Bataille de Papeete

La bataille de Papeete (ou bombardement de Papeete) est provoquée, le 22 septembre 1914, par l'arrivée à Tahiti, en Polynésie française (océan Pacifique) des croiseurs cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau, pour qui le stock de charbon de Papeete constitue un enjeu stratégique dans le cadre de la Première Guerre mondiale. Mais ayant été reçus à coups de canons, les cuirassés doivent se contenter de bombarder la ville et le port, achevant de couler au passage la canonnière de la marine française Zélée, qui a été sabordée afin qu'elle ne tombe pas entre leurs mains et pour obstruer l'accès au port. Les batteries côtières françaises répliquent aux tirs allemands, mais n'infligent aucun dommage significatif aux croiseurs. Les repères nécessaires pour entrer dans la rade ayant été volontairement détruits par les défenseurs, les navires allemands n'approchent pas davantage et s'éloignent de Tahiti au bout de quelques heures.

Bataille de Papeete
Bâtiments détruits à Papeete après le bombardement.
Informations générales
Date
Lieu Papeete, Tahiti, Polynésie française, Océan Pacifique
Issue Victoire tactique allemande
Belligérants
 France Empire allemand
Commandants
Maxime DestremauMaximilian von Spee
Forces en présence
1 canonnière
artillerie côtière
2 croiseurs cuirassés
Pertes
1 canonnière coulée,
fortifications détruites
2 civils tués
aucune

Théâtre océanien, Première Guerre mondiale

Batailles

Batailles des océans Pacifique et Indien

Coordonnées 17° 32′ sud, 149° 34′ ouest
Géolocalisation sur la carte : Polynésie française
Géolocalisation sur la carte : océan Pacifique

Contexte historique

Itinéraire du Scharnhorst et du Gneisenau à travers le Pacifique.

Au début de la Première Guerre mondiale, en 1914, Tahiti ne disposait ni de défense lourde (mis à part d'antiques batteries côtières) ni de poste de TSF. La garnison française de Papeete se résumait à une compagnie d'infanterie de marine, 45 artilleurs et 50 gendarmes, renforcée par la présence de la Zélée, canonnière commandée par le lieutenant de vaisseau Maxime Destremau[1]. Destremau avait été prévenu de possibles attaques allemandes, après qu'un escadron allemand eut été aperçu au large des Samoa. Comme il n'était pas envisageable de lui résister, dans un combat naval, avec sa vieille canonnière, Destremau en fit débarquer presque toute l'artillerie (le canon de 100 mm arrière et les quatre canons de 65 mm)[2] pour renforcer les défenses côtières.

Engagement et bombardement

La canonnière Zélée, de la classe Surprise, est entrée en service en 1900. Son tonnage est de 680 t pour 56 m de long. Son armement d'origine est composé de deux canons de 100 mm, de quatre de 65 mm et quatre de 37 mm.

Le vers 7 heures, les Français aperçoivent deux croiseurs dépourvus de marques d'identification – les croiseurs cuirassés allemands Scharnhorst et Gneisenau – qui s'approchent de Papeete. Trois coups de semonce sont alors tirés pour leur demander de s'identifier. Les croiseurs hissent les couleurs de la Marine impériale et se mettent à bombarder le port et la ville.

Canons du Scharnhorst.

Le cargo allemand Walküre, précédemment capturé par la Zélée[3], est sabordé dans le port afin d'interdire son accès aux navires allemands. Destremau fait en outre incendier le dépôt de charbon (principale ressource de Tahiti intéressant les Allemands), saborder la Zélée par son second, Barbier, conformément aux ordres qu'il avait reçus « en dernier ressort pour l'empêcher de tomber entre les mains de l'ennemi »[4] et détruire les marques des alignements d'entrée dans la rade. Le commandant de la batterie côtière, l'enseigne de vaisseau Charron, bien conscient qu'avec les faibles calibres dont il dispose, il ne peut pratiquement infliger aucun dégât aux croiseurs, s'abstient de tirer pour ne pas être localisé et pour réserver ses coups à toute embarcation qui se présenterait dans la passe. Les deux croiseurs, craignant un piège, quittent finalement Papeete indemnes après avoir tiré un total de 80 obus dont un sur la Zélée[5]. De l'infortunée canonnière, des plongeurs locaux remontèrent bientôt le pavillon, qui fut remis à son commandant[6]. La principale conséquence stratégique de l'engagement est la divulgation de la position des croiseurs à l'Amirauté britannique et une des raisons qui pousseront celle-ci à chercher à les intercepter, ce qui conduira à la bataille de Coronel, lors de laquelle, le , l'escadre allemande d'Extrême-Orient vaincra une escadre britannique. Le Scharnhorst et le Gneisenau seront finalement coulés à la bataille des Falklands en décembre 1914.

Conflit entre pouvoirs civil et militaire autour de la bataille

Le commandant Maxime Destremau (au centre) et son état-major à Papeete en 1914.

Lacour-Gayet dresse un tableau sans nuages de la coopération entre le gouverneur de Tahiti William Fawtier et le lieutenant de vaisseau Destremau, devenu du fait du désarmement de la Zélée commandant d'armes de la place, pour la défense de Papeete. En réalité leurs relations avaient commencé à se tendre dès que l'état de guerre avec l'Allemagne avait été confirmé à Tahiti fin août, Fawtier persistant à ne pas faire arrêter ou expulser les nombreux ressortissants allemands et autrichiens présents dans l'archipel. Le gouverneur s'étant réfugié à la mission catholique pendant le bombardement, Destremau dut exercer tous les pouvoirs, ce qui lui fut ensuite reproché. La crise s'envenime tant que le gouverneur - qui ne se résoudra qu'en décembre à faire arrêter les Allemands et Austro-Hongrois encore présents - ordonne, le , à Destremau de quitter la colonie. Le l'amiral Huguet arrive à Papeete sur le Montcalm et entame une enquête sur les plaintes de l'un et l'autre protagonistes. Ses conclusions, favorables au gouverneur, comportent l'ordre donné à Destremau de rentrer en métropole, où il doit passer en conseil de guerre pour la perte de la Zélée. Destremau, nommé provisoirement au commandement du torpilleur Boutefeu en Méditerranée, ne connaîtra malheureusement pas l'épilogue : tombé malade, il décède le avant que la Marine ne le lave finalement de toute accusation et le gratifie d'une citation à l'ordre de l'armée. L'amiral de Bon ira même, en 1919, jusqu'à proposer que lui soit attribuée, à titre posthume, la rosette d'officier de la Légion d'honneur avec cette citation : « Le lieutenant de vaisseau Destremau, commandant la défense de Tahiti, après le désarmement de la Zélée, a su, malgré le peu de concours des autorités locales, organiser la défense de l’île, de manière à empêcher le Scharnhorst et le Gneisenau de s’en emparer »[2]. Cette double proposition ne fut cependant pas suivie d’effet[7].

Récits et controverse d'après-guerre

Les résultats du bombardement de Papeete du 22 septembre 1914 par les croiseurs allemands. Photographies publiées par l'hebdomadaire Le Miroir du 6 décembre 1914.

L'épisode ne pouvait pas laisser indifférents les amateurs d'histoire navale. Ainsi Claude Farrère et Paul Chack publièrent-ils en 1924, dans la Revue des Deux Mondes, un récit coloré de la bataille intitulé L'épopée de Tahiti[8]. L'abondance des détails en ferait une source précieuse s'il ne péchait manifestement par quelques extrapolations sorties tout droit de l'imagination des auteurs, telle la description du pavillon de la Zélée « que les obus allemands ont magnifiquement déchiqueté de leurs éclats ». Or chacun peut vérifier, sur la photographie publiée 9 ans auparavant[6], que ledit pavillon avait été repêché un peu froissé mais sans accroc...

Cet article est mal accueilli : ainsi, dans le Mercure de France du , Jean Dorsenne, d'accord seulement sur le dévouement intelligent, à terre, de l'enseigne de vaisseau de réserve Morillot, nie que l'ordre de saborder la Zélée ait jamais été donné, soutient qu'elle n'a coulé que parce que quelqu'un, resté à bord, a commis l'erreur de tirer un coup de canon inutile sur les croiseurs ennemis, attirant leur feu sur elle, et conclut qu'à l'exception de l'enseigne de vaisseau Charron, les officiers de la Zélée furent « ramenés assez piteusement en France »[9]. Claude Farrère proteste dans le numéro du 15 février[10] en rappelant l'éloge accordé, en 1919, à Destremau par l'amiral de Bon et promet, dans un ouvrage à paraître[11], maints détails supplémentaires sur la défense de Tahiti. Le , toujours dans le Mercure, le lieutenant de vaisseau Dyèvre, qui avait été sous les ordres de Destremau à bord de la Zélée, publie une mise au point[12] où, tout en reconnaissant le caractère ridicule des « fantaisies » ajoutées par Claude Farrère, n'en soutient pas moins la parfaite véracité des détails que Paul Chack a pu vérifier dans les archives de la Marine. Ainsi par exemple confirme-t-il que la Zélée a bien été sabordée et que si elle a coulé plus vite après avoir été frappée par l'artillerie ennemie, ce ne peut être pour avoir tiré sans utilité sur les croiseurs. En effet si son canon de 100 mm avant était bien resté en place, toutes les munitions en avaient été débarquées pour servir l'autre canon de 100 mm mis à terre.

Une rue de Papeete rappelle le bombardement allemand du .

L'amiral Huguet, finalement, justifie a posteriori les décisions prises lors de son inspection après la bataille en estimant que Dorsenne a « [jugé] très sainement le rôle de M. Destremau » mais n'a pas assez expliqué comment l'« échec des Allemands devant Papeete peut réellement être porté à [son] actif ». Pour le reste, il maintient que « s'il y avait borné son rôle, il n'y aurait eu que des éloges à lui adresser »[5].

Notes et références

  1. Lacour-Gayet 1915, p. 7
  2. « Maxime François Émile Destremau », sur école navale (consulté le )
  3. Gasse 2009
  4. Sylvette Boubin-Boyer, « Conflits pouvoir politique/pouvoir militaire, l'exemple de Tahiti (août-décembre 1914) », sur centenaire (consulté le )
  5. Contre-amiral Huguet, « L'affaire de Tahiti », Mercure de France, t. CLXXXI, no 650, , p. 570 (lire en ligne).
  6. Lacour-Gayet 1915
  7. A.R., « À la mémoire de mon camarade et ami, Maxime Destremeau (1875-1915) », Bulletin de la Société d'histoire et d'archéologie de l'arrondissement de Provins, , p. 11 (lire en ligne)
  8. Claude Farrère et Paul Chack, « L'épopée de Tahiti », Revue des deux mondes, t. XXIII, , p. 5 (lire en ligne)
  9. Jean Dorsenne, « Notes et documents d'histoire : l'épopée de Tahiti », Mercure de France, t. CLXXVII, no 638, , p. 522 (lire en ligne)
  10. Claude Farrère, « Notes et documents d'histoire : l'épopée de Tahiti », Mercure de France, t. CLXXVII, no 640, , p. 244 (lire en ligne)
  11. Claude Farrère et Paul Chack, Combats et batailles sur mer : septembre 1914-décembre 1914, Paris, Ernest Flammarion, , 283 p. (présentation en ligne)
  12. Henri Dyèvre, « Notes et documents d'histoire : l'épopée de Tahiti », Mercure de France, t. CLXXVII, no 641, , p. 532 (lire en ligne).

Voir aussi

Bibliographie

  • Georges Lacour-Gayet, Un épisode de la guerre navale : la défense de Papeete (), La revue hebdomadaire, (lire en ligne)
  • (en) Paul G. Halpern, A naval history of World War I, Routledge, (ISBN 1-85728-498-4, présentation en ligne), p. 89
  • Michel Vergé-Franceschi (dir.), Dictionnaire d'Histoire maritime, éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
  • François Cochet (dir.) et Rémy Porte (dir.), Dictionnaire de la Grande guerre 1914-1918, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », , 1120 p. (ISBN 978-2-221-10722-5 et 2-221-10722-5, OCLC 470986430, notice BnF no FRBNF41362444).
  • Michel Gasse, Tahiti 1914 : Le vent de guerre, Lardy, Lardy, A la frontière, , 352 p., 16 x 22 cm (ISBN 978-2-918665-00-7)

Articles connexes

Liens externes

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