Carnutes

Les Carnutes sont un peuple de la Gaule celtique vivant sur le riche plateau de Beauce[1]. Ils ont donné leur nom à la ville de Chartres.

Carnutes

Monnaie carnute, au nom de Tasgetios.

Ethnie Celtes
Langue(s) Gaulois
Religion Celtique
Villes principales Autricum, Cenabum
Région d'origine Beauce
Région actuelle Eure-et-Loir, Loiret, Loir-et-Cher et une partie des Yvelines, (France)
Rois/monarques Tasgetios

Le nom des Carnutes

Les Carnutes qu'on trouve en Gaule au temps de César sont un peuple ancien - ou du moins leur nom l'est-il. Tite-Live compte des Carnutes parmi les peuples gaulois qui, conduits par le semi-légendaire Bellovesos, émigrèrent vers l'Italie au temps de Tarquin l'Ancien (VIe siècle av. J.-C.)[2].

Peut-on rapprocher ces Carnutes des Carni (territoire : la Carnie) cités par le même Tite-Live et par Pline l'Ancien comme installés au nord-est de la Vénétie, et qui ont donné leur nom à la Carniole slovène, les Alpes carniques voisines, peut-être la Carinthie autrichienne (son nom ancien, Carantonia, invite à l'écarter de cette origine) avec son Carnuntum, future métropole romaine[3] ?

Ces Celtes montagnards donneraient corps à l'hypothèse étymologique la plus courante : le nom des Carnutes reposerait sur un celtique * karno : irl. * carn, gaël. * cairn, tas de pierres, monticule rocheux. Cette forme – ou une forme voisine – est attestée dans la toponymie du pays chartrain. Bien que, dans l'esprit de beaucoup, elle évoque encore la vieille proximité des Celtes et des mégalithes, c'est aujourd'hui l'explication la plus raisonnable, car philologiquement la plus satisfaisante. Cela ne garantit pas pour autant son exactitude.

La mise en relation du nom des Carnutes avec celui du dieu Cernunnos par une racine qui signifierait « cornes » paraît aujourd'hui aussi abandonnée que les casques cornus.

Une hypothèse plus récente le fait remonter à une racine i-e * ker / kor, dont dépendrait le nom celtique du cornouiller et qui mettrait, par l'intermédiaire d'un « arbre-totem », nos Carnutes en relation avec les Cornouailles armoricaine et insulaire. Elle plaît à tous ceux qui voudraient rapprocher les Carnutes d'un noyau celtique dur, mystiquement situé en Bretagne.

Mais on est en droit d'être sceptique[4], rien n'étant assuré, en définitive, quant au sens de ce nom.

Une autre hypothèse serait que les Carnutes étaient ceux qui érigeaient les tombes. En effet le mot gaulois carnitu ou carnitus qui est un morceau de phrase se traduisant par : « ont érigé une tombe », serait un indice sur leur fonction.[réf. nécessaire]

Le territoire carnute et ses habitants

Du point de vue politique et militaire, César – qui leur en veut et les déteste tout autant que leurs voisins les Sénons – nous donne, tous comptes faits, l'impression d'un peuple relativement peu organisé. Mais il est vrai qu'en face d'une source unique et partiale, les impressions peuvent être trompeuses.

Les frontières

Les peuples du nord-ouest de la Gaule.

À la fin de la Gaule indépendante, les Carnutes occupent un très vaste territoire qui couvre :

La structure des finages beaucerons a été effacée par l'occupation gallo-romaine, de même que l'essentiel du réseau de communications. Cependant, le « Gué-de-Longroi » (canton d'Auneau), forme composite latino-celtique (longum + rito, gué), atteste sans doute le passage d'un vieux chemin de Chartres vers les Parisii, qui n'a pas été recouvert par une voie romaine.

Les cours d'eau ont presque tous des noms pré-celtiques.

Les oppida

Les géographes de l'Antiquité leur donnent deux villes : Autricum ( Ἀύτρικον, dans la Géographie de Ptolémée, II, 1) et, sur la boucle de la Loire, Cenabum, (Κήναβον, dans la Géographie de Strabon, V, 2, 3) qui la qualifie d'emporium des Carnutes (τὸ τῶν Καρνούντον - « karnounton » - ἑμπόριον).

Les Carnutes occupaient une vaste province dans le sud-ouest du Bassin parisien, avec deux villes principales, Autricum (Chartres) et Cenabum (Orléans).

César nous apprend que les Carnutes possédaient également beaucoup de places fortes et de villages. La toponymie celtique locale est abondante, mais difficile à dater et ne livre que peu d'éléments utiles pour connaître la structure du terroir.

On peut repérer quelques « places fortes » en -dunum (voir Dun (forteresse) : Châteaudun, Meung-sur-Loire (Magdunum) et l'Oppidum Noviodunum de César, attesté à Neung-sur-Beuvron, aux confins de la cité biturige ; deux ou trois marchés, dont Noviomagus à Nogent-le-Roi (sur une route vers le pays cénoman), ainsi qu'à Nouan-le-Fuzelier et à Nouan-sur-Loire... Un établissement gaulois existait également au nord, au confluent de l'Eure et de la Blaise, mais doit être rapporté aux Durocasses.

Civilisation

Statère d'or à la tête de face frappé par les Carnutes. Date : Ier siècle av. J.-C.

Leur situation profite du double débouché de la Loire vers le sud et de l'Eure vers le nord pour pratiquer le commerce.

Les Carnutes sont un des peuples les plus célèbres de la Gaule celtique. Ils n'apparaissent pas pour autant parmi les plus puissants. Leur principale richesse est certainement dans l'exploitation agricole de la Beauce, largement défrichée depuis le néolithique et qui produit déjà des excédents de céréales (blé tendre, seigle, sarrasin, avoine, orge), alimentant un commerce actif et vraisemblablement fructueux, dont témoigne une abondante numismatique.[5]

Le commerce ne devait pas se limiter à l'exportation de céréales : il existait certainement un transit terrestre de marchandises vers l'Eure et la Loire (ou le Loir), et des communications fluviales avec les pays de la façade atlantique. Mais si la richesse carnute est hors de doute, on ne peut pas parler d'un « or carnute » comme on parle d'un « or arverne ».

On connaît des statères d'or dès la fin du IIe siècle et, de manière plus originale, des subdivisions du statère. Toute une série de monnaies, associant l'aigle et le serpent, sont caractéristiques des Carnutes ; leur droit porte souvent une tête imitée plus ou moins servilement du denier de Titus, frappé à Rome en 79 av. J.-C. Il existe également des potins régionaux abondants. Ce monnayage se poursuit activement en se diversifiant après la conquête, notamment sous forme des célèbres Pixtilos - confer monnaie gauloise.

Bien qu'ils exploitent sans doute les minerais du Perche, ils sont très loin de la capacité industrielle des Éduens et Lingons, leur artisanat même n'a pas laissé de traces exceptionnelles.

Les Carnutes dans la Guerre des Gaules

Pendant les deux premières années de la Guerre des Gaules, les Carnutes ne font pas parler d'eux. En 57-56 av. J.-C., c'est en pays carnute que César envoie ses légions prendre leurs quartiers d'hiver, ce qui indique que le pays passe pour sûr. Peut-être les Carnutes (ou du moins leur aristocratie), qui commercent avec les Romains, pensent-ils alors tirer profit de la situation.

L'échec du protectorat

Si l'on suit César, leur cité est alors une espèce de « république oligarchique », prenant la succession d'une royauté antérieure. Il faut certes se méfier : ce schéma relève du tropisme habituel de toute historiographie romaine, et vise à justifier la politique du proconsul.

Car César tente alors de soumettre les Carnutes (de même que les Sénons) à un régime de protectorat, qui ne doit pas être sans rapport avec l'importance économique reconnue à leurs pays. Il favorise ainsi l'accession d'un « roi » au pouvoir, un certain Tasgetios, « de très haute naissance et dont les ancêtres avaient régné sur leur cité ».

Nous avons une trace de Tasgetios en dehors de César, parce qu'il eut le temps d'émettre une monnaie : elle porte au revers son nom, autour d'un char ailé, et au droit un mot mystérieux : ELKESOOVIX, dans lequel on a voulu voir soit le nom, soit le titre d'un ancêtre.

Mais Tasgetios n'est pas très populaire. Dès l'automne 54 av. J.-C., César rapporte qu'il a été assassiné par ses ennemis « ouvertement soutenus par un grand nombre de ses concitoyens ». Les Carnutes ne semblent pas le remplacer : apparemment ils se passent fort bien d'un roi.

Carnutes et Sénons

La révolte des Belges a des répercussions au sud de la Seine. Les Sénons s'agitent à leur tour, et ce n'est peut-être qu'à partir de ce moment qu'ils se rapprochent étroitement des Carnutes. Ils veulent faire subir à leur roi postiche, Cavarinos, le sort de Tasgetios, mais Cavarinos réussit à s'enfuir et à se réfugier auprès de César. Dès que les légions font mine d'intervenir, les Sénons, par l'intermédiaire de leurs « protecteurs » Éduens, envoient une ambassade pour obtenir le pardon du proconsul, qui exige alors cent otages. Les Carnutes s'empressent d'envoyer à leur tour ambassadeurs et otages, par l'intermédiaire des Rèmes, alliés de Rome, et qui seraient également leurs « protecteurs » (mais quel sens cette « protection » pouvait-elle avoir avant l'intervention romaine en Gaule ?). César, apparemment, « pardonne », mais l'année suivante, il convoque à Durocortorum en pays des Rèmes une assemblée des cités gauloises ; il y fait juger le sénon Acco « chef de la conjuration des Sénons et des Carnutes », celui-ci est exécuté « à la romaine », c'est-à-dire battu de verges jusqu'au coma, puis achevé par décapitation. César retourne en Italie, laissant Plancus hiverner chez les Carnutes, pour enquêter sur le meurtre de Tasgetios.

Les deux massacres de Cenabum

En 52 av. J.-C., le climat change. La mort atroce d'Acco – qui paraît avoir été un chef respecté, au-delà même de son peuple – a joué un rôle dans la mobilisation des Gaulois contre César.

Les chefs s'assemblent « dans des endroits isolés en forêt ». Cette réunion mémorable dans l'histoire des Gaules doit-elle être mise en relation avec l'assemblée annuelle des druides ? On en discute depuis longtemps et le problème est loin d'être résolu. Les Carnutes en tout cas y proclament dans l'enthousiasme général que « nul péril ne les arrêtera dans la lutte pour le salut commun et qu'ils seront les premiers à prendre les armes ».

« Au jour convenu, les Carnutes conduits par Cotuatos et Conconnetodumnos, deux hommes prêts à tout, se ruent dans Cenabum et y massacrent les citoyens romains ». C. Fufius Cita, l'homme de confiance de César, est parmi les victimes. En massacrant, le 13 février 52 av. J.-C., ces « citoyens romains », comme César y insiste, il est clair que les Carnutes ont commis l'irréparable.

Le coup de main de Cenabum, aussitôt répercuté chez les peuples voisins, donne le signal de l'insurrection générale sous la direction de Vercingétorix. César repasse les Alpes. Parvenu à marche forcée au pays des Sénons, il réduit facilement Vellaunodunum près de Triguères, tandis que les Carnutes qui croient en avoir le temps se préparent à envoyer des troupes pour défendre Cenabum. César y arrive avant eux, l'emporium est pillé et incendié, la population gauloise qui tentait de traverser nuitamment la Loire est massacrée ou réduite en esclavage. Puis, chez les Bituriges Cubes, les Romains prennent Noviodunum (Neung-sur-Beuvron) dont les habitants (ou la garnison) se rendent.

La défaite des Carnutes

Les Carnutes, au dire de César, auraient fourni un contingent de 12 000 hommes - chiffre certainement excessif, comme il est de règle lorsque César estime les effectifs gaulois - qui « partirent pour Alésia, joyeux et pleins de confiance ».

Après la reddition de Vercingétorix, les cités ne désarment pas. Les Carnutes, pour d'obscures raisons, ont maille à partir avec leurs voisins Bituriges Cubes qui réclament justice auprès de César à Bibracte. Deux légions sont alors cantonnées dans Cenabum en ruines, d'où elles lancent de sanglantes opérations de commando contre les Carnutes qui se sont dispersés, « écrasés par la rigueur de l'hiver et par la peur, chassés de leurs toits, n'osant s'attarder nulle part ». Les survivants en armes se réfugient chez les peuples voisins.

Certains d'entre eux participent sans doute à la révolte infructueuse de l'andécave Dumnacos en pays des Pictons. À la suite de cette campagne, au cours de l'été 51 av. J.-C., C. Fabius repasse chez les Carnutes : « Les Carnutes qui, si souvent éprouvés, n'avaient jamais parlé de paix, offrent des otages et se soumettent ».

Gutuater / Cotuatos

Mais César qui, tout en pardonnant n'oublie rien, vient lui-même à Cenabum se faire livrer « le premier responsable de leur crime, le fauteur de la guerre ». C'est le fameux Gutuater, probablement Cotuatos qui a lancé les premières hostilités : les manuscrits divergent sur le nom de celui qui porte le titre de Gutuater, personnage si considérable que César hésite à le mettre à mort. Pourtant, sous la pression « de l'énorme foule des soldats qui le rendaient responsable de tous les dangers courus, de toutes les pertes subies », il est comme naguère Acco, battu à mort et décapité[6].

Avec leur chef mis à mort, les Carnutes disparaissent de l'Histoire. Il ne sera jamais question d'eux lors des mouvements gaulois ultérieurs.

Les Carnutes et la religion gauloise

  • En ce qui concerne les sites religieux de l'époque carnute, on a la trace de quelques sanctuaires locaux qui ont perduré après la conquête romaine : ceux d'Allauna à Allonnes, d'Orgos à Logron, d'Acionna à Orléans... Les trésors de Neuvy-en-Sullias et de Vienne-en-Val, découverts au XIXe siècle, appartiennent à l'époque gallo-romaine, malgré le monstre anthropophage de Vienne.
  • Les Carnutes sont célèbres surtout pour leur lien, réel ou présumé, à la religion gauloise. C'est en un locus consecratus, dans la mythique « forêt des Carnutes », que les druides auraient tenu leur assemblée générale annuelle ; ce lieu était peut-être situé près de l'actuelle abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire[7]. C'est aussi en pays carnute que César captura et mit à mort le mystérieux Gutuater. Mais c'est là un domaine dans lequel il est bien difficile de faire la part de la légende et de l'histoire.

La forêt des Carnutes dans Astérix

La forêt des Carnutes est présente dans quelques albums de la série de bande dessinée Astérix, ainsi que des œuvres dérivées :

Bandes dessinées

  • Dès La Serpe d'or est évoquée cette forêt : le druide Panoramix brise sa serpe d'or au début de l'histoire. Or, il en a besoin pour aller à la réunion annuelle des druides qui s'y déroule.
  • Dans Astérix et les Goths, le druide Panoramix se rend à cette réunion. Il s'y fait capturer par des Goths, juste après avoir gagné le menhir d'or récompensant le meilleur druide de l'année.
  • Dans Le Devin, Panoramix en fait mention car il en revient en fin d'album, déclarant avoir gagné une marmite d'or et avoir appris des choses très intéressantes sur l'avenir de la profession de druide.
  • Dans Le Papyrus de César, Astérix et à Obélix ont pour mission d'accompagner Panoramix vers la forêt des Carnutes, où le doyen des druides, Archéoptérix, gravera dans sa mémoire le document écrit par César sur la Guerre des Gaules, afin qu'il soit transmis de bouche à oreille.
  • Un concours de chant, auquel participe le barde Assurancetourix, se déroule aussi dans cette forêt[8]. Cette histoire, intitulée Le Menhir d'or et parue en 1967 en format « livre-disque », sera adaptée en album le [9].

Films

Jeux vidéo

  • Dans Astérix et Obélix XXL 2 : Mission Las Vegum, Panoramix (qui est en fait le centurion Lary Craft déguisé) prévient d'autres druides lors d'une réunion d'urgence à la forêt des Carnutes que Jules César va bientôt parvenir à conquérir le village des irréductibles Gaulois. Peu après, des légionnaires romains sortent des buissons, suivis par l'empereur romain en personne et capturent les trois druides (Septantesix, Kerozen et Garmonparnas) tout en félicitant "Panoramix" de ce piège réussi.

Notes et références

  1. (fr) « Carnutes », sur www.arbre-celtique.com (consulté le )
  2. Tite-Live, V, 34)
  3. Tite-Live, XLIII, [http://agoraclass.fltr.ucl.ac.be/concordances/Tite-LiveXLIII/default.htm ; Pline l'Ancien, III, 147]
  4. Lambert, La Langue gauloise, pages 34 et 73 ; Debal, Cenabum..., p. 13
  5. (fr) « Monnaie / Antique / Gauloise / GAULE CELTIQUE / CARNUTES (Région de Chartres) », sur www.infomonnaies.com (consulté le )
  6. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, Livre VIII, 38.
  7. Sylvie Peyret, Des monnaies gauloises aux premières émissions capétiennes, Banque de France 1989
  8. Carine Picaud et al. , Astérix de A à Z, Éditions Hazan et Bibliothèque nationale de France, Paris, 2013, page 55 (ISBN 978-2-7541-0715-0), (ISBN 978-2-7177-2547-6).
  9. Didier Pasamonik, « Un Astérix à l’automne : "Le Menhir d’or" », ActuaBD, (lire en ligne, consulté le ).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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