Henriette Caillaux

Henriette Rainouard[Notes 1], à la ville Mme Léo Claretie puis Mme Joseph Caillaux, née le à Rueil-Malmaison[1] et morte le à Mamers, est une historienne de l'art française.

Pour les articles homonymes, voir Caillaux.

Elle est connue pour avoir assassiné le le journaliste Gaston Calmette, directeur du quotidien Le Figaro et avoir été acquittée par le tribunal. Ce scandale empêcha son mari, qui promouvait une politique pacifiste, d'être nommé président du Conseil et d'appeler Jean Jaurès au ministère en .

Biographie

Henriette Rainouard épouse en 1894 l'écrivain Léo Claretie. Ils ont ensemble deux enfants. En 1907, elle commence une liaison avec Joseph Caillaux alors qu'ils sont tous les deux encore mariés. En 1908, elle divorce de Claretie et épouse Joseph Caillaux le . Leurs biens communs sont alors estimés à une valeur d'environ 1,5 million de francs, ce qui en fait un couple de la bourgeoisie aisée[2].

Contexte

Ayant entamé une relation amoureuse avec Joseph Caillaux alors qu'il était encore marié à Mme Dupré (née Berthe Gueydan), Henriette Rainouard l'épouse après leur divorce. Tandis que Caillaux exerce la fonction de ministre des Finances dans le gouvernement Doumergue, il subit une campagne de dénigrement dont Le Figaro, dirigé par Gaston Calmette, se fait un relais actif. Henriette Caillaux a compté pas moins de « 138 articles en 95 jours » consacrés à son mari dans les colonnes du quotidien. Il s'agit alors de la plus longue campagne de presse jamais organisée contre un homme[3].

Dans un premier temps, ces attaques portent sur la politique, Calmette s'étant procuré des documents diplomatiques relatifs à l'affaire d'Agadir, les « verts d'Agadir » (couleur de ces télégrammes)[4]. Il faut l'intervention de Louis Barthou pour l'empêcher de les publier. Puis le journal remet en cause l'honnêteté de Caillaux, l'accusant d'avoir reçu de diverses sources des sommes pour financer ses campagnes électorales[5], et lui reproche des interventions auprès de la justice en faveur d'un escroc[6]. Calmette aurait également soudoyé la femme de chambre d'Henriette Caillaux pour qu'elle subtilise les lettres de Caillaux à son épouse[7].

Il publie dans son journal plusieurs de ces lettres, écrites avant le mariage des Caillaux[6], notamment le , une lettre compromettante (connue sous le nom de Ton Jo) de Caillaux adressée le à Berthe et dans laquelle il se félicite d'avoir fait capoter un vote sur l'impôt sur le revenu en paraissant le défendre. Or, au début de 1914, le même Caillaux a fait adopter par la Chambre un projet d'impôt sur le revenu, repoussé par le Sénat, et c'est l'un de ses principaux thèmes de campagne de la gauche. Sa publication vise donc à discréditer Caillaux, en pleine campagne électorale pour les élections législatives[8].

Assassinat de Gaston Calmette

Couverture du Petit Journal du 29 mars 1914 illustrant l'assassinat de Gaston Calmette par Henriette Caillaux. « Tragique épilogue d'une querelle politique. Mme Caillaux, femme du ministre des Finances, tue à coups de revolver M. Gaston Calmette, directeur du Figaro. »

Dans l'après-midi du , Henriette Caillaux, décidée à défendre la réputation de son mari et la sienne mais épuisée nerveusement après une campagne de presse de trois mois, achète pour 55 francs chez l'armurier de la bourgeoisie Gastinne Renette un pistolet automatique Browning modèle 1906, qu'elle essaie dans un stand au sous-sol. Vers 17h 15, elle se fait conduire dans une Limousine avec chauffeur (la voiture de ministre de son mari, dont elle a fait retirer la cocarde ministérielle) à la direction du Figaro au 26, rue Drouot pour rencontrer Calmette[9]. Portant une jaquette de karakul assortie à sa robe de satin noir et une toque à aigrette, elle a les mains enfouies dans un manchon à fourrure, ce qui est surprenant pour la saison. L'huissier lui annonce que le directeur est absent, aussi attend-elle près d'une heure dans l'antichambre. À six heures du soir, Calmette arrive avec l'écrivain Paul Bourget et accepte de la recevoir dans son bureau, par galanterie, alors qu'il n'est que de passage. Après de brèves salutations, elle annonce l'objet de sa visite, la cabale médiatique dont est victime son mari, puis retire de son manchon le pistolet et tire à bout portant sur Calmette six balles : deux se fichent dans la bibliothèque, une est arrêtée par le portefeuille de la victime, une autre érafle son thorax, mais deux autres font mouche dont une fatale qui perfore l'artère iliaque au niveau de l'intestin[10]. Les employés du journal accourent, découvrent leur directeur qui gît à terre. Madame Caillaux, livide, déclare : « Puisqu'il n'y a pas de justice en France. » Calmette est mis dans un fauteuil en attendant les médecins et a le temps de murmurer : « J'ai fait mon devoir. Ce que j'ai fait, je l'ai fait sans haine[11]. » Henriette Caillaux se rend, sans avoir tenté de fuir. Interrogée au commissariat du faubourg Montmartre, elle reconnaît les faits, expliquant qu'elle voulait lui donner une leçon et espérant ne pas l'avoir trop gravement blessé[12]. Transporté à la clinique du docteur Hartmann de Neuilly-sur-Seine, Calmette meurt sur la table d'opération après que l'équipe médicale a hésité de longues heures avant de l'opérer. Incarcérée à la prison Saint-Lazare, Henriette Caillaux est renvoyée en cour d'assises sous l'inculpation d'homicide volontaire avec préméditation[13].

Procès

Page trois du journal Excelsior du 25 mars 1914. Interrogatoire d'Henriette Caillaux.
Couverture du journal Excelsior du 25 mars 1914 : « Mme Caillaux dans le couloir du juge d'instruction ».

Lors de son procès ouvert le , Henriette Caillaux et son avocat, Fernand Labori, plaident le crime passionnel. Fait exceptionnel, les présidents de la République Poincaré et du Conseil Briand font une déposition et nombre de membres de la haute société de l'époque doivent aussi s'exposer[14].

À une époque où le féminisme commençait tout juste à poser son empreinte sur la société française, la défense en la personne de Fernand Labori exploite les stéréotypes encore bien ancrés. Il convainc le jury que le crime n'était pas le fait d'un acte mûrement préparé mais d'un réflexe féminin incontrôlé, transformant le crime prémédité en crime passionnel. Les experts psychiatres évoquent un « cas typique d'impulsion subconsciente avec dédoublement complet de personnalité survenu sous l'influence d'un état émotionnel et continu[15] ». Alors que l'avocat général Horteux écarte la préméditation et ne réclame que cinq ans de prison ferme, les jurés des assises de la Seine donnent, après cinquante minutes de délibération, une décision d'acquittement le [16].

Ce verdict fait l'objet de critiques, à l'époque, Joseph Caillaux ayant notamment usé de son entregent pour influer sur le verdict : un de ses amis, Jean-Bienvenu Martin, est nommé ministre de la Justice en juin 1914 alors que le procureur général a été élevé au grade de commandeur de la Légion d'honneur quelques jours avant le procès. Les archives de la préfecture de police exploitées par l'historien Jean-Yves Le Naour[17] révèlent que plusieurs jurés avaient des opinions politiques proches du Parti radical[Notes 2], que le président de la cour d'Assises Louis Albanel était une relation des époux Caillaux, et que la salle d'audience avait été « faite » par un proche de Caillaux, le député Pascal Ceccaldi, qui avait payé des truands corses pour huer ou acclamer les témoins selon qu'ils étaient à charge ou à décharge[18]. Des journalistes évoquent également une collusion entre Caillaux et Boucard, le juge d'instruction[19].

Épilogue

Éclaboussé par le scandale, Joseph Caillaux démissionne dès le , lendemain du crime. Il est cependant réélu député lors des élections législatives de mai 1914 à Mamers. Alors qu'il pensait devenir président du Conseil et appeler Jean Jaurès au ministère, il ne peut guère faire prévaloir ses opinions pacifiques pendant la crise de juillet, la date du procès étant fixée au 20 de ce mois. Henriette Caillaux est acquittée le , le jour même où l'Autriche déclare la guerre à la Serbie, entraînant l'Europe dans la Première Guerre mondiale. Le a lieu l'assassinat de Jean Jaurès. Le 1er août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le , l'Allemagne déclare la guerre à la France et le Royaume-Uni à l'Allemagne le lendemain.

Au début des années 1930, Henriette Caillaux obtient le diplôme de l'École du Louvre en présentant une thèse sur la vie et l'œuvre de Jules Dalou. Cette thèse lui servit de base pour publier un ouvrage de référence en 1935[20], dans lequel elle a établi un inventaire de l'œuvre de ce sculpteur.

En 1940, le couple se retire dans sa propriété de Mamers. Joseph Caillaux, après avoir voté les pleins-pouvoirs au maréchal Philippe Pétain, se retire de la politique et se consacre à ses mémoires. Henriette Caillaux meurt le à Mamers. Joseph Caillaux, de onze ans son aîné, la suit dans la tombe l'année suivante.

Filmographie, bibliographie et audiographie

Publicité pour The Caillaux Case (1918), film réalisé par Richard Stanton.
  • The Caillaux Case (1918), film américain réalisé par Richard Stanton[21].
  • L'affaire inspira en 1985 un téléfilm à la télévision française, L'Affaire Caillaux. Le rôle d'Henriette Caillaux est interprété par Brigitte Fossey.
  • Elle a fait l'objet d'un ouvrage d'Edward Berenson, professeur d'histoire américain, The Trial of Madame Caillaux, University of California Press, 1993 (ISBN 0-520-08428-4).
  • Henriette Caillaux est le thème du roman de Valentine Goby, Des corps en silence, Gallimard, 2009 (ISBN 978-2-07-012804-4).
  • Un documentaire réalisé par Ghislain Vidal sur l'affaire Caillaux dans le cadre de la série Les procès de l'Histoire a été diffusé sur les chaînes Cinaps TV et Toute l'Histoire en 2011 et 2012.
  • Christophe Hondelatte, Henriette Caillaux meurtrière et femme de ministre, Europe 1, [22].

Notes et références

Notes

  1. Le nom « Rainouard » est inscrit sur sa pierre tombale.
  2. Fernand Labori parvient à se procurer la cassette contenant la liste des membres du jury, pouvant ainsi récuser les jurés hostiles au parti radical. Pour expliquer que l'urne ait été descellée, l'huissier évoque une malencontreuse chute dans l'escalier pour expliquer cet « incident ».

Références

  1. Acte de naissance nº 213, année 1874, état civil de Rueil
  2. (en) Edward Berenson, The Trial of Madame Caillaux, Univ of California Press, , p. 13.
  3. Jean-Denis Bredin, Joseph Caillaux, Hachette Littérature, , p. 164.
  4. Sarah Sissmann, Christophe Barbier, « Une épouse outragée », sur lexpress.fr,
  5. Jean Baptiste Duroselle, La France et les Français: 1900-1914, Université de Paris I : Panthéon-Sorbonne, vol. 2 de La France et les Français, Éditions Richelieu, 1972, 414 pages, p. 377.
  6. Serge Berstein, Pierre Milza, Histoire de la France au XXe siècle, vol. 1 : « 1900-1930 », Éditions Complexe, 1999, 573 pages, p. 59 (ISBN 287027758X).
  7. Jean-Claude Allain, Joseph Caillaux, Imprimerie nationale, 1978, 537 pages, p. 497 (ISBN 2110807156).
  8. Patrick Girard, Sexe, mensonges et politiques, Éditions Jean-Claude Gawsewitch, , p. 28-29.
  9. Jean-Denis Bredin, Joseph Caillaux, Hachette Littérature, , p. 172.
  10. Jean-Yves Le Naour, Meurtre au Figaro. Le procès Caillaux, Larousse, , p. 102.
  11. Daniel Amson, Jean-Gaston Moore, Charles Amson, Les grands procès. Préface de Jacques Vergès, Presses Universitaires de France, , p. 47.
  12. Dominique Jamet, La Chute du président Caillaux, Pygmalion, , p. 24.
  13. Yves Ozanam, Le Palais de justice, Action artistique de la Ville de Paris, , p. 185.
  14. Jean-Yves Le Naour, Meurtre au Figaro : le procès Caillaux, Larousse, , 254 p..
  15. Lionel Dumarcet, L'affaire Caillaux, Éditions De Vecchi, , p. 82.
  16. Virginie Florentin, Le procès Caillaux 20 juillet 1914, CreateSpace Independent Publishing Platform, , 588 p. (ISBN 978-1500186609).
  17. Jean-Yves Le Naour, Meurtre au Figaro – Le procès Caillaux, Larousse, , 288 p..
  18. Lionel Dumarcet, L'Affaire Caillaux, Éditions De Vecchi, 1999, 142 pages, p. 88 (ISBN 2732829242).
  19. Jean-Claude Allain, op. cit., 1978, p. 430.
  20. Henriette Caillaux, Dalou (1838-1902) L'homme - L'œuvre, préface de Paul Vitry, Paris, Librairie Delagrave, 1935.
  21. Notice sur IMBD.
  22. europe1.fr.

Voir aussi

Articles connexes

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