Marie-Georges Picquart
Marie-Georges Picquart[1], né le à Strasbourg et mort le à Amiens, est un officier et homme politique français.
Pour les articles homonymes, voir Picquart.
Marie-Georges Picquart | |
Fonctions | |
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Ministre de la Guerre | |
– (2 ans, 8 mois et 25 jours) |
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Président | Armand Fallières |
Gouvernement | Clemenceau |
Prédécesseur | Eugène Étienne |
Successeur | Jean Brun |
Biographie | |
Date de naissance | |
Lieu de naissance | Strasbourg |
Date de décès | |
Lieu de décès | Amiens |
Acteur central de l'affaire Dreyfus, il découvre les preuves de la trahison de Ferdinand Walsin Esterhazy, à la place duquel le capitaine Dreyfus a été accusé, dégradé et condamné sur de fausses preuves, et participe au rétablissement de la vérité, malgré la pression de sa hiérarchie. Tout comme Dreyfus, il est condamné bien qu'innocent, et incarcéré. Les deux hommes sont réhabilités en même temps, en 1906.
Il reprend ensuite le cours de sa carrière militaire jusqu'au grade de général de division (3 étoiles) et rejoint la même année le premier gouvernement Clemenceau en tant que ministre de la Guerre.
Il meurt en 1914 des suites d'un accident de cheval.
Biographie
Enfance et formation
Marie George Picquart[2] naît au 9, rue de la Nuée-Bleue à Strasbourg le , de Marie Charles François Hubert Picquart, percepteur des contributions directes, et de Louise Henriette Mélanie Debenesse[2]. De vieille souche lorraine, la famille Picquart professe un catholicisme ardent[3] dont il se détachera plus tard, en se déclarant agnostique[4].
Il est le cinquième d'une famille de six enfants, Marie Anne et Joseph Hubert, nés en 1844, Marie Philomène Henriette, née en 1846 et morte en 1850, Pierre Paul, né en 1849, Louis René, né et mort en 1859[réf. nécessaire].
Son grand-père était directeur des manutentions militaires à Strasbourg[4].
En 1856, la famille s'installe à Geudertheim où son père vient d'être nommé percepteur des contributions directes. Ils demeurent plus de six ans au château du colonel de Weitersheim avant de revenir à Strasbourg. Il est élève boursier au lycée impérial de Strasbourg (actuel lycée Fustel-de-Coulanges) où il obtient en concurrence avec ses amis des prix en fin d'année (histoire-géographie…).
Son père meurt en 1865[5].
Après l'annexion de l'Alsace-Moselle en 1871, Louise Picquart opte pour la France dès début 1872, pour elle et ses enfants, et la famille quitte l'Alsace[4],[5].
Orthographe du prénom
Son acte de naissance le prénomme « Marie George » (sans trait d'union ni s final)[2]. Marie est également le premier prénom de son père[2]. Ce prénom épicène est parfois donné aux garçons comme prénom secondaire ou dans un prénom composé, comme Marie-Georges. La forme Georges est la plus répandue en français (George est la graphie usuelle en anglais).
Le prénom Marie-Georges est le plus souvent utilisé dans les documents officiels concernant Picquart (dont le Journal officiel du [6] ou le compte-rendu des débats de la Cour de cassation[7] ainsi que dans la plupart des sources et l'usage courant (rue Marie-Georges-Picquart à Paris). Mais sont parfois employés, sans trait d'union, les deux prénoms de son état-civil Marie George (comme pour la Légion d'honneur[8]), ou leur variante Marie Georges (encyclopédie Larousse[9]).
Le prénom usuel dans la société du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle était fréquemment − mais pas nécessairement − le dernier prénom de l'acte de naissance[10] – par exemple Pierre Paul Henri Gaston Doumergue. Ainsi la tombe de Picquart comporte-t-elle seulement l'initiale de son second prénom, et sa notice BNF le seul prénom Georges[11].
Parcours
Marie-Georges Picquart | ||
Le général Picquart, ministre de la Guerre[13]. | ||
Allégeance | France | |
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Arme | Armée de terre | |
Grade | Général de division | |
Années de service | 1872 – 1898 1906-1914 |
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Commandement | 10e division d'infanterie 2e corps d'armée |
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Distinctions | Légion d'honneur Médaille commémorative du Tonkin Médaille coloniale |
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En , Picquart intègre l'École spéciale militaire de Saint-Cyr, promotion du Shah, à la 184e place sur 320. Il en sort en cinquième position sur les 304 élèves de sa promotion, et passe sous-lieutenant au 20e régiment d’infanterie en 1874. Il entre ensuite à l'École d'application de l'état-major dont il sort à la deuxième place sur 25 élèves en 1875. Il est promu lieutenant un an plus tard. Il est alors affecté au 7e régiment de cuirassiers comme stagiaire puis au 4e régiment de zouaves en 1879, régiment avec lequel il sert en Algérie jusqu'en 1880. De retour en métropole, il sert dans l’infanterie, au 6e bataillon de chasseurs à pied puis la même année, est promu capitaine au 126e régiment d’infanterie, avec lequel il part en stage à l’état-major de la 34e division (1882-1883), puis à l’état-major du corps expéditionnaire du Tonkin (1885-1888), où il est remarqué par ses supérieurs pour ses qualités d'officier.
À son retour en métropole, il est promu commandant et affecté en 1888 au 144e régiment d’infanterie, puis au 9e régiment d’infanterie.
En 1890, il devient professeur de topographie à l'École supérieure de guerre où il a comme élève Alfred Dreyfus. En 1893, il revient servir à l'état-major de l'armée.
Jusqu'en 1896, lorsqu'il est impliqué dans l'affaire Dreyfus, il est l'objet d'appréciations des plus élogieuses de la part de la hiérarchie militaire : « aimable et sympathique », intelligence « supérieure », éducation « parfaite » et culture « très étendue », jugement « très droit », moralité, conduite, tenue « parfaites », « hardi et bon cavalier », « grand et d'un beau physique…[4],[5] ».
Grades
- 1874 : sous-lieutenant
- 1876 : lieutenant
- 1880 : capitaine
- 1888 : chef de bataillon
- 1896 : lieutenant-colonel
- 1898 : mis en réforme
- 1906 : réintégré et rétroactivement nommé général de brigade en date de 1903
- 1906 : général de division
Culture et humanisme
Fils d'une musicienne, Picquart est un amoureux des arts et des lettres qui va au théâtre, au concert et aux expositions de peinture et fréquente les salons artistiques[4]. En particulier, il fréquente le salon musical du frère de Georges Clemenceau, Paul Clemenceau, et de son épouse Sophie Szeps, également fréquenté par Maurice Ravel, Paul Painlevé, Marya Freund, Alfredo Casella, la comtesse Greffulhe, Gustav Mahler, etc.[14]
Alors qu'il reste toute sa vie célibataire, la propagande anti-dreyfusienne suggère qu'il est homosexuel[4].
Intellectuel germaniste, il est passionné de littérature et de philosophie allemandes. C'est chez son ami Gustav Mahler qu'il apprend en 1906 sa nomination comme ministre[4].
Il est membre de la Ligue des droits de l'homme créée en 1898. Il est abonné aux Cahiers de la Quinzaine, publication de réflexion philosophique, culturelle et humaniste dirigée par Charles Péguy[4].
Découverte du vrai coupable et condamnation
En 1895, Picquart est promu chef de la section de statistique (service de renseignement militaire) et au grade de lieutenant-colonel. Peu à peu convaincu de l'innocence du capitaine Alfred Dreyfus, il joue un rôle important dans l'affaire Dreyfus en relevant des indices accusant le commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. Il découvre notamment un morceau de papier déchiré, connu sous le nom de « petit bleu », télégramme adressé par l'attaché militaire allemand à Esterhazy. Lorsqu'il consulte des lettres d'Esterhazy, il constate que c'est la même écriture que celle du bordereau, principal élément à charge contre Dreyfus, et en informe sa hiérarchie[15].
Aussitôt, les appréciations de ses supérieurs, jusque-là très élogieuses, changent radicalement. Le chef d'état-major général dit alors de lui : « j'estime qu'il peut y avoir des inconvénients graves à lui laisser la direction d'un service aussi important et qui exige (…) un jugement plus sain, plus calme et plus pondéré[5]. »
Ses supérieurs choisissent alors de l'éloigner et le mutent en janvier 1897 en Tunisie au 4e régiment de tirailleurs algériens. Craignant pour sa vie, Picquart décide de communiquer sa découverte à son ami et avocat Louis Leblois avec mission, si le danger devenait trop grand pour lui, d'en informer le pouvoir politique. Louis Leblois ne suit pas les recommandations de Picquart et révèle ce qu'il sait au sénateur alsacien Auguste Scheurer-Kestner, considéré comme une autorité morale de la République[16] et qui décide de relancer l'Affaire. Picquart est traduit en 1898 devant un conseil d'enquête qui le réforme pour faute grave. Le , une décision présidentielle entérine cette mesure disciplinaire[5].
Accusé d'avoir fabriqué la preuve contre Ferdinand Walsin Esterhazy, il est emprisonné pendant près d'un an. Les dreyfusards en font un héros, à l'instar d'Octave Mirbeau qui écrit dans la préface d'Hommage des artistes à Picquart () :
« Comme on avait condamné Dreyfus, coupable d’être innocent, il savait qu’on condamnerait Picquart, doublement coupable d’une double innocence : celle de Dreyfus et la sienne. »
Après le procès de Rennes, « ressais[i] par [ses] préjugés et [ses] passions », comme l'écrira avec élégance Mathieu Dreyfus[17], il se sépare bruyamment des Dreyfus, auxquels il reproche de se satisfaire de la grâce et de l'amnistie[18].
Réhabilitation
Picquart est réhabilité, avec rétroactivité, le même jour que Dreyfus (qui lui ne bénéficie pas de la rétroactivité)[réf. nécessaire], et se voit nommé général de brigade en 1906. Il commande alors la 10e division d'infanterie où il est secondé par le commandant Mordacq à l'état-major.
Il devient ministre de la Guerre trois mois plus tard, aux côtés de Stephen Pichon, ministre des Affaires étrangères, dans le premier gouvernement de Clemenceau (-).
À partir de , il succède au général Joffre à la tête du 2e corps d'armée d'Amiens.
Mort et hommage posthume
Il meurt le , quelques mois avant la Première Guerre mondiale, des suites d’une chute de cheval en Picardie (œdème à la face provoquant l’étouffement).
Le gouvernement envisage alors d'organiser des funérailles nationales pour lui rendre hommage eu égard à son rôle dans l'affaire Dreyfus et en sa qualité d'ancien ministre de la Guerre mais, conformément à ses dernières volontés, comme en témoigne son testament : « N'appartenant à aucune confession religieuse, je m'oppose absolument à ce qu'il soit célébré, à l'occasion de mes obsèques, aucune cérémonie d'un culte quelconque[4] », ses obsèques sont privées et civiles et se déroulent sans fleurs ni couronnes ni discours[5]. Elles ont lieu le 21 janvier à Amiens dans le cadre familial, puis ses cendres sont ramenées à Paris et déposées au cimetière du Père-Lachaise à l'occasion d'un hommage officiel national.
Le , après le retour de la ville à la France, ses cendres sont transférées à Strasbourg et déposées avec les honneurs militaires au cimetière Saint-Urbain[réf. nécessaire].
Décorations
- Légion d'honneur : chevalier (), officier (), commandeur ()
- Médaille commémorative du Tonkin
- Médaille coloniale avec agrafe « Algérie » en 1880
- Chevalier de l’ordre royal du Cambodge ( Cambodge) en 1888
- Chevalier de l’ordre du Dragon d’Annam (Annam) en 1888
Odonymes en hommage à Marie-Georges Picquart
- Rue du Général-Picquart à Strasbourg, ville où il est né.
- Avenue Colonel Picquart à Bruxelles.
- Place de la mairie de Geudertheim, rebaptisée place Marie-Georges-Picquart depuis le , où il a passé une partie de son enfance.
- Rue Georges-Picquart à Guéret dans le prolongement de la rue Alfred-Dreyfus, toutes deux inaugurées le .
- Rue Marie-Georges-Picquart à Paris dans le 17e arrondissement. Nouvelle rue créée dans le nouveau quartier Saussure à côté de Pont Cardinet, elle a ouvert en .
- Plaque de rue à Bruxelles.
Filmographie
L'affaire Dreyfus a fait l'objet de plusieurs films mettant en scène le colonel Picquart.
Cinéma
- 1930 : Dreyfus, de Richard Oswald, interprété par Albert Bassermann
- 1931 : (en) Dreyfus, de F.W. Kraemer et Milton Rosmer, interprété par Charles Carson
- 1937 : La Vie d'Émile Zola, de William Dieterle, interprété par Henry O'Neill
- 1958 : L'Affaire Dreyfus, de José Ferrer : interprété par Leo Genn
- 2019 : J'accuse, de Roman Polanski, adapté du roman D. de Robert Harris, film centré sur le personnage de Picquart : interprété par Jean Dujardin
Télévision
- 1978 : Émile Zola ou la Conscience humaine, de Stellio Lorenzi : interprété par Pierre Vernier
- 1991 : Une affaire d'honneur (en), de Ken Russell : interprété par Richard Dreyfuss
- 1995 : L'Affaire Dreyfus, de Yves Boisset sur un scénario de Jorge Semprún d'après le livre L'Affaire de Jean-Denis Bredin, grand prix du scénario au festival de télévision de Monte-Carlo : interprété par Christian Brendel
Notes et références
- Parfois prénommé « Marie George » ou « Georges ».
- Acte de naissance de Marie George Picquart.
- Oriol 2019, p. 36-37.
- Le Colonel Georges Picquart ou la vertu cachée, Christophe Prochasson, 1993.
- Notice biographique de Marie-Georges Picquard.
- Journal officiel du 17 juillet 1906.
- L'affaire Picquart devant la Cour de cassation : compte-rendu sténographique des débats.
- « contenu », sur culture.gouv.fr (consulté le ).
- Éditions Larousse, « Encyclopédie Larousse en ligne - Marie Georges Picquart », sur larousse.fr (consulté le ).
- Chantal Cosnay, « L’ordre des prénoms », sur Geneanet, .
- Notice de personne BNF.
- Photographie d'Henri Manuel.
- Photographie d'Henri Manuel.
- Cornejo 2018, p. 334.
- Hubert Lévy-Lambert, « Les polytechniciens dans l’affaire Dreyfus », Bulletin de la Sabix, , p. 64-74 (lire en ligne).
- « Anciens sénateurs IIIe République : SCHEURER-KESTNER Auguste », sur www.senat.fr (consulté le ).
- Mathieu Dreyfus, L'Affaire telle que je l'ai vécue, Paris, Grasset, , p. 374.
- Philippe Oriol, L'Histoire de l'affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Paris, Les Belles Lettres, , p. 937-972.
Voir aussi
Bibliographie
- Francis de Pressensé, L'Affaire Dreyfus. Un héros. Le colonel Picquart, Paris, Stock, , XV-385 p..
- Alphonse Halter, « Marie Georges Picquart », dans Nouveau Dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 30, p. 3014.
- Philippe Oriol, L'Histoire de l'affaire Dreyfus : de 1894 à nos jours, vol. 1 et 2, Paris, Les Belles Lettres, , 1489 p. (ISBN 978-2-251-44467-3).
- Philippe Oriol, Le Faux Ami du capitaine Dreyfus : Picquart, l'Affaire et ses mythes, Paris, Grasset, , 248 p. (ISBN 978-2-246-86004-4, présentation en ligne).
- Christophe Prochasson, « Le colonel Georges Picquart, ou La vertu cachée », Mil neuf cent : Revue d'histoire intellectuelle, no 11 « Comment sont-ils devenus dreyfusards ou anti-dreyfusards ? », , p. 15-20 (lire en ligne).
- Marcel Thomas, L'Affaire sans Dreyfus, Paris, Fayard, , 587 p. (présentation en ligne).
- Christian Vigouroux, Georges Picquart, dreyfusard, proscrit, ministre : La Justice par l'exactitude, Paris, Dalloz, , VII-529 p. (ISBN 978-2-247-08025-0, présentation en ligne). Réédité par Dalloz en 2019 sous le titre : Georges Picquart, la biographie, (ISBN 9782247198160), récompensé par le Prix Seligmann contre le racisme.
- Maurice Ravel, L'intégrale : Correspondance (1895-1937), écrits et entretiens : édition établie, présentée et annotée par Manuel Cornejo, Paris, Le Passeur Éditeur, , 1769 p. (ISBN 978-2-36890-577-7 et 2-36890-577-4, notice BnF no FRBNF45607052)Contient 1 correspondance du général Picquart à Maurice Ravel du 26 juin 1913 (n°543 p. 334) relative à la pianiste Jeanne Leleu et 1 correspondance de Maurice Ravel à Jeanne Leleu du 3 août 1913 (n°553 p. 339) où est cité le général Picquart
- Olivier Claudon, « Picquart : un Strasbourgeois au cœur de l'affaire Dreyfus », DNA, , p. 40
- Pierre Gervais & Pauline Peretz, « Le colonel Picquart, lanceur d'alerte ou objecteur ? », La Vie des idées, (lire en ligne, consulté le )
Liens externes
- Notices dans des dictionnaires ou encyclopédies généralistes :
- Photographies du général Picquart
- Site officiel de la mairie de Geudertheim.
- Site de la Société internationale d'histoire de l'affaire Dreyfus
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