Commission d'enquête parlementaire en France

En France, une commission d'enquête parlementaire est une commission formée temporairement au sein de l'Assemblée nationale ou du Sénat. C'est un des outils au service du contrôle parlementaire du gouvernement. Ce n’est pas une juridiction.

Pour les autres articles nationaux ou selon les autres juridictions, voir Commission d'enquête parlementaire.

Selon le site de l'Assemblée nationale, les commissions d'enquête parlementaire « sont à l'heure actuelle des instruments d'information et de contrôle efficaces, dont les conclusions sont susceptibles d'infléchir l’action gouvernementale[1] ».

Historique

Apparues sous la Monarchie de Juillet[2] bien qu'aucun texte ne prévoie une telle procédure[3], les commissions d'enquête parlementaire possèdent de plus en plus d'attributions, notamment celles de la Troisième République. Leur multiplication à l'origine des crises du régime sous les Troisième et Quatrième Républiques explique que la Constitution de 1958 de la Cinquième République ne mentionne pas ces commissions et que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 leur donne un statut contraignant destiné à prévenir toute ingérence parlementaire vis-à-vis du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. La création de commissions d'enquêtes sous la Cinquième République ayant perdu « tout relent de crise gouvernementale », elles voient leur pouvoir élargi[4] par la loi du 19 juillet 1977[5]. La loi du 20 juillet 1991 introduit le principe de la publicité des auditions[6]. Suite aux propositions du comité Balladur sur l'initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy, ces commissions sont intégrées dans la Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 qui reconnaît notamment à l'opposition la possibilité d'en créer une, de droit, une fois par session ordinaire (« droit de tirage »)[7].

Objet

Les commissions d'enquête parlementaires ont pour mission de recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les ont créées[Ord58 1]. Elles constituent en conséquence l'un des modes du contrôle du gouvernement par le Parlement.

Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, les commissions d'enquête font l’objet de l'article 51-2 de la Constitution selon lequel « Pour l'exercice des missions de contrôle et d'évaluation [du Gouvernement par le Parlement], des commissions d'enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d'information. La loi détermine leurs règles d'organisation et de fonctionnement. »[C 1].

Création

Initiative

La création d'une commission d'enquête est initiée par le dépôt, par un ou plusieurs parlementaires, d'une proposition de résolution. Cette proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion[AN 1],[S 1].

La proposition est renvoyée à la commission permanente compétente qui procède à son examen. Après rapport de la commission permanente, elle est soumise au vote de l’Assemblée nationale ou du Sénat.

Depuis 2009, le règlement de l'Assemblée Nationale offre à l'opposition un « droit de tirage » d'une commission d'enquête par an, sauf dans la session précédant le renouvellement de l'Assemblée.[AN 2]. Au Sénat, chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire[S 2].

Recevabilité

En cas de demande de création de commission d'enquête, un rapporteur est nommé pour examiner la recevabilité de la demande. En effet, le législateur a prévu que pour être recevable, cette demande doit répondre à plusieurs conditions[8] :

  • « la résolution doit déterminer avec précision soit les faits sur lesquels la commission d'enquête orientera ses investigations, soit les services publics ou les entreprises nationales dont elle examinera la gestion »;
  • Ces commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission » ;
  • Conformément au principe de la séparation des pouvoirs, et en particulier en vertu du principe, consacré par la Constitution, d'« indépendance de l'autorité judiciaire », « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours »[Ord58 1], il est « interdit que soient créées des commissions d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » [8] ;
  • Toute commission d'enquête doit prendre fin « dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ; qu'en outre, il prévoit que les commissions d'enquête ont un caractère temporaire et que leur mission prend fin, au plus tard, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées »[Ord58 1],[8].

Ces deux dernières conditions ouvrent la possibilité à un Gouvernement d'éviter la création d'une commission d'enquête parlementaire sur un sujet qui le gênerait : il suffit que le Garde des Sceaux ordonne au parquet d'ouvrir une information judiciaire[9]. Certains parlementaires ont donc demandé la levée de l'incompatibilité entre une commission d'enquête parlementaire et une enquête judiciaire[10], mais cette proposition a encore été rejetée en 2009[11].

En réalité, certaines propositions répondant à tous ces critères, de l'aveu même du rapporteur, peuvent néanmoins être refusées ou réorientées. Par exemple une proposition d'enquête sur les « conditions de sécurité sanitaire liées aux différentes " pratiques non réglementées de modifications corporelles " (piercing, tatouage, scarification, implants divers de corps étrangers) ») a été refusée au motif qu'elle était selon le rapporteur inopportune et inadaptée [12]. Ce rapporteur a préféré qu'une « étude scientifique menée par des experts de santé publique soit rendue publique le plus rapidement possible afin que cesse toute controverse et que des recommandations soient éventuellement émises ».

Composition

Si la proposition de résolution est recevable, et si la création de la commission d’enquête est approuvée par l'assemblée concernée, il est alors procédé à sa constitution.

L’effectif maximum d’une commission d’enquête est fixé à 30 à l’Assemblée nationale[AN 3] et à 21 au Sénat[S 1].

Ses membres sont désignés de façon à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques au sein de la commission[AN 4].

Une fois constituée, la commission élit son bureau (président, vice-présidents, secrétaires) et désigne un rapporteur. En 2003, le Règlement de l’Assemblée nationale a fait l’objet d’une modification à l’initiative de son président, Jean-Louis Debré. La fonction de président ou celle de rapporteur est désormais réservée à un membre du groupe auquel appartient l’auteur de la proposition de résolution, ce qui a pour conséquence de permettre à l’opposition d’exercer l’une ou l’autre de ces fonctions, de façon à accroître « le pluralisme des commissions d'enquête et donc l'efficacité de leurs investigations » (exposé des motifs de la proposition de résolution du 12 février 2003).

Moyens d'enquête et déroulement des travaux

Dans le cadre de leurs travaux, les commissions procèdent notamment à des auditions, à des déplacements en France ou à l’étranger, à des enquêtes sur pièces et sur place.

Certaines commissions d’enquête ont été fortement médiatisées, et ont vu leurs auditions diffusées en direct[13].

Pour mener à bien leur mission, elles bénéficient de pouvoirs d'investigation étendus[Ord58 1], avec :

  • un droit de citation : « toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée » ; « elle est entendue sous serment » ; « elle est, en outre, tenue de déposer » (sous réserve du secret professionnel).
  • la possibilité de faire appel à la Cour des comptes, dont pour lui demander d’enquêter sur la gestion des services ou organismes qu'elle a pour mission de contrôler.
  • le pouvoir pour les commissaires désignés d'enquêter sur pièces et sur place : dans ce cadre, « tous les renseignements de nature à faciliter [leur] mission doivent leur être fournis », et « ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou la sécurité extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ».

Des sanctions pénales sont prévues pour « [la] personne qui ne comparaît pas[, qui] refuse de déposer ou de prêter serment » ou pour le « refus de communiquer les documents ». Les poursuites sont exercées à la requête du président de la commission ou, lorsque le rapport de la commission a été publié, à la requête du bureau de l'assemblée intéressée[Ord58 1]. Il peut décider de le pas le faire (exemple Frédéric Oudéa en 2016[14]). En juillet 2017, le professeur Michel Aubier est devenu la première personne condamnée pour avoir menti sous serment devant une commission d’enquête parlementaire[15]. La justice a également été saisie après la commission sur l’affaire Benalla[16].

Conclusion des travaux

Les commissions d'enquête ont un caractère temporaire. Leur mission prend fin par le dépôt de leur rapport ou à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de l'adoption de la résolution qui les a créées.

Les rapports sont publiés, sauf vote contraire de l’Assemblée nationale ou du Sénat constitués en comité secret[AN 5].

Ils comportent généralement des suggestions destinées à remédier aux dysfonctionnements constatés.

Les commissions les plus médiatiques ont eu des suites limitées, que ce soit du fait que la majorité parlementaire ne voulait pas s’opposer au Gouvernement (affaires Cahuzac et Benalla), ou bien, comme pour l’affaire d’Outreau, parce que les conclusions n’ont pas été suivies[13].

Quelques Commissions d'enquêtes parlementaires

Les dates mentionnées sont celles auxquelles ont été votées les résolutions créant les commissions d'enquête.

Assemblée nationale

Sénat

Au Sénat, 68 commissions de contrôle et commissions d’enquête ont été créées entre 1959 et 2018[22]. Entre 2005 et 2020, seules deux commissions d’enquête furent créées en dehors du droit de tirage[23]

  • Commission d'enquête sur l'ORTF (1967)
  • Commission d'enquête sur le scandale des abattoirs de la Villette (1971-1970)
  • Commission d'enquête sur les écoutes téléphoniques (1973)
  • Commission d'enquête sur le naufrage de l'Amoco Cadiz (1978)
  • Commission d'enquête sur la gestion financière des sociétés de télévision (1979)
  • Commission d'enquête sur l'industrie textile (1981)
  • Commission d'enquête sur la sécurité publique (1982)
  • Commission d'enquête sur la dette extérieure (1984)
  • Commission d'enquête sur le fonctionnement du service des postes (1985)
  • Commission d'enquête sur les évènements étudiants de novembre et décembre 1986 lié au Projet de loi Devaquet (1986)
  • Commission d'enquête sur les opérations financières portant sur le capital des sociétés privatisées (1989)
  • Commission d'enquête sur la gestion d'Air France (1991)

Autre instance agissant comme une commission d'enquête

Depuis 1996, les commissions permanentes ou spéciales et les instances permanentes créées au sein de l’une des deux assemblées parlementaires pour contrôler l’action du Gouvernement ou évaluer des politiques publiques dont le champ dépasse le domaine de compétence d’une seule commission permanente peuvent demander à l’assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n’excédant pas six mois, de leur conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête[Ord58 2].

Cette faculté n’a pas été utilisée par l’Assemblée nationale jusqu’en 2015[24]. Au Sénat, au 30 septembre 2018, il y a eu dix demandes par une commission permanente demande que lui soient conférées les prérogatives de commission d’enquête[25]. Par exemple, les prérogatives d’une commission d’enquête ont été attribuées à

Notes et références

Constitution de 1958

La première source de l’article est la Constitution de 1958 dans sa version actuelle. Il est possible également de se reporter à l’article Constitution française du 4 octobre 1958.

Ordonnance relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

Ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

  1. Article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958
  2. Article 5 ter de l'ordonnance du 17 novembre 1958

Règlement de l'Assemblée nationale

« Règlement de l’Assemblée Nationale », sur www.assemblee-nationale.fr

  1. Article 137 du Règlement de l’Assemblée nationale
  2. Article 141-2 du Règlement de l’Assemblée nationale
  3. Article 142 du Règlement de l’Assemblée nationale
  4. Article 143 du Règlement de l’Assemblée nationale
  5. Article 144-2 du Règlement de l’Assemblée nationale

Règlement du Sénat

« Règlement du Sénat », sur www.senat.fr

  1. article 8 ter du Règlement du Sénat
  2. article 6 bis du Règlement du Sénat

Autres références

  1. Site Assemblée nationale.
  2. Sous les régimes précédents, elles sont systématiquement remises en cause.
  3. Alain Laquièze, Les origines du régime parlementaire en France, 1814-1848, Presses Universitaires de France, , p. 87.
  4. « Dorénavant elles peuvent siéger pendant six mois (au lieu de quatre), leur rapport est publié sauf décision contraire de la chambre où elles ont été créées, elles peuvent contraindre des témoins à venir déposer devant elles tandis que leurs rapporteurs voient élargir leurs pouvoirs d'investigation » Cf. Jean Garrigues, Histoire du Parlement de 1789 à nos jours, Armand Colin, (lire en ligne), p. 465.
  5. Adolf Kimmel, Assemblée nationale sous la Cinquième République, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, , p. 245.
  6. « Les commissions organisent cette publicité par les moyens de leur choix. Toutefois, elles peuvent décider l'application du secret ». Cf. Stéphane Rials, Textes constitutionnels français, Presses Universitaires de France, , p. 87.
  7. Claude Bartolone, Michel Winock, Rapport du groupe de travail sur l'avenir des institutions. Refaire la démocratie, Assemblée nationale, , p. 96.
  8. Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009 / Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat
  9. Vallet 2003
  10. Rapport n°1602 de Jean-Luc Warsmann, Commission des Lois, Assemblée nationale: voir amendements de Jean-Jacques Urvoas
  11. Assemblée nationale, 28 avril 2009, première séance, amendement n°6
  12. N° 2451 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 mai 2000
  13. Haumant 2020
  14. « « Panama Papers » : le Sénat renonce à poursuivre Frédéric Oudéa »,
  15. Stéphane Mandard, « Le pneumologue Michel Aubier condamné à six mois de prison avec sursis », Le Monde,
  16. « Compte rendu de la réunion du Bureau du Sénat du jeudi 21 mars 2019 »
  17. « Commissions d'enquête créées sous la Ve République », sur www.assemblee-nationale.fr,
  18. « Commissions d'enquête - Archives de la XIVe Législature », sur www.assemblee-nationale.fr (consulté le )
  19. « Commission d'enquête sur l'utilisation du chlordécone et du paraquat - Assemblée nationale », sur www2.assemblee-nationale.fr (consulté le )
  20. « Commission d'enquête sur les attaques à la préfecture de police de Paris », sur www.assemblee-nationale.fr (consulté le )
  21. « Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire - Assemblée nationale », sur www2.assemblee-nationale.fr (consulté le )
  22. Direction de la Séance du Sénat, « La séance plénière et l'activité du Sénat (1er octobre 2017 - 30 septembre 2018) », Sénat, , p. 162 (lire en ligne)
  23. Direction de la Séance du Sénat, « La séance plénière et l'activité du Sénat ((1er octobre 2019 – 30 septembre 2020) », Sénat, , p. 77 (lire en ligne)
  24. « Fiche de synthèse n°24 : Les commissions permanentes », sur www.assemblee-nationale.fr (consulté le )
  25. Direction de la Séance du Sénat, « La séance plénière et l'activité du Sénat (1er octobre 2017 - 30 septembre 2018) », Sénat, , p. 222 (lire en ligne)
  26. Brice Lacourieux, « Affaire Benalla : le travail de la Commission des Lois », sur blogs.lexpress.fr/cuisines-assemblee, (consulté le )
  27. « Contrôle parlementaire de l'état d'urgence », sur www.assemblee-nationale.fr
  28. « Comité de suivi de l’état d’urgence », sur www.senat.fr (consulté le )
  29. « Mission d'information sur les conditions dans lesquelles des personnes n'appartenant pas aux forces de sécurité intérieure ont pu ou peuvent être associées à l'exercice de leurs missions de maintien de l'ordre et de protection de hautes personnalités et le régime des sanctions applicables en cas de manquements », sur www.senat.fr (consulté le )
  30. « Impact, gestion et conséquences dans toutes ses dimensions de l’épidémie de Coronavirus-Covid 19 », sur www.assemblee-nationale.fr (consulté le )

Voir aussi

Bibliographie

Liens externes

Articles connexes

  • Portail de la politique française
  • Portail du droit français
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.