Enclos paroissial

Un enclos paroissial ou enclos breton[1] est au sens strict une église entourée d'un placître voué ou non à un cimetière, que borne un mur d'enceinte. Les enclos paroissiaux sont caractéristiques de l'architecture religieuse rurale de la Basse-Bretagne et datent pour la plupart des XVIe et XVIIe siècles. Ils s'expliquent par la prospérité économique de la Bretagne, liée au commerce du lin et du chanvre à cette époque. Leur développement a aussi pour origine l'essor des foires liées aux grands événements de la vie liturgique, le contexte de la Contre-Réforme ainsi que l'importance du culte des saints locaux et des morts, témoins du syncrétisme breton.

L'enclos paroissial de Pleyben est un enclos typique.

Histoire

Enclos paroissial de Guimiliau.
Enclos paroissial de Saint-Thégonnec.
Deux échaliers (ici des dalles de schiste) barrant l'entrée d'un enclos paroissial (à Berrien).

L’apogée de la construction de ces enclos se situe dans la province de Bretagne entre le milieu du XVIe et la fin du XVIIe siècle, période de paix initiée par le Concile de Trente et qui fait partie de la Renaissance bretonne[1],[2].

La Basse-Bretagne s'enrichit à partir du XVe siècle grâce à ses ports situés au centre des échanges commerciaux entre l'Espagne et l'Europe du Nord. De plus, la culture et le tissage du lin, en particulier dans la vallée de l'Élorn et du Léon, vendu en Angleterre et Hollande, ajoutent à la richesse de la région qui se traduit par l'édification de grands enclos. Enfin, de nombreuses foires sont organisées, auxquelles participent des commerçants étrangers. Par ailleurs des artistes italiens et espagnols apportent les influences du baroque de leurs pays dans les ornements des nouveaux enclos[3].

Mur de l'ossuaire de La Martyre (1619)[4].

Cette prospérité économique fait émerger une aristocratie villageoise qui construit de riches châteaux et églises. Les traités d'architecture de l'époque servent d'inspiration, tel ceux de Sebastiano Serlio ou de Philibert Delorme : les colonnes latérales du porche de l'église de Bodilis sont des copies d'ouvrages de Delorme[4]. De nombreux motifs, arrivés d'Italie, sont sculptés dans les monuments des enclos, tels des « cartouches, cuirs enroulés, faunes et satyres, cariatides aussi »[4].

Chaque village, par esprit de clocher, par émulation entre les paroisses, rivalisait avec son voisin pour étaler sa richesse en construisant le plus bel enclos possible[5]. Ce fut le cas entre les villages de Guimiliau et de Lampaul-Guimiliau distants seulement de 2 ou 3 kilomètres, comme nous explique Florian Le Roy[6] :

« Une rivalité de bourg à bourg se donne libre essor. Pendant un quart de siècle, on va lutter à coups de fontaines, de calvaires, de chaires, de croix processionnelles. Dans le même temps, les fabriciens de Saint-Thégonnec et de Guimiliau passent commande, les premiers d'un arc de triomphe, les seconds d'un calvaire de 150 personnages bien comptés avec tout un déploiement de reîtres et de lansquenets, tels qu'ils les ont observés pendant les guerres de la Ligue. Aussitôt Saint-Thégonnec, pour ne pas être dépassé, commande les croix des deux Larrons. Pleyben se paye un porche monumental et finit par un calvaire. Guimiliau veut alors un baptistère, un buffet d'orgues, une chaire à prêcher comme oncques on ne vit ! C'est bon ! Saint-Thégonnec lui réplique par une chaire digne de Saint-Pierre de Rome et une mise au tombeau d'un sculpteur morlaisien, Lespaignol. Toutes les paroisses de la montagne solitaire s'enflamment d'émulation : Sizun aura son arc de triomphe, Commana un porche merveilleux et Bodilis aussi ! »

La rivalité ostentatoire de posséder les monuments les plus beaux, les plus ornementés exprime un certain orgueil paroissial mais traduit aussi la propension au baroque des mandataires et constructeurs qui veulent magnifier l'Église de la Contre-Réforme (la Réforme protestante milite pour des édifices religieux et des offices sobres et sans apparat) propagée par deux missionnaires qui ont une influence considérable et durable en pays bretonnant, Michel Le Nobletz et Julien Maunoir. Cela explique les grands thèmes de la Contre-Réforme qui enrichissent l'iconographie religieuse des enclos : Rosaire, Sainte Famille, ange gardien et saint Joseph, patron des agonisants et de la Bonne Mort[7].

Les enclos paroissiaux révèlent également la coloration toute particulière qu'ont pris le culte des saints locaux et le culte des morts chez les populations rurales bretonnes nourries du merveilleux celtique qui mêle légendes païennes et piété naïve[8].

En avril 1695, un décret royal, confirmé par le Parlement de Bretagne sept ans plus tard, interdit toute nouvelle construction d'édifice ou dans les édifices religieux sans nécessité. La politique commerciale de Colbert et le blocus dû à la guerre de la Ligue d'Augsbourg entraînent une baisse de la production toilière et des exportations agricoles bretonnes, si bien que l'État estime probablement que les dépenses somptuaires engagées à élever les monuments des enclos sont détournées de la voie royale des impôts. Ce décret, même s'il n'est pas appliqué uniformément, met un coup d'arrêt à la construction des enclos paroissiaux[9].

Description

L'arc de triomphe de Sizun.
La chapelle funéraire de Pleyben.

L'enclos paroissial est un ensemble architectural religieux clos d'un mur, typique de la Basse-Bretagne où on en trouve encore 70 exemples intacts. Quelques enclos sont également répertoriés en Haute-Bretagne comme à Saint-Suliac (Ille-et-Vilaine) datant du XIIIe siècle ou à Saint-Jean-du-Doigt. Les plus célèbres se trouvent en Finistère : Saint-Thégonnec, Guimiliau, Lampaul-Guimiliau, Plougonven, Plougastel-Daoulas, Pleyben. Quelques églises se visitent aussi sur les versants de la vallée de l'Elorn entre Landivisiau et Landerneau[10].

Un enclos paroissial est au sens strict une église entourée d'un placître voué ou non à un cimetière, que borne un mur d'enceinte. L’enclos doit rassembler au moins cinq des huit éléments suivants[11] :

Ainsi, rares sont les édifices qui peuvent prétendre à l'appellation d'enclos paroissial.

Église

Les églises bretonnes se distinguent d'abord par leurs clochers largement ornés (balustres, clochetons, crochets, pinacles), ensuite par leurs porches : les grands porches qui servent à la fois d'entrée principale et de lieu de réunion des conseils de paroisses, et les porches latéraux, apparus à partir du XVIe siècle, qui forment des ensembles architecturaux autonomes et comportent souvent une galerie de saints ou d'apôtres[12].

Les enclos proposent un parcours de la mort vers la résurrection : après avoir traversé le cimetière, être passé devant l'ossuaire et avoir vu l'Ankou, le retable dans l'église donne une riche représentation du paradis[13]. Ce circuit spirituel se poursuit généralement sur une voûte en bois sculpté[14].

Le mobilier des églises bretonnes est riche et coloré : les retables polychromes sont en marbre en Haute-Bretagne et en Vannetais, et souvent en bois dans le reste de la Basse-Bretagne[15]. Une autre particularité sont les encadrements à dais et à colonnes qui encadrent les fonts baptismaux[15].

Porte triomphale ou arc de triomphe

Elle est nommée en breton Porz ar maro, « Porte de la mort » car elle marque l'entrée du cimetière.

Ossuaire

L'ossuaire est destiné à recevoir les ossements retirés du cimetière pour libérer de la place. Les ossuaires monumentaux sont principalement construits en Basse-Bretagne et sont situés dans la partie ouest ou sud-ouest des enclos[16]. Le plus abouti est celui de l'enclos de Saint-Thégonnec[17].

Calvaire

La Bretagne a une longue tradition de monuments religieux, depuis l'époque des menhirs, puis par ses nombreuses croix érigées le long des chemins, aux carrefours, ou encore sur le littoral ; les enclos présentent des calvaires monumentaux[18]. Signes protecteurs, ces calvaires imposants ont été préservés pendant la Révolution puis à l'ère industrielle quand certains villages ont été abandonnés. Beaucoup de peintures bretonnes représentent ainsi des villageois s'agenouillant au pied de leurs calvaires[19].

Le calvaire monumental représente autour de la Passion du Christ toute l'histoire sainte, forçant l'émotion et l'adoration par sa complexité, et représentant la résurrection de Jésus et sa gloire par sa verticalité[20]. Celui de Guimiliau, riche de deux cents personnages pouvait servir à l'instruction religieuse des fidèles. Les thèmes représentés sur les calvaires sont généralement ceux de la vie du Christ (naissance, enfance, Passion, Résurrection), de la mort (thème fréquent en Bretagne, qui trouve ses racines dans la tradition celte), des thèmes liés à la Contre-Réforme également (Rosaire, Sainte Famille, Anges gardiens, ...) ainsi que des saints vénérés localement (saint Roch, saint Sébastien, saint Isidore, etc.). Jusqu'au XIXe siècle, les fidèles et voyageurs pouvaient y observer encore des traces de polychromie (typiquement une tunique rouge pour les personnages romains, ocre et bleue pour les personnages liturgiques)[21]. « Véritable bande dessinée à l'instar des vitraux conçus à l'origine pour permettre une lecture plus rapide des grandes scènes des Évangiles ou des Vies des saints, les calvaires font foisonner une multitude de personnages qui leur confèrent une tonalité épique et vivante[22] ».

Mur d'enceinte et placître

Généralement les diverses entrées de l'enclos sont barrées par un échalier, dalle de pierre verticale qu'il faut enjamber, cette dalle était destinée à empêcher les animaux domestiques de pénétrer dans l'enceinte sacrée, notamment dans le cimetière. Cette précaution fait que le portique d´entrée, toujours ouvert, comporte une marche pour monter, un petit muret à enjamber et une marche pour descendre. L'enclos était ainsi protégé de l'intrusion animale. On voit très nettement cette particularité à Plouneour-Menez.

Initialement, les enclos paroissiaux étaient en herbe, avec éventuellement quelques arbres dont la vente du bois assurait quelques revenus à la paroisse ; les jours de foire, la fabrique paroissiale autorisait la présence de boutiques, bénéficiant des redevances payées par les marchands ambulants. Les morts étaient alors inhumés dans les églises, les places les plus proches des autels étant les plus recherchées. Le sol des églises n'offrant qu'un espace assez restreint, afin de pouvoir procéder à de nouvelles inhumations, l'on retirait les ossements des morts anciens que l'on déposait dans un ossuaire, appelé aussi « reliquaire » ou « charnier ». En 1719, le Parlement de Bretagne interdit l'inhumation dans les églises et même si les recteurs (curés) auront bien du mal à faire respecter cette interdiction, progressivement l'habitude se prend alors d'inhumer les morts hors de l'église, dans l'enclos.

Quelques enclos paroissiaux

Tourisme

Le circuit des enclos paroissiaux[24] est un produit touristique permettant aux visiteurs de découvrir la plupart des enclos paroissiaux[25] évoqués dans la partie précédente[26], ainsi que les églises ajoutées à ce circuit. Il permet de découvrir un aspect du patrimoine religieux breton.

Notes

  1. Vircondelet 2003, p. 6.
  2. Déceneux 2001, p. 9.
  3. Vircondelet 2003, p. 15.
  4. Déceneux 2001, p. 11.
  5. Brigitte Béranger-Menand, Arts de Bretagne, XIVe-XXe siècle, Institut culturel de Bretagne, , p. 157.
  6. Léon Le Berre, "Conférence de Florian Le Roy sur l'art breton en Haute et Basse Cornouaille", article publié par le journal Ouest-Éclair no 15558 du 17 juin 1939, consultable https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6616541/f7.image.r=Guimiliau.langFR
  7. Yannick Pelletier, Les enclos bretons, Éditions Jean-Paul Gisserot, , p. 6
  8. Alain Vircondelet et Roger Gain, Les enclos bretons : chefs-d'œuvre de l'art populaire, Flammarion, , p. 15
  9. Yannick Pelletier, Les enclos bretons,, éd. Jean-Paul Gisserot, , p. 126
  10. Guy Leclerc, Les enclos de Dieu, Editions Jean-Paul Gisserot, , p. 12
  11. Journaux de RS d'A., Voyages en Bretagne 1892-1917, tome I pages 595 à 599 du répertoire de la bibliothèque familiale, Domaine de S.M./sur/Sarthe - Maine
  12. Vircondelet 2003, p. 73.
  13. Vircondelet 2003, p. 84.
  14. Vircondelet 2003, p. 98.
  15. Déceneux 2001, p. 23.
  16. Vircondelet 2003, p. 58.
  17. Vircondelet 2003, p. 62.
  18. Vircondelet 2003, p. 34.
  19. Vircondelet 2003, p. 38.
  20. Vircondelet 2003, p. 42.
  21. Jean-François Brousmiche, Voyage dans le Finistère en 1829, 1830 et 1831, Morvran, , p. 53
  22. Vircondelet 2003, p. 45.
  23. Argol, l'ambiance nature
  24. http://www.paysduleon.com/fr/patrimoine_culture/routes_touristiques/circuit_des_enclos_paroissiaux
  25. http://www.finisteretourisme.com/accueil/culture-et-patrimoine/balades-et-circuits/en-voiture/le-circuit-des-enclos-paroissiaux-651.kjsp?RH=R01_150103
  26. http://p.ribot.free.fr/decouverte.htm

Voir aussi

Bibliographie

  • Pierre Chamard-Bois (et al.), Enclos paroissiaux : livres de bois, livres de pierre, Atelier de recherche sémiotique, Bretagne, Ed. Ouest-France, Rennes, 1994 (rééd.), 61 p. (ISBN 2-7373-1573-5)
  • Jacques Fréal, Calvaires et enclos paroissiaux de Bretagne, Garnier, Paris, 1981, 303 p. (ISBN 2-7050-0313-4)
  • Yannick Pelletier, Les enclos bretons, éd. Jean-Paul Gisserot, 1989, 64 p. (ISBN 978-2877470292)
  • Marc Déceneux (photogr. Daniel Mingant), La Bretagne des enclos et des calvaires, Rennes, Ouest-France, coll. « Mémoires de l'histoire », , 127 p. (ISBN 2-7373-2261-8). 
  • Alain Vircondelet (photogr. Roger Gain), Les enclos bretons : Chefs-d'œuvre de l'art populaire, Paris, Flammarion, , 160 p. (ISBN 2-0801-11612). 
  • Yannick Pelletier, Enclos paroissiaux (photographies de Andrew-Paul Sandford), Apogée, Rennes, 2006, 47 p. (ISBN 2-84398-234-0)
  • Guy Leclerc et Michel Bez, Calvaires monumentaux de Bretagne, Le Télégramme éditeur, 2006

Articles connexes

Liens externes

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