Anna Judic

Anna Judic, née Anne-Marie-Louise Damien, le à Semur-en-Auxois[1] et morte le à Golfe-Juan, est une comédienne française.

Anna Judic
Anna Judic aux Bouffes-Parisiens en 1875.
Nom de naissance Anne-Marie-Louise Damien
Naissance
Semur-en-Auxois
Décès
Golfe-Juan
Activité principale Chanteuse-comédienne
Soprano
Style
Années d'activité 1866-1900
Collaborations Jacques Offenbach
Hervé
Maîtres Amélie Perronnet
Conjoint Albert Millaud

Répertoire

Biographie

Fille de François Damien, marchand, et de Marie-Pierrette Renard, fille d’une buraliste du théâtre du Gymnase, et nièce de Montigny, directeur dudit théâtre, elle a eu, de bonne heure, le gout du théâtre. Sa mère, qui ne partageait pas ses aspirations, la plaça fort jeune chez une lingère du boulevard des Italiens. Après qu’elle a menacé de se laisser mourir d’inanition si on continuait à résister à son désir de monter sur scène, son oncle, touché de cette volonté, la retira du magasin pour la faire entrer, en , au conservatoire de Paris dans la classe de Regnier, et voulut compléter son éducation par des leçons de chant et de piano[2], notamment avec Amélie Perronnet[3].

Avant même d’avoir terminé ses études, n’ayant pas encore dix-huit ans, elle a épousé, le , Léon-Émile Israël dit Judic (1843-1884), régisseur du café-concert l’Eldorado[4], dont elle a adopté le nom à la scène. Deux mois après, elle débutait au Gymnase dans des rôles de second et troisième ordre, comme les Grandes Demoiselles, comédie en un acte d'Edmond Gondinet ou les Malheurs d'un Amant heureux. Elle ne poursuivit pas ses débuts dans la comédie et, profitant de ses études musicales, elle accepta un engagement, relativement brillant, à l’Eldorado, où son succès fut immédiat.

Se faisant véritablement remarquer dans un répertoire de chansons « légères » où son apparente candeur fait passer les sous-entendus les plus grivois[5]. Possédant à fond l’art de laisser entendre sans souligner, par ces gestes, l’air d’une novice, la tournure un peu gauche, elle osait à peine lever les yeux, sa bouche esquissait un sourire naïf, et son regard étonné semblait dire qu’elle ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’elle chantait. Sa voix douce comme le murmure d’une onde limpide, dissimulant sous une émotion contenue, ou sous le rire inconscient de l’ingénuité, les mots risqués, sauvait par une tenue d’une grâce parfaite, les situations les plus hasardées[2].

Son charme, sa diction, sa gaité, ont contribué à faire de l’opérette française un genre envié à l’étranger[6]. Aux dires de ses contemporains, elle avait « une voix frêle[7] » mais « un timbre ravissant[7] ». Selon Sir Télégraph, de l’Écho de Jarnac, sa voix était, en outre, « d’une douceur infinie, d’une pureté exquise[8] ». L’immense succès de Paola et Pietro, opérette de Paul Henrion[alpha 1] paraissait devoir lui ouvrir les portes des Bouffes-Parisiens ou des Variétés , mais la guerre de 1870 devait en décider autrement en termina son engagement à l’Eldorado. Le , cette dernière quittait cette petite scène où elle s’était produite pendant 2 ans, dont elle avait fait la fortune. Pendant la période du Siège et de la Commune, elle parcourut en triomphatrice toute la Belgique. À Bruxelles, notamment, elle a reçu des ovations sans précédents[2].

À la reprise de l’activité des théâtres de Paris, revenue en France, Jacques Offenbach l’a engagée à la Gaîté pour y créer le rôle de la princesse Cunégonde dans Le Roi Carotte, son opéra-féerie avec Victorien Sardou. Cependant, l’ouvrage n’étant pas prêt, elle alla donner dix représentations à l’Alcazar, de Marseille puis, de retour à Paris, concourut à l’ouverture du théâtre des Folies-Bergères avec la chanson Ne me chatouillez pas, et y créa le Memnon, ou la Sagesse humaine, de Charles Grisart. Ensuite elle se donna tout entière aux répétitions du Roi Carotte[2].

Portrait de madame Judic au second acte de Niniche, par Émile Wauters (1879).

Elle quitte alors la Gaîté pour répondre aux offres brillantes de Jules Noriac, qui la voulait pour sa pièce la Timbale d’argent aux Bouffes-Parisiens de Léon Vasseur, où elle connait ses premiers succès de comédienne. Cette pièce, dont la première représentation a eu lieu le a consacré sa réputation et l’a fait reconnaitre comme incomparable dans ce genre nouveau, dont elle peut être considérée comme la créatrice[9]. Sans elle, on n’aurait pas osé écrire la Timbale, et sans elle, la pièce aurait été trouvée obscène. Après plus de deux cents représentations consécutives de la Timbale d’argent[10], caractérisé par la délicatesse du chant, la finesse de l’esprit, le gout exquis, elle a créé successivement : La Petite Reine, de Noriac, Adolphe Jaime et Léon Vasseur (9 janvier 1873). La Rosière d’ici, de Armand Liorat et Léon Roques (27 janvier 1873). Le Mouton enragé, monologue par Noriac (20 mai 1873). Le Grelot d’Eugène Grangé et Victor Bernard, musique de Vasseur. Ces diverses pièces, moins réussies que la Timbale, ont néanmoins dû tout leur succès à la souplesse du talent de Judic[2].

Après son immense succès anglo-belge, elle a fait la réouverture des Bouffes par une reprise de la Timbale, puis créa encore successivement : La Quenouille de verre de Millaud et Heugel, musique de Grisart (novembre 1873). La Branche cassée, de Jaime et Noriac, musique de Serpette (janvier 1874). Mariée depuis midi, musique de Jacobi, créé à Londres (mars 1874). Les Parisiennes, de Jules Moinaux et Victor Koning, musique de Léon Vasseur (avril 1874). Madame l'archiduc, La Créole, Bagatelle d’Offenbach. Ayant rencontré, en , l’un des librettistes de La Quenouille de verre, Albert Millaud, elle quitte son mari pour l’épouser, en 1874[11], et doit s’arrêter, enceinte, en janvier 1875, avant de repartir en tournée à Saint-Pétersbourg.

À son retour, elle reprend La Créole aux Bouffes, mais ne rencontre pas le même succès. En 1876, elle passe au théâtre des Variétés, dont elle sera l'étoile durant près de vingt ans. Elle y retrouve Offenbach dont elle crée le Docteur Ox et reprend les rôles mythiques d'Hortense Schneider : La Belle Hélène, La Grande-duchesse de Gérolstein[12]… Elle étrenne surtout une collaboration prolifique avec Hervé. En 1878, Aimé Perret présente son portrait au Salon de Paris.

À partir de , elle interprète avec succès les opérettes écrites pour elle par Albert Millaud, La Roussotte (musique de Charles Lecocq, Hervé, etc.), Lili, La Femme à papa et Mam'zelle Nitouche[alpha 2], ainsi que le vaudeville Niniche de Marius Boullard (d). Le , elle commence à interpréter la comédie-opérette Mam'zelle Nitouche[13], son chef d'œuvre, avec laquelle elle connaît un grand succès. Elle la joue pendant un an et gagne plus d'un million de francs, lui permettant de faire construire le somptueux hôtel Judic.

Après l'échec cuisant de la Cosaque d’Hervé en 1884, elle se met à voyager[14], se produit aux théâtre des Menus-Plaisirs, à l'Eldorado et à l'Alcazar d'été, sans retrouver l'immense succès de ses débuts. Elle se lance dans une seconde carrière de comédienne et joue avec Jean Coquelin, Antoine et Lucien Guitry. Elle retrouve le Gymnase dans des rôles de « mères » (Le Bourgeon, Le Secret de Polichinelle, L'Âge difficile) auxquels elle apporte « une tendresse, une douceur et une bonhomie touchantes ». Elle alterne alors les reprises des pièces lyriques et les pièces de théâtre. De mai à , elle fait une tournée en Amérique latine où elle remporte un grand succès. En , elle est décorée par le sultan Abdülhamid II à Constantinople.

Devenue veuve en 1884, des problèmes financiers l'obligent à vendre son mobilier, la même année, puis son hôtel particulier de la rue Nouvelle, en 1894. Elle se retire alors à Chatou. Elle crée, en , l’Âge difficile de Jules Lemaître au Gymnase, incarnant une mère tendre et douce[15]. Elle est décorée de l'ordre de l'Aigle blanc, en 1896, à Belgrade, par le roi Alexandre Ier de Serbie[16].

Se sentant vieillir, elle s’est retirée, après une dernière apparition aux Folies-Bergère en 1900, dans un vieux moulin dans sa Bourgogne natale, à Avallon, s’y livrant à l’élevage des poules, ce qui lui a valu d’être nommée chevalier du Mérite agricole[17]. En 1910, aux premières atteintes du mal qui devait l’emporter, on la mena dans le Midi, à Golfe-Juan, où elle devait mourir l’année suivante, mais le soleil et le printemps ont été sans force contre ses souffrances[18]. Elle repose au cimetière de Montmartre[19].

Postérité

Une estampe de Toulouse-Lautrec la représente en 1894 dans sa loge en compagnie du compositeur Désiré Dihau[20].

Selon certaines sources, elle aurait servi de modèle à Émile Zola pour le personnage de Rose Mignon dans Nana[21],[4]. Selon Ludovic Halévy, son mari s’était battu avec Millaud dans les coulisses des Bouffes-Parisiens lorsqu’il avait appris les infidélités de sa femme avec ce dernier, avant de se raviser, et de gérer la liaison de sa femme avec celui-ci, comme Mignon, avec sa femme et Fauchery, dans Nana[11].

Le lycée de Semur-en-Auxois porte son nom[alpha 3].

Théâtre

Notes et références

Notes

  1. Paroles d'Hippolyte Bedeau.
  2. Musique d’Hervé.
  3. « Lycée Anna Judic », sur education.gouv.fr (consulté le ).

Références

  1. « Acte de naissance no 46 (vue 394/540)] », sur Registre des naissances de l'année 1849 pour la ville de Semur-en-Auxois sur le site des archives départementales de la Côte-d'Or (consulté le ).
  2. Félix Jahyer, « Camées artistiques : LIII Judic », Paris-Théâtre, Paris, 2e série, no 53, , p. 2 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  3. « Nécrologie : théâtre, musique, beaux-arts, littérature », Le Monde artiste, , p. 639 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  4. Annie Gonneaud-Galich, « Anna Judic : sa biographie », sur Lycée Anna Judic (consulté le ).
  5. « Capon ! : étude de mœurs », sur Bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris (consulté le ).
  6. Jules Delini, « Anna Judic est morte », Comœdia, Paris, 5e série, no 1293, , p. 1 (lire en ligne sur Gallica).
  7. Les Annales, Paris, Annales, (lire en ligne), p. 50.
  8. Sir Télégraph, « Revue des Théâtres », L'Écho de Jarnac, Jarnac, Royan, no 88, , p. 3 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  9. « Notes biographiques : Anna Judic », Le Furet nîmois, Nîmes, 3e série, no 126, (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  10. Louis Germont, Loges d'artistes, Paris, Édouard Dentu, , 423 p. (lire en ligne), p. 151.
  11. Georges Gonnot, « Anna, Super Nana ? », sur Lycée Anna Judic (consulté le ).
  12. Ch. de Senneville, « Anna Judic », La Comédie, Paris, 14e série, no 31, , p. 1 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  13. Mam'zelle Nitouche sur le site de l'ANAO.
  14. (en) « Record of Amusements ; Musical and Dramatic ; Mme. Judic », The New York Times, New York, , p. 5 (lire en ligne, consulté le ).
  15. La Revue théâtrale, (lire en ligne), p. 1016.
  16. Bruno Centorame et Béatrice de Andia, La Nouvelle Athènes, haut lieu du romantisme, Paris, Action artistique de la ville de Paris, , 293 p. (ISBN 978-2-91324-633-1, OCLC 217266978, lire en ligne), p. 273.
  17. « À tous échos : Anna Judic », Le Radical de Marseille, Marseille, 73e série, no 29836, (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  18. « Une étoile qui disparait : Anna Judic », Excelsior, Paris, no 151, , p. 2 (lire en ligne sur Gallica, consulté le ).
  19. « Judic Anna (Anne Marie-Louise Damiens : 1850-1911 ».
  20. Henri de Toulouse-Lautrec, « Judic », sur artsy.net (consulté le ).
  21. Michel Grimberg, Marie-Thérèse Mourey, Jean-Marie Valentin, Élisabeth Rothmund, Recherches sur le monde germanique, PU Paris-Sorbonne, décembre 2003.

Bibliographie

  • Laurent Fraison et Bruno Centorame (dir.), « Anna Judic, comédienne et cantatrice », dans La Nouvelle Athènes : haut lieu du Romantisme, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, , 293 p. (ISBN 978-2-91324-633-1, OCLC 314051076, lire en ligne), p. 270-3.
  • Henri Mitterand, « Anna Judic, Semuroise, Avallonnaise et héroïne de Zola », Bulletin de la Société d'études d’Avallon, t. 73, 1987-1989, p. 58-65 (lire en ligne, consulté le ).

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