibliques comme lascifs et débauchés, capables de toutes sortes de perversités sexuelles (ce qui se retrouve par exemple dans l'histoire de Sodome et Gomorrhe). L'infériorité des Cananéens semble aussi justifiée par la Genèse avec un jeu sur la racine knʕ, qui implique l'infériorité. À ces abominations pour ainsi dire congénitales s'ajoutent leur impiété et leur idolâtrie, qui est du reste vue comme une forme d'infidélité à Dieu. La domination de Canaan et des Cananéens par Israël s'en trouve d'autant plus justifiée, ainsi que la volonté de séparer les deux groupes en condamnant les unions entre Israélites et Cananéennes, et l'adoration des dieux des Cananéens, qui faisaient partie des nations qui « servaient leurs dieux en faisant toutes les abominations qui sont odieuses à l’Éternel » (Deutéronome 12:31). Des mentions des Cananéens apparaissent également dans des livres prophétiques comme ceux d'Esdras et de Néhémie, dans lesquels cette dénomination est devenue une signification purement symbolique, d'un autre qui est un opposé, puisqu'à l'époque de rédaction des textes (vers le Ve siècle av. J.-C.) ce terme n'a plus de sens ethnique. Les histoires concernant les Patriarches les lient à plusieurs lieux de la région, renforçant la justification de l'ancrage de leurs descendants dans la région, d'autant plus que la promesse de Dieu, véritable maître de cette terre, de la confier aux descendants d'Abraham pour l'éternité est répétée à plusieurs reprises[7],[8].

Dans les sources cunéiformes et égyptiennes

Le nom de Canaan est ancien et apparaît peut-être dans des tablettes du XXIVe siècle av. J.-C. mises au jour à Ebla en Syrie centrale. On a retrouvé des mentions plus assurées sur une tablette plus récente trouvée dans les ruines de Mari, datée de la première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C., qui mentionne des Cananéens, aux côtés de voleurs, donc des gens décrits comme hostiles[9]. Le terme apparaît également dans des tablettes cunéiformes mises au jour à Alalakh, autre site syrien, qui mentionne des « hommes » ou « fils de Canaan », donc des gens venant de cette région. L'inscription de la statue d'Idrimi, roi de cette cité au début du XVe siècle av. J.-C., évoque le fait qu'il s'est réfugié dans sa jeunesse dans le pays de Canaan, avant de s'emparer de son royaume[9]. Deux tablettes d'un troisième site syrien, Ugarit, mentionnent des gens originaires de Canaan, un de ces deux textes les distinguant explicitement des gens d'Ugarit, ce qui indique que cette ville n'en fait pas partie[10]. Il en va de même pour Alalakh, et de ce fait le pays de Canaan tel qu'il est apparaît dans la documentation de ces deux sites paraît désigner une région située au sud des deux royaumes[11].

Dans les sources égyptiennes de la même époque, le terme apparaît dans plusieurs des lettres d'Amarna, correspondance diplomatique datée du XIVe siècle av. J.-C., par exemple une lettre du roi du Mittani adressée aux « rois du pays de Canaan », vassaux de l'Égypte. La stèle de Mérenptah, du XIIIe siècle av. J.-C., mentionne Canaan parmi les pays soumis lors d'une campagne de ce roi[9]. Selon une reconstruction courante, Canaan désignerait une province égyptienne correspondant aux régions situées entre la Méditerranée et le Jourdain, dont le gouverneur siège à Gaza, donc au Levant méridional[12].

Dans les études historiques et archéologiques

La documentation écrite donne des interprétations différentes à Canaan et aux Cananéens selon les auteurs[13], en général selon le crédit qu'elles accordent au texte biblique quant à sa capacité à délivrer des vérités historiques :

  • Pour l'approche traditionnelle, majoritaire, on peut définir Canaan et les Cananéens comme une entité culturelle distincte, avec une ou des langue(s) cananéenne(s), une culture matérielle homogène, ayant occupé au IIe millénaire av. J.‑C. le territoire correspondant à la province égyptienne nommée Canaan (et souvent un peu plus étendu puisqu'on y inclut les futures cités phéniciennes), mais même dans cette acception là le terme est avant tout géographique et n'a pas forcément un sens ethnique, la région étant probablement pluri-ethnique (le texte biblique mentionnant du reste plusieurs peuples cananéens). Selon A. Killebrew, qui désigne Canaan comme une « mosaïque ethnique », « nous pouvons parler des Cananéens comme les habitants indigènes d'ascendance mixte résidant dans le pays appelé Canaan[14],[15]. »
  • Pour une tendance « minimaliste » et sceptique, les Cananéens n'ont jamais existé en tant que groupe dans l'Antiquité et sont une construction biblique reprise par des archéologues et historiens en lui donnant un sens ethnique qu'elle n'a jamais eu ; selon les mots de N. Lemche, « les Cananéens du Proche-Orient ancien ne savaient pas qu'ils étaient des Cananéens »[16].

En suivant cette deuxième tendance, le terme a une acception essentiellement géographique, et alors les sites archéologiques mis au jour dans la région concernée pour le IIe millénaire av. J.‑C. (ce qui correspond en termes archéologiques à l'âge du Bronze moyen et à l'âge du Bronze récent) peuvent recevoir la qualification de « cananéens ». Dans les frontières actuelles, elle couvre au plus large Israël et la Palestine, une partie de la Jordanie, le Liban, et la Syrie du sud[13], ce qui en pratique exclut généralement le royaume d'Ugarit, bien qu'il présente de fortes similitudes culturelles avec l'ensemble cananéen[17]. Dans les travaux archéologiques, un usage répandu est d'employer le terme « Canaan » pour désigner la Cisjordanie/Palestine, donc les terres à l'ouest du Jourdain du Levant méridional, soit un cadre géographique plus restreint que le précédent[18].

Évolutions sociales et politiques

Les nombreuses fouilles archéologiques conduites sur des sites du Levant méridional datés du IIe millénaire av. J.‑C. permettent de mieux connaître les évolutions sociales et culturelles de la région de Canaan, telle que définie dans le milieu de la recherche. On divise ce millénaire en deux grande périodes : un âge du Bronze moyen, qui couvre en gros sa première moitié (v. 2000-1500 av. J.-C.), et un âge du Bronze récent qui dure environ trois siècles (v. 1500-1200 av. J.-C.). Les sources textuelles complètent ces informations, en particulier pour la seconde moitié du IIe millénaire av. J.‑C. qui voit les premières attestations assurées du terme Canaan dans la documentation cunéiforme et hiéroglyphique. Le XIIe siècle av. J.-C. est une période de grands bouleversements, à laquelle succède durant le premier âge du Fer une période d'émergence de nouvelles entités politiques et culturelles, et l'apparition de nouveaux peuples dont les origines sont par bien des aspects encore mal comprises (Israélites, Philistins, etc.).

Âge du Bronze moyen (v. 2000-1500 av. J.-C.)

Le « temple aux obélisques » de Byblos (Liban), v. XVIe siècle av. J.-C.

Le Bronze moyen du Levant sud est divisé en trois phases archéologiques, datées suivant une chronologie moyenne (dominante) ou basse[19] :

  • Bronze moyen I, v. 2000-1800 ou 1900-1700 av. J.-C.
  • Bronze moyen II, v. 1800-1650 ou 1700-1600 av. J.-C.
  • Bronze moyen III, v. 1650-1500 ou 1600-1500 av. J.-C.

Organisation politique et composition ethnique

Le Proche-Orient de la première moitié du IIe millénaire av. J.‑C. est dominé par des dynasties d'origine amorrite, que l'on retrouve aussi bien en Syrie qu'en Haute et Basse Mésopotamie. Ce groupe de populations qui parlait une langue sémitique, attesté dès la fin du IIIe millénaire av. J.‑C., est considéré comme originaire de Syrie, et constitue ces dynasties à partir du début du IIe millénaire av. J.‑C.[20] Dans le Levant nord, cette situation est bien connue grâce aux archives de Mari (première moitié du XVIIIe siècle av. J.-C.), qui documentent l'existence d'une véritable koinè, sphère culturelle unissant les rois amorrites. Les plus puissants royaumes de la Syrie amorrite sont, en plus de Mari, Yamkhad (Alep) et Qatna. La situation au Levant sud est moins claire faute de textes. Cette période voit un renouveau des sites urbains, le Levant méridional étant une région essentiellement rurale durant la dernière période du Bronze ancien, mais voit la disparition des premières agglomérations urbaines qui s'étaient épanouies au milieu du IIIe millénaire av. J.‑C. L'explication traditionnelle, formulée initialement par Kathleen Kenyon, est que les Amorrites ont envahi la région, peut-être dès la fin du Bronze ancien, et installé des dynasties à la tête des « cités-États » se partageant Canaan, essentiellement attestée par les fouilles de leurs capitales supposées, donc les plus grands sites fortifiés de la période : Hazor, Ascalon, Acre, Tel Dan, etc. Mais seule Hazor a des relations diplomatiques attestées avec Mari, et a livré des textes cunéiformes qui prouvent qu'elle fait partie, au moins de loin, de la koinè amorrite. Pour le reste, l'attribution de ces royaumes à des dynasties amorrites repose essentiellement sur une culture matérielle qui est caractérisée comme relevant de ce groupe (suivant une interprétation qui fait correspondre des éléments matériels à un groupe ethnique, ce qui en pratique est loin d'être systématique), et censée avoir été adoptée par émulation par les populations locales soumises. Quant aux sources égyptiennes qui documentent la situation politique de la période au Levant sud, ce sont surtout les textes d'exécration du Moyen Empire, qui maudissent par exemple les cités d'Ashkelon, Byblos, Ullaza, Arqa. Mais ils ne disent rien sur leur situation politique, en tout cas elles ne sont probablement pas vassales de l’Égypte. Sésostris III (v. 1878-1843 av. J.-C.) aurait également conduit une campagne contre Sichem, mais en dehors de cette attestation les relations avec la vallée du Nil ne semblent pas conflictuelles mais plutôt commerciales[21].

L'hypothèse amorrite a depuis lors été nuancée et contestée. Pour certains, l'influence du Levant nord sur le Levant sud est plutôt de nature culturelle, et due aux relations commerciales, donc l'explication par les invasions est infondée. D'autres durant ces dernières années ont mis en avant les éléments de continuité avec le Bronze ancien qui existent sur les sites du Levant sud, pour remettre en question l'idée d'une culture du Bronze moyen façonnée avant tout par des éléments extérieurs, et pour étudier plus avant les réactions locales aux influences extérieures [22].

L'origine des populations cananéennes est discutée, certains les voyant surtout comme les descendants de populations locales déjà établies au Levant méridional avant l'âge du Bronze, d'autres comme les descendants de populations ayant migré dans la région, notamment les Amorrites, ou éventuellement comme un mélange des deux [23]. Le caractère pluriethnique de la région est souvent mis en avant [24].

Une étude génétique a porté sur les ossements crâniens de cinq « Cananéens » qui ont vécu à Sidon durant l'âge du bronze moyen, vers 1700 av. J.-C. Elle montre que ces habitants sont issus d'un mélange génétique entre les populations locales néolithiques du Levant et les anciennes populations iraniennes du Chalcolithique. Les chercheurs ont estimé l'époque de l'arrivée de la branche iranienne entre 6 600 ans et 3 500 ans, ce qui pourrait correspondre à l'Empire d'Akkad[25]. Cette ascendance chalcolithique iranienne et du Caucase de l'âge du bronze semble augmenter dans le temps dans la population cananéenne. Ainsi, concluent-ils, « les Cananéens, définis selon les critères archéologiques et historiques, constituent un groupe cohérent sur le plan démographique »[26].

Quant à l'interprétation de cette période comme étant celle des Patriarches bibliques (Abraham, Isaac, Jacob), proposée par William Albright, elle n'est désormais plus admise par la majorité des archéologues et historiens. Ils renvoient les textes bibliques qui les mentionnent au contexte de leur rédaction, plus d'un millénaire plus tard, comme le prouvent divers anachronismes : par exemple, le fait que certains sites mentionnés dans ces versets n'étaient pas occupés au Bronze moyen (comme Tel Beer Sheva) alors que bien d'autres sites plus importants ne sont pas mentionnés, ou encore la mention de peuples qui n'existaient pas à cette époque (Araméens, Arabes, Chaldéens). Ils n'utilisent donc pas cette source pour expliquer la situation politique ou ethnique de l'âge du Bronze[27].

Une période d'urbanisation

Vue aérienne du Tel Hazor (Israël).
Ruines d'une des portes d'Ashkelon (Israël), XIXe siècle av. J.-C.

Le Bronze moyen est une période de nouvelle urbanisation du Levant méridional, après une crise de l'habitat urbain qui a marqué les derniers siècles du IIIe millénaire av. J.‑C., laissant un peuplement rural. L'essor du peuplement se repère dès le début de la période, avec l'apparition de villages et de sites urbains le long de la côte et des grands axes de communication, en premier lieu les cours d'eau ; l'essor est moins marqué dans les régions intérieures et méridionales[28]. Au Bronze moyen II et III, la croissance démographique se poursuit et concerne en premier lieu les sites urbains, qui concentrent une plus grande population et s'étendent : Hazor est la plus vaste cité, avec ses 80 hectares ; Gezer, Megiddo et Jéricho sont d'autres villes importantes. Cet essor semble se produire à certains endroits au détriment de l'habitat rural, par exemple autour de Kabri[29]. Au Bronze moyen III, l'urbanisation s'étend aux terres hautes de l'intérieur : Sichem et Silo se dotent de fortifications, Hébron et Jérusalem sans doute également, signes que le pouvoir des élites locales se consolide à son tour [30]. Au Liban en revanche, les éléments de continuité culturelle avec la fin du Bronze ancien sont plus saillants. Là aussi, la tendance est à l'urbanisation à partir du Bronze moyen I et surtout II : dans la plaine de l'Akkar, le nombre de sites augmente, mais les plus étendus ne mesurent que 5 hectares environ, ce qui reste très limité par rapport à la situation de la Syrie voisine, et sont sans doute les centres de petites entités politiques (Arqa, Kazel, Jamous). Une situation similaire s'observe dans la Beqaa, autour de Kamid el-Loz et Hizzin qui sont situés sur des axes commerciaux majeurs. Le port de Byblos reste la ville majeure de la région[31].

Ce phénomène d'urbanisation a fait l'objet de diverses interprétations, notamment des comparaisons avec la situation des civilisations urbaines de Syrie et de Mésopotamie. En effet, l'essor des villes cananéennes du Bronze moyen a souvent été mis au crédit d'une influence venue du nord, comme il a été vu plus haut, et non pas comme le produit de l'évolution locale. Cette opinion s'appuie notamment sur le fait que les éléments urbanistiques et architecturaux mis au jour sur ces sites (fortifications, palais, temples) dénotent une influence syro-mésopotamienne. Des spécificités liées au milieu du Levant méridional ont pu être mises en avant, comme le fait que les arrière-pays des villes ne semblent pas en mesure de soutenir une croissance de celle-ci équivalente à celle des villes syriennes et mésopotamiennes contemporaines. Néanmoins, mettre l'accent sur la taille des sites urbains n'est pas suffisant, leurs fonctions devant être prises en compte afin de mieux saisir les spécificités du phénomène urbain en Canaan[32].

L'organisation des villes cananéennes du Bronze moyen est manifestement inspirée de l'expérience syrienne, connue notamment par les fouilles d'Ebla et de Qatna. Les sites sont délimités par des fortifications massives, qui assurent sa défense, et plus largement intimident les ennemis en même temps qu'elles marquent symboliquement la présence d'une communauté, et du pouvoir de son dirigeant. L'architecture monumentale, les palais et les temples, participent d'une même logique[33]. C'est sans doute à Hazor que l'influence syrienne se ressent le plus : la cité est dominée par une acropole fortifiée, où se trouvent un palais et des temples, donc l'emplacement semble déterminé de manière planifiée au Bronze moyen II, alors qu'avant ne devait s'y trouver qu'un village. C'est le secteur officiel de la ville, son centre de commandement. À ses pieds s'étend la ville basse. Les principaux éléments urbanistiques y sont préservés durant plusieurs périodes, signe de la capacité du pouvoir local à maintenir durablement son emprise sur l'urbanisme. À Megiddo la transition vers le stade urbain semble se faire de façon plus graduelle : un système de fortification apparaît dans le courant du Bronze moyen I, puis un palais est érigé par la suite, et au moment du passage au Bronze moyen II le site fait l'objet d'un réaménagement plus important, avec une extension du système défensif. Le lieu de culte principal conserve la même position durant la période, en revanche le palais est déplacé plus au nord, localisation qu'il conserve durant le reste de l'âge du Bronze[34]. Les plus petits sites ne sont pas forcément dépourvus d'architecture officielle. Pella, dans la vallée du Jourdain, dispose d'une muraille en briques de terre crue, et un temple de type migdol ; le petit site voisin de Tell al-Hayyat dispose également d'un sanctuaire, qui pourrait avoir été à l'origine de sa fondation, tandis que quelques kilomètres au sud Tell Abu Kharaz est au Bronze moyen III un petit site fortifié servant sans doute à contrôler la région[35].

Au Liban, l'architecture urbaine de l'époque est connue surtout à Byblos. La ville est protégée par une enceinte massive disposant de tours de garde et de portes défensives monumentales. Beyrouth, Sidon et Kamid el-Loz étaient aussi fortifiées à cette période. Le « temple aux obélisques » de Byblos est l'édifice religieux le mieux préservé du Bronze moyen : comme son nom l'indique il est caractérisé par sa douzaine d'obélisques disposées dans sa cour ; le temple lui-même est érigé sur un podium et de plan tripartite, avec une cella dans laquelle est disposée une pierre symbolisant la présence divine. Un atelier voisin devait servir pour réaliser des objets que les fidèles vouaient dans l'édifice. Pour ce qui est de l'architecture profane, Tell el-Burak a livré un bâtiment administratif voire palatial du Bronze moyen I, et une partie d'un édifice officiel (temple ou palais ?) avec cour a été dégagée à Beyrouth. Quelques résidences ont été mises au jour sur plusieurs sites[36].

Relations avec l'extérieur

Scarabée gravé d'une représentation de lion marchant. Production de Canaan, provenance inconnue, v. 1650-1550 av. J.-C. Walters Art Museum.

Si on tient le début du Bronze moyen comme une période d'importantes influences venues du Levant nord, les sites cananéens de cette phase n'ont pas livré de matériel particulièrement abondant provenant de cette région. Il n'est certes par inexistant et constitué de céramiques peintes, d'armes et de sceaux-cylindres. Cela tend à relativiser l'impact septentrional. On trouve aussi des objets chypriotes sur les sites côtiers. Les relations avec l'Égypte ont laissé plus de témoignages, quoique là encore ils soient plutôt rares pour le Bronze moyen I. Il s'agit surtout de céramiques et de scarabées. Les différents témoignages matériels de relations avec la vallée du Nil et avec l'espace syro-mésopotamien se font plus courants durant les phases II et III du Bronze moyen, et des contacts semblent même établis avec le monde égéen. En Égypte, on trouve des traces d'imports cananéens, en particulier des jarres d'huile d'olive et de vin. Cela confirme l'intérêt croissant pour le Levant méridional qui transparaît dans les sources écrites égyptiennes de l'époque[37]. Les plus notables sont les textes d'exécration, des objets en céramique sur lesquels sont écrits les noms d'ennemis avérés ou potentiels, avec des malédictions proférées à leur encontre. Ils datent des XIIe et XIIIe dynasties, donc les XIXe – XVIIIe siècle av. J.-C., et mentionnent plusieurs cités du Levant, permettant d'identifier les entités politiques de l'époque connues par les Égyptiens : par exemple Acre, Ashterot, Hazor, Megiddo, Pella, Ascalon pour le Levant sud, et Byblos, Tyr et Damas plus au nord[38]. Les relations entre le Proche-Orient et l'Égypte ont surtout pour interface les cités côtières du Levant central, et en premier lieu Byblos. Le rôle de cette cité dans le commerce avec l'Égypte a été mis en évidence depuis longtemps, notamment par la découverte sur place d'objets inscrits au nom de pharaons de la XIIe dynastie, et par le fait que les souverains locaux se fassent octroyer le titre de haty-a, « gouverneur », que seuls les monarques égyptiens avaient pu leur conférer[39].

Les relations entre le Levant méridional et l'Égypte à la fin du Bronze moyen sont marquées par l'intrusion chez la seconde de chefs militaires venus du premier, qui ont reçu l'appellation de Hyksos dans leur région d'arrivée, heka khasout en démotique, littéralement « chefs des pays étrangers », ou parfois aussi Amou, « Asiatiques ». Selon la tradition historiographique égyptienne, leurs rois ont fondé les XVe et XVIe dynastie égyptiennes. Leurs noms sont manifestement ouest-sémitiques. Cela a été interprété comme la conséquence d'une invasion hyksos, placée dans la continuité de l'invasion amorrite supposée du Levant méridional. En fait, des populations venues de Canaan se sont installées dans le delta du Nil dès les XIIe et XIIIe dynasties, ce qui est en accord avec l'essor des contacts entre les deux régions durant cette période, et avec la plus grande présence de matériel de type cananéen sur le sol égyptien. La prise de pouvoir des rois hyksos pourrait donc être un phénomène plus progressif que soudain, initié par des populations installées en Égypte depuis plusieurs générations. Les habitants de Canaan ont eu des contacts réguliers avec ceux des royaumes hyksos, mais il ne faut pas pour autant envisager d'État allant du Levant méridional jusqu'au delta du Nil[40],[30].

Âge du Bronze récent (v. 1500-1200 av. J.-C.)

Du point de vue archéologique, cette période est découpée en plusieurs séquences, reposant en grande partie sur la périodisation du Nouvel Empire égyptien[41] :

  • Bronze tardif IA, v. 1550-1479 av. J.-C. (ou transition Bronze moyen-Bronze tardif v. 1550-1500) ;
  • Bronze tardif IB, v. 1479-1375 av. J.-C. ;
  • Bronze tardif IIA, v. 1375-1300 av. J.-C. ;
  • Bronze tardif IIB, v. 1300-1190 av. J.-C.
  • Bronze tardif III/Fer IA, v. 1190-1140 av. J.-C.

La domination égyptienne

Localisation des principales cités du Levant au début de l'époque des archives d'Amarna (avant les conquêtes hittites), avec les limites supposées des trois « provinces » égyptiennes selon la reconstitution classique.

Les Hyksos sont vaincus en Égypte par les rois de Thèbes, Kamosé et Ahmosis, ce dernier étant le fondateur de la XVIIIe dynastie. Les vaincus se réfugient à Canaan, ce qui indique une nouvelle fois la force des liens qu'ils avaient conservé avec cette région, et ils y sont poursuivis[40]. Les campagnes d'Ahmosis enclenchent une dynamique qui se solde par la mise en place d'une domination égyptienne sur une majeure partie du Levant, qui dure durant tout le Nouvel Empire. Du point de vue géopolitique, l'âge du Bronze récent du Proche-Orient est marqué par la constitution de sphères de domination plus importantes que par le passé. Les royaumes du Levant passent sous la domination de puissances extérieures, les « grands rois » : l’Égypte, le Mittani, les Hittites. Dans cet ordre politique, les vassaux à la tête des royaumes levantins sont donc des petits rois, devant fidélité et obéissance à leur suzerain. Les cités cananéennes sont soumises sans discontinuité durant toute la période aux Pharaons, qui ne rencontrent pas de rival au Levant méridional, à la différence de ce qui se passe plus au nord où les affrontements entre grandes puissances sont plus courants, le point d'orgue étant la fameuse bataille de Qadesh. De ce fait, le Bronze récent du Levant sud est souvent envisagé sous le prisme égyptien, cette région étant vue comme une périphérie du Nouvel Empire[42].

Du point de vue archéologique, la transition entre le Bronze moyen et le Bronze récent, qui s'effectue dans le courant de la seconde moitié du XVIe siècle av. J.-C. suivant la chronologie moyenne, est marquée par des destructions attribuées par le passé aux campagnes d'Ahmosis, désormais plutôt à des conflits internes, aussi à des incursions de Nomades voire des catastrophes naturelles[43]. On trouve certes une trace de présence égyptienne de cette époque à Tell el-Ajjul, sans doute l'antique Sharuhen où se déroule l'affrontement final contre les réfugiés Hyksos, mais la domination égyptienne sur le Levant méridional ne se met réellement en place que plus tard, sous Thoutmôsis III. Sa victoire à Megiddo (v. 1457 av. J.-C.) contre les cités cananéennes appuyées par le Mittani est décisive dans ce processus. Des garnisons égyptiennes sont établies dans plusieurs villes stratégiques au sud de Canaan, comme Jaffa, Gaza et Beth Shean, mais la domination est encore contestée, comme l'atteste la destruction de Jaffa à la fin du Bronze récent I[44]. Un phénomène similaire s'observe plus au nord, dans le Liban actuel, où la vallée de la Beqaa en particulier devient un axe à contrôler, car ouvrant la voie vers la Syrie intérieure[45].

Une des lettres d'Amarna, missive adressé au Pharaon par le roi Rib-Adda de Byblos (EA 262). XVIe siècle av. J.-C., Musée du Louvre.

La situation politique de la région par la suite est documentée par les Lettres d'Amarna, correspondance diplomatique d'Amenhotep III et Akhénaton, qui comprend des missives échangées entre grands rois, mais aussi avec les vassaux cananéens : on y trouve les rois de Gath, Shechem, Jérusalem, les cités de Gaza, Ashkelon, Gezer, Lakish[46]. Selon la reconstitution courante de la domination égyptienne au Levant, trois provinces ont été établies à l'époque d'Amarna : Canaan au sud, Amurru au nord-ouest, Apu à l'est, chacune ayant une capitale où est établi un gouverneur avec une garnison, pour tenir sous son contrôle les rois vassaux, et prélever le tribut, ce qui suppose donc une présence administrative complémentaire. Pour D. Redford cependant on aurait quatre provinces, avec des représentants du pouvoir impérial égyptien qui exerceraient plutôt leur fonction de façon itinérante[12]. Un de ces sièges provinciaux, Kamid el-Loz, l'ancienne Kumidu (contrôlant l'Apu), a été dégagé ; situé dans la Beqaa, la dynastie locale y est remplacée à cette période par des gouverneurs, et le site, fortifié, abrite un palais où des archives de l'époque ont été mises au jour, une garnison de soldats et sert de relai sur l'axe conduisant à la Syrie[47]. Son gouverneur intervient à Byblos pour appuyer le vassal de l'Égypte qui en a été évincé, mais par la suite la ville est passe aux mains d'Aziru d'Amurru, un vassal des Égyptiens qui finir par se ranger aux côtés des Égyptiens. Les Lettres d'Amarna ont été interprétées de façon contrastées quant à savoir si elles révélaient ou non une emprise égyptienne faible : les rois vassaux sont souvent entraînés dans des querelles entre eux, mais sans jamais rentrer dans des conflits ; ils professent leur loyauté à l'Égypte, ce qui peut être vu comme une preuve de solidité du système de domination ou bien comme de la langue de bois ; sans doute le pouvoir égyptien est intéressé par la stabilité de sa domination, et les menaces qui pèsent pour lui (les Hittites) se situent du reste plus au nord, en Syrie, où la situation tourne au désavantage des monarques égyptiens. Le fait que les dynasties suivantes cherchent à renforcer leur emprise sur Canaan pourrait indiquer que la période d'Amarna est une phase d'affaiblissement[48].

Sommet d'une stèle de Séthi Ier mise au jour à Beth Shean. Musée d'Israël.

De fait, tout indique que la domination impériale se renforce au début de la XIXe dynastie. Séthi Ier conduit plusieurs campagnes dans la région. À l'époque de son fils Ramsès II, la région semble fermement tenue, et cela se poursuit jusqu'à la XXe dynastie, sous Ramsès III[49]. Plusieurs garnisons semblent consolidées, telles que Beth Shean et Jaffa, et la présence d'inscriptions royales dans la première traduit une volonté de rendre le pouvoir plus présent. De nouveaux forts égyptiens sont érigés sur la plaine côtière et dans la Shéphélah (Tell el-Farah sud, Tell Sera, Gezer, Aphek), ainsi que des bâtiments administratifs (Aphek, Tell Mor, Deir el-Balah), où se côtoient cultures matérielles égyptienne et cananéenne, couramment considérés comme des lieux de résidence de sortes de gouverneurs, certains ayant livré des documents fiscaux[50].

Sceau-cylindre du roi Addumu de Sidon, reprenant une iconographie d'inspiration égyptienne. XIIIe siècle av. J.-C., musée du Louvre.

La nature de la domination égyptienne et de son impact politique et culturel font l'objet de nombreuses discussions[51]. Cette expansion a plutôt été vue comme un « impérialisme » (à la suite notamment de B. Kemp, D. Redford), mais pas comme une entreprise coloniale. Mais reste à qualifier la nature et l'intensité de cet impérialisme : le contrôle était-il formel, direct, ou bien plus informel et reposant avant tout sur une émulation culturelle volontaire des élites locales (idée émise par C. Higginbotham) ? Sans doute les deux explications peuvent se combiner, et varier selon les sites, car dans certains cas il y a manifestement des implantations égyptiennes, le pouvoir égyptien s'étant sans doute appuyé sur une présence directe et aussi une intégration des élites locales à son ordre politique. Cependant la présence égyptienne au Levant sud est moins forte qu'en Nubie, région pour laquelle on parle couramment de contrôle direct et de colonisation. Rencontrant au Levant des sociétés urbaines similaires à la leur, les Égyptiens n'ont pas cherché à bousculer leurs structures sociales et administratives et préféré se reposer en partie sur les structures en place, recrutant des hommes du cru pour diriger leurs affaires, situation facilitée par le fait que les contacts entre les deux pays sont établis de longue date, nombre d'« Asiatiques » résidant dans la vallée du Nil[52]. La logique centre/périphérie est peut-être plus explicative. La situation peut du reste avoir évolué au cours du temps, et les traces d'un contrôle direct semblent plus fortes sous Ramsès III, après le renforcement constaté sous la XIXe dynastie[53].

Un dernier point en rapport avec les relations entre Égypte et Levant méridional qui a fait couler beaucoup d'encre est celui de l'historicité et de la datation de l'Exode mentionné par la Bible. Une vision répandue l'a daté du règne de Ramsès II, bien que le texte biblique ne fournisse pas le nom du Pharaon qui aurait été impliqué dans ces événements. L'interprétation dominante chez les historiens et archéologues (en dehors des milieux les plus conservateurs) est que ce récit, écrit au plus tôt au VIIIe siècle av. J.-C., appartient à une sorte de saga nationale, ayant peut-être une ressemblance lointaine avec des événements et personnages réels (vu la fréquence des relations entre les deux régions à cette période) mais ne décrivant pas de faits réels. La question de sa datation et de l'identification du Pharaon de l'Exode ne se pose donc plus[54].

Réorganisation du peuplement et des lieux de pouvoir

Après les destructions des villes de la fin du Bronze moyen, le nombre de site occupé décroît, leur taille moyenne aussi, la plupart des grands sites urbains n'étant pas reconstitués. Hazor reste le site le plus vaste, avec environ 80 hectares avec sa ville basse, les autres villes étant bien plus modestes, entre 25 et 60 hectares. Les traces de murailles érigées à cette période sont très limitées, ce qui ne veut pas forcément dire que les villes ne sont plus fortifiées, car elles ont pu utiliser les murailles du Bronze moyen[55]. Au Levant central, la situation est moins bien connue, mais le réseau semble dominé par des villes (Arqa, Beyrouth, Kamid el-Loz, Tyr, Sidon, Byblos), assurément dotées de puissantes murailles, dominant un ensemble de villages, avec des occupations surtout fortes dans les plaines côtières de Tyr et d'Akkar, et la plaine intérieure de la Beqaa[56]. Au sud, s'observe une plus forte concentration que par le passé autour de la plaine côtière et des vallées intérieures, tandis que les hautes terres centrales et la plaine de Beer-Sheva ont une densité d'occupation bien moindre que par le passé. La phase II du Bronze récent voit un essor de certains sites, peut-être le signe d'une reprise, ou alors simplement la conséquence de l'augmentation des implantations du pouvoir égyptien, donc un phénomène initié de l'extérieur. Il en résulte que le réseau urbain du Bronze récent est dominé par des sites plus petits que durant la phase précédente, ce qui semble indiquer que les entités politiques sont moins vastes et intégrées, sans doute aussi plus nombreuses et fragmentées, même si les spécialistes ne s'accordent pas sur le nombre, avec des estimations qui oscillent pour le seul Levant sud entre 13-14 et 22-27, donc en gros autour de la vingtaine à l'époque des lettres d'Amarna. Il y a également des divergences quant à savoir s'il s'agit d'États territoriaux frontaliers les uns des autres, ou bien s'il y a des zones inoccupées ou parcourues par des Nomades entre eux, en sachant qu'il faut également prendre en compte la présence de lieux de pouvoir égyptiens (garnisons, résidences de gouverneurs, aussi des sanctuaires). Peut-être que la plus grande division politique résulte de la domination égyptienne, d'une volonté de diviser pour mieux régner, et aussi de l'appropriation des points de contrôle principaux des grands axes de communication et de nombreuses terres et autres richesses. Cette nouvelle situation pourrait avoir bénéficié aux populations rurales, renforcées par l'affaiblissement des élites urbaines locales, et aussi aux groupes nomades, comme les Bédouins appelés Shasou dans les textes égyptiens. Dans les textes de l'époque apparaissent aussi à plusieurs reprises des groupes de populations apparemment en situation marginale voire dissidentes, les Apirou[57]. Sur le plan matériel, la société cananéenne du Bronze récent semble plutôt cohérente, même si des divergences dans les pratiques funéraires et lieux de culte pourraient indiquer une diversité ethnique. De plus on peut aussi distinguer une séparation entre la partie méridionale de Canaan où l'influence égyptienne est plus forte, et celle du nord qui est plus proche culturellement de la Syrie[58].

Échanges avec l'extérieur

La situation géopolitique du Moyen-Orient vers 1200 av. J.-C., à la fin du Bronze récent.

Le Bronze récent est une période d'intensification des contacts entre les différentes régions du Moyen-Orient et de la Méditerranée orientale, qu'il s'agisse de diplomatie, de commerce ou de relations culturelles, avec notamment l'apparition d'un « style international » dans l'art, servant à marquer et consolider le prestige des élites de l'époque. Cette situation a pu être présentée comme un « système-monde », voire une « globalisation »[59]. C'est encore une fois le Levant central qui est le mieux intégré dans ces réseaux d'échanges, à partir des ports de Tyr, Byblos, Sidon et Beyrouth, qui ont livré des objets provenant du Levant sud, d'Égypte, de Syrie, d'Anatolie, de Chypre et du monde égéen mycénien. Mais un site intérieur comme Kamid el-Loz, relai du pouvoir égyptien, a aussi des contacts avec ces différentes régions. Les vases inscrits au nom de Pharaons devaient circuler dans le milieu des élites dirigeantes, probablement obtenus par des contacts politiques ou diplomatiques, servant à renforcer la légitimité de ceux qui les recevaient et participant à l'« égyptianisation » de ce milieu. En revanche les céramiques chypriotes et mycéniennes semblent diffuser plus largement[60]. Le Levant sud est concerné par ces réseaux d'échanges à un degré moindre, mais des produits de provenance extérieure, en particulier la céramique chypriote, s'y retrouvent. Les marchands et marins de l'époque devaient agir comme des sortes d'intermédiaires dans les échanges entre élites des différentes régions connectées, le commerce étant alors largement aux mains du pouvoir. Mais ils devaient aussi concourir à faire parvenir les réseaux à longue distance jusque dans des cadres moins formels et encadrés[61].

Fin de l'âge du Bronze et début de l'âge du Fer (v. 1200-900 av. J.-C.)

Du point de vue chronologique, cette période est divisée en plusieurs phases[62] :

  • transition âge du Bronze/âge du Fer, v. 1200/1190-1140 av. J.-C. ;
  • âge du Fer IA, v. 1150/1140-1050 av. J.-C. ;
  • âge du Fer IB, v. 1050-1000/980 av. J.-C. et en général plus, jusqu'à 920 av. J.-C. au maximum (la datation de la fin de la période est très débattue) ;
  • parfois une transition Fer I/Fer II au Xe siècle av. J.-C. (jusqu'en 925-900 av. J.-C.).

La fin de la domination égyptienne et la crise de la fin du Bronze récent

C'est sous la XXe dynastie que la domination égyptienne à Canaan prend fin. Ramsès III est encore actif dans la région, puisqu'on trouve des traces de constructions administratives à Beth Shean pour son règne, et aussi des inscriptions de cette époque sur d'autres sites (Lakish, Tel Sera). Mais ces implantations égyptiennes disparaissent par la suite, laissant un vide politique[63]. Ce retrait prend place dans un contexte plus large généralement caractérisé comme une « crise » ou un « effondrement » qui marque la fin de l'âge du Bronze, qui voit non seulement la fin du Nouvel Empire égyptien et de sa domination sur Canaan, mais aussi celle de l'empire hittite, et de nombreux royaumes levantins, en premier lieu Ugarit, et laisse un début de l'âge du Fer particulièrement mouvementé. Traditionnellement on tend à imputer ces changements à des mouvements de population, à commencer par ceux des « Peuples de la Mer » que combat Ramsès III, aussi les Israélites dans le Canaan intérieur, et les Araméens en Syrie et Haute Mésopotamie. Le vide politique qui s'instaure aurait profité à ces groupes qui auraient éliminé les royaumes en place, et instauré progressivement leur propres entités politiques. Dans ce même mouvement, les échanges à longue distance et le caractère « globalisé » du Bronze récent s'amenuisent, un retour au local s'accomplit à peu près partout[64].

Les causes de cet effondrement ont fait couler beaucoup d'encre : les « invasions » comme celles des Peuples de la Mer ont dominé dans les scénarios catastrophistes, même si elles peuvent aussi être vues comme une conséquence de la crise, des désastres naturels (séismes) ou climatiques (sécheresses prolongées) ont aussi été invoqués ; d'autres interprètent le fait que la crise soit aussi généralisée comme un témoignage de sa nature « systémique », donc une crise avant tout interne, liée à une pluralité de facteurs (crise sociale, épidémies, manque de terre, fin des échanges à longue distance, etc.). Dans une même veine, l'aspect cyclique des civilisations antiques a pu aussi être mis en avant, et dans ce cadre l'ordre de l'âge du Bronze aurait en quelque sorte atteint sa date limite. D'une manière générale on s'oriente vers des interprétations moins catastrophistes de cette période, les destructions n'étant pas généralisées, et certaines régions semblant profiter des évolutions économiques et politiques (comme les cités de la côte libanaise) alors que d'autres moins (la côte syrienne) : il n'y a donc pas que des perdants. D'une manière générale l'effondrement concerne avant tout les élites des grands royaumes du Bronze récent, qui dirigeaient ceux-ci et animaient les réseaux d'échanges à longue distance pour des besoins essentiellement somptuaires. Avec la restructuration des sociétés et économies qui en résulte, les entités politiques sont moins importantes, les échanges internationaux moins intenses (mais pas inexistants), le monde est plus fragmenté que par le passé. C'est cette situation qui fait le lit de l'émergence de nouvelles ethnies et entités politiques qui caractérisent le Levant de l'âge du Fer[65].

Une période de recompositions sociales et ethniques

Localisation des principales villes du Levant de la fin du IIe millénaire av. J.‑C. et de la première moitié du Ier millénaire av. J.‑C.

Les trouvailles archéologiques, combinées aux sources textuelles (essentiellement datées des périodes postérieures), ont depuis longtemps mis en avant l'importance des bouleversements ayant lieu au Levant durant la fin de l'âge du Bronze et le début de l'âge du Fer. Du point de vue politique et social, c'est une ère qui voit des transformations et recompositions complexes, avec des phénomènes très fluides : décentralisation maintenant qu'il n'y a plus de grande puissance pour dominer la région, donc une plus grande importance du niveau local ; peut-être un temps plus égalitaire que par le passé avec la fin de beaucoup de royaumes ; en tout cas les transformations dans la culture matérielle sont visibles partout. Cette période pose les jalons des entités politiques des entités du Levant de l'âge du Fer, des âges biblique et classique[66]. Le Canaan de l'âge du Bronze, dominé politiquement par les Égyptiens, laisse progressivement la place à plusieurs entités culturelles et ethniques (phénomène d'ethnogenèse) qui reprennent au moins en partie son héritage, mais doivent aussi une portion plus ou moins large de leur culture à l'intrusion d'éléments extérieurs : les Philistins sur la côte sud, les Phéniciens sur la côte nord, les Israélites dans les hautes terres intérieures, aussi plusieurs autres entités en Transjordanie (futurs royaumes d'Edom, Moab, Ammon), et les Araméens en Syrie intérieure (Damas étant leur implantation méridionale majeure).

Poterie peinte monochrome de type « philistine I », XIIe siècle av. J.-C. Musée d'Israël.

Les Philistins sont généralement tenus pour être un groupe originaire du monde égéen, voire de l'Asie mineure, avec aussi de forts liens avec Chypre, qui leur aurait servi de point d'étape avant leur arrivée sur la côte sud du Levant. En tout cas c'est dans ces régions que les quelques textes abordant le sujet semblent situer leurs origines, et leur implantation à Canaan s'accompagne de l'apparition d'une poterie dite « philistine », de style mycénien et/ou chypriote mais produite localement. Les Philistins font partie des Peuples de la Mer affrontés par Ramsès III, et selon l'opinion la plus courante ils se seraient installés sur la côte levantine après avoir été repoussés d'Égypte. On y voit des groupes de maraudeurs, peut-être des sortes de pirates, venus de divers horizons, des guerriers accompagnés de leurs familles, peut-être arrivés en plusieurs vagues. La datation de leur implantation est loin de faire consensus, certains la situant dès le règne de Ramsès III, ce qui en ferait donc une cause de l'effondrement de la domination égyptienne, d'autres plus tard, auquel cas elle accompagnerait et profiterait de ce départ. La présence philistine se repère sur les principales cités de la partie occidentale du Levant sud, Gezer, Gath, Ashkelon, Gaza et Yursa, seule Lakish semble abandonnée. L'arrivée des Philistins semble bien avoir un aspect violent en plusieurs endroits, sans forcément être accompagnée de l'immigration d'un grand groupe de population. Quoi qu'il en soit la population de la région n'est pas décimée ou remplacée, au contraire les arrivants se mélangent à elle, et rapidement une synthèse se forme dans la culture matérielle entre le substrat local cananéen qui prend le dessus, et les influences égéennes/chypriotes qui subsistent dans certains domaines mais se font de plus en plus timides au fil de temps[67].

Pour ce qui concerne l'intérieur, le phénomène le plus mis en avant est celui de l'émergence des Israélites dans les hautes terres. Comme vu plus haut, les archéologues et historiens ont abandonné l'idée de considérer l'Exode et la conquête de Canaan par les Hébreux tels que racontés dans la Bible comme des faits historiques. Mais divers éléments, en premier lieu la mention d'une entité couramment identifiée comme Israël dans une inscription sur une stèle du roi égyptien Mérenptah (v. 1200 av. J.-C.) font que l'existence de celui-ci à la fin du Bronze récent est jugée probable. Mais c'est une « autre sorte d'Israël (qui) est manifestement en train de se développer, que l'archéologie est en train de révéler » (L. Grabbe)[68]. La manière dont se sont constituées les premières communautés Israélites (ou « proto-Israélites »), dans les hautes terres du Levant méridional, sont très discutées, notamment la question de savoir dans quelle mesure elles sont descendantes des Cananéens de l'âge du Bronze. Ce qu'observe l'archéologie, c'est une augmentation des sites sédentaires dans cette région durant la période de transition entre le Bronze récent et le Fer I, même avant selon certains. Les reconstitutions ont longtemps opposé deux approches reposant sur l'idée d'une infiltration depuis l'extérieur : de manière conquérante selon Albright, pacifique selon Alt et Noth. Sauf exceptions, on n'attribue plus d'événements violents à la formation des groupes proto-Israélites. Israël aurait émergé à partir d'un ensemble bigarré de populations, une « multitude mixte » selon A. Killebrew[69], comprenant en bonne partie des groupes ruraux cananéens, des pasteurs, des groupes marginaux du Bronze récent (Apirou, Shasou), aussi des populations venues de l'extérieur. Néanmoins des modèles comme celui d'I. Finkelstein proposent que les premiers Israélites soient avant tout formés à l'initiative de groupes nomades non-cananéens installés dans les hautes terres, qui s'y sédentarisent. N. Na'aman insiste plus sur l'arrivée de populations extérieures à Canaan dans le contexte de la fin de l'âge du Bronze récent, venues se mêler aux populations en place puis se mélangeant progressivement aux groupes marginaux et nomades avant de finalement s'établir dans les hautes terres. Pour W. Dever en revanche, les populations qui s'établissent dans les hautes terres sont avant tout des paysans cananéens déracinés venues des campagnes des régions basses. À l'opposé A. Faust a pu faire des premiers Israélites avant tout les descendants des Shasou. La culture matérielle n'est pas vraiment en mesure d'apporter une conclusion à ces débats sur l'ethnicité, puisqu'elle peut être similaire pour plusieurs populations[70]. Du point de vue linguistique, les langues du Levant méridional de l'âge du Fer sont en tout cas manifestement les descendantes des langues cananéennes parlées dans la région durant le Bronze récent (voir plus bas), donc la continuité est claire, ce qui veut dire que les éléments extérieurs, quelle que soit leur importance, ont rapidement été intégrés[71].

C'est finalement au nord, sur la côte libanaise, que les éléments de continuité avec la civilisation cananéenne de l'âge du Bronze sont les plus évidents, à commencer par la langue qui dérive là aussi de celles attestées pour la période précédente[72]. Les cités de la région forment à cette période un ensemble que les Grecs devaient nommer « Phéniciens ». On ne sait pas vraiment si elles ont jamais eu l'impression de former une culture commune, même s'il a été avancé que les populations de ces régions avaient pu se considérer comme Cananéennes aux périodes plus tardives de l'Antiquité. Quoi qu'il en soit la majeure partie des spécialistes les voit comme des descendants des Cananéens de l'âge du Bronze, même s'il faut ici aussi envisager l'impact des migrations de la fin du Bronze récent, qui semblent perceptibles dans certaines évolutions de la culture matérielle. Avec la disparition d'Ugarit à la fin du Bronze récent, les cités de la région, Byblos, Tyr, Sidon, etc. devinrent les principaux ports de la côte levantine, même s'ils durent un temps faire face au déclin des réseaux d'échanges à longue distance. D'après les quelques données glanées sur des sites archéologiques de la région, les cités de la côte libanaise ont été remarquablement résilientes après les événements de la fin du Bronze récent, ont maintenu leurs traditions tout en intégrant quelques éléments étrangers. Moins dépendantes de la mainmise égyptienne, elles paraissent avoir été mieux armées que les cités de la côte méridionale du Levant pour résister aux bouleversements de l'époque[73].

La constitution des royaumes de l'âge du Fer

Durant la dernière phase du premier âge du Fer, au Xe siècle av. J.-C., les cités phéniciennes et philistines se consolident et étendent leur emprise sur les terres basses de Canaan, semble-t-il sans guerre particulièrement violente[74]. Des royaumes puissants émergent, comme celui de Tyr qui devient la cité phénicienne la plus dynamique, initie l'expansion phénicienne dans la Méditerranée, qui débouche rapidement sur des implantations coloniales qui atteignent la partie occidentale de cette mer, et s'étend territorialement en direction du sud[75]. Dans les hautes terres, c'est de cette phase qu'est traditionnellement datée l'émergence du royaume d'Israël, forgé dans la lutte contre les Philistins, par le roi David, qui aurait alors étendu son autorité en direction des cités basses cananéennes (comme Gezer). La recherche historique récente rejette l'idée que ce royaume soit une entité politique puissante, en mesure de dominer le Levant sous Salomon comme le prétend la Bible, et donc la prise de contrôle des cités de Canaan à cette période est mise en question[76]. Ces différentes ethnies et entités politiques intègrent toutes des éléments cananéens, qui constituent sans doute une bonne partie de leurs racines comme vu plus haut. Coincées entre elles, les cités cananéennes des basses terres préservent un temps leur indépendance et reprennent de la vigueur durant cette période, à l'exemple de Megiddo. Cette dynamique s'éteint néanmoins à la fin du premier âge du Fer. Cette fin a pu être imputée à une campagne conduite par le pharaon Sheshonq Ier (v. 926 av. J.-C.), dont la Bible mentionne qu'il a épargné Jérusalem contre un tribut, et qui a laissé une inscription mentionnant la soumission d'environ 150 villes et villages au Levant méridional. On peut lui attribuer les destructions attestées à Beth Shean, Rehov, Megiddo, quoi que certains relativisent les dégâts causés par cette campagne, qui serait pour eux plutôt de l'ordre de l'intimidation. En tout cas elle ne se solde pas par un retour de la domination égyptienne[77],[78],[79]. Le royaume d'Israël semble le principal bénéficiaire de la situation, les souverains de la dynastie omride prenant le contrôle de diverses cités des basses terres (Hazor, Megiddo, Gezer), sans bouleverser l'ordre social puisque le peuplement n'est pas modifié, au contraire cela se traduit par une plus forte influence de la culture matérielle et architecturale des villes cananéennes sur cet État[80].

Aspects culturels

Les dieux de Canaan

Dieux cananéens trouvés à Hazor (XVe – XIIIe siècles av. J.-C., musée d'Israël, Jérusalem).

La notion de « religion cananéenne » recouvre en général la religion pratiquée dans le Levant méridional (et aussi central) durant l'âge du Bronze récent et aussi durant l'âge du Fer. Pour cette dernière elle peut servir à désigner la religion polythéiste à partir de laquelle émerge le monothéisme de l'Israël antique[81]. Elle est reconstituée à partir d'un ensemble divers de textes, s'appuyant sur la description des croyances et pratiques religieuses des Cananéens qui sont fustigées par la Bible, et sont sans doute la religion pratiquée par les Israélites non pleinement acquis au monothéisme à l'époque de rédaction de ces textes, et aussi celle des peuples voisins (Phéniciens, Philistins). Les sources écrites provenant des régions voisines sont aussi invoquées en appui : en premier lieu la riche documentation cunéiforme d'Ugarit de l'âge du Bronze récent concernant sa religion, ainsi que les informations concernant la religion phénicienne, en gros tout ce qui peut être de près ou de loin rattaché à l'ensemble culturel cananéen. Les sources architecturales et iconographiques provenant des sites cananéens du IIe millénaire av. J.‑C. fournissent des informations plus directes sur les pratiques religieuses, mais ne sont pas vraiment explicites sur l'univers religieux. Selon ce qui apparaît dans ces sources, une des principales divinités de ces régions est El, le « Dieu » (ʾilu), chef de l'assemblée divine chargée de trancher les cas les plus importants, figure paternelle, royale, parfois créatrice. Baal, le « Seigneur » (bʿl), est l'autre figure royale du panthéon cananéen. Ce nom est en fait un épithète qui peut servir à désigner différents dieux locaux majeur. À Ugarit et sans doute dans bien d'autres endroits, il désigne Hadad le dieu de l'Orage (donc des eaux venant du ciel, ce qui lui donne un rôle dans la fertilité), grande figure souveraine des panthéons sémitiques occidentaux, fils du grand dieu agraire Dagan, et protagoniste d'un cycle mythologique qui le voit se défaire de plusieurs rivaux (Yam la Mer, Môt la Mort) afin d'accéder à la souveraineté sur les dieu. La principale divinité féminine de ces régions est Astarté, déesse de la chasse et de la guerre, sans doute aussi de l'amour et associée à la planète Vénus. Athirat est la parèdre du dieu El, sous le nom d'Asherah son culte semble avoir été important dans l'Israël antique. Anat, jeune sœur de Baal, a des aspects guerriers semblables à ceux d'Astarté. Shapash est la déesse solaire des panthéons sémitiques occidentaux (alors qu'à l'est cette position est celle d'un dieu masculin)[82].

Les écritures employées à Canaan et leurs usages

Bol avec inscription en alphabet « proto-cananéen ». XIIIe siècle av. J.-C. Musée d'Israël.

Plusieurs types d'écritures sont attestés sur les sites de Canaan du IIe millénaire av. J.‑C. : l'écriture cunéiforme, originaire de Mésopotamie et dominante en Syrie ; les écritures égyptiennes, hiéroglyphes et hiératique ; des alphabets linéaires (« protosinaïtique » ou « protocananéen ») ; des alphabets cunéiformes ; enfin aussi des hiéroglyphes hittites et écritures du monde égéen (minoen, mycénien), reflet d'un contexte international. Les traces d'écriture sont limitées par rapport aux régions voisines, surtout concentrées dans quelques villes plus internationalisées (Hazor, Lakish, Beth Shean au sud, et surtout les cités côtières Byblos, Tyr, Sidon), quoi que plus nombreuses au Bronze récent qu'au Bronze moyen, ce qui semble refléter un développement. Au Levant sud, les inscriptions en hiéroglyphes sont numériquement les plus nombreuses, car elles se trouvent sur des scarabées qui sont un type d'objet assez répandu, probablement un reflet de l'« égyptianisation » des élites locales car il s'agit d'objets personnels (avec aussi une finalité protectrice), de prestige, comme les vases inscrits en hiéroglyphes ; on trouve aussi quelques stèles laissées par des rois égyptiens pour commémorer leur emprise sur la région, ainsi que quelques inscriptions funéraires isolées. Le hiératique a sans doute dû être employé par l'administration égyptienne du Levant au Bronze récent, mais il reste peu attesté, sans doute parce qu'il était écrit sur des matériaux périssables qui ont disparu, et a surtout survécu sur des céramiques. Le cunéiforme, écrit en akkadien, est surtout documenté à Hazor, qui a livré environ 90 tablettes, de nature diverse (textes administratifs, scolaires, recueils de lois, divination, etc.) ; c'est l'écriture diplomatique de l'époque, comme attesté par les tablettes originaires de Canaan mises au jour parmi les lettres d'Amarna, donc connue des chancelleries du Levant méridional. Son usage semble donc répandu spatialement dans la région, enseigné et pratiqué pour divers usages, notamment officiels, mais Canaan n'a pas livré de documentation en quantité comparable aux cités de Syrie (Ugarit, Emar), ce qui n'est probablement pas lié au hasard des trouvailles archéologiques mais bien à une pratique moins courante de cette écriture[83]. Les sceaux-cylindres courants dans les régions de culture cunéiforme sont très rarement inscrits à Canaan. Les alphabets linéaires sont attestés par de courtes inscriptions sur quelques objets personnels devant appartenir à des élites (vaisselle, bijoux, ornements). Les objets à finalité votive portant des inscriptions sont rares, par exemple des bols portant une inscription peinte en hiératique[84].

L'alphabet : invention cananéenne ?

L'alphabet est manifestement dérivé des écritures égyptiennes (hiéroglyphes, hiératique), puisque plusieurs des signes des premiers alphabets reprennent la forme de signes égyptiens, tandis qu'ils suivent le principe des signes phonétiques de l'écriture égyptienne qui ne notent que les consonnes (alors que les signes phonétiques du cunéiforme sont des syllabes complètes avec consonnes et voyelles). Mais ils sont adaptés à un contexte linguistique sémitique : ce sont à l'origine des représentations picturales de choses, et le son qu'ils représentent est la consonne initiale du mot cananéen désignant cette chose (acrophonie) : par exemple le signe à l'origine de la lettre transcrivant la consonne [r] représente une « tête », reš en cananéen (alors que ce mot se dit tp en égyptien ancien). La plus ancienne forme d'écriture alphabétique attestée, qui pourrait dater des alentours de 1900 av. J.-C., a été identifiée au Wadi el-Hol en Égypte, site où on trouve mention d'« Asiatiques », donc de Cananéens, et ces inscriptions ont souvent été reliées à cette population. L'autre plus ancienne forme d'alphabet connue, le protosinaïtique, identifiée comme son nom l'indique au Sinaï dans les sites miniers de Sarabit al-Khadim, où était extraite durant le Moyen Empire (donc au Bronze moyen) de la turquoise tant appréciée des Égyptiens. Là encore cette écriture a été reliée à la présence de travailleurs parlant des langues sémitiques. Mais dans les deux cas le contexte reste celui de la sphère politique et culturelle égyptienne, donc la possibilité que les premiers alphabets aient été développés à l'initiative de l'administration égyptienne reste envisagée, même si ce type d'écriture a forgé son succès au Levant. Des inscriptions dans des alphabets archaïques, « protocananéens », datées approximativement de la même période ont été mises au jour au Levant méridional, par exemple sur une poterie[85] et une dague mises au jour à Lakish, mais l'usage de cette forme d'écriture semble rester très limité par rapport au cunéiforme et aux écritures égyptiennes. Ces premières formes alphabétiques sont d'aspect linéaire. Mais le premier alphabet dont l'usage soit systématique, celui d'Ugarit, développé au moins à partir du XVe siècle av. J.-C. et surtout attesté dans les dernières décennies du XIIIe siècle av. J.-C., a un aspect cunéiforme. Certains des signes de cet alphabet semblent inspirés de ceux des alphabets linéaires plus anciens. On trouve en quantité bien moindre d'autres variantes d'alphabets cunéiformes de la même époque sur d'autres sites de Syrie et aussi à Chypre, et dans le Levant central (Kamid el-Loz, Sarepta) et méridional (Taanach, Bet Shemesh, mont Thabor)[86],[87],[88].

Les langues cananéennes

En linguistique, le terme cananéen peut avoir deux usages :

On s'intéressera ici au premier cas. Ces dialectes sont très mal documentés, donc peu connus. Les textes cunéiformes écrits à Canaan au IIe millénaire av. J.‑C., surtout les lettres d'Amarna, le sont en akkadien, langue sémitique de Mésopotamie qui sert de lingua franca à cette période, mais ils contiennent de nombreux termes et formulations ainsi que des gloses en dialectes cananéens, ce qui donne à leur akkadien un aspect hybride (une sorte de pidgin), cananéen, qui permettent d'approcher les dialectes de Canaan. On observe des variations entre les textes, ce qui est généralement interprété comme le reflet des dialectes locaux des différents scribes écrivant ces textes. Mais d'autres objectent que les différences ne sont pas si marquées que ça, et qu'il pourrait s'agir d'une forme de langue de contact mise au point par les scribes cananéens et devenue un standard à l'échelle de leur région, reflétant le fait que leur apprentissage de l'akkadien est moins complet que celui des scribes de Syrie qui pratiquent un akkadien plus classique[89]. Les inscriptions en alphabet protocananéen sont écrites en dialecte cananéen, mais elles sont bien moins nombreuses, courtes et souvent mal préservées et encore mal comprises, donc moins utiles que les textes cunéiformes pour approcher les langues cananéennes. Ce sont les deux sources à notre disposition, ensuite les parallèles avec les autres langues cananéennes dans la seconde acception (phénicien, hébreu) permettent d'apporter d'autres éléments de compréhension. Au mieux, il est possible de dégager quelques traits généraux des dialectes cananéens de l'époque d'Amarna : du point de vue phonétique, s'est effectué le remplacement du *ā proto-sémitique par le ō (ce qui se retrouve en hébreu), et l'inventaire consonantique est plus restreint que celui de la langue d'Ugarit et différent de l'araméen ; les cas sont marqués avant tout par des voyelles suffixées, comme à Ugarit, ce qui disparaît dans les langues du Ier millénaire av. J.‑C. ; de même le système verbal est proche de celui d'Ugarit et différent de ceux des langues cananéennes postérieures ; le système Š causatif n'est pas attesté, sans doute absent ; la « loi de Barth-Ginsberg » s'applique (le a initial devient i dans une forme yaqtal, soit yiqtal). Du point de vue du vocabulaire, un lexique de base est connu, mais il manque tout de même des éléments cruciaux, comme les verbes de mouvement. Pour complexifier le tableau, plusieurs dialectes existant, il devait y avoir des différences entre eux[90].

Canaan et Cananéens dans les textes postérieurs

À partir de l'âge du Fer II, les termes de Canaan et de Cananéens tendent à perdre leur sens. Dans la littérature biblique qui est couchée par écrit à compter de cette période, ils deviennent un symbole plutôt qu'une description d'une réalité de l'époque, les auteurs des textes de l'époque post-exilique n'ayant plus sous les yeux les Cananéens qu'ils fustigent[91]. Durant l'époque hellénistique, le terme Canaan semble être un synonyme des termes grecs Phénicie et Phéniciens, comme l'indique un monnayage de Beyrouth (Béryte) daté du IIIe siècle av. J.-C. ayant une légende en grec Laodikeia he en Phoinikē, « Laodicée de Phénicie », et en phénicien lʾdkʾ ʾš bknʿn, « Laodicée de Canaan » (nouveau nom de la ville)[2]. Dans l’Évangile selon Matthieu (15), une femme cananéenne implore Jésus de soigner sa fille ; elle est présentée comme originaire des régions phéniciennes de Tyr et Sidon[92].

Dans la littérature rabbinique juive, les Cananéens sont mentionnés à plusieurs reprises, en lien avec leur image négative laissée par le texte biblique. Au Moyen-Âge, le terme Cananéens est couramment employé dans les familles juives pour qualifier leurs serviteurs et esclaves qui n'ont pas d'ancêtre juif, là encore un sens dérivé de la Genèse où la condition de serviteur est assignée aux descendants de Canaan. D'autres textes évoquent le fait que les Cananéens se seraient réfugiés en Afrique après en avoir été chassés par les Israélites[93],[94]. En Afrique du Nord, les Berbères ont souvent été présentés comme des descendants des Cananéens[95].

Un sens plus positif de Canaan subsiste, en tant que désignation de la Terre promise, par exemple dans le gospel. Les Puritains américains ont pu employer l'expression de « langues de Canaan » comme de la langue parlée au Paradis par les personnes sauvées. Dans une acception plus négative, ceux qui se sont vus comme le « nouvel Israël » ont désigné comme « Cananéens » les Amérindiens installées dans leur Terre promise. Le mépris et la brutalité avec lesquels sont traités les Cananéens dans la Bible n'a pas manqué de susciter des discussions dans l'apologétique chrétienne : les explications sont allées de la vision du massacre comme acte de pitié, à son rejet en tant que pratique archaïque à amender, l'exemple christique pouvant être vu comme une manière de corriger ce qui est vu comme des excès décrits par l'Ancien Testament[96].

Cananéisme

Le terme de Cananéen est réemployé par un groupe sioniste nationaliste de droite marginal, actif des années 1930 aux années 1970 et qui entendait opérer une rupture néo-païenne avec le judaïsme. On parle de « cananéisme ».

Notes et références

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Bibliographie

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  • Sophie Cluzan et Martine Laffon, De Sumer à Canaan : L'Orient ancien et la Bible, Le Seuil, , 312 p. (ISBN 978-2-0212-4190-7)
  • (en) Assaf Yasur-Landau, Eric H. Cline et Yorke Rowan (dir.), The Social Archaeology of the Levant : From Prehistory to the Present, Cambridge, Cambridge University Press,

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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