Jean-Baptiste Vence

Nicolas-Jean-Baptiste Joseph Vence, né le , à Marseille, et mort guillotiné dans la même ville le , est un homme politique français, qui prit part aux insurrections fédéralistes et contre-révolutionnaires en Provence.

Biographie

Son père, Jean-Baptiste (1729-1790), capitaine de vaisseau marchand et corsaire, négociant-armateur notable à Saint-Domingue et Marseille[1], en relations avec Boynes[2] et membre du Comité colonial de Saint-Domingue[3], a reçu de Louis XV une épée d'honneur en 1757 pour sa bravoure en divers combats lors de la guerre de Sept Ans[4],[5]. Il commanda au sculpteur Fossaty le mausolée érigé à Port-au-Prince en hommage au gouverneur Victor-Thérèse Charpentier[6],[7]. Le frère de son père, Jean Gaspard de Vence (1747-1808), sera corsaire durant la guerre d'indépendance américaine, amiral et le premier préfet maritime de Toulon.

Sa mère, Marie Marguerite Adélaïde Gautier (ou Gantier) est d'une famille de propriétaires de Saint-Domingue, nièce du propriétaire du château de Voinsles[8]

Vence rentre dans sa ville natale depuis Lyon où il se trouvait lorsque éclate la Révolution. À peine âgé de dix-huit ans, il se montre au début favorable au courant nouveau d'idées et de liberté. Mais, rapidement, il se trouve exilé à Palerme, en Sicile, au sein de la maison de négoce de son beau-frère Bouge[9]. La manière dont il parlait des événements en France excita les ombrages du préteur de Palerme, qui réprimande alors vertement son imprudence et l'engage, s'il souhaite rester dans le pays, à ne plus tenir de propos semblables. Il est par la suite envoyé en Angleterre, à Londres, pour parfaire sa formation dans les affaires. Le déclenchement de la guerre entre ce pays et la République française nouvelle le contraigne à rentrer en Provence. Sur le trajet de retour en 1793, il s'arrête quelque temps à Paris, avant de descendre à Toulon où l'appelait l'embarquement de son jeune frère à bord du vaisseau le Duquesne, commandé par leur oncle pour une campagne à Tunis.

Vence se mêla rapidement aux mouvements de révoltes fédéralistes marseillais, dans lesquels il prit une part active et occupa d'importantes fonctions. Réunissant l'esprit à la beauté et à la fortune, ayant perdu son père trois ans plus tôt, il bénéficie d'estime et rassemble autour de lui de nombreuses sympathies[10]. C'est en effet au moment de son retour à Marseille que les sections de la ville élisaient les commissaires chargés de la mission de rédiger, porter et défendre devant la Convention nationale l'adresse dont l'envoi avait été décidé fin avril, et est élu l'un d'eux - par 122 voix sur 194 votants - sans y avoir été présent ni candidat. Prévenu le 9 mai, flatté de la marque de confiance, il en vient en donner son acceptation le lendemain, indiquant qu'il soutiendra « les revendications des Marseillais contre les intrigants et les oppresseurs et les vœux de la cité pour le maintien de la liberté et de l'égalité », et reçut les instructions et les pouvoirs nécessaires pour l'accomplissement de sa mission. La séance s'acheva « par une prière à l'Éternel pour le succès de l'adresse et pour la santé des délégués qui allaient la porter à Paris »[11].

Le 21 mai, une fois rendus à Paris, installés rue Neuve Saint-Marc pour y tenir leurs séances, les trente-deux commissaires des sections constituèrent leur bureau. Rampal en est désigné président, avec pour vice-président Marcel et quatre secrétaires, dont Vence. Cette opération préliminaire accomplie, les commissaires envoyèrent quatre des leurs prévenir officiellement la municipalité de leur arrivée et du choix qu'ils avaient fait de l'hôtel Saint-Marc pour y tenir leurs séances. Après les Journées du 31 mai et du 2 juin 1793 et l'élimination des Girondins de la Convention, l'arrestation d'une partie des députés et commissaires de sections marseillais conduisirent à une partie de la délégation à quitter la capitale. Le 13 juin, seuls douze des commissaires s'y trouvaient encore, dont Vence, avec l'espoir de mener à bien les affaires dont ils avaient été chargés.

Rentré à Marseille le 1er juillet, il est désigné le lendemain pour siéger dans la commission provisoire chargée d'administrer le département des Bouches-du-Rhône. L'assemblée électorale de Marseille ne reconnait plus la Convention montagnarde et, le 13, Vence est élu par les royalistes au premier tour l'un des deux députés, avec Gilly, à la Convention extraordinaire de Bourges qui devait se substituer à celle de Paris[12], mais qui finalement ne pourra jamais se rassembler. Il défend par un discours à la tribune l'action contre les armées de la Convention montagnarde.

L'armée départementale connut plusieurs revers face aux troupes de la Convention dirigées par le général Carteaux, renforcées par les gardes nationales de plusieurs départements. Lors de l'assemblée plénière du 29 juillet, le chevalier de Villeneuve-Tourrettes, ancien maréchal de camp et royaliste affirmé, en est nommé général. Les commissaires civils précédemment envoyés et qui se trouvaient près de l'armée départementale à Orgon furent remerciés et remplacés par Pierre Laugier, Vence (qui était membre du comité général), Rampal fils et Michel d'Eyguières[13]. Une fois le général et ses auxiliaires désignés, ils se consacrèrent à reconstituer une armée et Aix fut choisi comme le centre de ralliement. L'avancée des troupes républicaines ne permit cependant pas au général de Villeneuve-Tourrettes d'organiser complètement celles départementales. En parallèle, un comité est mis en place (Abeille, Castelanet, Peloux, Raymond et Laugier, ces deux derniers remplacés rapidement par deux autres royalistes, Bruniquel et Poyard) et prend contact avec les amiraux Hood et l'Langora. Prenant l'initiative pour ne pas subir un siège de la part des forces républicaines, l'armée départementale eut des débuts heureux et prit possession rapidement de plusieurs villes (Lambesc, Rognes, Saint-Cannat, Pélissanne, Salon, Cadenet, Avignon, Orange, etc), mais se termina par l'échec à la fin du moins du mois d'août.

Après le triomphe de Carteaux sur Marseille, les représentants en mission ordonnèrent les arrestations. Mis hors la loi comme « auteur, fauteur et instigateur de crimes contre-révolution et de rébellion contre la Convention nationale », Vence, accompagné de Pinatel, tente d'émigrer, gagnant le port d'Hyères et embarquant dans un navire génois en direction de Gênes ; mais, recherché, il est capturé par un corsaire français à la hauteur d'Antibes et ramené dans les prisons de Marseille. Il passe devant le tribunal révolutionnaire, présidé par Augustin Maillet, avec Joseph Giraud comme accusateur public et Étienne Chompré pour greffier, le 12 septembre, et est condamné à mort[14]. L'exécution est fixée au lendemain. Sa mère, riche veuve, tentant en vain de lui sauver la vie, vint supplier Albitte pour demander la grâce de son fils, offrant en contrepartie 800 000 livres de sa dot à la République[15]. Vence monte avec calme à l’échafaud et est guillotiné, à quatre heures. Albitte craignit quelques réactions au sein de la population, mais la peur dans lequel était versée la ville éteint toute opposition.

Un cousin de son père, l'avocat Michel-François Caudière (1735-1794), président du Comité général des sections de Martigues, sera également guillotiné pour fédéralisme, le 17 germinal An II (16 avril 1794)[16],[17].

Il est un des rares, avec Laugier et Villeneuve, à recevoir des éloges du journaliste et mémorialiste Laurent Lautard (1764-1848), de l'Académie de Marseille, dans son ouvrage sur cette période. À son sujet, il écrira : « Il y avait dans ce remarquable jeune homme tout un immense avenir »[18]. « Moins célèbre, aussi beau, aussi spirituel, aussi malheureux que Barbaroux (dont il était un ami)[19], Vence eut sur son compatriote l'avantage d'une âme exempte de tout mauvais levain ».

Notes et références

  1. Charles Carrière, Négociants marseillais au XVIIIe siècle: contribution à l'étude des économies maritimes, Volume 1, Institut historique de Provence, 1973
  2. Pierre Étienne Bourgeois de Boynes, Journal inédit, 1765-1766: Suivi du "Mémoire remis par le duc de Choiseul au roi Louis XV", 1765, Honoré Champion, 2008
  3. P. Boissonnade, Saint-Domingue à la veille de la révolution et la question de la représentation coloniale aux Etats généraux, janvier 1788-7 juillet 1789, 1906
  4. Bulletin de la Section de géographie, Comité des travaux historiques et scientifiques. Section des sciences géographiques et de l'environnement, 1952
  5. Pierre-Augustin Guys, Voyage littéraire de la Grèce ou Lettres sur les Grecs, anciens et modernes, avec un parallele de leurs mœurs, Volume 2, Veuve Duchesne, 1783
  6. Bulletin de l'Ispan
  7. Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry, Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l'île Saint-Dominge, Guérin, 1876
  8. Compléments à Généalogie et Histoire de la Caraïbe Nouvelle Série N°4 4 trimestre 2011
  9. Jean Antoine Hilarion Bouge (1759-1842), directeur de l’hôpital général des enfants abandonnés et orphelins de Marseille en 1790, il émigre en Sicile en 1792 et ne rentre en France qu'en 1805. Il devient un important négociant à Messine et Palerme, associé notamment à Jean-François Aubert, François Plegat, puis Jean Caillol et Nicoud, et connaîtra bien les futurs évêques de Marseille Fortuné et Eugène de Mazenod, émigrés à Palerme également. Favorable au retour des Bourbon, il reçoit la Légion d'honneur et la décoration du Lys en 1814 sous la Restauration. Il était le fils de Nicolas Bouge, lieutenant du premier chirurgien du roi, et le grand-oncle d'Auguste Bouge
  10. "Les tribunaux révolutionnaires en Provence ». Revue du Midi. Volume 21. 1907
  11. Georges Guibal. Le mouvement fédéraliste en Provence en 1793. Paris. Plon-Nourrit. 1908
  12. Jean Jaurès, Histoire socialiste de la Révolution française: Le gouvernement révolutionnaire, éditions sociales, 1986
  13. Joseph de Joannis, Le fédéralisme et la terreur à l'Isle (Vaucluse). Siège et pillage de cette ville par les Allobroges. Les victimes des échafauds révolutionnaires. (1793-1794), Seguin frères, 1884
  14. « Ce jourd'hui 12 septembre 1793, le Tribunal criminel du département des Bouches-du-Rhône composé des citoyens Maillet cadet, président ; Brogy, Leclerc, Bompard, juges ; J. Giraud, accusateur public ; écrivant E. Chompré, greffier ; et l’audience tenant dans l’église de Saint-Augustin à 10 h. du matin, a mandé venir des prisons du Palais de Justice séant à Marseille le citoyen Vence y détenu à la clameur publique et traduit à la réquisition des représentants et de l’accusateur public, lequel constitué à la barre, libre, sans fers et assis, a répondu ainsi qu’il suit. Plus n’a été interrogé, lecture à lui faite a déclaré contenir vérité, y persister, et a signé avec nous : J. B. Vence ; Maillet cadet, président ; E Chompré, greffier. L'accusateur public parle et requiert l’exécution des décrets de la Convention nationale des 19 et 27 mars, du 5 juillet derniers et de l’article II de la section 2 du titre premier du Code pénal. Le président prend les avis des juges (en commençant par le plus jeune) Brogy, Leclerc, Bompard, qui ont motivé leurs opinions à haute voix, et prononce au nom du tribunal que Vence est condamné à la peine de mort en vertu des décrets [précités] dont il a été fait lecture. Fait à Marseille à l’heure de midi, en l’audience du tribunal où étaient présents. qui ont signé la minute du jugement. »
  15. Nouvelle revue rétrospective, Volumes 10 à 11, 1899
  16. Hubert Gay, « Un notable de Martigues et la Révolution française : Louis Puech (1740-1794) », in:Provence historique: revue trimestrielle, Numéros 67 à 74, Archives départementales, 1967
  17. Henri Tachoire, Un procès à Marseille sous la Terreur, Académie de Marseille, 2010
  18. Georges Guibal. Le mouvement fédéraliste en Provence en 1793. Paris. Plon-Nourrit, 1908
  19. Correspondance et mémoires de Barbaroux, 1923 (publiés par Claude Perroud avec la collaboration d'Alfred Chabaud)

Bibliographie

  • Georges Guibal. Le mouvement fédéraliste en Provence en 1793. Paris. Plon-Nourrit. 1908
  • « Vence (Jean-Baptiste) », in:Les Bouches-du-Rhône: encyclopédie départementale. Archives départementales des Bouches-du-Rhône. 1937
  • Laurent Lautard. Esquisses historiques: Marseille depuis 1789 jusqu'en 1815, Volume 2. Olive. 1844
  • « Les tribunaux révolutionnaires en Provence ». Revue du Midi. Volume 21. 1907
  • Paul Gaffarel, « La Terreur à Marseille (Proconsulat de Barras et de Fréron) ». Annales de Provence. Société d'études provençales. 1913
  • Bill Scott, William Scott. Terror and repression in revolutionary Marseilles. Barnes & Noble Books. 1973
  • La Revolution française’’. Société de l'histoire de la révolution française. 1895
  • C. Lourde. Histoire de la révolution à Marseille et en Provence, depuis 1789 jusqu'au consulat’’. Jeanne Laffitte. 1838
  • Léon-Gabriel Pélissier. "La délégation marseillaise à la Convention nationale (mai-juin 1793)". Annales du Midi, Tome 12, N°45, 1900. pp. 71-91.
  • Augustin-Jules-Esprit Fabre. Histoire de Marseille, Volume 2. Olive, 1829
  • Joseph-Étienne Michel. Histoire de l'armée départementale des Bouches-du-Rhône, de l'entrée des escadres des puissances coalisées dans Toulon et de leur sortie de cette place ; précédé d'une introduction sur l'origine des troubles du Midi, sur leur durée, et les moyens de les faire cesser. Paris. Du Pont. 1797

Voir aussi

Articles connexes

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