James Ensor
James Sidney Edouard, baron Ensor, né le à Ostende (Belgique) et mort le dans cette ville, est un artiste peintre, graveur et un anarchiste belge[1],[2],[3].
Pour les articles homonymes, voir Ensor (homonymie).
Ensor adhère aux mouvements d'avant-garde du début du XXe siècle, et laisse une œuvre expressionniste originale. En 1883, il est un des membres fondateurs du groupe bruxellois d'avant-garde Les Vingt.
Biographie
De père anglais et de mère flamande, James Ensor est né dans une famille de la petite-bourgeoisie d'Ostende, rue Longue no 44[4]. Ensor quitte peu sa ville natale ; il y mourra. Commentant sa naissance lors d'un banquet offert en son honneur, il s'exprime en ces termes :
« Je suis né à Ostende, le 13 avril 1860, un vendredi, jour de Vénus. Eh bien ! chers amis, Vénus, dès l'aube de ma naissance, vint à moi souriante et nous nous regardâmes longuement dans les yeux. Ah! les beaux yeux pers et verts, les longs cheveux couleur de sable. Vénus était blonde et belle, toute barbouillée d'écume, elle fleurait bon la mer salée. Bien vite je la peignis, car elle mordait mes pinceaux, bouffait mes couleurs, convoitait mes coquilles peintes, elle courait sur mes nacres, s'oubliait dans mes conques, salivait sur mes brosses. »
Son père, James Frederic Ensor, un ingénieur anglais, sombre dans l'alcoolisme et l'héroïne. Sa mère, Maria Catherina Haegheman, de souche flamande, tient un magasin de souvenirs, coquillages et masques de carnaval. Les heures passées près d'elle, dans un décor coloré et fantastique, influencent son inspiration.
À treize ans, Ensor suit des cours de dessin chez deux artistes locaux, Edouard Dubar (Ostende 1803-1879) et Michel Van Cuyck (Ostende 1797-1875). Dans la biographie du catalogue raisonné James Ensor, Xavier Tricot indique qu'il montre davantage d'intérêt pour le dessin que pour les cours donnés par ses professeurs du collège de Notre-Dame.
En 1877, il s'inscrit à l'Académie des beaux-arts de Bruxelles, dirigée par Jean-François Portaels où il se lie d'amitié avec Fernand Khnopff et Willy Finch et fait la connaissance de la famille Rousseau (Ernest, professeur de physique à l'ULB, et son épouse, la mycologue Mariette Rousseau) qui l'introduit dans les milieux artistiques et intellectuels de la capitale. Ses professeurs sont Joseph Stallaert (Merchtem, 1825-1903) et Joseph van Severdonck (Bruxelles, 1819–1905). Mais il s'insurge contre l'académisme — « Je sors et sans façon de cette boîte à myopes » (il quitte l'Académie en 1880[5]) — et décide de retourner s'installer chez sa mère.
Dans la maison familiale où, célibataire convaincu, il vivra jusqu'en 1917, Ensor s'installe un cabinet dans les combles et commence à peindre des portraits réalistes ou des paysages inspirés par l'impressionnisme. À cette époque, il écrit : « Mes concitoyens, d'éminence molluqueuse, m'accablent. On m'injurie, on m'insulte : je suis fou, je suis sot, je suis méchant, mauvais… » Il entame alors une de ses périodes les plus créatrices.
En 1883, Octave Maus fonde le cercle artistique d'avant-garde « Les XX » et Ensor peint son premier tableau de masques, et un autoportrait auquel il ajoutera plus tard le « chapeau fleuri ». En 1889, L'Entrée du Christ à Bruxelles est refusée au Salon des XX et il est question de l'exclure du Cercle dont il est pourtant l'un des membres fondateurs. Le groupe se sépare quatre ans après pour se récréer sous le nom de La Libre Esthétique.
À 33 ans, Ensor est déjà un homme du passé. Le pointillisme et le symbolisme semblent l'emporter. Les premières demeures de Victor Horta symbolisent un nouvel art de vivre. Il n'est plus le nain Hop-Frog, bouffon d'Edgar Allan Poe, moins encore le Christ martyr.
En 1898, il est l'un des instigateurs du bal du Rat mort qui a lieu à la fin du carnaval d'Ostende. Ensor doit attendre le début du siècle suivant, alors qu'il a donné le meilleur, pour assister à la reconnaissance de son œuvre : expositions internationales, visite royale, anoblissement — il est fait baron[6] —, Légion d'honneur. Il est désormais surnommé le « prince des peintres », mais il a une réaction inattendue face à cette reconnaissance trop longtemps attendue et trop tard venue à son goût : il abandonne la peinture et consacre les dernières années de sa vie exclusivement à la musique contemporaine.
Il décède le à l'hôpital du Sacré-Cœur d'Ostende et est inhumé quatre jours plus tard dans le cimetière Notre-Dame des Dunes à Mariakerke, près d'Ostende.
Si la vie privée d'Ensor reste mal connue, c'est parce que l'artiste l'a désiré ainsi. Le peintre s'est construit une existence de beauté, de vérité et de veine poétique.
La maison où il vécut, à Ostende, est devenue un musée[7].
Son œuvre
Avec son retour chez sa mère, Ensor est fasciné par la lumière de la cité balnéaire qui lui inspire des pâleurs secrètes. Ensor sculpte la lumière et est fasciné par le pouvoir de recréer les choses ou de les vider de leur contenu familier : « La lumière déforme le contour. Je vis là-dedans un monde énorme que je pouvais explorer, une nouvelle manière de voir que je pouvais représenter. » Ses tableaux, Le Nuage blanc et Les Toits d'Ostende, rappellent ceux de Turner, entre modernité et avant-garde.
Dans la Mangeuse d'huîtres (1882), une nappe immaculée éblouit l'avant-plan et tombe quasi en dehors des limites du cadre. Malgré les tableaux prestigieux que celui-là rappelle (toute la tradition flamande du XVIIe siècle), mais aussi Vuillard, on le refuse au Salon d'Anvers. L'année suivante, toutes ses toiles sont rejetées du salon de Bruxelles et il est mis à l'écart du Cercle des Vingt. Ulcéré, Ensor bascule dans la déraison. Désormais, seul contre tous, il couvre et balafre ses toiles de couleurs rougeoyantes symbolisant son exaspération.
C'est entre 1887 et 1893 qu'il peint ses plus beaux tableaux : la gamme chromatique prend feu au milieu des nacres translucides des ciels et des marines. Contemporaine des van Gogh et des toiles d'Edvard Munch, son œuvre contient les futures révolutions du fauvisme au mouvement Cobra.
Il va donc mettre en évidence les aspects grotesques des choses, rehaussés de manière surréelle, et s'orienter vers une vision du monde radicale, sarcastique et insolente. Comme chez Pieter Brueghel l'Ancien ou Jérôme Bosch, l'inanimé respire et crie. Ses obsessions et ses peurs jouent un rôle manifeste dans les traits menaçants qu'il attribue aux objets utilitaires, aux revenants et aux masques. Ces derniers, à partir des années 1880, dominent son inspiration et renvoient au carnaval, ce « monde à l'envers », anarchique où les rapports sociaux sont démontrés par l'absurde. La foule considérée comme une menace, un cauchemar, sera le thème de nombreuses toiles. Il entretient avec elle des rapports ambivalents : solidarité envers les revendications des défilés contre l'Église et le roi mais aussi, crainte bourgeoise d'un homme retiré du monde.
Artiste pluraliste, il l'est également dans son style et ses techniques : toile, bois, papier, carton, couteau à palette, pinceau fin ou spatule… : « Chaque œuvre devrait présenter un procédé nouveau », écrit-il à André de Ridder (nl). Il s'est aussi lancé dans la gravure : « Je veux survivre, et je songe aux cuivres solides, aux encres inaltérables ».
Dans un but purement alimentaire[réf. nécessaire], il édite des eaux-fortes, les fameux « biftecks d'Ensor », œuvres purement commerciales[réf. nécessaire] mais qui ont fait alors la fierté des marchands de souvenirs. Il réalise aussi des caricatures, laissant libre cours à sa verve gouailleuse, avec un trait racé, canaille et pourfendeur à la manière de Bruegel et de Bosch. Ses scènes de baigneurs fesses à l'air dans des postures hilarantes sont des chefs-d'œuvre du genre.
Par sa prédilection pour les personnages masqués, les squelettes, qui, dans ses tableaux, grouillent dans une atmosphère de carnaval, Ensor est le père d'un monde imaginaire et fantastique qui annonce le surréalisme.
Technique
En 2015, une étude menée à l'European Synchrotron Radiation Facility de Grenoble révèle au monde de l'art que le sulfure de cadmium connu aussi comme étant le pigment jaune de cadmium utilisé par des peintres comme Henri Matisse ou James Ensor, est sujet à un processus d'oxydation lors d'une exposition à la lumière, se transformant alors en sulfate de cadmium très soluble dans l'eau et surtout incolore[8].
Œuvres
- 1886 : Le Calvaire
- 1879 :
- La femme au nez retroussé
- Autoportrait, peinture à l'huile sur toile, 42 33,5cm, Musée des Offices[9].
- 1880 : Le Lampiste
- 1881 :
- La musique russe
- Le salon bourgeois, au Musée royal des beaux-arts, à Anvers
- 1882 : La mangeuse d'huîtres, au Musée royal des beaux-arts, à Anvers
- 1883 :
- Les masques scandalisés
- Ensor au chapeau fleuri
- 1885 : Squelette regardant chinoiseries
- 1889 : L'étonnement du masque Wouze
- 1890 :
- L'Intrigue, au Musée royal des beaux-arts, à Anvers
- Les bains à Ostende
- 1891 :
- Squelettes se disputant un pendu, au Musée royal des beaux-arts, à Anvers
- Squelettes se disputant un hareng-saur
- Les cuirassiers à Waterloo, au Musée royal des beaux-arts, à Anvers
- 1897 : La Mort et les Masques, huile sur toile, au Musée des beaux-arts de Liège.
- 1898 : Les Toits d'Ostende
- 1911 : L'intrigue
- 1927 :
- Les Masques et la mort
- La fille du pêcheur
- L'Entrée du Christ à Bruxelles, au musée Getty à Los Angeles,
- Le Nuage blanc
- La Dame sombre
- Ensor aux masques
- Squelettes
- Les masques singuliers
- Publications
- Mes écrits, Labor, Espace Nord
- Lettres, Labor, Archives du Futur
Ses autoportraits tardifs (il en a peint 112) sont marqués par des sentiments négatifs, on y cherche vainement les traits volontaires et fiers, ainsi que cette lueur d’humour qui caractérisent ses travaux de jeunesse. Emile Verhaeren écrit : « Il serait surprenant qu’Ensor, aimant avant tout au monde son art et par conséquent chérissant surtout celui qui le fait, c’est-à-dire lui-même, n’eût multiplié à l’infini sa propre effigie. »
Ensor eut une grande influence sur Michel de Ghelderode qui fut inspiré pour ses œuvres théâtrales (Masques ostendais, Le Siège d'Ostende etc.) par les masques et les figures d'Ensor (la Mort, le Diable, les pêcheurs…).
La bande dessinée de Jan Bucquoy Le Bal du rat mort et le film Camping Cosmos sont directement inspirés par les dessins d'Ensor (carnaval, bal masqué).
La pièce de théâtre, La Passion du diable d'Adolphe Nysenholc (Éditions Lansman, 1995), s'inspire dans sa partie centrale du tableau l'Entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor.
On peut retrouver son tableau "L'Homme des douleurs" dans le film Old Boy de Park Chan-Wook avec lequel est cité la phrase : « Ris, tout le monde rira avec toi. Pleure, tu seras seul à pleurer. »
« Ne remuons plus ce grand cadavre flamand. Aujourd'hui mannequin creux, décoloré, animé par quelques criquets agressifs. Flandrophyliseurs intempestifs, désorienteurs déclassés délirants, vos excitations intéressées de siffleurs décalqués restent sans écho. L'art moderne n'a plus de frontières. À bas les rembrunis acariâtres. Fromagers égoïstes et sirupeux. Alarmistes frontiérisés. Charcutiers de Jérusalem. Moutons de Panurge. Architectes frigides et mélassiers, etc. Vive l'art libre, libre, libre ! »
— J. Ensor, Une réaction artistique au pays de Narquoisie. 1900
Hommages
- (2819) Ensor, astéroïde.
Notes et références
- Guy Duplat, « James Ensor, ce révolutionnaire enragé », La Libre Belgique, (lire en ligne).
- Stephen F. Eisenman, Allegory and Anarchism in James Ensor's. Apparition : Vision Preceding Futurism, Record of the Art Museum, Princeton University, Vol. 46, n°1, pp. 2-17, Princeton University Art Museum, 1987, lire en ligne.
- Luc de Heusch, présentation à Émile Verhaeren, Sur James Ensor, Éditions Complexe, 1999, page 18.
- Xavier Tricot, James Ensor - Catalogue raisonné des peintures (volume 1), Petraco-Pandora (ISBN 90-5352-005-8), p. 13
- p. 456 - Publication du Crédit communal Académie royale des beaux-arts de Bruxelles 275 ans d'enseignement - (ISBN 2-87193-030-9)
- Paul Janssens et Luc Duerloo, Armorial de la noblesse belge du XVè au XXè siècle, vol. I : A - E, Bruxelles, Crédit Communal, , 786 p. (ISBN 2-87193-168-2)
- La Maison James Ensor repensée et agrandie sur rtbf.be
- « Quand le Synchrotron de Grenoble permet d'expliquer la détérioration du jaune de Matisse », sur france3-regions.francetvinfo.fr, (consulté le ).
- Collection d'autoportraits du Musée des Offices, (it) Wolfram Prinz (et aut.), « La collezione di autoritratti : Catalogo generale », dans Gallerie degli Uffizi, Gli Uffizi, Florence, Centro Di, (1re éd. 1979), 1211 p. (ISBN 88-7038-021-1), p. 865.
Annexes
Bibliographie
- « James Ensor, peintre et graveur », La Plume, no 232, , p. 673-768 (lire en ligne sur Gallica).
- Agnès Akérib, James Ensor : Masques et mascarades, Adaptation de sa correspondance avec Emma Lambotte, éditions Triartis,
- Ulrike Becks-Malorny, James Ensor, 1860-1949 : les masques, la mer et la mort, éditions Taschen, coll. « Petite collection », , 95 p.
- collectif, « Ensor (James) », dans Dictionnaire de la Peinture, Paris, Éditions Larousse, (lire en ligne), p. 386.
- collectif, Ensor, Beaux Arts magazine, coll. « Beaux-Arts Collection » (no 4319), , 49 p.
- Robert L. Delevoy et Pierre Alechinsky, Ensor, Anvers, Fonds Mercator, , 478 p.
- Michel Draguet, James Ensor ou La fantasmagorie, Éditions Gallimard, coll. « Monographies », , 250 p.
- René Édouard-Joseph, Dictionnaire biographique des artistes contemporains, tome 1, A-E, Art & Édition, 1930, p. 462-465
- (en) The Illustrated Bartsch, vol. 141 : « James Ensor » ( (ISBN 0-89835-240-1) et (ISBN 0-89835-053-0))
- Grégoire Le Roy, James Ensor, Bruxelles, G. Van Oest, (lire en ligne).
- Blanche Rousseau et al., James Ensor : peintre et graveur, Paris, Éditions La Plume, , 96 p.
- Xavier Tricot, James Ensor, catalogue raisonné des peintures (2 volumes) (1875-1902 et 1902-1941) Petraco-Pandora, 1992, 720 p., (ISBN 2850472069)
- Emile Verhaeren, James Ensor, Bruxelles, G. Van Oest, (lire en ligne).
- Albert Croquez, L'œuvre gravé de James Ensor, Genève, Bruxelles, 1947, P. Cailler, 24 p.-133 p. de pl.
Filmographie
- Les Ensortilèges de James Ensor, écrit et réalisé par Nora Philippe et Arnaud de Mézamat, 2010, 60 min, diffusion ARTE, RTBF et VRT, Étoile de la Scam 2011.
Liens externes
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