Histoire du jeu d'échecs
Les échecs ou jeu d'échecs sont un jeu de société combinatoire abstrait pour deux joueurs. L'histoire du jeu d'échecs est longue de plus de 1500 ans.
L'origine du jeu fait l'objet de plusieurs hypothèses. Le jeu, dans sa forme primitive, est né en Asie entre le troisième et le sixième siècle de notre ère. Le lieu précis est toujours discuté : Inde, Chine, ou Asie centrale (entre la Perse et l'Ouzbékistan). Arrivé en Perse sous le nom de Chatrang au sixième siècle, il est adopté par le monde musulman au Moyen-Orient et y connaît un grand développement qui prépare sa forme moderne.
Le jeu du Shatranj parvient en Europe occidentale avec l'expansion de l'islam, d'abord en Afrique du Nord, en Espagne, puis en Italie, il y évolue lentement. Les règles modernes, qui accélèrent le jeu, apparaissent pendant la Renaissance et sont figées avec l'apparition des premiers traités imprimés pour donner le jeu que nous connaissons aujourd'hui.
En Extrême-Orient, les échecs se sont développés à partir de sa version chinoise, le Xiangqi, en Corée et au Japon au xe siècle.
Au terme d'un processus de normalisation, le jeu d'échecs dans sa forme moderne est désormais répandu dans le monde entier, et il est pratiqué par de nombreux joueurs, librement ou affiliés à des clubs et des fédérations nationales. Des compétitions sont organisées à tous les niveaux, y compris les championnats du monde et les Olympiades sous l'égide de la Fédération internationale des échecs. Il existe un système de classement des joueurs en fonction de leur force, dominé par les maîtres et grands maîtres internationaux. Dans ce contexte, le jeu d'échecs joue un rôle sur la scène internationale et ses compétitions ont notamment été l'un des théâtres de l'opposition entre les États-Unis et l'Union soviétique pendant la guerre froide.
Le problème des origines du jeu d'échecs
Le jeu moderne des échecs européens diffère fortement des versions primitives. Il existe des jeux d'échecs différents, persans (chatrang), indiens (chaturanga), arabes (shatranj), mongols (shatar), européens, birmans (sit-tu-yin), thaïs ou cambodgiens (makruk), malais (catur), chinois (xiangqi), coréens (janggi), japonais (shogi), etc. Tous ces jeux partagent un ensemble de traits qui renvoient à une véritable préhistoire puisqu’il n’existe aucun témoignage direct et sans équivoque du supposé ancêtre commun. Or, si l’histoire du développement des échecs se trouve largement décrite et bien connue, les origines restent enveloppées d’un voile opaque qui les renvoie le plus souvent à une naissance indienne ex nihilo. Pourtant, un examen objectif des sources disponibles révèle vite la fragilité de cette thèse très répandue.
L'histoire des échecs a elle aussi sa propre « histoire », riche et surprenante. Cette dernière est née dès les premières diffusions du jeu et a tout de suite mêlé l’épopée et la légende. Puis une réaction exagérément rationnelle est venue créer un nouveau mythe : la primauté d’un ancêtre, chaturâjî ou chaturanga, joué aux dés par quatre protagonistes avant qu’un sage élimine le hasard et réduise la partie à deux adversaires. Cette belle fable est aussi séduisante que tenace. Pourtant, elle est très certainement fausse.
Légendes
De nombreux mythes et théories existent sur l'origine du jeu d'échecs.
Le mythe du brahmane Sissa
La légende la plus célèbre sur l'origine du jeu d'échecs[1] raconte l'histoire d'un roi légendaire des Indes (appelé Balhait ou Shihram suivant les versions de la légende) qui cherchait à tout prix à tromper son ennui. Il promit donc une récompense exceptionnelle à qui lui proposerait une distraction qui le satisferait. Lorsque le sage Sissa, fils du Brahmane Dahir, lui présenta le jeu d'échecs, le souverain, enthousiaste, demanda à Sissa ce que celui-ci souhaitait en échange de ce cadeau extraordinaire. Humblement, Sissa demanda au prince de déposer un grain de riz sur la première case, deux sur la deuxième, quatre sur la troisième, et ainsi de suite pour remplir l'échiquier en doublant la quantité de grain à chaque case. Le prince accorda immédiatement cette récompense en apparence modeste, mais son conseiller lui expliqua qu'il venait de signer l'arrêt de mort du royaume car les récoltes de l'année ne suffiraient pas à s'acquitter du prix du jeu. En effet, sur la dernière case de l'échiquier, il faudrait déposer 263 graines, soit plus de neuf milliards de milliards de grains (9 223 372 036 854 775 808 grains précisément), et y ajouter le total des grains déposés sur les cases précédentes, ce qui fait un total de 18 446 744 073 709 551 615 grains (la formule de calcul est alors 264-1[2]) ou bien plus de 1 000 fois la production mondiale de 2012 ou alors, 31 fois le PIB mondial de 2014 au prix du grain de riz actuel en France ! Bon prince, Sissa, qui n'avait voulu que s'amuser un peu aux dépens du roi, aurait ensuite décliné toute récompense.
La légende du grec Palamède
Au début de notre ère, Pausanias le Périégète attribuait l'invention du dé à Palamède, un des héros de la mythologie grecque. Une légende, datant du Moyen Âge, lui attribue la création du jeu d'échecs et situe son invention durant la guerre de Troie[3]. Palamède aurait inventé le jeu d'échecs ainsi que d'autres jeux pour remonter le moral des troupes durant le siège de Troie : « Les Grecs lui attribuaient [à Palamède] l'invention de plusieurs lettres de leur alphabet, de la monnaie, des dés, des osselets et du jeu d'échecs »[4],[5]. C'est l'origine du nom de la première revue échiquéenne, Le Palamède.
Invention du mythe
L'orientaliste anglais William Jones (1746-1794) était un brillant linguiste. Il fut l'un des premiers à souligner les similitudes entre les langues européennes, le persan et le sanskrit. En 1790, dans son livre On the Indian Game of Chess, il expliqua le sens du mot sanskrit chaturanga comme les quatre membres de l’armée épique indienne et évoqua un chaturanga pour quatre joueurs, le chaturâjî, alors joué en Inde (il y était encore pratiqué au XIXe siècle) qui aurait figuré dans un texte sacré sanskrit, le Bhavishya Purâna[6].
Toutefois, Jones doutait et tenait ce jeu quadripartite pour une modification d’un jeu d'échecs primitif à deux sans dé. Jones avait là une bonne intuition mais elle fut balayée par le capitaine Hiram Cox, un officier anglais gouverneur du Bengale, qui prétendit en 1801 dans On the Burmha Game of Chess que c’était au contraire le jeu à quatre qui représentait le plus vieil ancêtre et que le chaturanga à deux en dérivait.
Plus tard, en 1860, le linguiste britannique Duncan Forbes reprit l’idée de Cox et la développa sous la forme d’une théorie complète dans son livre The History of Chess : le premier jeu d’échecs inventé se jouait à quatre joueurs et à l’aide de dés. Ce jeu serait progressivement devenu un jeu à deux, principalement à cause de la difficulté à réunir quatre protagonistes. Selon Forbes, les dés auraient été abandonnés, probablement sous la pression religieuse. Le linguiste croyait que les règles du jeu à quatre figuraient dans le Bhavishya Purâna, texte qu’il estimait vieux de 5 000 ans.
Les textes indiens
Toutefois, l’indianiste allemand Albrecht Weber et l’historien néerlandais Anton van der Linde démontrèrent en 1874 que les textes du Bhavishya Purâna ne pouvaient pas être aussi anciens et qu'ils ne contenaient aucune mention des échecs. Le grand historien anglais Harold James Ruthven Murray clarifia la question dans son œuvre monumentale publiée en 1913 : A History of Chess, plus de 900 pages de très grande érudition. Il démontra que l’usage des dés ne fut jamais proscrit par les religions en Inde, où, au contraire, les représentations de divinités y jouant sont nombreuses. Murray confirma que le Bhavishya Purâna (composé au plus tôt au IIIe siècle av. J.-C.) ni aucun autre Purana ne contiennent de passages sur les échecs. La théorie dite « Cox-Forbes » venait d’être démolie.
Le point des connaissances actuelles
En réalité, trois textes indiens font allusion au passage cité par Jones et Forbes. Tous trois puisent dans les mêmes sources : deux textes bengalis de la fin du XVe siècle ou début du XVIe siècle, le Tithitattva de Raghunandana et le Chaturangadîpikâ de Shûlapâni. Forbes se trompait donc lourdement. Les détails, sur lesquels toutes les descriptions modernes s’appuient datent donc de 500 ans à peine et le plus ancien témoignage pour ce chaturâjî demeure un manuscrit arabe, le Tahqîq mâ li-l-Hind, un récit de voyage au Nord de l’Inde, écrit par le persan al-Bîrûnî vers 1030. La plus ancienne référence pour le jeu à quatre provient donc du XIe siècle seulement, alors que la première mention écrite des échecs à deux, date du début du VIIe siècle, soit 400 ans auparavant, et vient de la Perse voisine.
Quelques commentaires
Au XIe siècle, le jeu à quatre n'est attesté qu'en Inde. S'il avait été l'ancêtre du jeu à deux, il faudrait alors expliquer pourquoi il n'aurait pas été transmis aux peuples voisins et pourquoi aucune source, écrite ou archéologique, ne l’a jamais mentionné auparavant. Il est vrai que les Indiens ne prêtaient pas beaucoup d'attention à l'écriture des règles de leurs jeux, à la différence des Arabes ou des Persans. Quelques textes sanskrits mentionnent un chaturanga au Cachemire avant l'an 1000, mais aucun ne spécifie clairement combien de joueurs y prenaient part. En revanche, al-‘Adlî, un maître arabe qui écrivait vers 840 à la cour des califes abbassides, témoigna des différences entre les règles arabes et indiennes de son temps. Son récit s’arrêta sur plusieurs détails, mais il concernait toujours le jeu d’échecs pour deux joueurs. Il ne mentionna jamais aucun jeu à quatre alors qu’il se montra curieux de présenter toutes les variations qui pouvaient exister sur les règles. Si le chaturâjî se pratiquait dès son époque, cela lui aurait donc échappé, ce qui semble improbable.
Le fait que le chaturâjî utilisait des dés fut aussi parfois souligné pour lui attribuer une plus grande antiquité. Pourtant, cela ne constitue pas un argument probant. Dans l’Orient ancien, les Arabes jouaient aux échecs oblongs, une variante sur un échiquier de 4 × 16 cases, avec deux dés au IXe siècle, soit bien avant que le chaturâjî soit attesté. Même les Européens ont continué d’utiliser les dés pour choisir leurs coups aux échecs standards jusqu’au XIIIe siècle au moins.
Tout concourt à penser que ces échecs à quatre constituent une variante du jeu à deux et non le contraire. C’était l’opinion de Murray en 1913, et elle reste toujours la plus plausible.
Recherches historiques
Trois zones géographiques aux origines des échecs
Qui a inventé les échecs, quand, où, comment, pourquoi ?
L’origine du jeu d’échecs reste un sujet controversé. En effet, comme l'écrit Richard Eales dans son livre Chess, The History of a Game[7], la recherche des origines des échecs est similaire à la recherche du « chaînon manquant » dans l'évolution humaine.
Les premiers échecs se jouaient donc très probablement à deux joueurs. Mais où et quand sont-ils apparus ? Les échecs sont assurément un jeu asiatique et trois ensembles géographiques posent leur candidature au titre de berceau du roi des jeux. Ces trois ensembles sont eux-mêmes très vastes :
- L’Inde du Nord, du Cachemire à la haute vallée du Gange, en passant par le Sind et le Pendjab, le bassin de l’Indus (aujourd’hui largement au Pakistan).
- La Chine historique, c’est-à-dire le bassin du Huang He (fleuve Jaune) et peut-être celui du Yangzi Jiang, plus au sud.
- La grande sphère iranienne entre les deux, les pays traversés par l’antique Route de la soie : la Perse mais aussi le Gandhâra, la Bactriane, le Khwarezm, la Sogdiane, la Sérinde, soit l’Asie centrale de l’Iran et de l’Afghanistan au Xinjiang. Linguistiquement et culturellement, ces régions se rattachaient à la sphère iranienne.
Anciens textes
En matière de témoignages écrits, la Perse présente les arguments les plus forts avec les trois plus anciens textes connus et reconnus. La revendication indienne s’est érodée par rapport à ce que l’on croyait il y a cent ans, nous laissant une seule source antique, opaque et allusive. La Chine n’offre que des témoignages tardifs, les premières traces remontent en 800.
Textes persans : le chatrang
Le jeu d'échecs entre dans l’Histoire au cœur de l’Iran médiéval en opposant déjà deux armées de seize pièces. Trois textes rédigés en pehlevi (moyen persan) montrent que les échecs étaient connus dès l’an 600 en Perse. Le premier est le Wizârîshn î chatrang ud nîhishn î nêw-ardakhshîr (L’Explication du chatrang et l’invention du nard). Écrit vers l’an 600, il décrit l’arrivée des échecs à la cour des empereurs Sassanides avec une ambassade d'un roi de l'Hind (Sind actuel, sur les berges de l'Indus), leur décryptage et l’envoi en retour du Takhteh Nard (un ancêtre du backgammon) au roi indien qui sera incapable d’en percer le mystère, et devra se résoudre à verser un tribut au Roi des rois iranien. Les détails fournis par ce texte originel ont attiré l’attention des historiens. Les six types de pièces sont déjà nommés et certaines se trouvent grossièrement décrites. Le deuxième texte, le Kârnâmag î Ardakhshîr î Pâbagân (Le livre de geste d’Ardakhshîr fils de Pâbag), composé sous Khusraw II (590-628) était une épopée à la gloire d’Ardakhshîr, le fondateur de la dynastie. Le troisième, le Khusraw î Kawâdân ud Rêdag (Khusraw fils de Kâwâd et son page), détaillait l’éducation des jeunes princes. Ces œuvres passaient en revue les arts en faveur à la cour et le chatrang figurait en bonne place, aux côtés du chôbagân (le polo), du dressage de chevaux et du nêw-ardakhshîr (le Takhteh Nard). Les nobles persans tenaient les échecs en haute estime.
Inde
Contrairement à ce que l’on pourrait attendre, l’Inde n’est pas aussi riche en témoignages. Certes, ashtâpada et chaturanga sont deux mots sanskrits très anciens souvent associés aux jeux. Le premier, signifiant littéralement « huit pieds », apparaît pour la première fois dans un texte bouddhiste daté d’entre le IVe et le IIIe siècle av. J.-C. : le Vinayapitaka. Cependant ce n’est pas encore d’échecs qu’il s’agit mais d’un jeu de dés sur plateau. De même, le mot chaturanga figure dans les épopées classiques comme le Râmâyana, composées avant notre ère, mais il désigne alors un terme militaire s’appliquant à la quadruple constitution de l’armée (infanterie, cavalerie, éléphants et chars). En outre, les premières références autrefois reconnues pour les échecs en Inde se trouvent démenties ou contestées aujourd’hui. Plus aucun historien ne reconnait d’allusion aux échecs dans le Vâsavadattâ de Subandhu, écrit vers 620. Seul, le Harshacharita, histoire officielle du roi Harsha de Kânnauj, écrite peu après 643 par le poète Bâna, conserve encore quelque crédit. Bâna louait la paix prévalant sous le règne de ce grand roi bouddhiste : « Sous ce monarque, […] les seuls combats de rois étaient ceux des sculpteurs d’argile ; seules les abeilles se querellaient pour collecter la rosée ; les seuls pieds coupés étaient ceux des mesures, et seulement de l’ashtâpada on pouvait apprendre les positions du chaturanga, on ne coupait pas les membres des condamnés… ». Tout se lit à double sens. Chaturanga renvoie à l’armée quadripartite mais aussi, peut-être, au jeu d’échecs. Cependant, tous les experts ne sont pas convaincus par cette interprétation car il en existe d'autres.
Curieusement, alors que l’Inde classique possède une très riche littérature où les mentions de jeux de dés sont fréquentes, la prochaine allusion ferme (mais brève) aux échecs ne se trouve que vers 850 au Cachemire avec le Haravijaya (La victoire de Shiva) de Ratnâkara, et la première description complète n’intervient qu’au XIIe siècle avec le Mânasollâsa du roi Someshvara III. À cette date, les Arabes ont déjà tout écrit.
En Europe, il faut attendre 1694 pour que l’orientaliste anglais Thomas Hyde établisse l’origine indienne du jeu. Son traité, imprimé en latin sous le titre Mandragorias seu Historia Shahiludii[8], reproduit les pièces typiques du canon perse[9].
Chine : les ancêtres du xiangqi
En Chine, les sinogrammes xiang et qi, déjà associés dans le sens d’un jeu, figurent dans des textes très anciens comme le Zhaohun (Le rappel de l’âme), un poème de Song Yu présent dans le Chuci, recueil du IIIe ou IIe siècle av. J.-C., et dans le Shuo yüan du Ier siècle av. J.-C.. On ignore cependant de quel jeu il s’agissait. Au VIe siècle apr. J.-C., un xiangxi apparaît dans certains livres comme le Xiangjing (Classique du jeu des symboles) attribué à l’empereur Wu (Zhou du Nord). Cet ouvrage a été perdu mais sa préface, écrite par Wang Bao († 576) nous est parvenue. On y découvre la description énigmatique d’un jeu astrologique. Ce xiangxi pourrait être lié au mystérieux liubo, jeu de course apprécié en Chine sous les Han mais dont les règles sont aujourd’hui perdues. La relation avec le xiangqi actuel demeure complètement inconnue. Rien ne prouve que ce jeu céleste corresponde aux échecs. Mais personne ne peut affirmer qu’il ne s’agissait pas des échecs. Cette question reste sans réponse. L’existence du xiangqi devient indiscutable avec la parution du Xuanguai lu, un recueil de fables écrit par le ministre des Tang, Niu Sengru à la fin du VIIIe siècle. Dans l’une d’elles, le héros Cen Shun aurait rêvé d’une bataille à venir. Au lendemain de la victoire, ses proches pénètrent dans sa chambre et y trouvent une vieille tombe. Ils l’ouvrent et découvrent un échiquier dressé avec des pièces d’or et de bronze.
L'archéologie
Les plus anciennes pièces d’échecs connues sont les sept qui ont été trouvées en 1977 à Afrassiab, près de Samarkand en Ouzbékistan. Il s’agit de petites figurines en ivoire, hautes de 3 à 4 cm : deux soldats à pied portant une épée et un bouclier, un cavalier pareillement armé, un éléphant monté et un homme chevauchant une sorte de fauve, deux chariots très différents l’un de l’autre, l’un étant probablement « royal ». Ces pièces furent datées du VIIe siècle, en tout état de cause d’avant 712 à cause de la présence d’une pièce de monnaie dans la même couche des fouilles.
Certains archéologues britanniques affirment avoir découvert en 2002 une pièce plus ancienne encore, datant du VIe siècle apr. J.-C. à Butrint, au sud de l'Albanie. Cette découverte n'est toutefois pas appuyée par toute la communauté scientifique[10].
D’autres pièces semblables les ont rejointes, en provenance elles aussi des villes étapes de l’antique Route de la soie. Cette route fameuse traversait des régions où vivaient à cette époque des peuples parlant majoritairement des dialectes iraniens. Sogdiens, Korasmiens et Bactriens en particulier contrôlaient le commerce avec des postes avancés jusqu’en Chine. La Route de la soie était l’artère principale canalisant tous les échanges. L’Inde, en revanche, a laissé très peu de témoignages archéologiques. Il est vrai que le climat humide et l’utilisation de matériaux périssables rendent les fouilles moins fructueuses. Les plus anciennes pièces de xiangqi connues ressemblent fortement à celles d’aujourd’hui. Les plus antiques remontent à la dynastie des Song du Nord vers 1100. Mais la ressemblance avec des pièces de monnaies est si forte qu’on peut craindre que des pièces de xiangqi, isolées, abîmées, usées, aient été prises pour telles par des collectionneurs, ou pillées.
Quel scénario pour une naissance ?
La théorie dominante attribue la naissance des échecs à l’Inde du Nord, vers l’an 500. Ils se seraient d’abord diffusés en Asie centrale, puis en Chine, suivant la route empruntée par le bouddhisme. Cette hypothèse est séduisante. Elle conserve toute sa crédibilité et sa vraisemblance, mais elle peine à tout expliquer. En effet, la majorité des traces historiques connues à ce jour incline plutôt à placer la naissance des échecs en Asie centrale, entre Iran oriental, Afghanistan, Pakistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizistan, Turkestan oriental, bref, tous ces pays qui, à cette époque reculée, se rattachaient à l’Empire sassanide ou, tout au moins, se trouvaient habités par des peuples parlant majoritairement des langues iraniennes. Les recherches n'ont pas permis — à ce jour — d'amener des éléments concrets comparables pour l'Inde. Mais il reste une sérieuse objection : plusieurs caractéristiques des échecs chinois, le xiangqi, paraissent plus primitives que celles des échecs primitifs indo-persans (chatrang, chaturanga). L’exploitation des sources archéologiques et le déchiffrement des textes anciens sont loin d’être achevés en Chine, et des découvertes ultérieures balaieront peut-être les idées établies aujourd’hui. Qui plus est, l’énigme obéit peut-être à un schéma plus complexe d’influences multiples et superposées entre les civilisations et leurs jeux.
Le berceau des échecs se cache encore quelque part en Asie.
Les échecs dans le monde arabe : le shatranj
Lorsque les Arabes envahissent la Perse, ils adoptent le Chatrang sous le nom de shatranj. Les échecs connaissent alors un développement remarquable. C’est au cours des IXe et Xe siècles qu’apparaissent les premiers champions et les premiers traités. Les pièces sont stylisées en raison de l’interdiction de représenter des êtres animés[11]. On retrouve alors :
- le roi (du persan Châh, c'est lui qui donne son nom au jeu) se déplace d’un pas dans toutes les directions ;
- le conseiller (du persan Farzin ou Vizir) dont le mouvement est limité à une seule case en diagonale ;
- l’éléphant (Fil, forme arabisée du mot persan Pil, cf. sanskrit pīlu) avec un déplacement correspondant à un saut de deux cases en diagonale ;
- le cheval (en arabe Faras, en persan Asp : cheval), identique au cavalier moderne ;
- le Roukh, la tour (du persan Rokh : tour), semblable à la tour actuelle.
- le soldat (en arabe Baidaq, forme arabisée du mot persan Piâdak : piéton, cf. sanskrit padāti : piéton, fantassin), l’équivalent du pion, mais dépourvu du double pas initial.
(Le Roukh était parfois représenté comme un char de guerre. Les Arabes y voyaient un général commandant l’armée. Mais son sens littéral reste obscur. Il semble que pour les Arabes, ce mot n’avait pas d’autre sens que celui de désigner cette pièce au Shatranj, un peu comme le mot rook pour les anglophones aujourd’hui. Le lien étymologique avec le sanskrit ratha : char est peu évident. le mot proviendrait probablement du persan rokh : tour.)
Arrivée en Europe et évolution
Le jeu d'échecs arrive sans doute en Europe par l’Espagne musulmane aux alentours du Xe siècle, ou par l’Italie du sud (Sicile), puis progresse dans toute l'Europe à partir du XIe siècle[12]. Une légende a longtemps attribué un jeu d'échecs à Charlemagne qui l'aurait reçu de la part du calife Hâroun ar-Rachîd, mais dont on pense aujourd'hui qu'il fut fabriqué près de Salerne à la fin du XIe siècle[13]. Le poème latin Versus de Scachis écrit à la fin du Xe siècle contient les premières règles écrites en Europe[14]. En 1010[15]. Une mention du jeu a été trouvée dans un testament du comte d'Urgel, en Catalogne[16].
Le jeu d'échec est alors souvent pratiqué à l'aide de dés[17] ce qui provoque sa condamnation par l’Église au Concile de Paris de 1212[18], au même titre que tous les jeux de hasard. Saint Louis reprend cette interdiction dans sa Grande ordonnance de 1254 : « Nous voulons et établissons que tous nos prévôts et nos baillis s’abstiennent de prononcer nulle parole qui tourne au mépris de Dieu, de Notre Dame et tous les saints, et qu’ils se gardent du jeu des dés et des tavernes »[19]. Cette interdiction est peu appliquée, la popularité des échecs atteint son apogée entre le XIIe siècle et le XVe siècle : faisant partie intégrante de l’éducation du futur chevalier, le jeu se répand également dans le milieu de la bourgeoisie à partir du XIVe siècle[20].
L’échiquier s'occidentalise au milieu du XIIe siècle, les pièces devenant plus mobiles probablement en lien avec le développement de la poudre à canon qui rend l'artillerie des champs de bataille plus puissante[21] :
- le plateau devient bicolore avec les cases rouges et noires (qui deviendront plus tard blanches et noires) ;
- le vizir devient fierge (ou vierge), puis reine ou dame (il est difficile de déterminer lequel des deux termes prévalait — sans doute étaient-ils utilisés indifféremment) ;
- l'éléphant (al fil en arabe, qui reste alfil en espagnol aujourd'hui) devient aufin, puis fol ou fou en français ;
- le roukh arabe devient roc (ce nom donnera rook en anglais, le verbe « roquer » en français et désignera la tour d'échecs en héraldique), puis tour vers la fin du XIIe siècle (les tours de guet étant souvent placées en hauteur)[22].
La Renaissance et les règles modernes
Dans certaines régions d'Europe, le double pas initial du pion est pratiqué. Certaines règles permettent au roi ou à la reine (ou dame) d'effectuer un saut à deux cases (sans prise) à leur premier mouvement. Ceci constitue la différence principale avec les règles du Shatranj des pays musulmans[23]. Mais l’évolution la plus importante a lieu à la fin du Moyen Âge, après 1470, en Espagne ou en Italie, lorsque les mouvements limités de la reine (ou dame) et du fou sont remplacés par ceux que nous connaissons actuellement[23].
Les joueurs de cette époque nomment ces nouvelles règles : « eschés de la dame » ou « jeu de la dame enragée »[24].
Les plus anciens manuscrits conservés relatifs à ces évolutions sont le manuscrit de Göttingen et le Scachs d'amor. Le premier traité imprimé reflétant ces innovations est généralement attribué à Francesc Vicent, publié en 1495 à Valence, mais il est aujourd'hui perdu. Le deuxième, attribué à Lucena, nous est parvenu.
Pour parer aux effets dévastateurs des pièces aux pouvoirs renforcés, le roque est inventé vers 1560 et, progressivement, il remplace le saut initial du roi ou de la reine (la dame) qui deviennent obsolètes[23]. On peut considérer que les règles du jeu moderne sont à peu près établies vers 1650. Si les premiers livres traitant des échecs remontent à l'époque arabe (dans le Kitab-al-Fihrist d'Ibn al-Nadim), la stabilisation des règles en Europe donne naissance à une littérature théorique très riche et on observe notamment l'élaboration des premiers systèmes d'ouverture.
L'époque moderne et contemporaine
François-André Danican Philidor publie L'Analyze des Echecs[25] en 1749, un des premiers traités d'échecs en langue française et un classique du genre.
L’aspect physique des pièces le plus courant aujourd’hui, le style « Staunton », date de 1850[26]. C’est également durant la seconde moitié du XIXe siècle qu’émergent les échecs modernes. Les premières compétitions internationales ont lieu, les progrès théoriques de l’art de la défense mettent un terme à l’ère romantique des échecs[réf. nécessaire].
Au XXe siècle, l’URSS, sous l'impulsion de Nikolaï Krylenko, fait une promotion très active du jeu, le considérant comme un excellent outil de développement intellectuel. C’est, en outre, une vitrine de la formation intellectuelle soviétique qui permet à l'URSS de dominer largement une discipline prestigieuse.
Durant la guerre froide, Bobby Fischer, le premier Occidental à défier les Soviétiques au plus haut niveau, puis Viktor Kortchnoï, dissident Soviétique qui parvint deux fois en finale du championnat du monde, donnent à cette compétition une véritable dimension politique. Plus tard, les tensions entre conservateurs russes et partisans de la perestroïka se sont cristallisées autour de l’affrontement entre Anatoli Karpov et Garry Kasparov.
À la fin du XXe siècle, la confusion concernant le titre de champion du monde amène l’attention médiatique à se concentrer sur l’opposition entre l’humain et la machine, comme en témoigne le retentissement médiatique des matchs entre Kasparov et Deep Blue. Les femmes font également leur apparition au plus haut niveau dans un domaine longtemps réservé de fait aux hommes. Ainsi, dans les années 2010, Judit Polgár a figuré parmi les trente meilleurs joueurs mondiaux du classement de la Fédération internationale des échecs et est même arrivée 8e en janvier 2004[27].
Depuis janvier 2000, les échecs sont devenus, en France, un sport reconnu par le ministère de la Jeunesse et des Sports[28]. De nombreuses compétitions sportives sont organisées dans le monde entier. Depuis le début de l'année 2008, l’entrée de ce sport aux Jeux olympiques est discutée[29].
Depuis 2013, le champion du monde est le Norvégien Magnus Carlsen qui a succédé à l'Indien Viswanathan Anand.
Notes et références
- rapportée par le docteur Forbes dans The History of Chess, Londres, 1860.
- voir série géométrique
- (en) Anne Sunnucks, The Encyclopedia of Chess, Londres, Hale, , 2e éd. (ISBN 9780709110309), p. 352
- Larousse encyclopédique en 10 volumes, Paris, 1984, vol.VIII,p. 7747 (ISBN 203102308X)
- Robert Graves, « Les Mythes grecs », édition Fayard, Paris, 1967, traduit de l'anglais par Mounir Hafez, p. 497-517 édition originale : Greek Myths, Cassell & C° LTD, Londres 1958
- Jean-Louis Cazaux, L'Odyssée des jeux d'échecs, Praxeo, Paris, 2010
- Londres, 1985.
- (la) Thomas Hyde et Abraham ben Meïr Ibn Ezra, Mandragorias, seu Historia shahiludii ... : De ludis Orientalium libri primi pars prima, quæ est Latina, E Theatro Sheldoniano, (lire en ligne)
- Jean-Michel Péchiné, Roi des jeux, jeu des rois, Les échecs, Paris, Découvertes Gallimard, , 128 p. (ISBN 2-07-053396-4), p. 13
- Baudouin Eschapasse, « Le plus vieux jeu d'échecs connu a 1 300 ans », sur Le Point, (consulté le )
- Un interdit de la représentation sur la BNF S'appuyant sur un verset du Coran rejetant les statues des idoles et sur un hadîth accusant les faiseurs d'images de vouloir rivaliser avec Dieu, seul créateur et insufflateur de vie, certains théologiens musulmans ont condamné formellement la représentation des êtres animés.
- Référence, Jean-Louis Cazaux, "Petite histoire des échecs", éditions POLE, 2009
- Dossiers pédagogiques de la Bibliothèque nationale de France.
- (en) YMarilyn Yalom, The Birth of the Chess Queen, HarperCollins, , p. 15-18
- De nombreuses pièces d'échecs ont été retrouvées lors de fouilles sur le site des chevaliers-paysans du lac de Paladru (Isère), site qui a été abandonné au plus tard en 1040
- Jean-Louis Cazaux, « Les jeux d’échecs du Moyen Âge ou la quête du jeu parfait », Histoire et Images Médiévales thématique, no 28, , p. 57
- « Un jeu de hasard et d'argent », sur classes.bnf.fr (consulté le )
- Collectif, Jeux de hasard et d’argent – Contextes et addictions, éditions INSERM, , p. 3
- Marcel Pacaut, Les structures politiques de l'occident médiéval, Paris, Armand Colin, , 409 p. (lire en ligne), p. 229-230
- (en) Helena M. Gamer, « The Earliest Evidence of Chess in Western Literature: The Einsiedeln Verses », Speculum, vol. 29, no 4, , p. 734 (DOI 10.2307/2847098)
- (en) M. G. A. Vale, The Princely Court : Medieval Courts and Culture in North-West Europe, 1270-1380, Oxford University Press, , p. 173
- Dossiers pédagogiques de la bibliothèque nationale de France.
- Référence, Jean-Louis Cazaux, L'Odyssée des jeux d'échecs, Praxéo, 2010
- Anthologie sur le jeu d'échecs sur le site de la BNF
- Didier Renard, « Jeu des échecs, société politique et art de la guerre. Les révolutions du XVIIIe siècle », Politix, vol. 15, no 58, , p. 89-107 (lire en ligne, consulté le ).
- Judit Polgar sur le site de la FIDE
- Arrêté du du ministre chargé des Sports (Bulletin officiel du ministère de la Jeunesse et des Sports du )
- Olympic Programme Commission au paragraphe 2.5 "Mind Sports"
Annexes
Article connexe
Lien externe
Bibliographie
- (en) H.J.R. Murray, A History of Chess, Oxford University Press, , 879 p. (ISBN 0-19-827403-3), p. 900Ouvrage de référence sur l'histoire des échecs.
- Jean-Louis Cazaux, L'odyssée des jeux d'échecs, Neuilly-sur-Seine, Praxeo, , 368 p., 24 × 1,8 × 16,8 cm (ISBN 978-2-9520472-8-9 et 2-9520472-8-6)
- Michel Pastoureau, Le Jeu d'échecs médiéval : Une histoire symbolique, Paris, Le Léopard d'or, coll. « Le symbole et son histoire », , 120 p., 22 × 0,6 × 15 cm (ISBN 978-2-86377-236-2 et 2-86377-236-8)
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