Boule de Moulins

Une boule de Moulins est un procédé de transport du courrier vers la ville de Paris employé lors du siège de la ville pendant la guerre de 1870. Comme le courrier empruntant ce moyen était au préalable centralisé à Moulins (Allier), ces boules furent dites « de Moulins ».

Une boule de Moulins, remplie de sa correspondance (factice). Musée de La Poste (Paris)

Les boules de Moulins, en métal et remplies de courrier, étaient immergées dans la Seine largement en amont de Paris. Roulant sur le fond du fleuve, elles devaient franchir les lignes des assiégeants et être récupérées aux abords de la capitale. Le procédé se révéla un échec total, aucune boule de Moulins ne parvenant à Paris avant la fin du siège, même si plus de la moitié d'entre elles a été récupérée depuis, de la Seine-et-Marne jusqu'à l'embouchure de la Seine.

Principe

Brevet de Delort pour sa « sphère sous-marine ».

Afin de continuer à correspondre avec la province dans une capitale totalement encerclée par les Prussiens, divers moyens avaient été employés, ballon monté ou pigeons voyageurs, mais surtout dans le sens Paris-province. Dans l'autre sens ceci était plus délicat et l'idée de faire voyager par le courant de la Seine des boules étanches contenant du courrier fut mise en œuvre, selon le principe de la bouteille à la mer. Pour déjouer la surveillance des assiégeants et les dispositifs qu'ils ont installés pour barrer la Seine, les boules ne doivent pas flotter en surface ou entre deux eaux ; elles descendent le courant en roulant sur le fond[1]. Ce sont trois ingénieurs (Pierre-Charles Delort, Émile Robert et J. Vonoven) qui mettent au point le système basé sur la fabrication de cylindres en zinc étanches une fois refermés par soudure. Le cylindre, d'une longueur de 20 cm pour un diamètre de 12 cm, est pourvu d'ailettes destinées à le faire tourner sur lui-même dans le courant du fleuve. D'un poids d'un peu plus de kg, l'ensemble a la forme d'une sphère et peut renfermer 500 à 600 lettres qui ne doivent pas dépasser 4 grammes chacune[2]. Le dispositif est peut-être inspiré d'un dispositif comparable, utilisé pour la contrebande de tabac à la frontière franco-belge, dans les eaux de l'Yser. Deux expériences successives avec une boule sur la Bièvre sont concluantes[1].

Les boules fabriquées à Moulins sont mises à l'eau dans la Seine en amont de Paris, depuis Bray-sur-Seine jusqu'à Samois-sur-Seine, et des filets descendant jusqu'au fond du lit de la Seine, tendus derrière les lignes ennemies, au niveau du Port à l'Anglais à Alfortville, doivent les récupérer. Delort reste à Moulins pour conditionner les boules, remplir les bordereaux qui détaillent leur contenu ; Robert assure le transport des « agents »  pour éviter les fuites, c'est le terme employé pour désigner les boules  de Moulins aux bords de la Seine où il les immerge ; Vonoven se charge de relever les filets[3].

Résultats

Constat d'échec

Le système ne fut pas efficace puisqu'aucune des 55 boules envoyées du 4 au , date à laquelle le service fut interrompu, ne fut récupérée pendant le siège[3]. Elles étaient probablement envasées, arrêtées par des obstacles ou sont passées au travers des filets détruits par les glaçons charriés par la Seine le 22 janvier. Le , 14 600 lettres en attente furent découvertes à Moulins. Elles furent acheminées à Paris dissimulées dans des sacs de riz[4].

Repêchages ultérieurs

Parcours des boules de Moulins[4].
  • Lieux d'immersion des boules
  • Emplacement du filet de récupération
  • Lieux de repêchage connus

Certaines boules, cependant, purent être retrouvées après la fin du siège : la première fut repêchée en mars 1871 aux Andelys. Il semble cependant qu'une boule fut récupérée avant cette date, car une lettre est connue avec son cachet d'arrivée à Paris en date du 12 février 1871 (vente sur offre d'un marchand de timbres parisien, juin 2014). En définitive, environ 25 à 30 boules ont été retrouvées, la majeure partie avant 1910. Mais une l'a été en 1942, une autre en 1952. Plus récemment, une boule a été remontée par le conducteur d’un engin de dragage à Saint-Wandrille (Seine-Maritime), le 8 août 1968. Une boule a encore été récupérée à Vatteville-la-Rue (Seine-Maritime) en 1982, puis une autre en 1988[5],[6]. Chaque fois, l'administration postale cherche à remettre les lettres aux descendants des destinataires d'origine suivant le principe que « la mission de distribution du courrier n'a pas de limite dans le temps. Le courrier confié à La Poste doit arriver coûte que coûte »[7]. Sur 55 boules confectionnées, une vingtaine restent donc enlisées au fond de la Seine et pourraient refaire surface dans les prochaines années[8]. Mais l'emplacement des dernières trouvailles (à l'aval de Rouen) suggère que les boules restant à découvrir aient pu s'éloigner considérablement de Paris, voire rejoindre la Manche. Après la fin de la guerre de 1870, un repêchage est déclaré à Saint-Malo[Note 1]. Il aurait fallu pour cela que les courants marins aient permis à la boule de contourner toute la péninsule du Cotentin, ce qui peut sembler surprenant ; il est également possible qu'un pêcheur l'ait chalutée près de l'embouchure de la Seine pour la rapporter ensuite à son port d'attache[4].

Marchandages et luttes d'influence

Après avoir soumis leur projet à Germain Rampont, directeur des postes à Paris, Delort et Robert gagnent Tours puis Bordeaux pour y rencontrer François-Frédéric Steenackers, directeur des télégraphes qui a suivi le gouvernement français en exil. Steenackers discute avec eux des tarifs et des modalités pratiques : le courrier sera centralisé à Clermont-Ferrand[9]. Mais, à Clermont-Ferrand parvient, rédigé par Steenackers, l'ordre de suspendre l'opération ; de nouvelles négociations financières, moins favorables aux concepteurs du projet, ont lieu, et le lieu de collecte des lettres est transféré à Moulins. Les raisons de ce revirement sont mal connues, mais l'inimitié notoire opposant Rampont et Steenackers n'y est peut-être pas étrangère[3].

Les retards nés de ces atermoiements ont en tout cas certainement pesé dans l'échec du projet : les jours passant avec l'arrivée de l'hiver, le courant de la Seine se ralentit avec son embâcle partielle et les premières boules ne sont immergées que le alors que l'opération aurait pu débuter au moins quinze jours plus tôt. Après la guerre, Delort et Robert qui n'ont pas été payés de leur travail engagent des actions envers l'État pour obtenir des compensations financières, mais sans succès[3].

Aspect philatélique

Les plis qui étaient destinés à entrer dans Paris par l'intermédiaire des boules étaient envoyés de toute la France à Moulins et devaient être affranchis à 1 franc au lieu des 20 centimes du tarif normal. Les 80 centimes supplémentaires étaient destinés à la rétribution des trois concepteurs et opérateurs du système des boules (payée pour moitié à l'enregistrement du courrier et pour moitié à sa réception effective), cependant aucune garantie n'était promise aux utilisateurs. On estime entre 30 000 et 35 000 le nombre des lettres concernées. Afin de ne pas renseigner l'ennemi, elles ne se distinguaient par aucun cachet spécial, seule la surprenante mention Paris, par Moulins (Allier) étant nécessaire.

Bien sûr, les lettres ayant transité par les boules de Moulins ont une valeur marchande très importante et, à l'occasion de la découverte de 1968, la Poste a décidé d'apposer au dos des lettres récupérées une griffe officielle les authentifiant.

Iconographie

  • Peinture : Tableau de Hélène Vonoven, huile sur toile, signé et daté 1872, Paris, musée Carnavalet, don de M. J. Vonoven en 1899[10].
  • Philatélie : dans le cadre de l'émission Europa de 1979 consacrée à l'histoire postale, la France a émis un timbre d'une valeur faciale de 1,70 franc pour commémorer l'expérience des boules de Moulins[11].

Bibliographie

  • Bulletin de l'Association internationale d'histoire postale de la guerre de 1870/1871, juin 1995, no 2.
  • Brochure Philexfrance 99, no 2, Bertrand Sinais, Des agents très spéciaux, p. 66-71.
  • Le Patrimoine de la poste, éditions Flohic, 1996.
  • Les feuilles marcophiles, supplément au no 253, Robert Boussac, Boules de Moulins
  • Didier Michaud, Michel Melot et Bertrand Sinais, « Nom de code : Paris par Moulins : l'épopée du courrier par boules subaquatiques », Timbroscopie, no 134 bis, , p. 4-10.
  • Pierre-Charles Delort, Lettre à M. le général Trochu, ancien gouverneur de Paris: sur la mission confiée par le Gouvernement de la défense nationale à MM. P. Delort, E. Robert, J. Vonoven pour le service des dépêches pour Paris : Siège de Paris, Paris, , 30 p. (lire en ligne).

Tous les ouvrages et périodiques sont consultables à la bibliothèque du musée de La Poste.

Image externe
Photographie d'une boule de Moulins sur le site de L'Adresse, musée de la Poste

Notes et références

Notes

  1. Germain Rampont, directeur général des postes à Paris en 1870, indique qu'une boule récupérée à Saint-Malo a été rapportée à Paris après la guerre, contenant 613 lettres remises à leurs destinataires.

Références

  1. Timbroscopie, p. 6.
  2. Timbroscopie, p. 8.
  3. Timbroscopie, p. 10.
  4. Timbroscopie, p. 9.
  5. Sphères en zinc, sur laposte.fr. Consulté le 1er janvier 2013.
  6. Notice no 11160107815, base Joconde, ministère français de la Culture.
  7. , sur philatelistes.net redirigeant sur coopoweb.com. Consulté le 15 mars 2015.
  8. « Les Boules de moulin », sur Ballons Montés (consulté le )
  9. Timbroscopie, p. 6 et 8.
  10. « Sphère métallique utilisée pendant le siège de 1870-71, pour le transport des dépêches par eau », sur Paris musées (consulté le ).
  11. « EUROPA C.E.P.T. - Boule de Moulins 1870-1871 », sur Phil-Ouest (consulté le ).

Voir aussi

Article connexe

Liens externes

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