Jacques Bingen

Jacques Bingen est un ingénieur français, figure éminente de la Résistance française, né le à Paris et mort par suicide le à Chamalières.

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Il est membre de la France libre dès 1940 puis délégué du général de Gaulle auprès de la Résistance intérieure française, du à son arrestation par la police allemande le . Il se suicide immédiatement pour ne pas parler : son corps n'est jamais retrouvé. Il a ensuite été fait compagnon de la Libération.

Jean Lacouture le considère comme « l'un des trois ou quatre personnages les plus exceptionnels qu'ait révélés la Résistance[1]. »

Le célèbre constructeur automobile André Citroen est devenu son beau-frère en épousant en 1914 sa sœur Georgina, de seize ans son aînée.

Biographie

Jacques Bingen est né dans une famille juive d'origine italienne. Son père Gustavo (mort en 1933) était financier. Élève au lycée Janson-de-Sailly à Paris, bachelier avec mention en 1924 et 1925, Jacques Bingen est reçu au concours d’entrée à l'École des mines de Paris en 1926. Ingénieur, il est également diplômé de l'École des sciences politiques.

Il a une sœur, Giorgina (1892-1955), et un frère, Max (mort pour la France en 1917).

En 1929, il préside la section française à l'Exposition universelle de Barcelone. Il fait son service dans l'artillerie comme élève officier de réserve en 1930-1931. Beau-frère d'André Citroën, dont il est l'un des plus proches collaborateurs, il devient après la mort de celui-ci en 1935, directeur de la Société anonyme de gérance et d'armement (en) (la SAGA). Parallèlement, Jacques Bingen est secrétaire du Comité central des armateurs.

Lieutenant de réserve, il est mobilisé en 1939 et sert en qualité d'officier de liaison auprès de la 51st (Highland) Infantry Division. Il est blessé à la cuisse par un éclat d'obus le , à Saint-Valery-en-Caux, et échappe à l'ennemi en gagnant à la nage une barque de pêche qui le conduit à un dragueur de mines. Débarqué à Cherbourg, il y passe une journée à l'hôpital puis trois à celui de Valognes avant d'être évacué par train sanitaire en direction du sud-ouest. À La Rochelle le , refusant l'armistice, il quitte l'hôpital et gagne par bateau Casablanca. De là, déguisé en pilote polonais, il parvient à Gibraltar le , caché sur un navire-école polonais. Embarqué en convoi sur le Har-Zion, il atteint finalement Liverpool le . Il se présente au général de Gaulle le et se met au service de la France libre naissante.

Sa compétence pour les affaires maritimes le conduit naturellement à prendre la direction des services de la marine marchande de la France libre à Londres, créés officiellement le , au tonnage au demeurant assez fantomatique, mais qui représente un attribut symbolique de souveraineté auquel de Gaulle est sensible.

Travailleur acharné, en liaison avec le Ministry of Shipping (en) britannique qui abrite ses bureaux, Jacques Bingen se languit toutefois de l'action. Très indépendant d'esprit, il n'hésite pas à critiquer de Gaulle en face pour ses penchants autoritaires et sa rudesse de caractère, tout en lui restant indéfectiblement fidèle. Après quinze mois à la tête des services de la marine marchande française libre, il démissionne le , en désaccord avec le vice-amiral Muselier, nommé le commissaire national à la Marine de guerre et à la Marine marchande du tout nouveau Comité national français.

Jacques Bingen signe un acte d'engagement dans les Forces françaises libres le et entre au commissariat national à l'Intérieur comme adjoint au chef du service « Afrique du Nord » (AFN). Il entre au BCRA en 1942 et s'occupe des liaisons civiles avec la France occupée. Il rencontre Jean Moulin venu à Londres en .

Après l'arrestation de Jean Moulin le , il se porte volontaire pour aller aider sur place son vieil ami Claude Bouchinet-Serreulles, successeur ad interim de Moulin à la tête de la délégation générale de Londres en métropole. Un avion Lysander de la RAF le dépose près de Tours dans la nuit du 15 au avec un ordre de mission le désignant comme délégué du Comité français de libération nationale en zone sud. Dans la lettre qu'il laisse à sa mère avant de partir, il mentionne, parmi ses raisons de choisir cette mission dangereuse :

« J’ai acquis un amour de la France plus fort, plus immédiat, plus tangible que tout ce que j’éprouvais autrefois quand la vie était douce et somme toute facile. Et mon départ peut – c’est une chance inattendue – servir la France autant que beaucoup de soldats. J’espère d’ailleurs qu’avant ma fin, j’aurai rendu une grande partie de ces services.
Il y a enfin, accessoirement, la volonté de venger tant d’amis juifs torturés ou assassinés par une barbarie comme on n’en a point vu depuis des siècles. Et là encore la volonté qu’un Juif de plus (il y en a tant, si tu savais) ait pris sa part entière et plus que sa part dans la libération de la France. »

Jacques Bingen doit faire face à une situation très difficile. Après la mort de Jean Moulin, l'unité de la Résistance subsiste mais beaucoup de mouvements souhaitent recouvrer une plus grande autonomie vis-à-vis de Londres et de ses directives. L'afflux aux maquis des réfractaires au STO pose d'innombrables problèmes de ravitaillement, de financement, d'armement et d'encadrement. Enfin, contrairement aux espoirs répandus, le débarquement allié en France ne se produit pas en 1943, et il faut à la Résistance affronter un nouvel hiver de clandestinité et de lutte.

À partir d', Jacques Bingen est officiellement adjoint, avec Serreulles, d'Émile Bollaert, délégué général du CFLN en France occupée. Jacques Bingen joue un rôle déterminant dans l'unification des forces militaires de la Résistance, qui aboutit à la création le des Forces françaises de l'intérieur (les FFI), qui rassemblent l'Armée secrète gaulliste, les FTP communistes et l'ORA giraudiste. Pour financer la Résistance en pleine croissance, il organise le COFI, ou Comité financier. Il réorganise ou soutient les diverses commissions liées au Conseil national de la Résistance, ainsi le NAP chargé de préparer la relève administrative, le Comité d'action contre la déportation, qui lutte contre le STO, le comité des œuvres sociales de la Résistance (COSOR), confié au R.P. Pierre Chaillet, qui vient en aide aux familles des clandestins arrêtés et emprisonnés. Le , Bingen contribue à l'adoption du programme du CNR, qui jette les fondements de la réforme du pacte social et de la démocratie en France.

À la suite du départ de Serreulles pour Londres et de l'arrestation d'Émile Bollaert, qui est remplacé par Alexandre Parodi en comme délégué général, Jacques Bingen est renvoyé comme délégué en zone sud, en dépit des menaces qu'il sait peser sur lui.

Le , à Paris, Lazare Rachline (Socrate) — comme le lui avait prescrit le général de Gaulle à Alger, le précédent — lui propose de l'emmener avec lui à Londres. Il refuse.

Le , la trahison de l'agent double de l'Abwehr Alfred Dormal permet à la Gestapo d'arrêter Jacques Bingen en gare de Clermont-Ferrand. Il s'échappe en assommant un des gardes chargés de sa surveillance, mais une employée de la Banque de France indique son chemin aux poursuivants. Repris, et craignant sans doute de révéler sous la torture les secrets importants de la Résistance qu'il détient, Jacques Bingen se donne la mort en avalant sa capsule de cyanure devant les locaux du SD, 2 bis avenue de Royat à Chamalières. Son corps n'a jamais été retrouvé.

Encore trop méconnu du grand public, malgré l'importance de son rôle historique, Jacques Bingen est reconnu par ses camarades de combat, mais aussi par les spécialistes de la Résistance comme l'une des plus pures figures du combat clandestin, aussi l'une de ses plus courageuses, jusqu'au sacrifice de sa vie.

Dans une lettre qui est la dernière reçue de lui à Londres, il disait le  :

« J'écris ces lignes parce que, pour la première fois, je me sens réellement menacé et qu'en tous cas, ces semaines à venir vont apporter sans doute au pays tout entier et certainement à nous, une grande, sanglante et, je l'espère, merveilleuse aventure. Que les miens, mes amis, sachent combien j'ai été prodigieusement heureux pendant ces huit derniers mois. Il n'y a pas un homme, sur mille, qui durant une heure de sa vie, ait connu le bonheur inouï, le sentiment de plénitude et d'accomplissement que j'ai éprouvé pendant ces mois. Aucune souffrance ne pourra jamais prévaloir contre la joie que je viens de connaître si longtemps. Qu'au regret qu'ils pourraient éprouver de ma disparition, mes amis opposent dans leur souvenir la certitude du bonheur que j'ai connu[2]. »

Il est fait chevalier de la Légion d'honneur à titre posthume et compagnon de la Libération.

Hommages

Les hommages suivants lui ont été rendus :

Références

  1. Jean Lacouture, De Gaulle, t. 1 : Le Rebelle, 1890-1944, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points Histoire », (1re éd. 1984), 869 p. (ISBN 978-2-02-012121-7), p. 729.
  2. Lacouture 1990, p. 729.

Annexes

Bibliographie

  • Daniel Cordier, Jean Moulin. La République des catacombes, Gallimard, 1999.
  • Laurent Douzou, La Résistance, une histoire périlleuse, Points-Seuil, 2005.
  • Joseph Zimet, « Jacques Bingen, un condottiere pour la France Libre ? », De Gaulle chef de guerre, fondation Charles-de-Gaulle, Paris, Plon, 2008.

Liens externes

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