Auguste Scheurer-Kestner

Auguste Scheurer-Kestner, né le à Mulhouse (Haut-Rhin) et mort le à Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne) est un chimiste, industriel et homme politique français. Il s'engage dans la défense de l'innocence du capitaine Dreyfus.

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Biographie

Auguste Scheurer naît dans une famille protestante[1]. Il devient directeur de la première usine française uniquement consacrée à la chimie : « Thann et Mulhouse », située à Thann. Marié à Céline Kestner en 1856, il ajoute à son nom celui de son épouse[2].

Républicain, opposant à l'Empire de Napoléon III, il est élu député du Haut-Rhin le et devient sénateur inamovible le . Vingt ans après, il est le dernier représentant de l'Alsace française au Parlement[3]. En 1894, Scheurer-Kestner, premier vice-président du Sénat, est considéré comme une autorité morale en politique[4].

Ami très proche de Georges Clemenceau et de Léon Gambetta, il fournit à ce dernier une partie des fonds nécessaires à la publication de La République française, journal qu'il dirigee de 1879 à 1884.

Son frère, Jules Scheurer, resté en Alsace allemande, est élu sénateur du Haut-Rhin de 1920 à 1927. Il est l’oncle par alliance de l'épouse de Jules Ferry[5].

L'affaire Dreyfus

Scheurer-Kestner vu par le caricaturiste antidreyfusard Charles Léandre au tournant de l'affaire Dreyfus fin 1897.
Légende : « M. Scheurer-Kestner ou un crâne sous une tempête.
Que nous réserve la fin de ce tracas ?
Dreyfus est-il Judas ? Scheurer est-il Gribouille ?
Kestner est-il Voltaire et Dreyfus un Calas ?
On attend le secret de l'auteur de Pot-Bouille. »

Publié dans Le Rire, 18 décembre 1897.

Le , Louis Leblois, l'avocat du lieutenant-colonel Picquart, l'informe en détail de l'affaire Dreyfus. Au départ, il pense Dreyfus coupable, mais il écrit dans son journal qu'il sent « quelque chose de vague et de douloureux »[6].

Après l'intervention de Bernard Lazare, qui tente de vaincre ses hésitations en 1897, cet homme « passionnément épris de justice » (Mathieu Dreyfus), qui se considérait comme le protecteur de tous les Alsaciens de France, a multiplié les entretiens pour tenter de se faire une opinion sûre.

Scheurer-Kestner va désormais défendre l'innocence du capitaine auprès du ministre de la guerre, Jean-Baptiste Billot, et auprès du président de la République, Félix Faure.

Le , par l'intermédiaire de son avocat Me Jullemier, Madame de Boulancy, cousine et ancienne maîtresse de Ferdinand Walsin Esterhazy, qui a décidé de se venger de son amant et débiteur, fait parvenir à Scheurer-Kestner les lettres de l'officier, dont la fameuse « lettre du uhlan ».

Scheurer-Kestner montre la lettre au général de Pellieux, commandant militaire de la Place de Paris, chargé de l'enquête administrative sur Esterhazy. Une perquisition chez Madame de Boulancy a lieu dès le 27 ; Le Figaro publie la lettre le 28, éclairant l'opinion sur les sentiments qu'Esterhazy porte à la France et à son armée.

Scheurer-Kestner se persuade de la culpabilité d’Esterhazy après les confidences de maître Louis Leblois, ami de Picquart, alsacien aussi. Scheurer-Kestner communique confidentiellement ses certitudes au président de la République Félix Faure, au président du Conseil et rend une visite aussi vaine au général Billot, ministre de la Guerre. Prenant en main la cause de la révision, il contacte Joseph Reinach, entraîne Clemenceau et en , il publie dans Le Temps une lettre ouverte où il affirme l'innocence de Dreyfus.

En compagnie de maître Leblois, il expose l’affaire à Émile Zola, qui prend sa défense dans le Figaro quelques jours plus tard. Scheurer-Kestner n’a en effet reçu aucun appui de ses amis politiques. Le débat ayant été rendu public par Mathieu Dreyfus, il est violemment attaqué, traité d’« industriel allemand », de « boche », etc.

En , il interpelle le Sénat sur le refus de révision du procès, déclarant : « la vérité finit toujours par triompher ». Mais Scheurer-Kestner ne parvient pas à convaincre ses collègues du Sénat de mener avec lui le combat de la réhabilitation du capitaine : le , il n'obtient que 80 voix sur 229 votants lorsqu'il se représente à la vice-présidence.

Il a incarné les espoirs dans la légalité et la justice du gouvernement de la République et a toujours recommandé la patience et la prudence, désapprouvant notamment le coup d'éclat d'Émile Zola (J'Accuse).

Rongé par un cancer de la gorge, il suit la révision du procès de sa chambre de malade. Il meurt le jour de la signature de la grâce de Dreyfus par Émile Loubet.

La correspondance d'Auguste Scheurer-Kestner est conservée aux Archives nationales sous la cote 276AP[7].

Hommages à Scheurer-Kestner

On cite les derniers mots des condoléances adressées par Clemenceau à sa veuve « ...lui regardait la vie dans les yeux »

Monument à Auguste Scheurer-Kestner par Jules Dalou, jardin du Luxembourg, Paris

Le est célébré un hommage au Sénat, et le le Sénat inaugure un monument posthume de Jules Dalou à la mémoire de Scheurer-Kestner dans le jardin du Luxembourg voisin.

Son nom a été donné au Lycée d'enseignement général et technologique de Thann et à des rues à Thann, Mulhouse, sa ville natale[8], Belfort, Saint-Étienne, Colmar, Asnières-sur-Seine, Caudebec-lès-Elbeuf, Denain, Poitiers et Tours, Suresnes et à Rennes.

Notes et références

  1. Patrick Cabanel, « Les protestants, la France et l’invention de la laïcité », sur www.unige.ch,
  2. « Scheurer-Kestner, Auguste (1833-1899) et la famille Scheurer Familles Scheurer, Lauth, North, Pellet, Rott », sur http://correspondancefamiliale.ehess.fr (consulté le )
  3. « Auguste Scheurer-Kestner (1833-1899) », sur museeprotestant.org, Musée virtuel du protestantisme (consulté le )
  4. « Anciens sénateurs IIIe République : SCHEURER-KESTNER Auguste », sur www.senat.fr (consulté le )
  5. « Auguste Scheurer | Lycée Scheurer Kestner », sur www.lyceescheurerkestner.eu (consulté le )
  6. Mémoires d'un sénateur dreyfusard par Auguste Scheurer-Kestner (1988)
  7. Archives nationales
  8. Ironiquement, cette rue, située dans le "Quartier des Juristes" est séparée de la "Rue du Capitaine Alfred Dreyfus" par le bâtiment du Tribunal d'Instance.

Voir aussi

Bibliographie

  • Paul Vitry, « Le monument Scheurer-Kestner », dans Art et décoration. Revue mensuelle d'art moderne, 1908, p. 133-136 (lire en ligne)
  • Sylvie Aprile, Auguste Scheurer-Kestner (1833-1899) et son entourage : étude biographique et analyse politique d'une aristocratie républicaine, Thèse d'histoire sous la direction d'Adeline Daumard, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 1994.
  • Joseph Reinach, Histoire de l'Affaire Dreyfus.
  • Auguste Scheurer-Kestner, Mémoires d'un sénateur dreyfusard (Présentation et notes d'André Roumieux, préface d'Alain Plantey), Strasbourg, Bueb & Reumaux, 1988.
  • Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Paris, Fayard/Julliard, 1993.
  • Philippe Oriol, L'Histoire de l'affaire Dreyfus de 1894 à nos jours, Les Belles Lettres, 2014.
  • Daniel Stehelin et Léon Strauss, «  Daniel Nicolas Auguste Scheurer-Kestner », in Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, vol. 33, p. 3426
  • « Auguste Scheurer-Kestner » (Biographies alsaciennes avec portraits en photographie, série 1, A. Meyer, Colmar, 1884-1890, 4 p.)

Article connexe

Liens externes

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