Hypocondrie

L’hypocondrie (ou trouble hypocondriaque[1]) est un trouble de santé mental caractérisé par une peur et anxiété[2] excessive et bouleversante concernant la santé et le bon fonctionnement du corps d'un individu. Une inquiétude obsessionnelle amène l'hypocondriaque à interpréter la moindre observation comme le signe d'une maladie grave[1]. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR) définit ce trouble, « hypocondrie », en tant que trouble somatoforme[3]. Une étude montre qu'environ 3,5% des personnes sont victimes du trouble hypocondriaque[4].

Ne doit pas être confondu avec hypocondre.
Hypocondrie
Le malade imaginaire par Molière, gravure d’Honoré Daumier.
Spécialité Psychiatrie et psychologie
CISP-2 P75
CIM-10 F45.2
CIM-9 300.7
MedlinePlus 001236
MeSH D006998

Mise en garde médicale

Étymologie

Du latin hypochondria, du grec hypo (sous), et khondros (cartilage des côtes). Le terme « mélancolie hypocondriaque » est attesté depuis le XVIe siècle[5] et concernait à l'origine des individus ayant des douleurs dans la zone située sous le cartilage des côtes droites (partie du corps appelée les hypocondres), qui ne pouvait être palpée par les médecins. La connaissance du corps humain étant alors peu développée, ils étaient donc pris pour des individus souffrant d'une maladie fictive. Ces douleurs étaient très souvent dues à des coliques vésiculaires, ou des calculs biliaires. Des individus souffrant de ces calculs allaient chez les médecins qui, incapables de palper ou d'observer sous cette masse osseuse et cartilagineuse que sont les côtes, ne voyaient rien d'anormal.[réf. souhaitée]

L'hypocondrie est définie par une « douleur morale qui s'exprime en termes de pathologie organique et conduit le patient à l'exercice d'une relation ambiguë avec le médecin, sollicité et rejeté par un malade qui détient seul le secret de son mal et le savoir de son remède. Le sujet se donne à percevoir comme malade imaginaire, et profère à l'égard de ses proches un discours sans réponse, qui obligatoirement les engage dans une relation sadomasochiste de mise en question du corps[6] ». Cette définition doit être complétée par un élément central de l'hypocondrie qui la différencie par exemple des formes névrotiques, hystérie de conversion ou « trouble somatoforme » dans l'approche DSM ou CIM : le patient a « une tendance maladive à en déterminer les causes » (Jules Cotard).

La cybercondrie est un terme familier désignant une hypocondrie provoquée ou exacerbée par des recherches d'informations médicales effectuées sur Internet. Les médias tels qu'Internet ou la télévision conduisent parfois à l'hypocondrie, y compris dans les publicités exposant le cancer et la sclérose en plaques[réf. nécessaire].

Critères diagnostiques

Une hypocondrie « névrotique », où il est question des inquiétudes quant à la santé somatique, est distinguée d'une hypocondrie « psychotique » où il ne s'agit pas simplement d'inquiétudes mais de certitudes quant à la présence d'une maladie[7],[8],[9].

L'hypocondrie est définie par le DSM-IV d'après les critères suivants[3],[10] :

  1. préoccupation centrée sur la crainte ou l'idée d'être atteint d'une maladie grave, fondée sur l'interprétation erronée par le sujet de symptômes physiques ;
  2. préoccupation qui persiste malgré un bilan médical approprié et rassurant ;
  3. croyance exposée dans le critère 1 qui ne revêt pas une intensité délirante (comme dans le trouble délirant, type somatique) et ne se limite pas à une préoccupation centrée sur l'apparence (comme dans le trouble : peur d'une dysmorphie corporelle) ;
  4. préoccupation qui est à l'origine d'une souffrance cliniquement significative ou d'une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants ;
  5. la durée de la perturbation est d'au moins six mois ;
  6. préoccupation qui n'est pas mieux expliquée par une anxiété généralisée, un trouble obsessionnel-compulsif, un trouble panique, un épisode dépressif majeur, une angoisse de séparation ou un autre trouble somatoforme.
  7. un surdiagnostic.

Le sujet hypocondriaque vit dans la crainte ou l'idée d’être atteint d'une maladie grave. Il est persuadé de posséder des signes ou symptômes prétendument indétectables par les médecins[3]. La préoccupation peut concerner soit certaines fonctions corporelles comme le rythme cardiaque, la transpiration, le transit digestif, soit des perturbations physiques mineures comme une petite plaie ou une toux occasionnelle, soit des sensations physiques vagues et ambiguës (le cœur fatigué, les veines douloureuses). Il attribue ces signes ou symptômes à la maladie qu’il soupçonne et s'inquiète de sa signification.

Cette maladie est classiquement considérée comme une affection de l’adulte, bien qu’elle puisse apparaître chez l'adolescent. Chez l’un comme chez l’autre, des inquiétudes et des plaintes douloureuses sont exprimées, les visites chez le médecin sont très fréquentes, ainsi que des examens médicaux approfondis. Malgré les résultats toujours négatifs, certains malades vont parfois jusqu’à réclamer une intervention chirurgicale pour réparer un défaut qu’ils attribuent à une partie de leur corps. Leur conviction est redoutable et leur certitude est difficile à ébranler.

Causes

Des études familiales sur l'hypocondrie ne montrent aucune transmission génétique du trouble. Cependant, certains individus souffrent de troubles somatiques et de troubles anxieux généralisés dans la plupart des cas[11]. D'autres études montrent que des patients atteindraient un haut risque d'hypocondrie si ceux-ci atteignaient une fréquence somatoforme[12].

Certaines anxiétés et dépressions pourraient faire suite à des problèmes neurochimiques liés à la sérotonine et la noradrénaline. Les symptômes physiques chez les individus souffrant d'anxiété et de dépression sont des symptômes réels, et pourraient être déclenchés par des changements neurologiques. Par exemple, trop de noradrénaline pourrait engendrer de sévères troubles de peurs paniques dont les symptômes impliqueraient des palpitations élevées, transpiration, peur et difficultés respiratoires. Trop peu de sérotonine peut engendrer une forte dépression, accompagnée de troubles du sommeil, une forte fatigue et typiquement une intervention médicale.

Types

Il existerait trois formes d’hypocondrie.

La première est la forme névrotique. Dans ce cas, le malade est conscient de sa maladie. Il présente généralement une asthénie, des angoisses à propos de telle ou telle affection (par exemple un cancer ou une tumeur). Ce sont des crises d’angoisse dans lesquelles il ressent le besoin de voir d’urgence un médecin, ces crises peuvent être fréquentes.

La deuxième est la forme démentielle qui se caractérise par une détérioration de l’individu avec sénilité et ralentissement psychomoteur.

La dernière est la forme psychotique. La conviction est alors inébranlable, prenant la forme d'une idée délirante, le sujet n'a pas conscience du trouble. Il souffre d’hallucinations qui peuvent aboutir à de véritables délires du schéma corporel associés à des images de mort ou de possession par des animaux ou des démons, des sensations d’amputation partielle ou totale des organes. Ce type de trouble est notamment observé chez les individus souffrant du syndrome de Cotard.

Traitement

De récentes études scientifiques ont démontré que la psychothérapie cognitivo-comportementale (TCC) et l'inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (ISRS, ex. : fluoxétine et paroxétine) sont des traitements efficaces contre l'hypocondrie comme il est montré dans certains essais cliniques[13],[14],[15],[16],[17]. Le TCC, une aide psycho-éducationnelle par discussion, aide l'hypocondriaque à canaliser son anxiété face aux divers troubles qu'il ressent.

Hypocondrie et dépendance affective

Les relations du type dépendance affective sont une impasse pour les personnes hypocondriaques. Elles les maintiennent dans leur maladie sans possibilité de guérison.

Dans ce type de relation, les personnes ont souvent trop peu de confiance en elles. Celle qui est hypocondriaque va trouver un « sauveur » dans son partenaire qui va apaiser ses souffrances. Jusqu’ici rien d’anormal. Le problème commence lorsque le « bienfaiteur » va se trouver un véritable sens à sa vie en aidant son partenaire malade. Mais si ce dernier guéri, son monde s’effondre. Il arrive alors qu’il entretienne le mal être de son protégé pour garder son rôle de bienfaiteur. Situation paradoxale.

Trop souvent confondu avec l’amour véritable, ces relations empoisonnent la vie des hypocondriaques. Et il est d’autant plus difficile d’en sortir car le plus souvent la fin de la maladie entraîne la fin de la relation.

[réf. nécessaire]

Débat

La vision behavioriste qu'ont adoptée les schèmes de classification du DSM et de la CIM sur ce trouble est nettement controversée parce qu'elle ne fait pas la différence entre l’hypocondrie et un trouble de type « hystériforme » (qui ne comporte pas d'altération à la réalité, le patient convertissant son mal-être psychique en mal-être physique), alors que l'hypocondriaque est convaincu contre toute évidence qu'il souffre d'un trouble. Pour ce dernier cas, il s'agit d'un quasi-délire, mais pas pour le premier, qui conserve donc un lien préservé à la réalité.

Soulignons qu'il y a quelque chose de paradoxal à diagnostiquer une maladie chez quelqu'un dont le trouble consiste justement à croire qu'il est malade alors qu'il ne l'est pas. Ainsi, l'hypocondriaque n'est malade pour aucun médecin sauf pour le psychiatre qui lui annonce sa maladie - « l'hypocondrie » - et qui abonde dans son délire : il est malade; il lui fournit même un « traitement » qui l'aidera à comprendre qu'il n'est pas malade, alors que justement il l'est, puisqu'il souffre d'hypocondrie. Toute cette absurdité fait dire à Thomas Szasz que l'hypocondrie ne peut en aucun cas être qualifiée de maladie, et certainement pas de maladie « mentale »; que le psychiatre qui qualifie de malade un hypocondriaque est aussi fou que lui, sinon plus. Pour Szasz, l'hypocondrie est un jeu de rôle, un complexe social dont un acteur, l'hypocondriaque, essaie de jouer un rôle qui n'est pas accepté par un public, les médecins [18]. Selon Szasz, l'hypocondriaque n'est pas un vrai malade, mais un malade imaginaire, et le médecin qui le traite n'est pas un vrai médecin, mais un médecin imaginaire, aussi charlatan que Sganarelle dans la pièce de Molière[19].

Hypocondrie dans la culture

L'hypocondrie caractérise de nombreux personnages fictifs :

Littérature

  • Le Malade imaginaire (1673), pièce de théâtre de Molière : le personnage principal, Argan, est constamment persuadé qu'il est atteint de différents maux.
  • Trois hommes dans un bateau (1894), récit de voyage comique de Jerome K Jerome nous montre le narrateur en proie à toutes les maladies (ou presque, il manque l'hydrartrose du genou des femmes de chambre, ou épanchement de synovie) après s'être farci la tête de connaissances médicales puisées dans un ouvrage de vulgarisation. Son médecin, pince-sans-rire, lui ayant remis une ordonnance prescrivant un beefsteack et une pinte de bière quotidiens, plus une nuit de sommeil et le conseil de se méfier des livres qu'il ne comprend pas (et l'ayant ainsi ridiculisé après du pharmacien auquel il remet l'ordonnance sans l'avoir lue), Jerome, après une interminable discussion avec ses deux compères Harris et George (qui se déclarent également bien malades) décide finalement de prendre le taureau par les cornes et d'entreprendre en leur compagnie une vivifiante expédition de canotage aux mille péripéties comiques sur la Tamise.
  • La Conjuration des imbéciles (1980), roman de John Kennedy Toole : le personnage principal, Ignatius J. Reilly, est hypocondriaque, et constamment tourmenté par son anneau pylorique.
  • Confession d'un hypocondriaque (2013) de Christophe Ruaults.

Cinéma

Notes et références

  1. « F45.2 Trouble hypocondriaque », sur med.univ-rennes1.fr (consulté le ).
  2. Vincent Mark Durand et David H. Barlow, Psychopathologie : Une perspective multidimensionnelle, « 5 ».
  3. Association Américaine de Psychiatrie : Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux 4e édition, Washington, DC, APA, 2000.
  4. (en) Escobar JI, Gara M, Waitzkin H, Silver RC, Holman A, Compton W, « DSM-IV hypochondriasis in primary care », Gen Hosp Psychiatry, vol. 20, , p. 155–159 (PMID 9650033, DOI 10.1016/S0163-8343(98)00018-8, lire en ligne).
  5. Définitions lexicographiques et étymologiques de « hypocondriaque » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.
  6. H. Maurel « Hypocondrie » in Antoine Porot. Manuel alphabétique de psychiatrie,  éd.: Presses universitaires de France, coll. « Bibliothèque de psychiatrie », 1997, (ISBN 2-13-047148-X).
  7. G. Scariati. « L'hypocondrie » Médecine et hygiène, 1985;43(1624):2762-70.
  8. Bernard Brusset : L'hypocondrie,  éd.: Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », 1998, (ISBN 2-13-049103-0).
  9. Alain Fine, Georges Pragier, Marilia Aisenstein : L'hypocondrie,  éd.: Presses universitaires de France, coll. « Monographies de la Revue française de psychanalyse », 1995, (ISBN 2-13-047221-4).
  10. « Qu'est-ce que l'hypocondrie ? », sur www.psychomedia.qc.ca, (consulté le ).
  11. (en) Fallon BA, Qureshi, AI, Laje G, Klein B. « Hypochondriasis and its relationship to obsessive-compulsive disorder » Psychiatr Clin North Am 2000;23(3):605-16. PMID 10986730.
  12. (en) Bienvenu OJ, Samuels JF, Riddle MA, Hoehn-Saric R, Liang KY, Cullen BAM, Grados, MA, Nestadt G. « The relationship of obsessive-compulsive disorder to possible spectrum disorders: results from a family study ». Biol Psychiatry 2000,48(4):287-93. PMID 10960159.
  13. (en) Barsky AJ, Ahern DK. « Cognitive behavior therapy for hypochondriasis: a randomized controlled trial » JAMA 2004; 291(12):1464-70. PMID 15039413.
  14. (en) Clark DM, Salkovskis PM, Hackman A, Wells A, Fennell M, Ludgate J, Ahmand S, Richards HC, Gelder M. « Two psychological treatments for hypochondriasis, a randomized controlled trial » Br J Psychiatry 1998;173:218-25. PMID 9926097.
  15. (en) Fallon BA, Schneier FR, Marshall R, Campeas R, Vermes D, Goetz D, Liebowitz MR. « The pharmacotherapy of hypochondriasis ». Psychopharmacol Bull 1996;32:607-11. PMID 8993081.
  16. (en) Fallon BA, Qureshi AI, Schneiner FR, Sanchez-Lacay A, Vermes D, Feinstein R, Connelly J, Liebowitz MR. « An open trial of fluvoxamine for hypochondriasis » Psychosomatics 2003;44(4):298-303. PMID 12832595.
  17. (en) Greeven A, Van Balkom AJ, Visser S, Merkelbach JW, Van Rood YR, Van Dyck R, Van der Does AJ, Zitman FG, Spinhoven P. « Cognitive behavior therapy and paroxetine in the treatment of hypochondriasis: a randomized controlled trial » Am J Psychiatry 2007; 164(1):91-9. PMID 17202549.
  18. Le mythe de la maladie mentale, p. 227 (L’hystérie, l’hypocondrie et les délires corporels) Payot, 1977
  19. Le mythe de la maladie mentale, p. 7 (Préface) Payot, 1977

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • C. C. Valentin Brocard, Du bain, de la douche et des affusions froides, dans le traitement de la folie et des névroses hystériques et hypochondriaques, Faculté de Médecine de Paris, 1859, 66 p. (thèse)
  • Jean Pierre Falret, De l'hypochondrie et du suicide. Considérations sur les causes, sur le siège et le traitement de ces maladies, sur les moyens d'en arrêter les progrès et d'en prévenir le développement, Croullebois, Paris, 1822, 519 p.
  • S. Asquin, I. Orain, J.-M. Pinoit (et coll.), Psychologie médicale, « Lorsque l'hypocondrie masque la dépression du sujet âgé », vol. 27, NS, 1995, p. 86-88
  • Michel Lejoyeux, Il n'est jamais trop tard pour vaincre sa peur de la maladie,  éd. de La Martinière, 2002, 312 p. (ISBN 2-84675-017-3)
  • G. Scariati, Médecine et hygiène, « L'hypocondrie », vol. 43, no 1624, 1985, p. 2762-2770
  • Rachel P. Maines, Technologies de l'orgasme, Payot, 2009, 270 p. (ISBN 978-2-228-90428-5)
  • Christophe Ruaults, Confession d'un hypocondriaque, éditions Michalon, 2013, 256 p. (ISBN 978 2 84186 696 0) (récit)

Liens externes


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