Ateliers d'art sacré

Les Ateliers d'art sacré (1919-1947) sont une école créée au XXe siècle pour favoriser l'émergence et la production d'œuvres d'art sacré à la fois modernes et théoriquement accessibles à un large public. Durant près de trente ans, cette mouvance rassemblera un nombre important d'artistes plus ou moins célèbres.

Une des créations influencées par les Ateliers de l'art sacré dans l'église du Saint-Esprit, à Paris.

Historique

Le peintre George Desvallières, membre de la Société de Saint-Jean, publie en 1912 son manifeste en faveur d’une école d’art sacré. Son but est de donner naissance à un art d’église qui rompe avec ce qu'il juge être la médiocrité esthétique et symbolique de la production "sulpicienne". Mais il veut tout autant lutter contre un esprit académique et répétitif, sentimentaliste et passéiste, que la plupart du clergé et des fidèles apprécient.

Il rejoint en cela le projet d'un autre peintre, Maurice Denis, décidé à mettre son talent au service d’un semblable renouveau des décors d’église : « Je proscris l'Académisme parce qu'il sacrifie l'émotion à la convention et à l'artifice, parce qu'il est théâtral ou fade. […] Je proscris le jansénisme parce que c'est la mort de l'art, le froid et l'ennui. […] Je proscris le réalisme parce que c'est de la prose et que je veux de « la musique avant toute chose », et de la poésie. Enfin, je prêcherai la Beauté. La Beauté est un attribut de la Divinité. »[1]

Denis et Desvallières s’élèvent simultanément contre l’enseignement académique des Beaux-Arts mais aussi contre certains nouveaux mouvements d’avant-garde comme le cubisme ou le futurisme qui mettent en danger, à leurs yeux, la pérennité de l’art même en Occident.

Pour Denis, il faut penser une école visant à la collaboration des élèves et de leurs maîtres : « Au lieu d’une académie, elle serait un atelier, un groupement d’ateliers où l’on accepte les commandes, où l’on exécuterait non pour de vagues expositions, mais pour une destination précise, tout ce qui sert à l’ornement du culte, de telle façon que l’élève devint ce qu’il était avant la Renaissance… un apprenti, puis auxiliaire du maître ». Denis tient que la capacité de synthèse dans l’exécution de l’œuvre ne fait pas l’économie de l’expression d’une maîtrise : « la condition d’une œuvre de qualité sur le plan formel est le métier. » « Dans un enseignement moderne, développer la sensibilité, libérer l’imagination des élèves, tout en les formant aux beaux métiers, tout en cultivant leur raison et leur goût. »[2]

Les futurs Ateliers veulent être une communauté d’artistes chrétiens formés et fraternels, œuvrant dans l’esprit des corporations du Moyen Âge.

Naissance des Ateliers

Maurice Denis et George Desvallières, entourés d'artistes militant comme eux au renouveau de l'art chrétien (Robert Boulet, Pierre Couturier futur dominicain, ou Valentine Reyre), ouvrent les Ateliers d’art sacré, à Paris, le . Un groupe de vingt-deux actionnaires organisés en Société des ateliers d’art sacré doit veiller au côté matériel du projet. L'école s’installe d’abord dans l’ancien atelier de Paul Sérusier, 7 rue Joseph-Bara, avant de rejoindre le no 8 de la rue de Furstemberg. D'autres ateliers s'y associeront: celui de la peintre verrier Marguerite Huré ou l'atelier de sculpture, avec notamment Simone Callède, Albert Dubos et Roger de Villiers, hébergé rue Notre-Dame-des-Champs[3].

Reconstruire après la Grande Guerre

« La peinture religieuse ne peut exister qu'en s'appuyant sur la nature, en creusant la nature, en arrachant au corps humain, à la figure humaine, sa ressemblance avec Dieu », disait Georges Desvallières, peintre qui vécut une véritable conversion en 1904, affirmant son désir de traiter des sujets religieux « en pleine épaisseur terrestre ».
Proche de la spiritualité dominicaine, il conçut le projet, en 1912, d'une école d'art placé sous le patronage de Notre-Dame de Paris. Il lui fallut attendre la fin de la Grande Guerre pour le mener à bien ; ce fut, en 1919, la fondation des Ateliers d'Art sacré, avec Maurice Denis, qui voulait « fournir aux églises, et spécialement aux églises dévastées par la guerre, des œuvres religieuses d'un caractère à la fois esthétique, traditionnel et moderne »[4].

L'organisation des Ateliers

Les élèves des premiers temps, sortent la plupart des Beaux-Arts, avec bagage technique et artistique. L’accès au statut de « compagnon » nécessite la présentation d’un « chef-d’œuvre » à un jury composé de maîtres. À partir de 1928, les Ateliers sont répartis en plusieurs ateliers propres à répondre au nombre grandissant des élèves. Le « petit cours » est confié à madame Buriat, puis à madame Delacroix à partir de 1938[5]

Le financement des Ateliers est assuré par les commandes et l’appoint que constituent les trimestrialités des élèves. Chaque quinzaine, l’élève doit présenter une esquisse qu’un maître corrigera : dans ce rôle, Desvallières s’adjoint successivement Denis, Souverbie et Laboulaye

La fresque sera largement remise à l’honneur par les Ateliers, correspondant à la tradition décorative dans l’Église. Dubois, était chargé de cet enseignement qu’il professait également aux Beaux-Arts. Un atelier de broderie fut également ouvert, animé par Sabine Desvallières puis par Marthe Fauchon à partir de 1926. Cette section devra fermer dès 1936 faute de commandes suffisantes, bien que Jacqueline Gilson continuera seule une petite production. Paule Marrot fut chargée de l’atelier de gravure sur bois. On devait y trouver Gabrielle Faure, fidèle collaboratrice de Maurice Denis et qui avait rejoint les Ateliers elle aussi dès 1919.

Dans l’esprit des Ateliers, l’enseignement théologique et la formation spirituelle sont des composants de la formation. Le père Noble assure les conférences sur le dogme et sur la liturgie ; l’abbé Le Ternial, puis, les pères Avril et Louis lui succéderont. Le dominicain Pie Raymond Régamey dispense également ces cours et sera lui-même une figure majeure de l’art sacré moderne avec le père Couturier, qui reprendra, en 1936 et avec Régamey, la revue L'Art sacré fondée en 1934 par Joseph Pichard. Une messe mensuelle réunit les membres du mouvement dans la chapelle des Carmes, d’abord avec l’abbé Roblot puis l’abbé Paul Buffet, aumônier des Catholiques des beaux-arts et de la Société de Saint-Jean. Un petit déjeuner suit la célébration, dans les locaux des Ateliers.

Une autre caractéristique des Ateliers réside dans la relation entre ses membres: Esprit fraternel et solidarité doivent prévaloir sur les ambitions personnelles. Un dispensaire « Fra Angelico » assure les soins des élèves et compagnons sans ressources. Les vœux de nouvel An réunissent les membres autour de Maurice Denis dans sa maison du Prieuré, à Saint-Germain-en-Laye, ainsi qu'en juin, la Fête-Dieu. La direction, d’abord assumée conjointement par Denis et Desvallières, avec le concours d'André Lecoutey et Pierre Dubois au secrétariat, est déléguée en 1926 à Henri de Maistre qui avait débuté comme élève.

La nomination du cardinal Verdier comme archevêque de Paris offre une occasion particulière aux Ateliers de répondre à leur vocation : à partir de 1929, les « chantiers du Cardinal » voient l’érection d’une centaine de nouveaux lieux de culte dans la capitale et ses alentours. L’église du Saint-Esprit, édifiée par l’architecte Paul Tournon est décorée par une quarantaine d’artistes, fresquistes, sculpteurs, ferronniers, dinandiers… Elle constitue, par l’ampleur de son programme et le nombre des intervenants, un manifeste du renouveau des arts sacrés dans les années 1930. La chapelle des Martyrs est confiée aux Ateliers sous la direction de Maistre (1932-33).

L’exposition des Arts décoratifs de 1925 rassemble également maîtres et compagnons des Ateliers dans l’église du Village français.

Les raisons d'une disparition

Les Ateliers ferment à la rentrée de 1947 sur décision de leur Conseil. On peut y voir la conséquence de l’échec d’une greffe d'une certaine modernité en art sacré et le public. Les commandes ecclésiales aux Ateliers sont peu nombreuses pour assurer longtemps leur survie. Le clergé de l’époque est en majorité sans formation artistique peu compétent en matière esthétique et préfère recourir aux fabricants et fournisseurs habituels. Cet art nouveau essuie aussi souvent des réactions hostiles et les milieux les plus réactionnaires le considèrent comme « dégénéré» . Mais c’est plus souvent encore l’indifférence qui prévaut. Simultanément, les Ateliers est aussi l'objet des critiques des tenants d’un modernisme plus affirmé comme le Père dominicain Marie-Alain Couturier. Ancien membre des Ateliers, il s’était progressivement éloigné de son maître Maurice Denis dont il finira par considérer comme obsolète tout un pan de la création. Couturier éprouve une très légitime admiration pour de nouveaux grands artistes tels Picasso ou Matisse. Cela vaudra les créations majeures que Couturier accompagnera, de l'église Notre-Dame-de-Toute-Grâce du Plateau d'Assy à Ronchamp. Couturier affirme audacieusement qu’il vaut mieux travailler pour l’Église avec de grands artistes incroyants qu'avec de mauvais artistes chrétiens. Denis souhaitait pour sa part susciter de bons artistes croyants.

Autre cause de cet échec, le surgissement de la seconde guerre mondiale et les pénuries qu'elle entraîne. En octobre 1939, de Maistre propose à Maurice Denis des mesures conservatoires : « Les Ateliers pourraient rester ouverts tout le temps où les recettes équilibreraient les dépenses, c'est-à-dire tant que le nombre d’élèves serait suffisant pour permettre à chacun de payer une somme raisonnable ». Enfin, les nouvelles architectures font toujours plus de place aux grandes verrières et à l’art du vitrail ; la fresque, discipline largement pratiquée par les Ateliers, perd progressivement l’espace qui la justifie.

Les Ateliers dans l'histoire de l'art

Encore assez peu connu, cet épisode que constituent les Ateliers d'art sacré se caractérise par l'idéalisme qui en anime les membres et leur invention d'un mode très collectif de travail et de coopération, chose rare dans l'art du XXe siècle, et par la tentative d'allier modernité et tradition corporatiste du Moyen Âge dans une visée exclusivement spiritualiste. On peut également relever le nombre important de femmes parmi les élèves et Compagnons et le fait que ce courant aura perduré une trentaine d'années malgré les difficultés rencontrées. À noter que d’autres courants ont eux aussi diversement tenté cette rénovation des arts sacrés à la même époque : les Catholiques des beaux-arts (1909), la Société de Saint-Jean, L'Arche, fondée en 1917 par Valentine Reyre et Maurice Storez ou les Artisans de l’Autel en 1919, et encore Art et Louange, ainsi que les Ateliers de Nazareth en 1928.

Membres

Parmi les Compagnons figurent des personnalités connues, comme :

Réalisations

Pavillon des Missions catholiques à l'Exposition coloniale de 1931 à Paris.

Galerie

Sources

  • Collectif, Un Noël en septembre, catalogue de l'Exposition pour les Journées Européennes du Patrimoine, 17,18,et 19 septembre 2010 en l'église Saint-Pierre-du-Mont, organisée par la Commission diocèsaine d'Art Sacré des Landes. Diocèse d'Aire et Dax.

Bibliographie

  • Art sacré, revue éditée de 1935 à 1968
  • Emmanuel Breon L'Art des années 30, Somogy, 1996
  • Françoise Caussé, Les Artistes, l'art et la religion en France. Les débats suscités par la revue L'Art sacré entre 1945 et 1954, thèse publiée à l'université Bordeaux-III, 1999.
  • Françoise Caussé, La revue l'Art Sacré, le débat en France sur l'art et la religion (1945-1954), Cerf 2010
  • Collectif, L'art sacré au XXe siècle en France, Éditions de l'Albaron, 1993
  • Collectif, Louis Ladey ou le défi de l'art sacré, Paris, 2003, éd.Spiritualité et Art
  • Frédéric Debuyst Le Renouveau de l'Art sacré de 1920 à 1962, Mame 1991
  • Maurice Denis, Nouvelles théories sur l'Art moderne et sur l'Art sacré, (1914-1921), Rouart et Watelin, Paris, 1922
  • Maurice Denis, catalogue d'exposition, Réunion des Musées nationaux 2006
  • Xavier Lalloz, Henri de Maistre et les Ateliers d'art sacré, Musée de Bernay, 1993
  • Denis Lavalle, Henri de Maistre, un peintre de la sensibilité ordonnée, Fates-Cerf, 2003
  • François Lenell, Henri de Maistre et les ateliers d'art sacré (1919-1947), thèse de doctorat (dir. par Bernard Dorival), Université Paris 4, 1993
  • Paul-Louis Rinuy, L'art et l'Église en France au XXe siècle, de Maurice Denis à Jan Dibbets, Revue Studiolo, 2-2003, Académie de France à Rome, Somogy éditions d'art, Paris
  • Micheline Tissot-Gaucher, "Byzance à Paris" : l'église du Saint-Esprit et les quelque 70 artistes qui l'ont décorée, Amatteis, , 232 p. (ISBN 978-2-86849-232-6)
  • Isabelle Saint-Martin, Art chrétien : Art sacré : Regards du catholicisme sur l'art (France, XIXe-XXe siècle), Rennes, PU Rennes, coll. « Art & Société », , 337 p. (ISBN 978-2-7535-3256-4, notice BnF no FRBNF43818293)
  • Paul-Louis Rinuy (textes), avec la collaboration de Joseph Abram, Antoine Le Bas, Claire Vignes-Dumas et Pascal Lemaître (photographies), Patrimoine sacré XXe et XXIe siècles. Les lieux de culte en France depuis 1905, Paris, Éditions du patrimoine, Centre des monuments nationaux, , 231 p. (ISBN 978-2-7577-0344-1, notice BnF no FRBNF44248404)
    Collection Patrimoines en perspective, sous la responsabilité de Pascal Liévaux (MCC, DGP). Le patrimoine religieux, une histoire en trois dimensions de la France contemporaine.

Notes et références

  1. Maurice Denis, Nouvelles théories sur l'art moderne, sur l'art sacré. 1914-1921, L. Rouart et J. Watelin, éditeurs, 1922, p. 283-284
  2. Maurice Denis, Journal, éditions du Vieux Colombier, p. 127
  3. Collectif, Un Noël en septembre, catalogue de l'Exposition pour les Journées Européennes du Patrimoine, 17,18,19 septembre 2010 en l'église Saint-Pierre-du-Mont. Organisée par la Commission d'Art Sacré des Landes, diocèse d'Aire et Dax
  4. Claire Barbillon, historienne de l'art : commentaire de La Parabole des aveugles (v.1919), Georges Desvallières, Beauvais, musée de l'Oise. Magnificat n° 316, pages V-VI.
  5. Op.cit
  6. Data.BnF .
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