Hippolyte Taine

Hippolyte Taine, né le à Vouziers et mort le à Paris, est un philosophe et historien français. Il est également membre de l’Académie française.

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Biographie

Né dans une famille drapière des Ardennes plutôt prospère, il est le fils de Jean-Baptiste Taine, avocat, qui l'encourage à une lecture éclectique et lui offre des enseignements artistiques et musicaux.

Cependant, à 13 ans Hippolyte Adolphe Taine perd son père et il est envoyé, en 1841, en pension à Paris, dans l'institut Mathé, situé dans le quartier des Batignolles. Il suivra des études brillantes, qu'il poursuit au lycée Bourbon (dénommé aujourd'hui lycée Condorcet) où, en 1847, il passe deux baccalauréats (sciences et philosophie) et reçoit le prix d'honneur du concours général[1]. Il est reçu premier au concours d'entrée de la section lettres de l'École normale supérieure, qu'il intègre en . Parmi les 24 élèves de la section lettres, il est le condisciple de Francisque Sarcey (qui, dans ses Souvenirs de jeunesse dépeindra le jeune Hippolyte dans le campus de la rue d'Ulm) et d'Edmond About. Mais son attitude — il a une réputation de forte tête[réf. nécessaire] — et sa liberté vis-à-vis des idées philosophiques en vogue — représentées par Victor Cousin — le font échouer à l'agrégation de philosophie en 1851. Il choisit alors la Province et enseigne en collège (à Nevers et à Poitiers) tout en continuant sa formation personnelle. Ainsi, en 1853, il présente une thèse sur les Fables de La Fontaine (qui sera publiée, remaniée en 1861). Il publie un Essai sur Tite-Live qui est récompensé par l'Académie française en 1854.

Taine adopte les idées positivistes et scientistes qui émergent à cette époque.

Après avoir présenté son doctorat, il est muté d'office à Besançon et refuse cette affectation. Il s'installe d'abord à Paris, où il s'inscrit à l'école de médecine puis part suivre une cure médicale, dans les Pyrénées, en 1855, au terme de laquelle il rédigera son célèbre Voyage aux Pyrénées. Il écrit ensuite de nombreux articles philosophiques, littéraires et historiques pour deux grands journaux de l'époque, la Revue des deux Mondes et le Journal des débats.

Il se fait alors mettre en congé et part six semaines en Angleterre. Il publie en 1863 son Histoire de la littérature anglaise en cinq volumes. L'évêque Dupanloup s'oppose à ce que l'Académie française lui remette un prix pour cette œuvre à cause des doctrines philosophiques qui y sont exposées[2].

En 1868, il épouse Thérèse Denuelle, fille d'Alexandre Denuelle. Ils ont deux enfants : Geneviève, épouse de Louis Paul-Dubois, et Émile.

L'immense succès de son œuvre lui permet, non seulement de vivre de sa plume mais aussi d'être nommé professeur d'histoire de l'Art et d'esthétique à l’École des Beaux-Arts en 1865[3] et à Saint-Cyr. Il est même docteur en droit à Oxford (1871)[4]. Il est élu membre de l'Académie française en 1878 par 20 voix sur 26 votants[2].

Taine s'intéresse à de nombreux domaines notamment à l'art, à la littérature mais surtout à l'histoire dans laquelle son esprit lucide, quoique parfois dogmatique, trouve un thème d'élection. Profondément ébranlé par la défaite de 1870 ainsi que par l'insurrection (et sa violente répression) de la Commune de Paris, Taine s'est, à partir de 1870, pleinement consacré, jusqu'à son décès, à son œuvre majeure, Les Origines de la France contemporaine (1875-1893), œuvre qui a reçu un retentissement très important. En effet, de manière originale, en se plaçant dans une perspective longue, il s'intéresse aux causes de la Révolution française et il y dénonce notamment l'artificialité des constructions politiques françaises violentes et idéologiques (l'esprit abstrait et rationnel à l'excès d'un Robespierre par exemple) qui contredisent avec violence la soi-disant naturelle et lente croissance des institutions d'un État révolutionnaire et "populaire".[pas clair]

En 1885, en visite à l'hôpital de la Salpêtrière, Taine assiste, en compagnie de Joseph Delbœuf, à une séance d'hypnotisme dans laquelle Jean-Martin Charcot obtient des vésications par suggestion.

En 1872, Taine acheta pour y venir travailler tous les étés, la propriété Boringes à Menthon-Saint-Bernard (Haute-Savoie) dont il fut conseiller municipal.

Il meurt le . Il a été inhumé à Menthon-Saint-Bernard, sur le Roc de Chère[5].

Style et répercussion

Esprit réaliste (« Quel cimetière que l'histoire ! »), Taine se laisse parfois porter à des conclusions très pessimistes. Auteur de grandes synthèses, il lui fallait sans doute aller vite. Néanmoins, le nombre considérable de faits rapportés pour illustrer telle période de l'histoire de la Révolution laisse entrevoir un travail de recherche considérable. À la suite de vérifications de son texte par un historien de la Révolution : Alphonse Aulard, les exemples avancés par Taine pour soutenir ses propos se sont révélés très sûrs ; peu d'erreurs ont été notées par Aulard — et moins que dans ses propres textes, ainsi que le rapporte Augustin Cochin. Les interprétations de Taine, dont on ne peut nier les fulgurances, ni la portée politique, ont connu et connaissent encore aujourd'hui un grand succès, en France comme à l'étranger. Elles ont servi à alimenter des doctrines politiques conservatrices où la « légende noire » de la Révolution de 1789 a trouvé sa place. Leur plus grand mérite est de proposer une vision de la révolution dégagée de la vision fataliste (téléologique) des démocrates et républicains, et des interprétations marxistes qui ont été celles de l'école historique contemporaine d’Albert Mathiez, Georges Lefebvre et Albert Soboul, plus illustres représentants de cette tradition.

Réflexion historiographique

Hippolyte Taine
Portrait par Félix Vallotton
paru dans La Revue blanche en 1897.

Sa réflexion la plus aboutie dans ce domaine est exposée dans L'Introduction de son Histoire de la littérature anglaise, qui paraît en 1863. Cet ouvrage est un manifeste en faveur de l'histoire scientiste. Dans sa préface, il affirme que la consultation des documents, notamment les textes littéraires, permettent de reconstituer l'« homme intérieur » qui correspond à l'« état mental élémentaire » de chaque période d'une culture. Pour lui, l'histoire appartient au champ de l'expérimentation au même titre que la physiologie. On doit pouvoir lui appliquer les mêmes méthodes qu'aux sciences naturelles.

Les événements en histoire seraient donc déterminés par des lois équivalentes à celles du monde naturel et chaque fait historique dépendrait de trois conditions : le milieu (géographie, climat) ; la race (état physique de l'homme : son corps et sa place dans l'évolution biologique) ; le moment (état d'avancée intellectuelle de l'homme). Il est possible de mettre en place une méthode expérimentale pour les étudier, comme pour la médecine (voir Claude Bernard) où il n'y a pas que l'étude des symptômes, mais aussi un travail de laboratoire avec des expériences physiques et chimiques sur des animaux vivants pour mieux comprendre l'homme et ses maladies et pour tester les réactions des organismes aux différentes substances chimiques.

Taine sait qu'il n'est pas possible de faire des expériences en laboratoire pour l'histoire, mais il est possible de soumettre les sources à des opérations scientifiques. Il définit quatre étapes :

  • Analyse : repérer les faits historiques dans les documents ;
  • Classement : classer les faits historiques par catégories : œuvres de l'intelligence humaine (art, religion, science) ; œuvres de l'association humaine (structures politiques et sociales) ; œuvres du labeur humain (faits économiques) ;
  • Définition : résumer ces catégories, ces séries de faits similaires par une formule simple, par exemple : système capitaliste pour une série de faits économiques ;
  • Mise en relation : établir des relations logiques entre ces catégories, ces séries de faits pour faire une synthèse : le récit produit est de l'Histoire.

Taine accorde donc à l'histoire le statut de science exacte. Il applique lui-même son programme en 1875 dans Les Origines de la France contemporaine : « On permettra à un historien d'agir en naturaliste ; j'étais devant mon sujet comme devant la métamorphose d'un insecte… »

Il est promoteur du caractère scientifique de l'Histoire, et met son talent d’écrivain au service de son œuvre d’historien. Il utilise l'Histoire pour faire un récit naturaliste. Il consulte des archives, mais pour pouvoir raconter l'histoire, la vie quotidienne de ceux qu'il étudie. De plus, la dernière étape (synthèse, récit) est celle qui l'intéresse quasi uniquement.

Pour lui, la force de l'histoire est telle qu'il est illusoire de vouloir changer une société. Ainsi, à la suite de la défaite de Sedan et de la Commune, il accuse la Révolution française d'être la matrice de tous les maux en ce qu'elle aurait fait entrer la France dans un cycle de décadence. C’est notamment l’abstraction de la philosophie des Lumières qui est rejetée : les députés ont cru pouvoir changer l’ordre social or celui-ci ne peut être que façonné sur le temps long de l’histoire.

Postérité

Adorno dans une conférence en 1946 (La psychanalyse révisée) fait remarquer que c'est Taine qui a rendu célèbre la théorie du milieu dont les psychanalystes néo-freudiens s'inspirent.

Œuvres

Monument à la mémoire de Taine réalisé par Oscar Roty dans le square d'Ajaccio (Paris).

Notes et références

  1. H. Taine, sa vie et sa correspondance, correspondance de jeunesse 1847-1853, librairie Hachette, Paris, 1902 (p. 15).
  2. « Hippolyte TAINE | Académie française », sur academie-francaise.fr (consulté le )
  3. Le Cours de M. Taine à l'École des Beaux-Arts dans La Vie Parisienne, 18 février 1865, pp. 85-86 (en ligne).
  4. « Hippolyte TAINE | Académie française », sur www.academie-francaise.fr (consulté le )
  5. « Maison d'Hippolyte Taine », Fédération des Maisons d'écrivains et des patrimoines littéraires.

Hommages

Plusieurs voies sont nommés en son honneur, dont :

Annexes

Bibliographie

  • Nathalie Richard, Hippolyte Taine : Histoire, psychologie, littérature, Classiques Garnier, 2013
  • Jean-Paul Cointet, Hippolyte Taine. Un regard sur la France, Perrin, 2012
  • Marie Guthmüller, Hippolyte Taine als Initiator der ‚critique scientifique’ und der ‚psychologie expérimentale’. In: Marie Guthmüller, Wolfgang Klein (Hgg.), Ästhetik von unten. Empirie und ästhetisches Wissen. Tübingen, Francke, 2006, p. 169-192
  • Pascale Seys, Hippolyte Taine et l'avènement du naturalisme: Un intellectuel sous le Second Empire, L'Harmattan, 2000
  • François Léger, Monsieur Taine, Critérion, 1993 (ISBN 978-2741300373)
  • Les Écrivains célèbres, t. III, le XIXe et le XXe siècles, Éditions d’art Lucien Mazenod
  • Robert Leroux, Histoire et sociologie en France, Paris, Presses universitaires de France, 1998
  • (de) Dirk Hoeges, Literatur und Evolution. Studien zur französischen Literaturkritik im 19. Jahrhundert. Taine - Brunetière - Hennequin - Guyau, Carl Winter Universitätsverlag, Heidelberg 1980 (ISBN 3-533-02857-7)
  • Jean-Thomas Nordmann, Taine et la critique scientifique, Paris, Presses universitaires de France, 1992
  • (en) Marshall Brown, « Why Style Matters : The Lessons of Taine’s History of English Literature », Turning Points: Essays in the History of Cultural Expressions, Stanford, Stanford University Press, 1997, p. 33-87.
  • André Cresson, Hippolyte Taine : sa vie, son œuvre, avec un exposé de sa philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 1951.
  • Paul Bourget, Le Centenaire d'Hippolyte Taine, extr. de la Revue des deux Mondes, , p. 241 à 257.
  • Auguste Laborde-Milaà, Hippolyte Taine, essai d'une biographie intellectuelle, Perrin, 1909.
  • Victor Giraud, Essai sur Taine, son œuvre et son influence, Hachette, 1899-1900.

Article connexe

Liens externes

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